La longue marche de Bernard Kouchner

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La longue marche de Bernard Kouchner
Écrit par EricZemmour
Dimanche, 01 Mars 2009 00:00
Par son engagement humanitaire, le « french doctor » a d’abord soigné… sa cote de popularité. Il a
transité de l’internationalisme communiste à l’internationalisme américain. C’est le vrai reproche que lui
fait Péan.
L’accusation de cosmopolitisme en ces temps difficiles, ça ne vous rappelle rien ? Moi si. » En
une phrase, soigneusement préparée, Bernard Kouchner a exécuté son exécuteur, Pierre
Péan. Abasourdi d’être ainsi traité d’antisémite et de fils spirituel du nazisme, l’auteur du Monde
selon K. est sorti vaincu de cette bataille médiatique.
Défendu par le président de la République –« il n’a rien commis d’illégal » –, soutenu par la
presse de gauche – le Monde et le Nouvel Observateur – qui relaya la stratégie médiatique du
ministre des Affaires étrangères, en évoquant les mânes diaboliques de Je suis partout,
l’hebdomadaire collaborationniste et antisémite, pour mieux vilipender l’odieux accusateur,
Bernard Kouchner s’arracha de la nasse où ce livre l’avait plongé.
Et pourtant… Il y aurait beaucoup à dire. Sur la scandaleuse et dangereuse stratégie
kouchnérienne, d’abord, qui use et abuse de l’accusation d’antisémitisme, quitte à accréditer
l’idée délétère que « le juif est intouchable ». Sur le choix éditorial de Pierre Péan, ensuite, qui a
traité deux sujets distincts dans son livre : d’abord, les contrats signés par Bernard Kouchner
avec de nombreux dictateurs de la planète, africains ou asiatiques, lui qui a fait sa carrière sur
la défense des droits de l’homme et la dénonciation de toutes les dictatures à travers la planète.
Rien d’illégal, comme l’a souligné Nicolas Sarkozy, mais contradictoire au moins avec l’image «
moralisatrice » qu’il a donnée tout au long de sa vie, et qui a fait ses mirifiques courbes de
popularité, à l’origine de sa nomination au Quai d’Orsay !
Ces pratiques financières, ce mélange des genres – un ambassadeur français, employé de la
société réclamant des honoraires privés à Omar Bongo – ont fait la une des journaux. Mais
l’essentiel du livre était ailleurs. Il portait sur les idées, la grille idéologique du monde, et son
évolution à travers le temps, de Bernard Kouchner.
C’est sur ce point que le livre était le plus intéressant. Mais c’est sur ce point-là que les amis de
Bernard Kouchner ont choisi de renvoyer le boomerang à Péan. D’où le mot « cosmopolitisme
». On l’a oublié, mais dans les années 1930, ce mot n’était pas forcément une insulte
antisémite, mais visait aussi les communistes, les francs-maçons, les élites européennes, et
même plus profondément la philosophie kantienne qui estimait qu’au-delà des intérêts de la
nation et du peuple, la politique des Etats devait aussi prendre en compte les intérêts de
l’humanité, dans une sorte de préfiguration d’une démocratie mondiale.
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La longue marche de Bernard Kouchner
Écrit par EricZemmour
Dimanche, 01 Mars 2009 00:00
Ça ne vous rappelle rien ? Moi si. Qui est Bernard Kouchner ? Un jeune militant communiste
qui se rebelle contre l’autoritarisme stalinien du PCF, et qui, médecin et juif – nous sommes
vingt ans à peine après la Seconde Guerre mondiale – prend feu et flamme avec sincérité et
énergie pour tous les malheurs du monde. Il se rend célèbre en 1968, pendant le conflit du
Biafra, où il bouscule les habitudes prudentes de la Croix-Rouge, pour aller porter secours aux
victimes de la guerre. Au contraire de la Croix-Rouge, il refuse de respecter les frontières et les
souverainetés nationales quand il s’agit de « sauver des vies humaines ». Dans la foulée, il
fonde Médecins sans Frontières en 1971. Le droit d’ingérence était né.
Première ambiguïté : il est alors manipulé par Foccart et les services secrets français qui
tentent, sous l’autorité du général de Gaulle, d’arracher cette région biafraise au Nigeria sous
influence britannique.
Seconde ambiguïté : ce droit d’ingérence va toujours dans le même sens : celui de l’Occident
vers les pays déshérités. Il ne prend jamais le chemin inverse ; il ne touche jamais les
puissants, ni la Russie en Tchétchénie ni les Etats-Unis, du Vietnam à l’Irak. Les puissances
européennes au XIXe siècle colonisaient, elles aussi, au nom de la civilisation.
Bernard Kouchner, abandonnant le communisme, en conserva l’internationalisme. Il le porta
longtemps à gauche. Il l’habilla de la solidarité internationale, de l’Europe, de la mondialisation.
Bernard Kouchner pense, comme l’explique très bien Jacques Attali, que l’humanité devrait se
doter d’un gouvernement mondial pour appréhender les problèmes de la planète.
Surtout, il juge que l’empire américain est le plus apte à gouverner ce monde en danger et de
défendre un Occident assiégé. En quarante ans, il est passé de l’imperium soviétique à
l’imperium américain.
Plus profondément, il est une de ces innombrables incarnations de la crise de la nation
française. Vieille histoire. A partir du milieu du XIXe siècle, la gauche, qui avait inventé la
nation, défendu les conquêtes révolutionnaires et impériales, porté le messianisme botté
français, se convertit à l’internationalisme et au pacifisme. Lamartine et Jaurès sont les deux
grands noms de cette évolution. Après la grande guerre de 1914-1918, ce pacifisme deviendra
l’obsession de la gauche et conduira – comme le montre l’excellent livre de l’historien israélien
Simon Epstein – d’innombrables intellectuels, journalistes, politiques dans les bras de la
collaboration avec l’Allemagne nazie. Ce pacifisme poussera tous ces antiracistes sincères vers
un antisémitisme virulent, puisque les juifs sont accusés de pousser la France à la guerre
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Écrit par EricZemmour
Dimanche, 01 Mars 2009 00:00
contre l’Allemagne.
Après guerre, les mêmes causes produisent les mêmes effets. En 1968, une nouvelle
génération d’extrême gauche n’a que sarcasmes pour le « beauf » français. Et voue un culte
sans bornes à l’URSS, la Chine, Cuba, le Vietnam, le Cambodge etc. Revenue de ses illusions
totalitaires, toute une génération transitera doucement de l’internationalisme communiste vers
l’internationalisme américain. La mondialisation ne posera pas de cas de conscience à ces
hommes de gauche. Ils feront du libre-échange et des délocalisations, un exemple de «
solidarité internationaliste ». Ils auront des scrupules à limiter les flux d’immigration, considérant
confusément comme un des droits de l’homme celui de s’installer n’importe où sur la planète.
Peu importe que cette idéologie internationaliste rencontre les intérêts financiers du capitalisme
et ceux, géostratégiques, des Etats-Unis.
Peu importe que cette mondialisation soit « payée » par la stagnation des salaires dans tous
les pays occidentaux, et finisse par provoquer la crise actuelle. L’internationalisme est devenu
la valeur suprême et on y sacrifie toutes ces idées du passé et les classes sociales que la
gauche était censée défendre. La rencontre avec une droite qui a, elle aussi, passé par-dessus
bord la nation au nom du marché, ne relève nullement de la trahison, ni même de la
transgression, mais de l’évidence, trop longtemps retardée dans un pays comme la France qui
s’attache encore à des colifichets idéologiques et historiques.
Bernard Kouchner est une des incarnations de cette histoire. Il partage avec le président
Sarkozy cette fascination pour l’Amérique. Le retour dans les structures intégrées de l’Otan ne
lui pose aucun état d’âme. Le gaullisme n’est ni son histoire ni sa nostalgie. Il y a quelques
années, Régis Debray avait imaginé, dans un de ses livres, que les Etats-Unis, à l’instar de
l’Empire romain avec l’édit de Caracalla, accordait la nationalité américaine à tous les membres
de « l’empire ».
A la plus grande joie des élites françaises. Les défenseurs de Kouchner prétendent que Pierre
Péan règle ses comptes au sujet du Rwanda. Péan serait scandalisé des propos du ministre
des Affaires étrangères reconnaissant une part de responsabilité française dans le génocide.
Pour Péan, Kouchner a pris le parti des adversaires de la France et des Anglo-Saxons. D’où la
couverture de son livre, où l’on voit un Kouchner hilare dans les bras de George W. Bush.
Une manière facile et un rien racoleuse, mais qui pose une question importante. Une question
habilement occultée. The show must go on ?
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Écrit par EricZemmour
Dimanche, 01 Mars 2009 00:00
A lire Le Monde selon K. de Pierre Péan, Fayard, 325 pages, 19 € ; Un paradoxe français de Simon Epstein, Albin Michel, 622 pages,
28 €.
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