TITRE DE L’ARTICLE: La santé infantile dans la puériculture africaine : le cas des Akan de Côte d’Ivoire PAPER ON: Infant Health in African Paediatric Nurse: the case of the Akan Community in Côte d’Ivoire PRESENTE PAR : Dr KOUAKOU Bah Jean-Pierre, Socio-anthropologue, Enseignant-Chercheur Université de Bouaké, Côte d’Ivoire. 22 B.P 1554 Abidjan 22, Côte d’Ivoire Cel.: (225) 05 42 24 58 E-mail : [email protected] 0 RESUME La santé infantile occupe une place importante dans les sociétés africaines. Celle-ci est marquée par la puériculture dont le cas des Akan sert ici d’illustration. Les Akan sont un groupe ethnique composite réparti au Centre, au Sud, à l’Est et au Sud-est de la Côte d’Ivoire. Plusieurs éléments concourent à la compréhension de la santé de l’enfant akan. En effet, l’environnement socioculturel (rites et pratiques) et écologique (flore, faune) demeure le substrat de la puériculture de ce groupe. De fait, divers objets confectionnés par les tradithérapeutes, constituent des éléments concrets, observables qui caractérisent le cadre institutionnel de la santé infantile dans le groupe ethnique Akan. Ces éléments constitutifs d’origine zoologique et végétale témoignent de l’importance de l’environnement naturel dans les pratiques médicales africaines. Cette symbiose entre l’Homme et la nature est riche d’enseignements dont la connaissance requiert une approche anthropologique. Ces faits d’ordre socioculturel peuvent constituer des pistes de réflexion théorique à explorer pour l’Anthropologie de la maladie en Afrique. ABSTRACT Infant health holds an important place in african societies. That infant health is marked by paediatric nurse, the case of the akan group serving to exemplify this analysis in the present paper. The Akan are a heterogeneous language group spread out in the Center, the South, the East, and the South-east of Côte d’Ivoire. Many elements contribute to the understanding of the akan child’s health. In fact, the sociocultural environment (through rites and practices), and the ecological element (through the flora and fauna) remain the background of the akan’s paediatric nursing. To this end, various objects made by traditional therapeutists constitute tangible and observable elements characterizing the institutional framework of infant health in the akan group. Those constituent elements of zoological and plant origins are evidence of the importance of the natural environment in african medical tradition. That symbiosis between the human being and nature is a tremendous learning experience the knowledge of which requires an anthropological approach. Those facts of sociocultural kind can open some paths to a theoretical reflexion that must be explored in the context of the Anthropology of diseases in Africa. 1 INTRODUCTION La santé infantile tient une place de choix dans les communautés africaines et particulièrement ivoiriennes. Celle-ci est exprimée dans la puériculture akan par l’utilisation de divers objets de santé. Ils remplissent diverses fonctions qui répondent aux besoins médicaux des enfants. Cependant, dans la pratique, leur usage semble être en contradiction avec celui de la médecine officielle ou moderne. Les objets de santé infantile comme champ d’investigation de l’Anthropologie médicale demeurent quasi inexploités. On peut cependant noter l’utilisation d’objets de santé dans certains pays d’Asie notamment en Thaïlande où on trouve des colliers de santé bouddhistes1. Ces faits conduisent à une réflexion sur la place des objets de santé infantile dans les systèmes médicaux traditionnels africains et particulièrement ivoiriens. Celle-ci s’appuie sur le cas des Akan2 de Côte d’Ivoire à travers des exemples précis chez les Akyé3 et les Baoulé4. Au plan méthodologique, ces propos se basent sur les données d’une enquête qualitative (entretiens avec les tradipraticiens et les matrones) menée dans les communautés akyé (Yakassé-Attobrou dans le Département d’Adzopé) et baoulé (Moronou dans la Souspréfecture de Toumodi et Logbakro dans la Sous-préfecture de Yamoussoukro). Notre communication comporte essentiellement trois parties. La première présente les objets de santé infantile dans la puériculture akyé. La deuxième partie examine ces objets dans la puériculture baoulé. La troisième partie s’atèle à tirer quelques enseignements d’Anthropologie médicale liés aux objets de santé infantile. I- LA SANTE INFANTILE DANS LA PUERICULTURE AKYE L’analyse de la santé infantile dans la puériculture akyé s’appuie sur les objets de santé. Mais avant celle-ci, il importe de connaître historiquement et culturellement ce groupe ethnique. 1.1- Brève présentation des Akyé Les Akyé sont issus du grand groupe ethnique akan. Ils ont immigré du Ghana en Côte d’Ivoire au XVIIIème siècle. Ils sont actuellement localisés au sud-est de la Côte d’Ivoire. On distingue trois sous-groupes : les Nindin, installés dans les Sous-préfectures d’Alépé et d’Anyama ; - les Bodin, situés dans le Département d’Adzopé et dans la Sous- préfecture d’Agou et - les Kéttin qui occupent les Sous-préfecture d’Akoupé et d’Afféry. 1 Confère http://magiedubouddha.com/p_thai-sante.php Groupe ethnique localisé dans la partie sud, centre et est de la Côte d’Ivoire. 3 Ethnie localisée au sud-est de la Côte d’Ivoire. 4 Ethnie localisée au centre de la Côte d’Ivoire. 2 2 L’enfant, appelé bitio en Akyé, représente une valeur importante ; les familles riches sont celles où on dénombre beaucoup d’enfants. Pour leur santé, les Akyé utilisent divers objets ayant chacun une fonction spécifique. 1.2- Les objets de santé infantile Parmi les divers objets de santé infantile akyé, quelques uns ont été sélectionnés sur lesquels porte la présente réflexion. Ces objets sélectionnés sur la base des fonctions qu’ils remplissent dans les étapes évolutives de l’enfant sont classés en deux groupes. Il s’agit des objets à composition végétale et des objets à composition zoologique. 1.2.1- Les objets à composition végétale Il s’agit des objets de santé faisant intervenir dans leur confection des éléments de la flore. A cet effet, deux objets ont été identifiés. Ce sont : safi kpo et himbôza. 1.2.1.1- L’objet de santé safi kpo Safi kpo en Akyé signifie en français ‘’la grosse perle blanche’’. Cet objet de santé infantile est composé de cinq graines sauvages, d’un fruit noir du bananier sauvage (musaceae). Au milieu de ces deux constituants, on trouve deux grosses perles blanches en porcelaine de forme cylindrique. On y trouve également un morceau de béret rouge, un morceau de pagne que la mère utilise pendant ses menstrues. On note également quelques poils de la barbe du bélier. Toute cette composition est alignée sur une cordelette faite à partir des fibres de feuilles d’ananas. Quelle fonction un tel objet remplit-il ? 1.2.1.1.1- La fonction de l’objet de santé L’objet de santé safi kpo a une fonction médicale. Il protège l’enfant ou établit sa guérison de tous les cas de maladies. Chaque élément de l’objet a une fonction spécifique. Ainsi, la barbe du bélier représente la pureté et il a pour fonction de chasser les mauvais esprits qui sont la cause de la maladie. Le béret rouge renforce la puissance des autres éléments de l’objet, car à l’image des militaires commandos qui sont craints par la population, la maladie aura peur de l’enfant. Le morceau de pagne utilisé par la mère pendant ses menstrues protège l’esprit de l’enfant contre les maladies. Pour être efficace, l’objet de santé se porte sur une partie du corps de l’enfant. 1.2.1.1.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé L’objet de santé infantile safi kpo peut être porté sur différentes parties du corps de l’enfant : le cou, la poitrine, la hanche, le genou, la cheville, le coude et le poignet. Il peut être porté pendant toute la durée de l’enfance. 3 1.2.1.2- L’objet de santé himbôza Cet objet est constitué de deux cordelettes entremêlées en coton. Sur celles-ci, sont placées deux à deux des perles blanches en porcelaine. Elles sont séparées par des nœuds tout au long des cordelettes. Cette spécificité au niveau de la composition de l’objet transparaît dans sa fonction. 1.2.1.2.1- La fonction de l’objet de santé C’est un objet de prévention et de guérison des maladies liées à la dentition : fièvre, diarrhée etc. Il fonctionne comme un régulateur de la dentition chez les enfants. En effet, les perles séparées deux à deux permettent aux dents de pousser de la même manière. Cette prédisposition des mères akyé est de nature non seulement à assurer une bonne dentition aux enfants, mais également à éviter la malédiction sur la famille ; car la poussée des dents en nombre impair est source de malédiction. 1.2.1.2.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé L’objet de santé himbôza se porte uniquement au cou, car c’est sur cette partie qu’est reliée la tête où l’on trouve la bouche qui contient les dents. L’objet est porté aux nouveau-nés de trois mois. Il n’est pas renouvelable, car jusqu’à sa coupure, l’enfant aura poussé assez de dents. Les objets de santé infantile akyé n’ont pas seulement une composition végétale ; ils peuvent contenir des éléments zoologiques. Figure 1 : objet de santé safi kpo Figure 2 : objet de santé himbôza 1.2.2- Les objets à composition zoologique Ce sont des objets de santé infantile dont la composition contient des éléments du règne animal ou ornithologique. On peut citer entre autres adoua hin et bédza. 1.2.2.1- L’objet de santé adoua hin Il est composé de trois éléments essentiels. Adoua hin qui signifie ‘’la dent du chien’’ correspond au premier élément constitutif de cet objet de santé. Une perle de couleur 4 bleue marine et de forme cylindrique est le deuxième élément. Le troisième élément est une perle plate circulaire de couleur noire. Quelle est la fonction de cet objet dans la puériculture akyé ? 1.2.2.1.1- La fonction de l’objet de santé Chez les Akyé, la maladie est multidimensionnelle : physique, socioculturelle et spirituelle. L’objet de santé adoua hin est confectionné dans le cadre de la dimension spirituelle. En effet, il protège les enfants contre les sorciers qui se manifestent par les pleurs nocturnes et l’insomnie de l’enfant. La dent du chien représente le chien qui est à la chasse des sorciers pour assurer la protection de l’enfant pendant la nuit. La perle bleue marine est le signe de protection océanique. La perle noire, quant elle, place l’enfant dans un voile noir, qui le rend invisible aux sorciers. 1.2.2.1.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé L’utilisation de l’objet est laissée au goût de la mère de l’enfant. Cependant, les parties privilégiées du corps sont les articulations : le cou, la hanche, le genou, la cheville, le coude et le poignet. 1.2.2.2- L’objet de santé bédza Trois éléments principaux composent l’objet de santé bédza. On observe une longue perle tricolore (bleue, blanche et marron). Aux deux extrémités de celle-ci, se trouvent trois autres perles sauvages. La confection de l’objet s’achève par l’ajout de l’élément principal aux éléments précités : les plumes de touraco. L’ensemble de ces éléments donne une signification à l’objet à travers sa fonction. 1.2.2.2.1- La fonction de l’objet de santé Bédza permet de protéger ou de soigner l’enfant contre la ‘’maladie de l’oiseau’’. Celle-ci correspond en médecine officielle à la convulsion. Les plumes de touraco renforcent la puissance de l’objet et permettent ainsi de combattre la maladie. Le mode d’utilisation de cet objet ne diffère pas profondément des autres. 1.2.2.2.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé La hanche demeure la partie indiquée pour le port de l’objet. Il ne peut donc pas se porter sur une autre partie du corps. Aucune explication précise n’est donnée par la population enquêtée sur les raisons de ce choix. L’objet bédza est confectionné et porté à l’enfant dès qu’il y a une suspicion de signes convulsifs. Il est renouvelable jusqu’à deux ans si l’objet se coupe pendant son utilisation. Ces différents objets de santé infantile que nous venons d’examiner ne sont pas spécifiques aux Akyé. On en trouve également ou du moins leurs correspondants dans 5 d’autres communautés ivoiriennes. C’est le cas du groupe ethnique baoulé qui constitue le second cas de figure dans ce document. Figure 3 : objet de santé adoua hin Figure 4 : objet de santé bédza II- LA SANTE INFANTILE DANS LA PUERICULTURE BAOULE La présentation des objets de santé infantile chez les Baoulé ne diffère pas de celle que nous venons d’examiner chez les Akyé. Cela, pour la simple raison qu’en général, les espèces végétales et/ou zoologiques demeurent le substrat de ces objets de santé. Cependant, qui sont les Baoulé de Côte d’Ivoire ? 2.1 - Brève présentation des Baoulé Les Baoulé sont une ethnie localisée géographiquement au centre de la Côte d’Ivoire. Ils ont immigré au XVIIIème de la Gold Coast (actuel Ghana) en actuelle Côte d’Ivoire sous la conduite de la légendaire reine Abla Pokou. Plusieurs sous-groupes ethniques partageant la même langue composent l’ethnie baoulé. L’enfant est une source de richesse chez les Baoulé ; d’où l’importance accordée à sa santé. A cet effet, divers objets infantiles sont utilisés pour assurer une bonne santé à l’enfant tout au long de sa croissance. 2.2- Les objets de santé infantile Les objets de santé infantile utilisés chez les Baoulé sont composés diversement. Mais d’une manière générale, on peut observer les objets à composition végétale et les objets à composition zoologique. 2.2.1- Les objets à composition végétale Les objets de santé infantile examinés ont des éléments constitutifs tirés de la flore. Il s’agit de : - Bédjé gnamman et de - Kèssè kèssè. 6 2.2.1.1- L’objet de santé bédjé gnamman Bédjé gnamman signifie en langue baoulé ‘’la cordelette des dents’’. Elle est d’une composition simple. En effet, de petites perles blanches en porcelaine sont placées tout au long de deux cordelettes entremêlées. Elles sont séparées par des nœuds. Ainsi, les perles se retrouvent deux à deux sur les cordelettes unifiées par les nœuds. 2.2.1.1.1- La fonction de l’objet de santé Dans la puériculture baoulé, les mères savent que la poussée des dents peut entraîner chez les enfants des céphalées, la fièvre, la diarrhée etc. C’est dans l’objectif de protéger l’enfant contre ces maux que l’objet de santé bédjé gnamman est utilisé. 2.2.1.1.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé Il se porte uniquement au cou qui est une partie du corps plus proche de la bouche où se trouvent les dents. 2.2.1.2- L’objet de santé kèssè kèssè Deux éléments principaux composent cet objet de santé. Il y a d’abord la cordelette faite jadis avec des fibres de feuilles d’ananas. Aujourd’hui, C’est plutôt la cordelette en coton ou le fil de couture de couleur blanche qui est utilisé(e). Sur cette cordelette, sont placées deux perles bleues de forme cylindrique. Quelle est l’utilité de l’objet kèssè kèssè pour la santé infantile chez les Baoulé ? 2.2.1.2.1- La fonction de l’objet de santé Kèssè kèssè est une maladie infantile connue chez les Baoulé comme une toux sèche prolongée. En médecine moderne, cette maladie renvoie à la coqueluche. La cordelette kèssè kèssè est utilisée à titre préventif contre cette maladie. 2.2.1.2.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé L’objet de santé kèssè kèssè est porté au cou de l’enfant lorsqu’une épidémie de coqueluche est déclarée dans le village ou les villages voisins. A côté des objets de santé infantile à composition végétale, on note également ceux dont la composition nécessite des éléments d’ordre zoologique. Figure 5 : objet de santé bédjé gnamman Figure 6 : objet de santé kèssè kèssè 7 2.2.2- Les objets à composition zoologique Dans cet ordre, deux objets de santé infantile ont été identifiés. Nous avons les objets assima gnamman et n’glo n’glo gnamman. 2.2.2.1- L’objet de santé assima gnamman Assima gnamman signifie littéralement ‘’la cordelette du cadet’’. Il est composé d’une cordelette en matière végétale (paille nattée), une grosse et deux petites perles sauvages et d’un morceau de bois. Tous ces éléments sont situés entre deux nœuds dans lesquels sont insérés un fil de coton de couleur rouge et des poils de lièvre. Ce dernier élément est le plus important, car cet animal est connu pour sa gestation rapprochée. Quelle est la fonction de cet objet ? Comment l’utilise-t-on ? 2.2.2.1.1- La fonction de l’objet de santé Il est connu chez les Baoulé que les grossesses rapprochées de la mère entraînent chez l’enfant des troubles de la santé. Ceux-ci se manifestent souvent par la diarrhée. Cette dernière déshydrate l’enfant et le rend chétif. La cordelette assima gnamman est utilisée pour éviter ou pour traiter ce cas spécifique de diarrhée. 2.2.21.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé Pour éviter ou pour traiter la diarrhée due aux grossesses rapprochées, la mère porte à la hanche de son enfant l’objet de santé assima gnamman. 2.2.2.2- L’objet de santé n’glo n’glo gnamman L’objet de santé n’glo n’glo gnamman est constitué par une cordelette en coton comprenant des nœuds d’environ deux centimètres d’intervalle. À l’intérieur de ces nœuds sont insérées des plumes de l’épervier. À quoi cet objet sert-il dans la puériculture baoulé ? Comment s’utilise-t-il ? 2.2.2.2.1- La fonction de l’objet de santé N’glo n’glo gnamman ou la ‘’cordelette du haut haut’’ évoque chez les Baoulé ce qui est convenu d’appeler la ‘’maladie de l’oiseau’’ en Afrique. Il s’agit de la convulsion chez les enfants. Pour la population d’étude, cette maladie survient à la suite du survol d’un oiseau rapace (généralement l’épervier) sur l’enfant quand celui-ci est couché dehors. 2.2.2.2.2- Le mode d’utilisation de l’objet de santé Pour rétablir la santé de l’enfant atteint de cette maladie, on lui porte au cou l’objet de santé N’glo n’glo gnamman. 8 Les divers objets de santé que nous venons d’examiner témoignent de l’importance accordée à la santé infantile dans la puériculture akan de Côte d’Ivoire. Mais à l’instar de ce grand groupe ethnique, les objets de santé infantile peuvent s’observer chez tous les groupes ethniques ivoiriens. Quels enseignements d’Anthropologie médicale peut-on tirer de l’examen de ces objets de la culture médicale akan? Figure 7 : objet de santé assima gnamman III- Figure 8 : objet de santé n’glo n’glo gnamman LES ENSEIGNEMENTS ANTHROPOLOGIQUES LIES AUX OBJETS DE SANTE INFANTILE Trois enseignements peuvent être dégagés de l’examen des objets de santé infantile. Il s’agit de la diversité des systèmes médicaux, de la collaboration entre médecine moderne et médecine traditionnelle, notamment africaine et du rôle de l’Anthropologie médicale dans le développement sanitaire. 3.1- La diversité des systèmes médicaux L’examen des divers objets de santé infantile montre que tous les groupes humains ont développé ou développent un système de santé pour répondre à leur besoin sanitaire. Le cas des Akan de Côte d’Ivoire permet de comprendre que la médecine conventionnelle ou moderne n’est pas la seule qui se préoccupe de la protection et de la restauration de la santé. Le modèle d’explication des maladies varie d’un groupe culturel à un autre. Dans ce sens, les critères d’évaluation du normal et du pathologique ne présentent nullement un caractère universel. Cette variation du seuil de la normalité et du pathologique est due à la variation des systèmes de croyance et des systèmes de valeurs. De celles-ci, découlent des perceptions, des attitudes et des pratiques diverses sur la notion de santé et de maladie chez l’espèce humaine. 3.2- La collaboration entre médecine moderne et médecine traditionnelle L’usage des objets de santé infantile fonctionne en parallèle et parfois en opposition avec les connaissances médicales modernes. Cependant, ceux-ci semblent dans l’ensemble répondre à tous les cas de maladie ou de morbidité infantile en remplissant des fonctions multidimensionnelles (prévention, traitement curatif, protection spirituelle). La cosmogonie occupe une place importante dans le système médical traditionnel africain. C’est pourquoi, les éléments de la nature interviennent aussi bien dans la prévention que dans le traitement des maladies. Ceux-ci renvoient à des référents (poils d’animaux, 9 plumes d’oiseaux, perles, cordelettes en coton ou fibres de feuilles d’ananas etc.) qui sont utilisés dans la composition des remèdes. C’est ce que Fainzang a appelé une ‘’homéopathie symbolique’’, c’est-à-dire une « thérapeutique utilisant un remède confectionné à partir de l’élément pathogène ou d’un objet le représentant… » (Fainzang 1986 : 85). La confection des objets de santé infantile est faite par les thérapeutes traditionnels. Ils restaurent par leurs pratiques la culture des populations concernées en mettant en évidence la dimension socioculturelle de la maladie dans laquelle celles-ci se reconnaissent. L’opposition entre la médecine traditionnelle (savoir endogène) et la médecine moderne (savoir exogène) n’est pas faite pour promouvoir la santé des populations. En revanche, une collaboration étroite paraît plus réaliste et nécessaire qu’une tentative ‘’d’acculturation médicale’’. 3.3- Le rôle de l’Anthropologie médicale dans le développement sanitaire L’Anthropologie médicale est l’étude de la variabilité, dans l’espace et dans le temps, des systèmes médicaux de l’espèce humaine. En effet, elle se propose d’apporter un éclairage sur la logique sanitaire des différents groupes humains. Les problèmes de santé ne sont pas des situations à observer en dehors de l’environnement socioculturel qui les sous-tend. Le comportement humain est un facteur essentiel sous-jacent. Or, la plupart des programmes de santé sont conçus sans tenir compte de la dimension humaine, c’est-à-dire de l’avis des populations concernées. Les divers aspects humains constituent en effet, les facteurs sousjacents au problème endémique posé. Dès lors, comment peut-on maîtriser de façon durable un problème de santé publique en écartant la dimension humaine ? L’Anthropologie médicale doit répondre à cette préoccupation. Son intervention consiste à examiner les attitudes, la perception, les pratiques et les comportements à risque. Ce rôle essentiel de l’Anthropologie médicale invite à une réflexion sur sa place dans les actions de développement sanitaire des pays en voie de développement et particulièrement ceux d’Afrique. Que peut-on retenir de cette réflexion sur les objets de santé infantile du groupe ethnique akan de Côte d’Ivoire ? CONCLUSION Les objets de santé infantile sont une réalité incontournable dans les systèmes médicaux traditionnels ivoiriens. Ils forment une sorte de symbiose entre les communautés et la nature. Ses éléments constitutifs en rendent largement compte. Ces objets de santé qui sont un produit de la culture constituent souvent un frein à la fréquentation des centres de santé modernes. Ils constituent une solution aux besoins médicaux des enfants tant au niveau préventif que curatif mais également en leur assurant la protection spirituelle. La confection des objets de santé infantile relève des thérapeutes traditionnels, principaux possesseurs des savoirs médicaux endogènes. Cette situation pose le problème de la collaboration étroite entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle. Celle-ci est une nécessité en Afrique noire où subsistent des systèmes médicaux traditionnels. 10 BIBLIOGRAPHIE AUGE, M. 1986. « L'anthropologie de la maladie », L'Homme, 26 (1-2) : 81-90. AUGE, M. HERZLICH C. 1984. Le sens du mal. Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie. Paris : Archives contemporaines. BENOIST, J.1996. Soigner au pluriel, Essais sur le pluralisme médical. Paris : Karthala. FABREGA H. 1978. Disease and Social Behavior. An Interdisciplinary Perspective, Cambridge : MIT Press. FAINZANG, S. 1986. L’intérieur des choses. Maladie, divination et reproduction sociale chez les Bisa du Burkina Faso. Paris : L’Harmattan. KOUAKOU, N.F. 1978. « Pour une anthropologie médicale africaine », dans Annales de l’Université d’Abidjan, Série F, Tome VII, Ethno-sociologie. LOUCOU, J.N. et GARANGER, M. 1988. En pays Baoulé. 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