DES PHILOSOPHIES MORALES A L`ETHIQUE BIO

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DES PHILOSOPHIES MORALES A L’ETHIQUE
BIO-MEDICALE
Prof G. FREYER, MD, PhD
CH Lyon-Sud – Université Lyon 1
UNE « NECESSITE ETHIQUE » ?

La médecine est par nature
une démarche éthique
Paracelse: « Toute médecine
est amour »
Objet de la médecine: autrui
Mobile: compassion devant la
souffrance d ’autrui
Finalité: santé d ’autrui,
soulagement des maux

Pourtant, la médecine
moderne pose des problèmes
éthiques nouveaux et difficiles
UNE « NECESSITE ETHIQUE » ?
Déclin du religieux, mort des
idéologies : relativisme et pluralisme
des « valeurs »
 Avènement de la pensée
instrumentale et de la technologie : le
technocosme (et l’anthropotechnie)
 Evolution de la médecine et conflits
éthiques
 Civilisation et barbarie : le nazisme

« Hitler a imposé aux hommes un nouvel
impératif catégorique : penser et agir en
sorte qu’Auschwitz ne se répète pas » (T.
Adorno, 1966)
EVOLUTION DE LA MEDECINE ET CONFLITS ETHIQUES







Procréatique
Expérimentations sur l ’homme
Interventions sur le vieillir et le mourir
Greffes d ’organes
Cerveau et manipulations de la personnalité
Interventions sur le patrimoine génétique
Interventions sur les êtres et les milieux vivants
non humains
DIFFICULTES DE LA LOGIQUE APPLIQUEE AUX
JUGEMENTS MORAUX
UN EXEMPLE
a) Le mensonge est un mal
b) Le médecin doit faire le bien de son patient
c) En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le
médecin peut ne pas dire la vérité au patient
(Code de Déontologie Médicale)
D ’où la nécessité de nous interroger sur la
légitimité et la validité de nos jugements moraux
DEFINIR L ’ETHIQUE ?
Fondamentalement, l ’éthique
ne semble pas distincte de la
morale, mais…
 Aristote (Ethique à Nicomaque,
Livre II):
Ethos : vertu, forme excellente
du caractère, tension constante
vers la perfection = idéal, valeur,
transcendance
Ethos : mœurs, coutumes,
habitudes = réalisation, faits,
règles

EN SOMME...

L ’éthique serait une sorte d ’idéal
théorique (donc renvoyant à ses
fondements philosophiques), qui peut
se discuter mais pas s ’enseigner
« … la visée de la vie bonne, avec et pour autrui,
dans des institutions justes » (Paul Ricoeur)

La morale serait tournée vers
l ’élaboration de règles pratiques (d ’où
une certaine tension)

La déontologie : ensemble de règles et
de devoirs formalisés dans des Codes,
plus souvent proscriptifs que
prescriptifs
MAIS TOUT N ’EST PAS SI SIMPLE !
Petit Larousse, 2001 :
« Déontologie médicale : éthique médicale »
LES GRANDS CONCEPTS ETHIQUES

Quelle est la source de la norme morale ?
Extérieure à l ’individu (Dieu, la Nature…) :
hétéronomique
L ’individu lui-même : autonomique

Quelle est la finalité de la morale ?
Le Bon, le Bien : téléologique
Le Juste, le Devoir : déontologique
LES GRANDS CONCEPTS ETHIQUES

Hétéronomie / téléologie : éthiques naturalistes (H Jonas,
P Singer), utilitarisme
En France, la loi Barnier de 1995 précise que « l'absence de
certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et
techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures
effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages
graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement
acceptable ». La France a ajouté à la définition de Rio les notions de
réaction proportionnée et de coût économiquement acceptable.

Hétéronomie / déontologie : morale chrétienne

Autonomie / déontologie : les philosophies de la liberté
Peter Singer, La libération
animale, 1975
Hans Jonas, Le principe
responsabilité, 1979
LE COURANT UTILITARISTE
Existence de vertus naturelles,
inégalité de fait (Aristote)
 Co-existence du bien et du mal
 Maximisation des utilités,
« arithmétique des plaisirs » (JS
Mill, J. Bentham)
 Conséquentialisme
 Conception morale pragmatique
et opérante : « pesée » des
avantages et inconvénients

E. KANT (1724 - 1804) ET LA MORALE
DU DEVOIR
 Aucune finalité externe ne peut être
normative

Descartes et le « désenchantement du
monde »
Hume : « On ne peut inférer de ce qui est ce
qui doit être »
La Raison est au centre de la
connaissance
 La morale doit procéder d ’une bonne
volonté, d ’une nécessité d ’agir par
devoir et non conformément au
devoir (exemple du commerçant
honnête)
 D ’où la nécessité de règles formelles,
sans objet ni but, imposées par la
volonté

Les règles doivent être détachées
des penchants naturels et des
circonstances (contre
l ’eudémonisme aristotélicien). Ce
sont des contraintes, des impératifs
catégoriques
 Rejet de tout conséquentialisme ou
contextualisme
 Agir par devoir = respect de l ’idée
de loi = universalité

« Agis uniquement d ’après la maxime qui
fait que tu peux vouloir en même temps
qu ’elle devienne une loi universelle »
(Fondements de la métaphysique des
mœurs, 1785)

Mobile de l ’impératif moral : l ’homme comme
fin en soi - Ne peut être réifié (chosifié)
« Agis de telle sorte que tu traites l ’humanité aussi bien
dans ta personne que dans la personne de tout autre
toujours en même temps comme une fin et jamais
seulement comme un moyen »
La morale kantienne implique une autonomie de
la volonté, donc une liberté. La volonté doit être
libre pour se soumettre à la loi morale.
 C ’est une morale antinaturelle et rigoriste,
parfois difficile à tenir (« Faudrait-il mentir à la
Gestapo ? »)

LES CONCEPTS KANTIENS EN BIOETHIQUE

Statut personnel, inviolable et non patrimonial du
corps humain.
Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 : interdiction de la vente de
parties du corps humain (sang, sperme, organes),
interdiction des « prêts » d ’organes (mères porteuses)

Consentement à l ’expérimentation « libre et
éclairé » (Loi Huriet-Sérusclat de décembre 1988)
QUELQUES DIFFICULTES

L ’interruption thérapeutique de grossesse pour
« maladie grave et incurable » (Loi de 1975)
Position kantienne contre analyse utilitariste

Statut de l ’embryon humain : PMA, clonage,
greffes de tissus foetaux
LES ETHIQUES AUTONOMIQUES CONTEMPORAINES

L ’autonomie pluraliste de
T. Engelhardt (The Foundation of
Bioethics, 1986)
Respect absolu de l ’autonomie d ’autrui
Principe de bienfaisance
« Fais à autrui son Bien » [celui que tu t ’es
engagé par contrat à lui faire]
Application : la relation médecin malade
LES ETHIQUES AUTONOMIQUES CONTEMPORAINES

L ’éthique procédurale de John Rawls
(The Theory of Justice, 1971)
Equité de la procédure dans l ’élaboration même
des principes moraux
Principe de liberté, de différence et d ’équité
Maximisation du minimum : les moins favorisés
doivent être les moins désavantagés (contre
l ’utilitarisme)
« Voile d ’ignorance » initial
Application : sécurité sociale et médecine
« prédictive »
L’ETHIQUE BIO-MEDICALE CONTEMPORAINE
• L’éthique procédurale (Ecole de Georgetown, Beauchamp &
Childress)
•Principe de bienfaisance
•Principe de non-malfaisance
•Principe d’autonomie
•Principe d’équité, de justice
• Les éthiques de la sollicitude (Von Gebsattel, Ricoeur,
Levinas)
•Fragilité, altérité, responsabilité
•Identité narrative
FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DE
L’ETHIQUE BIOLOGIQUE ET MEDICALE
(OU BIOETHIQUE)
PERIODE CONTEMPORAINE
EMERGENCE DE LA BIOETHIQUE
Médecine triomphante de l’après-guerre (USA,
création du NIH 1945)
 Régulation : code de Nuremberg (1947) – Notion de
consentement éclairé, procédures, droits du patient
(recherche)
 Autonomie des chercheurs (Clinical Research
Center), confiance de l’Etat et de la population
 Nombreux progrès : traitement de la leucémie aiguë

(1947), vaccin poliomyélite (1947), chirurgie valvulaire
cardiaque (1952), réanimation cardio-pulmonaire (1958),
hémodialyse (1962)…
LA CRISE DE CONFIANCE DES ANNEES 70
Révélation de « scandales »
 Recherche clinique sans consentement – Injection de cellules
cancéreuses hétérologues (C. Southam, MSKCC)
 1956 – 70 : inoculation du virus de l’hépatite A à des enfants
handicapés mentaux (S. Krugman, Willowbrook State School)
 1972 : incident de Tuskegee (Alabama) – Etude de l’évolution
de la syphilis non traitée chez 600 indigents noirs, depuis 1932
 1964 :
 règlement NCI – Protocole de recherche, comité de pairs
 Déclaration d’Helsinki (AMM) : distinction recherche
thérapeutique / non thérapeutique

DEVELOPPEMENT ET INSTITUTIONNALISATION DE LA
BIOETHIQUE

Commissions sénatoriales W. Mondale puis E. Kennedy
« L’expérimentation sur l’être humain fait partie de la pratique
courante de la médecine. Une absence de contrôle vigilant associée
à la liberté d’action illimitée dont jouissent les médecins lors du
traitement de leurs patients ont permis à des pratiques
dangereuses de se développer, incluant notamment l’utilisation
précoce et infondée de produits thérapeutiques dont les effets n’ont
pas été suffisamment testés ou prouvés. La question consiste à
savoir si nous pouvons tolérer un système où le médecin est le seul
garant de la sécurité d’une procédure expérimentale. Après tout, ce
sont les patients qui doivent subir les conséquences des décisions
médicales » (E. Kennedy, 1973)

Un opposant : Christian Barnaard…
DEVELOPPEMENT ET INSTITUTIONNALISATION DE LA
BIOETHIQUE

12 juillet 1974 : National Commission for the Protection of
Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research
 Respect des personnes comme agents moraux libres
 Défense des intérêts des sujets de recherche (bénéfice,
notion utilitariste - conséquentialiste)
 Sélection équitable des sujets de recherche (justice,
notion principiste – déontologique)
Rapport Belmont, 1978

France : création du CCNE (1983), Loi Huriet sur les essais
cliniques (1988).
DEVELOPPEMENT D’UNE ETHIQUE DE LA
RESPONSABILITE


Apparition du terme « bioéthique » en 1970 : « Nouvelle
discipline qui allie un savoir biologique à un savoir sur les
systèmes de valeurs humains » (Van Rensselaer Potter) –
Recherche et médecine clinique
Principaux axiomes (Reich, Beauchamp et Childress, école de
Georgetown)




Respect de l’autonomie, choix du patient – contrat médical (accord
volontaire et informé)  base déontologique
Principe de bienfaisance (médicotechnique, mesurable)  base
utilitariste
Principe de non-malfaisance (rapport bénéfice-risque)  base
utilitariste
Principe de justice (justice distributive, équité)  base déontologique
LIMITES ET CRITIQUES DE L’ETHIQUE
DE LA RESPONSABILITE
Refuse la sollicitude médicale au profit d’une critique
systématique du paternalisme
 Transforme la confiance en une assurance
 Ethique procédurale : pas de partage de valeurs communes
originales (médecin – patient)
 Ethique du refus et de la revendication, éthique
«
minimaliste »
 Suppose la possibilité d’une autonomie – déni de la
vulnérabilité
 Ethique normative : érige l’autonomie en valeur éthique
universelle

UNE ETHIQUE DE LA
SOLLICITUDE MEDICALE

V. Von Weizsäcker (1886 – 1957) : anthropologie phénoménologique de la relation
clinique





Vie contrariée, perte des références et du contrôle de soi
Isolement, dépendance
Crainte de la mort
Altération de la conscience intime du temps
V. Emil Freiher Von Gebsattel : les moments de la relation thérapeutique



Sympathique : perception de la détresse, demande d’aide
Agir scientifique : diagnostic, traitement, pronostic – réification du
patient, nosographie
Acte thérapeutique personnalisé
 3 strates éthiques : promesse d’aide, phase réparatrice, acte médical
responsable
UNE ETHIQUE DE LA
SOLLICITUDE MEDICALE


Re-fonder une confiance mutuelle en dépit de la pluralité des
référentiels du monde moderne
Humanité partagée et responsabilité pour autrui – E. Levinas,
Le temps et l’autre, 1985 :
« Je pense que la souffrance est l’enfermement même, condamnation à
soi-même. Et pourtant, dans la souffrance, il y a un cri et un soupir, une
plainte […] Le médecin est celui qui entend ces plaintes. Par conséquent,
dans ce secours à l’autre, ce premier appel à l’autre, la première réponse
est peut-être une réponse de médecin. Je ne dis pas que tout le monde est
médecin par rapport à tout autre, mais très certainement, cette attente
médicale de l’autre constitue une des racines très profondes de la relation
inter-humaine »
UNE ETHIQUE DE LA
SOLLICITUDE MEDICALE

L’éthique narrative de P. Ricoeur (Soi-même
comme un autre)



Malade « délogé » de l’image de soi
Nécessité d’une restauration identitaire narrative
Dynamisme relationnel, notion d’alliance contre la
maladie
PRINCIPAUX PARADOXES
DE L’ETHIQUE MODERNE




Ethique clinique et éthique de la recherche
La personne humaine n’est pas une chose mais son corps est
un objet d’étude scientifique
« La personne n’est pas une marchandise, ni la médecine un
commerce, mais la médecine a un prix et coûte à la société »
« La souffrance est privée, mais la santé est publique »
(Paul Ricoeur)
ASPECTS METHODOLOGIQUES


Ethique discursive (J. Habermas)
Etudes de cas : casuistique (Jonsen et Toulmin),
fin des années 80



Morphologie propre au cas (indications médicales,
préférences du patient, éléments contextuels)
Taxinomie du cas (analogies avec des cas similaires)
Cinétique du cas : paradigme moral applicable
Merci pour votre attention
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