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le point sur…
Placement à des fins d’assistance,
quelles dispositions appliquer ?
La situation en Suisse romande
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1727-9
A.DupontWillemin
Alexandre Dupont-Willemin
Psychiatre et psychothérapeute
Rue de Locarno 1
1700 Fribourg
[email protected]
Compulsory hospitalizations, which cantonal law does apply ? The situation in west
Switzerland
The Swiss cantons authorize doctors to order
compulsory hospitalization for a maximal du­
ration of four to six week. The examination of
cantonal proceedings highlights new excep­
tions to medical confidentiality in respect of
the protection authority. The Civil Code (Art.
442) specifies which cantonal laws do apply
when the patient lives in another canton. In
urgent cases, doctors may order a hospitali­
zation according to their cantonal law or ac­
cording to the cantonal law of the patient’s
residence. However, only Berne and Fribourg
allow all doctors in Switzerland to hospitalize
their residents. If possible the decision should
be made according to the law of the canton,
where the patient will be hospitalized.
Les cantons romands habilitent des médecins à prononcer un
placement à des fins d’assistance (PAFA) pour une durée
maximale allant de quatre à six semaines. L’examen des procédures cantonales met en évidence de nouvelles exceptions
au secret médical à l’égard de l’autorité de protection (APEA).
Le code civil (art. 442) précise quelles lois cantonales sont
­applicables lors d’un PAFA impliquant un patient d’un autre
canton. En principe, en situation d’urgence, le PAFA peut être
prononcé conformément, soit au droit du canton dans lequel
le médecin exerce, soit au droit du canton de domicile du
­patient. Toutefois, seuls Berne et Fribourg autorisent tous les
médecins de Suisse à placer leurs ressortissants. Lorsque cela
est possible, il est préférable de prononcer le PAFA en conformité avec la loi du canton où le patient sera hospitalisé.
introduction
Le 1er janvier 2013, de nouvelles dispositions en matière de
protection de la personne sont entrées en vigueur. Ces dispo­
sitions concernent les médecins suisses dans la mesure où
elles confirment l’autorité qui leur était déjà conférée par de
nombreux cantons. En effet, les dispositions du Code civil
concernant le placement à des fins d’assis­tance (PAFA) auto­
risent les cantons à désigner des médecins habilités à prononcer un placement à
des fins d’assistance, subsidiairement à l’autorité de protection de l’adulte et de
l’enfant (APEA).1
En Suisse, l’organisation sanitaire et judiciaire relève de la compétence des
cantons. Ils délivrent une autorisation de pratique aux professionnels de la santé.
Les gardes médicales sont organisées au niveau cantonal en engageant dans des
proportions variables les ressources des institutions de soins publiques et des
praticiens privés. En ce qui concerne l’organisation judiciaire, le Code civil fait
l’objet de lois d’applications cantonales qui s’appliquent en principe aux person­
nes domiciliées dans le canton.2 De plus, le placement implique l’accueil dans un
établissement de soins dont le financement dépend pour une large part des sub­
ventions cantonales. Cette situation soulève la question, lorsqu’un médecin est
confronté à un patient domicilié dans un autre canton, du choix de la norme can­
tonale applicable.
dispositions cantonales en matière de pafa prononcé
par un médecin, des disparités importantes
Il existe des grandes disparités entre les cantons en ce qui concerne la dési­
gnation des médecins autorisés à prononcer un PAFA. Dans certains cantons, seuls
certains médecins qui y exercent sont autorisés,3-8 alors que d’autres cantons ha­
bilitent tous les médecins de Suisse.9,10 Les conditions nécessaires à un place­
ment (par l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte ou le médecin) sont
définies par le Code civil (art. 426 CC). Elles sont réunies lorsqu’en raison d’un
trouble psychique, d’une déficience mentale ou d’un grave état d’abandon, l’as­
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sistance ou le traitement nécessaires ne peuvent être four­
nis hors d’une institution appropriée. Certains cantons ont
restreint les conditions du PAFA par le médecin à l’urgence
et d’autres limitent de plus leur compétence aux troubles
psychiques. Les conditions nécessaires à un placement
par un médecin diffèrent donc selon le canton. La durée
maximale du PAFA diffère également d’une durée de quatre
à six semaines. La procédure que suit le médecin est uni­
formisée par le Code civil (art. 430 CC). Il persiste toutefois
des variations importantes. Ainsi, les voies de recours
­varient en fonction de l’organisa­tion judiciaire cantonale.
Enfin, outre la personne de con­fiance, il est également
­nécessaire dans certains cantons d’informer d’autres ins­
tances comme le médecin cantonal ou l’APEA.
En droit civil, le for juridique est situé au domicile de la
personne concernée par la décision. Cela implique que le
médecin s’informe des dispositions du canton de son pa­
tient. Toutefois, toutes ces différences entre les lois d’appli­
cation du Code civil découragent le médecin d’appliquer
une loi qui ne lui est pas familière. De plus, la majorité des
cantons romands n’autorisent que certains médecins de leur
canton à prononcer un PAFA. Le médecin cantonal vaudois
pourrait autoriser des médecins exerçant dans les cantons
limitrophes, cela ne concerne toutefois que ceux qui en
­auraient fait préalablement la demande. Seuls Berne et
Fribourg autorisent tous les médecins de Suisse à pronon­
cer un PAFA pour leurs ressortissants.
quelle législation appliquer ?
Il importe de respecter le principe de souveraineté can­
tonale en répondant à cette question. Les disparités con­
cernant la désignation des médecins habilités à prononcer
un PAFA mettent en évidence deux conceptions différentes
de la souveraineté cantonale en matière de protection de
l’adulte. Une conception «territoriale» et une conception
«administrative» de la souveraineté. La conception territo­
riale s’intéresse à régler toutes les situations qui surviennent
sur le territoire du canton. Et la conception administrative
se manifeste par le souci de régler les questions qui con­
cernent les administrés, autrement dit les personnes do­
miciliées dans le canton où qu’elles se trouvent en Suisse.
Cette double approche fait écho à l’article 442 du Code civil
qui stipule que sont compétentes l’autorité de protection
de l’adulte du domicile de la personne concernée (art. 442,
al. 1 CC) ainsi que, en cas de péril en la demeure, celle de
l’endroit où elle se trouve (art. 442, al. 2 CC). En d’autres
termes, en matière de PAFA, la loi applicable par le médecin
est celle du domicile de son patient et également celle du
lieu où il exerce à condition qu’il s’agisse d’une urgence.
En effet, la compétence du médecin est subsidiaire à celle
de l’APEA (art. 429, al. 1 CC). Les dispositions concernant la
compétence à raison du lieu précisent également que lors­
que celle-ci est acquise, elle le reste jusqu’à la fin de la
procédure (art. 442, al. 1 CC). Ainsi, lorsqu’un médecin ap­
plique une loi cantonale, l’APEA et l’autorité de recours dé­
signées dans cette loi sont compétentes respectivement si
l’hospitalisation doit être prolongée et en cas de demande
de contrôle judiciaire, à moins que la procédure ne soit ré­
pétée dans le canton d’accueil.
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l’annonce du placement à l’apea, une
nouvelle exception au secret médical
Le PAFA prononcé par un médecin a une durée maximale
de quatre à six semaines selon les cantons. Au-delà de cette
durée, le placement doit être prolongé par l’APEA. Les dif­
férentes législations cantonales prévoient donc que l’APEA
soit informée par le médecin qui prononce le placement
ou par l’hôpital. La communication de la décision de place­
ment à l’APEA se fait donc selon les dispositions cantonales
mises en œuvre. En effet, le Code civil ne prévoit pas de
levée automatique du secret médical à l’égard de l’APEA
(art. 448, al. 2 CC). Ainsi, si le médecin prononce un place­
ment selon la loi d’application du Code civil du canton du
patient, l’APEA du domicile du patient doit en être informée
selon les dispositions prévues. Par contre, si c’est la loi du
canton où exerce le médecin qui est mise en œuvre, c’est
l’APEA du lieu où la personne séjournait au moment du
placement qui doit être informée.
où la décision est-elle applicable ?
Pour simplifier la discussion, seule la question de l’hos­
pitalisation urgente en milieu psychiatrique est évoquée.
Le Code civil ne limite pas la validité du placement pronon­
cé par les médecins au canton dans lequel ils exercent. Le
choix de l’établissement d’accueil est nécessairement dicté
par des raisons financières. En effet, en absence de concor­
dat intercantonal, le remboursement des frais d’hospitali­
sation hors canton n’est pas garanti au-delà de trois jours.
En pratique, les patients sont donc hospitalisés dans l’hô­
pital psychiatrique de leur canton après un éventuel bref
passage dans un hôpital plus proche du lieu de leur séjour.
La pratique en ce qui concerne l’admission dans les hôpitaux
psychiatriques de patients placés depuis un autre canton
diffère d’un canton à l’autre pour les raisons suivantes. La
demande de soins en psychiatrie constitue une charge im­
portante pour les cantons qui financent les hôpitaux psy­
chiatriques par leurs subventions. A cet égard, deux types
de risques peuvent être identifiés. Le premier est l’aug­
mentation du nombre d’urgences psychiatriques, qui a été
observée dans les hôpitaux généraux des grandes villes,
avec comme corolaire l’explosion du nombre des hospita­
lisations psychiatriques.11 Le second en cas d’introduction
du TarPSY est l’augmentation du nombre d’hospitalisations
hors canton.12 Ainsi, en raison de l’importance du triage
opéré avant un PAFA, de nombreux hôpitaux psychiatriques
n’admettent que les patients qui font l’objet d’un place­
ment par un médecin du canton, tandis que d’autres favo­
risent le rapatriement de leur résidants en les admettant
selon les dispositions du canton de provenance, sans exiger
la répétition de la procédure.
une procédure méconnue : le placement
selon les dispositions cantonales du
canton de domicile du patient
En Suisse romande, seuls les cantons de Berne et Fribourg
habilitent tous les médecins exerçant sur le territoire de la
Confédération à prononcer le placement de leurs ressortis­
sants de manière à faciliter leur rapatriement. Les formu­
laires de placement et des directives à l’intention des pro­
fessionnels sont disponibles sur internet.13,14 Les deux can­
tons n’autorisent les médecins à prononcer un PAFA qu’en
cas d’urgence. Fribourg limite de plus la compétence du
médecin aux troubles psychiques. Dans les deux cantons,
les décisions doivent être communiquées sans délai à
l’APEA du domicile de la personne par le médecin qui pro­
nonce le PAFA. Celle-ci peut être retrouvée grâce à un lien
hypertexte sur les formulaires bernois. En ce qui concerne
Fribourg, l’adresse des différents cercles de la Justice de
Paix peut être consultée sur internet et le district dont fait
partie chaque commune peut être retrouvé sur la base de
l’adresse postale dans la «liste historisée des communes
de la Suisse».15 A Fribourg, l’APEA est également l’autorité
de recours en ce qui concerne les décisions des médecins.
conclusion
Lors du rapatriement en urgence d’un patient dans un
hôpital psychiatrique de son canton, il convient de s’infor­
mer auprès de l’établissement de l’éventuelle répétition
de la procédure de placement par un médecin dans le can­
ton d’accueil. Si la procédure est répétée, il convient tout de
même de prononcer un PAFA selon la législation du canton
de départ. En effet, en absence d’autres dispositions per­
mettant le transfert contre le gré du patient, celui-ci ne peut
se faire que dans le cadre d’un placement. Par contre, si la
procédure n’est pas répétée et que le canton de domicile
autorise le médecin envoyeur à prononcer un PAFA, il est
opportun d’appliquer la législation du canton du patient.
Faute de quoi, l’APEA du canton où le patient séjournait
momentanément devra se prononcer quant à une éven­
tuelle prolongation de l’hospitalisation au terme de la du­
rée maximale du placement par le médecin. De même, un
éventuel recours sera adressé au juge du canton de départ
en lieu et place de l’autorité de recours du canton de do­
micile du patient.
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet
­article.
Implications pratiques
> Le transfert contre le gré d’un patient depuis un autre canton
vers un hôpital de son canton de domicile ne peut se faire
qu’en cas d’urgence dans le cadre d’un placement à des fins
d’assistance
> Cette décision peut se baser soit sur la loi d’application du
code civil du canton où exerce le médecin, soit sur la base
des dispositions des cantons de Berne et Fribourg respecti­
vement pour les patients qui y sont domiciliés
> Si l’admission dans l’hôpital du canton de domicile du patient
se fait en application des dispositions du canton de départ,
les autorités de ce dernier restent compétentes pour la
suite de la procédure
> Un médecin pourrait être habilité à placer en urgence un
patient domicilié à Berne ou Fribourg, même s’il n’est pas
habilité à le faire par le canton dans lequel il exerce
Bibliographie
1** Code civil suisse du 10 décembre 1907 (Etat le
1er juillet 2013) ; CC ; RS 210 ; art. 426 à 442.
2 Code de procédure civile du 19 décembre 2008,
CPC ; RS 272, art. 10, al. 1 a.
3 Lois d’application du code civil suisse et d’autres
lois fédérales en matière civile (Genève), La CC ; RSG
E 1 05 ; art. 60 à 67.
4 Loi sur les mesures et le placement à des fins d’assistance du 24 octobre 1985 (Jura), RSJ 213.32 ; art.
31ss.
5 Loi concernant les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte, du 6 novembre 2012 (Neuchâtel),
LAPEA ; RSN 213.32 ; art. 10 et 32.
6 Loi d’application du droit fédéral de la protection
de l’adulte et de l’enfant du 29.05.2012 (Vaud), LVPAE ;
RSV 211.255 ; art. 9 et 10.
7 Loi sur la santé publique du 29.05.1985 (Vaud), LSP ;
RSV 800.01 ; art. 57.
8 Loi d’application du code civil suisse du 24 mars
1998 (Valais), LACCS ; RSV 211.1 ; art. 113ss.
9* Loi sur la protection de l’enfant et de l’adulte
(Berne), LPEA ; RSB 213.316 ; art. 27 à 34 et 65ss.
10* Loi du 15 juin 2012 concernant la protection de
l’enfant et de l’adulte (Fribourg), LPEA ; RSF 212.5.1 ;
art. 3 et 17 à 28.
11 De Clercq M. Urgences psychiatriques et interven-
tions de crise. Paris, Bruxelles : De Boeck, 1997;13-9.
12 Buss PE. Facture salée pour les cantons. Le Temps.
Editorial Mardi 27 août 2013.
13 ** www.jgk.be.ch/jgk/fr/index/kindes_erwachsenen
schutz/erwachsenenschutz/fuersorgerische_unter
bringung.html
14** www.fr.ch/smc/fr/pub/pratiques_m_dicales/pafa_
anciennement_plafa.htm
15 www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/infothek/nomenklaturen/blank/blank/gem_liste/02.html
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** à lire absolument
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