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Vies consacrées, 83 (2011-4), 278-283
Célibat sacerdotal
«∞∞En signe que votre âme est livrée au Christ Seigneur, voulezvous garder à jamais le célibat pour le Royaume des Cieux∞∞?∞∞»
C’est dans cette traduction littérale du rituel latin1 que le cardinal
Lustiger, le 19 décembre 1987, m’a interrogé, ainsi que quatre
autres jeunes hommes, avant de nous ordonner diacres en vue
du sacerdoce presbytéral. D’emblée, cette question place le célibat sacerdotal dans une relation intime à Jésus, Christ Seigneur.
Une relation unifiante de la personne puisque, pour livrer son
âme, il s’agit d’engager son corps.
Cette «∞∞garde du célibat∞∞» s’enracine dans les sacrements de
l’initiation chrétienne, puisqu’à ce moment de la liturgie, le candidat aux Ordres est un christifidelis laicus. Le concile Vatican II
n’hésite pas à parler de «∞∞consécration au Christ∞∞» à propos des
fidèles laïcs∞∞: «∞∞Les baptisés, en effet, par la régénération et
l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure
spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les
merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable
lumière (cf. 1P 2,4-10)∞∞»2. La «∞∞garde du célibat∞∞» déploie un des
aspects de cette fondamentale consécration du baptisé. En ce
sens, elle rejoint ce que le Catéchisme, reprenant les termes du
Code de Droit Canonique, dit de la vie consacrée∞∞: «∞∞L’état de la
vie consacrée apparaît […] comme l’une des manières de
connaître une consécration «∞plus intime∞», qui s’enracine dans
le Baptême et dédie totalement à Dieu3. Dans la vie consacrée,
les fidèles du Christ se proposent, sous la motion de l’Esprit
Saint, de suivre le Christ de plus près, de se donner à Dieu aimé
par-dessus tout et, poursuivant la perfection de la charité au
1. Vultis, coram Dómino et Ecclésia, in signum ánimi vestri Christo Dómino dediti,
cælibátum propter regnum cælórum in Dei hominúmque servítio perpétuo custodíre∞∞?
2. cf. Vatican II, Lumen Gentium, 10∞∞; cf. aussi Lumen Gentium, 34
3. cf. Vatican II, Perfectæ caritatis, 5
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service du Royaume, de signifier et d’annoncer dans l’Église la
gloire du monde à venir (cf. CIC 573)∞∞»4.
Pas une seule de ces caractéristiques de la vie consacrée ne
peut être enlevée du célibat sacerdotal sans que soit perdu
quelque chose de sa richesse et de sa vérité. Au milieu de ses
frères, le prêtre, ainsi spécifiquement consacré au Christ, est
appelé à manifester par sa vie en cohérence avec son état, la
«∞∞gloire du monde à venir∞∞». Ayant fait lui-même l’offrande exclusive de lui-même pour le Règne de Dieu5 en «∞∞livrant son âme au
Christ Seigneur∞∞», il est témoin privilégié du Christ qui, par la
bouche de l’apôtre, appelle les baptisés à s’offrir à Dieu comme
des vivants revenus de la mort et faire de leurs membres des armes
de justice au service de Dieu. (Rm 6,12).
Membre du Corps du Christ qu’est l’Église, le prêtre vit
d’abord son état de célibataire dans l’union sponsale de l’Église
au Christ. Il a à se faire tout entier réceptif, jusqu’en son affectivité, et son affectivité corporelle, au Christ sauveur qui prend soin
de son corps qui est l’Église (cf. Ép 5,29). Son état réclame une vie
de prière amoureuse fidèle et généreuse, nourrie de la Parole de
Dieu, et une fidélité aux sacrements de l’Eucharistie et de la Pénitence. Ce sont là les «∞∞touchers∞∞» du Christ qui prend soin de son
Église.
Mais ce célibat sacerdotal signifie aussi quelque chose du
ministère sacerdotal et de la personne du Christ lui-même.
Le célibat du Christ Jésus est d’abord un fait. Et un fait volontaire
puisqu’il déroge au commandement fondamental que l’homme
reçoit au jardin d’Éden∞∞: «∞∞C’est pourquoi l’homme quittera son
père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils seront deux vers
une seule chair∞∞» (Gn 2,24). Saint Paul, dans le même passage que
précédemment cité, donne la clef de cette dérogation. A propos
de ce verset de la genèse, il s’écrit∞∞: «∞∞Ce mystère est grand∞∞! Moi,
je le dis à propos du Christ et à propos de l’Église∞∞» (Ep 5,32).
Le Christ vient accomplir le mystère des noces comme il viendra
accomplir la Torah et les prophètes (Mt 5,17). D’emblée — et
dans l’évangile selon saint Jean, le commencement des signes se
4. Catéchisme de l’Église Catholique, § 916
5. Benoît XVI, Sacramentum Caritatis, 24.
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situe à Cana —, Jésus se dévoile comme l’Époux. Le célibat de
l’Agneau est en vue du festin de ses noces.
Le célibat sacerdotal, tenu comme règle venant des apôtres6,
renvoie d’abord au célibat de Jésus, Messie d’Israël. Il s’agit pour
l’évêque, le prêtre ou le diacre, de manifester l’amour exclusif et
inconditionnel de Jésus Sauveur pour son Église et par là, l’amour
de Dieu pour chaque homme. Le célibat sacerdotal se trouve
donc à nouveau relié au mystère nuptial, mais cette fois-ci du
côté de l’époux. «∞∞«∞Saisi par le Christ Jésus∞» (Ph 3,12) jusqu’à
s’abandonner totalement à Lui, le prêtre se configure plus parfaitement au Christ également dans l’amour avec lequel le Prêtre
éternel a aimé l’Église son Corps, s’offrant tout entier pour elle,
afin de s’en faire une Épouse glorieuse, sainte et immaculée
(cf. Ép 5,25-27). La virginité consacrée des ministres sacrés
manifeste en effet l’amour virginal du Christ pour l’Église et la
fécondité virginale et surnaturelle de cette union, en vertu de
quoi les fils de Dieu ne sont pas engendrés de la chair et du sang
(Jean 1,13)∞∞»7.
L’anneau de l’évêque a clairement une signification nuptiale.
La parole du rituel qui accompagne la remise de l’anneau dit∞∞:
«∞∞Recevez cet anneau, signe de fidélité∞∞: gardez dans la pureté de
la foi l’Épouse de Dieu, la sainte Église∞∞». La réforme liturgique
qui a déployé la célébration de l’Eucharistie dans laquelle le
prêtre à l’autel fait face au fidèle a aussi accentué cette dimension
nuptiale de la liturgie eucharistique.
Mais plus profondément, la célébration même de la messe
convoque le prêtre au mystère nuptial. «∞∞La nuit même où il fut
livré, il prit le pain, en rendant grâce il le bénit, il le rompit et le
donna à ses disciples, en disant∞∞: Prenez, et mangez-en tous∞∞: ceci
est mon corps livré pour vous∞∞»8. Il est clair qu’il s’agit du Christ.
Que c’est le Christ qui se livre en son corps, accomplissant ainsi
ce qu’il disait en entrant dans le monde∞∞: «∞∞En entrant dans le
monde, le Christ dit∞∞: ‘Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation∞∞; mais
6. Comme le montre Christian Cochini, s.j., dans son livre Les Origines apostoliques
du célibat sacerdotal, Paris, Ad Solem, 2006 (1ère édition∞∞: Paris-Namur, LethielleuxCulture et Vérité, 1981∞∞; thèse soutenue en 1969 à l’Institut catholique de Paris sous la
direction du cardinal J.Daniélou).
7. Paul VI, Sacerdotalis cælibatus, 26
8. Prière Eucharistique III.
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tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés. Alors j’ai dit∞∞: Voici, je viens, car c’est de moi
qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta
volonté.’ Il commence par dire∞∞: Sacrifices, oblations, holocaustes, sacrifices pour les péchés, tu ne les as pas voulus ni
agréés — et cependant ils sont offerts d’après la Loi —, alors il
déclare∞∞: Voici, je viens pour faire ta volonté. Il abroge le premier
régime pour fonder le second. Et c’est en vertu de cette volonté
que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus
Christ, une fois pour toutes.∞∞» (He 10,5-10). Mais le prêtre ne peut
prononcer ces paroles sans entendre de sa propre bouche∞∞: «∞∞mon
corps∞∞»∞∞; intuitivement, il perçoit qu’il ne peut dire ces paroles de
Jésus sans que son propre corps, à lui, prêtre de Jésus Christ, soit
concerné. Il ne peut livrer le Christ sans être lui-même livré. Il ne
peut vouloir donner le Christ sans vouloir lui-même se donner.
Certes, tout baptisé est destiné à devenir une éternelle offrande
à la gloire du Père9. Tout baptisé est exhorté par l’apôtre Paul à
«∞∞offrir [son] corps en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu∞∞»
pour accomplir ce qui est bon, ce qui est agréable à Dieu, ce qui est
parfait (Rm 12,1-2). Mais le prêtre qui célèbre l’Eucharistie reçoit
cet appel de manière spécifique. Il lui faut offrir son corps, par
Jésus, avec lui et en lui, en amour nuptial pour l’Église à travers
le ministère qu’il a reçu. La continence pour le Royaume dit cette
offrande et cet amour exclusif du Sauveur.
Cette relation du célibat sacerdotal au mystère des noces de
l’Agneau se trouve unifiée par le Verbe. Si, parmi les formes de
prédication, l’homélie est réservée au prêtre (sacerdoti) ou au
diacre10, c’est qu’elle a à voir avec la nature même du ministère.
Pour que le Verbe de Dieu se fasse chair dans le cœur des fidèles,
il faut qu’il se fasse chair dans la vie du ministre. Livrer son âme
au Christ Seigneur, c’est se livrer tout entier au Verbe de Dieu
pour lui devenir, comme le dit la bienheureuse Élisabeth de la
Trinité «∞∞comme une humanité de surcroit en laquelle il renouvelle tout son mystère∞∞»11. L’expérience concrète de l’homélie,
9. Id.
10. Code de 1983, c.767
11. Bse Élisabeth de la Trinité, 34e Élévation à la Sainte Trinité.
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Abbé Emmanuel Schwab
c’est que le Verbe de Dieu transforme le prédicateur en le traversant. La parole d’amour que le Verbe-Époux adresse à l’ÉgliseÉpouse se trouve en la personne du ministre à l’état à la fois de
parole prononcée et de parole reçue. Le choix s’impose entre
unification de la personne et schizophrénie. Cette unification
suscite dans le cœur du ministre une joie semblable à celle du
Baptiste (un autre célibataire pour le Royaume∞∞!)∞∞: «∞∞l’ami de
l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de
l’époux∞∞» (Jn 3,29).
Du temps de saint Augustin, il était impensable qu’un évêque
résidentiel change de siège. Mutatis mutandis, l’Église l’avait
perçu aussi pour la charge curiale puisque les curés de paroisse
étaient normalement inamovibles12. Le curé qui m’a accueilli
comme jeune prêtre, très rarement absent de sa paroisse le
dimanche, l’expliquait en disant∞∞: «∞∞Je suis marié avec ma paroisse∞∞».
L’expérience curiale est une étonnante expérience nuptiale. Et la
fécondité de cette Alliance n’est pas seulement les nouveaux baptisés, mais aussi tous les chemins de conversion et toutes les initiatives missionnaires qui se font jour.
L’actuel archevêque de Paris allonge les mandats de curés
jusqu’à 12 ans, durée maximum fixé par la Conférence des
évêques. Béni soit-il∞∞! Le fait que, pour l’année sacerdotale, le
Pape ait placé comme figure de référence un curé qui est resté
41 ans dans la même paroisse ne m’a pas semblé anecdotique.
La stabilité des prêtres dans leur ministère permet aussi l’enracinement humain du don qu’ils font de leur vie, dans la personne
du Christ-tête — in persona Christi capitis13 — à l’Église son
Épouse.
«∞∞Alors, l’un des sept Anges aux sept coupes remplies des sept
derniers fléaux s’en vint me dire∞∞: ‘Viens, que je te montre
12. Code de 1917 c.454∞∞: §1. Ceux qui sont préposés, en qualité de recteur propre, à
l’administration d’une paroisse doivent y être établis d’une manière stable. Cela
n’empêche pas cependant qu’ils puissent en être écartés selon les règles du droit.
§2. Tous les curés n’obtiennent pas le même degré de stabilité. Ceux qui obtiennent
le degré supérieur sont habituellement appelés inamovibles∞∞; ceux qui n’ont que le
degré inférieur sont dits amovibles.
§3. […] Que les paroisses nouvellement érigées soient inamovibles, à moins que
l’évêque, à raison des circonstances spéciales de lieux et de personnes, ne décide avec
prudence, après avoir entendu son chapitre, que l’amovibilité convient mieux.
13. Vatican II, Presbyterorum ordinis, 2.
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la Fiancée, l’Épouse de l’Agneau’∞∞» (Ap 21,9). Le prêtre n’est pas
seulement ébloui par la personne de Jésus Christ. Il l’est aussi par
la personne de l’Église. Se tenant à sa place de ministre, c’est-àdire de serviteur — et l’Église est sage de n’ordonner aujourd’hui
prêtres que des diacres∞∞! — le prêtre contemple la fiancée de
l’Agneau, celle à qui le Christ, Agneau de Dieu, se donne. Il trouve
sa joie en rendant présent l’Époux. Il sait qu’il n’est pas lui-même
cet Époux. Mais il en apprend les mœurs puisqu’il a été configuré
à Lui. Pour la joie de l’Épouse.
- Abbé Emmanuel Schwab
Curé de la paroisse St Ferdinand des Ternes –
Ste Thérèse de l’Enfant Jésus
27, rue d’Armaillé
FR -75017 Paris
Quand un curé de Paris réfléchit au célibat auquel il s’est engagé, les
repères qui marquent sa consécration apparaissent clairement dans leur
profonde unité avec d’autres consécrations. En ouvrant ce dossier, nous
offrons à qui a des oreilles pour l’entendre de poursuivre avec nous un
chemin d’avenir.
a
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