CAS CLINIQUE Mots-clés Arthrite – Pied – Charcot – Diabète – Neuropathie Trouver chaussure à son pied C. Duquenne*, T. Marhadour*, V. Devauchelle-Pensec* U ne femme de 56 ans est hospitalisée pour une augmentation de volume douloureuse de la cheville et du pied gauches. Ses principaux antécédents sont un diabète de type 2, diagnostiqué en 1987 lors de sa troisième grossesse, insulino-requérant depuis 2001, compliqué d’une rétinopathie diabétique et d’une polyneuropathie distale sensitivomotrice des membres inférieurs de mécanisme axonal (électromyogramme en janvier 2006), une hypothyroïdie secondaire à une thyroïdectomie subtotale pour nodules, une hypertension artérielle traitée par nébivolol et périndopril, et une dyslipidémie traitée par statines. Elle se plaint d’une douleur d’aggravation progressive depuis 1 mois, de rythme mécanique, survenant à l’appui, diminuée par le repos et la prise de paracétamol, sans réveil nocturne. Il n’y a pas de facteur déclenchant retrouvé. À l’examen, la patiente est apyrétique, il n’y a pas d’altération de l’état général. Elle pèse 68 kg pour 1,65 m (IMC = 25 ­kg/­m2). Elle présente un œdème inflammatoire du pied et de la cheville gauches, avec douleur à la mobilisation du médio-pied, sans limitation des mobilités articulaires. Les aires ganglionnaires sont libres ; on retrouve un intertrigo du quatrième espace interdigital du pied gauche. Il existe une anesthésie du pied droit et une hypoesthésie du pied gauche, associées à des troubles proprioceptifs, des erreurs au monofilament, une hypopallesthésie et une ataxie proprioceptive. Les réflexes ostéotendineux rotulien et achilléen ne sont pas retrouvés. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. Les différents diagnostics évoqués sont une thrombose veineuse profonde, un érysipèle, une arthrite microcristalline ou infectieuse, une ostéoarthropathie nerveuse diabétique, une algodystrophie et une fracture de fatigue. Les examens biologiques montrent l’absence d’hyperleucocytose, une CRP normale, mais une légère augmentation du fibrinogène à 4,9 g/dl et des α-globulines. Le bilan phosphocalcique, l’uricémie, la fonction rénale et le bilan hépatique sont normaux. L’HbA1C est à 13,7 %, avec présence d’une microalbuminurie. L’échodoppler de la cheville et du pied gauches (figure 1) montre une arthrite du médiotarse, avec synovite cunéonaviculaire en mode B, présentant un signal doppler puissance de grade 3. La ponction articulaire sous échographie ramène quelques gouttes de liquide hématique, inoculées dans 2 flacons d’hémocultures, qui reviennent négatives. Les radio­graphies retrouvent un épaississement des parties molles, une épine sous- et rétrocalcanéenne (figure 2a), et surtout une béance entre le premier et le deuxième rayon (figure 2b). L’IRM retrouve une ostéoarthrite cunéonaviculaire et du Lisfranc prédominant sur les deuxième et troisième rayons. En T1 (figures 3a et 3b), on note un hyposignal, et en T2 STIR et T1 gadolinium (figures 3c et 3d), un hypersignal inflammatoire des têtes proximales des deuxième et troisième métatarses, des 3 cunéiformes, de l’articulation cunéonaviculaire et de l’os naviculaire, avec synovites. Un petit épanchement des articulations sous-taliennes antérieure et postérieure est observé. On retrouve une subluxation du deuxième rayon (figure 3d), avec béance entre le premier et le deuxième métatarse (figure 3c). Un œdème inflammatoire des parties molles, notamment au niveau des muscles plantaires, sans collection, est repéré. Il n’y a pas d’abcès intra-osseux. Au vu des différents examens, le diagnostic retenu est celui de pied de Charcot. Cette ostéoarthropathie nerveuse survient sur un terrain de neuropathie périphérique sévère, dans le cadre d’un diabète évoluant depuis plus de 10 ans en général. Elle intéresse le plus souvent le médio-tarse, et est bilatérale dans 9 à 25 % des cas. Le traitement doit être le plus précoce possible et comprend, lors de la phase aiguë, une décharge complète et prolongée avec reprise progressive de l’appui, et des antalgiques. Lors de la phase chronique, la chirurgie peut être indiquée pour corriger les déformations, allant de l’arthrodèse jusqu’à l’amputation dans le cas d’une ostéomyélite. Le port de chaussures orthopédiques ainsi qu’une surveillance sont indispensables. ■ 10 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au no 395 - octobre 2013 Légendes Figure 1. Échodoppler de la cheville et du médio-pied gauches, montrant une arthrite du médio-tarse, avec synovite cunéo­naviculaire en mode B, présentant un signal doppler puissance de grade 3. Figure 2a. Radiographie de la cheville gauche de profil. Figure 2b. Radiographie de la cheville et du pied gauches de face. Figure 3a. IRM T1 du pied gauche, coupe sagittale, retrouvant un hyposignal de la tête proximale du deuxième métatarse et du ­deuxième cunéiforme, et un pincement de l’interligne articulaire. Figure 3b. IRM T1 du pied gauche, coupe coronale, avec présence d’un hyposignal concernant les 3 cunéiformes et les têtes proximales des deuxième et troisième métatarses. Figure 3c. IRM T2 STIR du pied gauche, coupe coronale montrant un hypersignal des 3 cunéiformes, de l’os naviculaire ; épanchement intra-articulaire cunéonaviculaire et de l’articu­lation post-talienne postérieure ; béance entre le premier et le deuxième métatarse du fait de la luxation du deuxième rayon. Figure 3d. IRM T1 avec injection de gadolinium du pied gauche, coupe sagittale, montrant une luxation dorsale du deuxième métatarse, un hypersignal de la tête proximale du deuxième métatarse et du deuxième cunéiforme, un œdème inflammatoire des muscles plantaires sans abcès visualisé. Pour en savoir plus… • Levin and O’Neal’s the diabetic foot. In: Bowker JH, Pfeifer MA (eds). 7th ed. Philadelphia (MA): Mosby Elsevier, 2008. • Ha Van G, Hartemann-Heurtier A, Lejeune M et al. Le pied diabétique. In: Grimaldi A (ed.). Traité de diabétologie. Paris : Flammarion Médecine-Sciences 2005;750-4. • Dissanayake SU, Bowling FL, Jude EB. The diabetic Charcot foot. Curr Diabetes Rev 2012;8(3):191-4. • Jude EB, Selby PL, Burgess J et al. Biphosphonates in the treatment of Charcot neuroarthropathy: a double-blind randomised controlled trial. Diabetologia 2001;44:2032-7. • Richard JL, Almasri M, Schuldiner S. Treatment of acute Charcot foot with bisphosphonates: a systematic review of the literature. Diabetologia 2012;55(5):1258-64. L es auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article. * Service de rhumatologie, hôpital de la Cavale-Blanche ; université de Bretagne occidentale, Brest. CAS CLINIQUE 2a 1 3a 2b 3c 3b 3d La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au no 395 - octobre 2013 | 11