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mardi 27 septembre 2016 LE FIGARO
L'ÉVÉNEMENT
4
F. GUILLOT/AFP
Des difficultés existent
mais on peut trouver
des solutions. Il faut apprendre
à mettre des limites
ANNICK GIRARDIN
»
MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE, LORS DE SA VISITE
À L’HÔPITAL BICHAT-CLAUDE BERNARD À PARIS, LE 23 SEPTEMBRE,
CONSACRÉE AU RESPECT DE LA LAÏCITÉ À L’HÔPITAL
L’hôpital
sous tension
communautaire
Les services les plus touchés sont
les urgences et les services de maternité.
CAROLINE BEYER £@BeyerCaroline
TROP D’OUTILS théoriques et trop peu
d’avancées concrètes sur le sujet de la
laïcité à l’hôpital. C’est le constat qu’a
fait Annick Girardin, radicale de gauche, en enfilant en février dernier les
habits de ministre de la Fonction publique. Cet été, elle a installé une com-
mission « laïcité et fonction publique », qui rendra ses recommandations
à la mi-novembre. « Chartes, guides,
vade-mecum… Si un certain nombre de
choses sont déjà mises en place, on observe qu’en l’absence de leur hiérarchie
les agents nous racontent une forme
d’abandon et de souffrance », explique
la ministre, qui était le 23 septembre à
l’hôpital Bichat, à Paris, pour écouter
L’hôpital public est confronté
à des revendications religieuses.
Une commission « laïcité et fonction
publique », rendra ses recommandations
à la mi-novembre.
SERGE ATTAL/CIT’IMAGES
les personnels. Patient refusant d’être
examiné par un médecin du sexe opposé, ou que sa femme le soit, refus de
transfusion, tensions autour des visites
des familles quand les patients sont en
chambre double, régime alimentaire
particulier, y compris pour les bébés…
L’hôpital public est confronté aux revendications religieuses. Épicentre de
ces tensions : les urgences et les services maternité.
« Nous vivons
une régression »
- © LP/ M. de Martignac
« Pour peu qu’il y ait un foyer islamique
dans le quartier, ils font la loi aux urgences ! Nous sommes au front », lâche
Patrick Pelloux, le président de l’Association des médecins urgentistes de
France (Amuf). « Toutes les religions se
sont passionnées pour la santé, qui touche à la vie et la mort », poursuit-il,
décrivant « un combat de l’islam intégriste politique pour mettre la main sur
la santé ».
Virulent, il dénonce les entorses à la
laïcité par le personnel soignant, tenu
pourtant à la stricte neutralité, et, face
à cela, « le manque de courage de certains médecins et des doyens de facultés
de médecine » qui tolèrent le voile sur
leurs bancs. En décembre 2015, dans
une note à l’attention des directeurs
d’hôpitaux, le directeur général de
l’AP-HP expliquait avoir été saisi par
plusieurs directeurs afin de clarifier le
sujet des tenues vestimentaires des
personnels, et des tentatives de contournement. Rappelant le rejet, par la
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de la requête d’une employée voilée, il expliquait que « le
port de la charlotte ou de tout autre
couvre-chef ne doit pas être admis en
dehors des lieux dans lesquels ils sont
préconisés. Il en est de même des vêtements couvrants », ajoutait la note.
« Nous vivons une régression », constate pour sa part Philippe Deruelle, le
secrétaire général du Collège national
des gynécologues et obstétriciens
français (CNGOF), qui en 2006 alertait
les pouvoirs publics, à la suite d’agressions de gynécologues par des maris de
patientes. Il décrit des professionnels
confrontés à la souffrance psychologique de femmes interdites de contraceptions et contraintes à des grossesses qu’elles ne désirent pas. À l’hôpital
Jeanne de Flandre de Lille, où il exerce, la réunion tenue tous les deux mois
pour faire le point sur les violences aux
urgences recense cinq à six cas liés à
l’intégrisme religieux. ■
Isabelle Lévy : « Il faut une
loi, assortie de sanctions »
Et vous dans tout ça ?
FORMATRICE spécialisée dans les rites,
cultures et religions face aux questions
autour du soin, Isabelle Lévy intervient
depuis vingt ans dans les hôpitaux. Dans
Menaces religieuses sur l’hôpital *, publié
en 2011, elle décrit un hôpital public mis
en péril par l’intrusion de pratiques religieuses intransigeantes.
LE FIGARO. - Depuis la publication
de votre ouvrage il y a cinq ans,
en quoi la situation a-t-elle évolué ?
Isabelle LÉVY. - Elle s’aggrave. Si les
questions religieuses ont toujours suscité
des différends avec les patients et leurs
proches, le non-respect de la laïcité par le
personnel soignant est une problématique
plus récente. Et elle se pose avec force.
“
Certains patients
refusent de se
déshabiller pour
une opération
ISABELLE LÉVY
”
A
La circulaire du 2 février 2005 sur la laïcité dans les établissements de santé, tout
comme le guide élaboré en février dernier par Jean-Louis Bianco, le président
de l’Observatoire de la laïcité, n’ont rien
changé à la donne. Il y a toujours des personnels qui arborent des signes religieux
à l’hôpital, qui y font leur prière. Il faut
donc une loi pour marquer les esprits.
Que dirait cette loi ?
Assortie de sanctions, elle viendrait rappeler le cadre légal. Celui-ci exige du
personnel une neutralité absolue. Le patient, lui, hospitalisé pour un temps plus
ou moins long, a le droit de pratiquer sa
religion, dans certaines limites. Il peut
prier dans sa chambre et dans les lieux de
culte dédiés, mais pas dans les espaces
communs. Il peut s’habiller comme il le
veut, mais sa tenue doit être adaptée aux
soins. Certains patients refusent de se
déshabiller pour une opération. Il peut
demander un praticien homme ou femme, mais cela dépendra des disponibilités du personnel. Globalement, les demandes d’ordre religieux peuvent être
prises en compte si elles ne vont pas
contre les prescriptions médicales, les
règles d’hygiène et de sécurité, la liberté
des autres patients et si le planning de
l’hôpital le permet.
En quoi les entorses à la laïcité
sont-elles dangereuses ?
La neutralité du personnel garantit la
même qualité de soin pour tout patient,
quelle que soit sa religion. Un médecin
qui s’estime croyant, avant d’être soignant, c’est dangereux. Certains patients refusent des soins pour des raisons
religieuses. On ne peut les y forcer…
J’aime cependant rappeler que les religions, toujours plus sympathiques que
leurs fidèles, invitent à mettre de côté
les pratiques religieuses dans le cadre de
maladies. Refuser un soin pour soi, c’est
un suicide. Le refuser pour un autre,
c’est un meurtre. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR C. B.
* Presses de la Renaissance.
eric delvaux
catherine boullay
le 5/7
avec tous les mercredis
la participation
de Solenn de Royer
du journal
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