économie et forêt

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ÉTUDE DE LA CHARGE PHYSIQUE
D'UNE TÂCHE D'UN AGENT FORESTIER
LE MARTELAGE EN MONTAGNE
D ' G . MARGUET
L'expérimentation effectuée par le Docteur Geneviève Marguet, dans le Centre de Pontarlier, est
significative pour les secteurs résineux d'altitude caractérisés par une concentration, sur une
période assez courte, des martela g es de chablis et de coupes.
Nous nous proposons d'étudier la tâche de martelage des agents forestiers, sous son aspect charge
physique . En effet, cette tâche nous paraissait a priori contraignante car elle a suscité des
pathologies d'effort chez certains agents . Notre sujet n'est donc pas d'appréhender la tâche globale
des agents forestiers, mais de nous attacher aux problèmes posés par un aspect parcellaire de
son travail : le martelage.
Description de la tâche
Le martelage consiste à marquer les arbres qui seront abattus dans des parcelles à « régénérer
ou à « améliorer ' (cas de la futaie régulière) . Il est effectué dès mars-avril dans nos régions
(c'est-à-dire dès que la neige s'est retirée des parcelles), jusqu'au début du mois de juillet, par
une équipe généralement composée de quatre à cinq agents, d'un technicien et d'un ingénieur(').
Les marteleurs choisissent les arbres à marquer, en mesurant les diamètres à 1,30 mètre du sol,
à l'aide du compas forestier (sorte de pied à coulisse en bois) et sur deux directions perpendiculaires . Le marquage de l'arbre, ensuite, consiste à enlever l'écorce en deux endroits différents :
au pied de l'arbre et à 1,30 mètre du sol environ avec une hachette appelée le marteau forestier.
(')
Dans la plupart des régions . le martelage commence dès le mois de novembre.
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Le « blanchi » ou entaille est alors marqué avec l'empreinte de l'Administration forestière qui se
trouve au dos du marteau . L'un des blanchis doit se trouver sur le tronc qui sera abattu, l'autre
sur la souche ce qui permettra en particulier de contrôler les souches restantes . Le marteleur
annonce au pointeur, chaque fois qu'il marque un arbre, la nature de l'arbre marqué et le diamètre
de son tronc.
Le pointeur est chargé de répéter les informations données par les marteleurs afin de s'assurer
de leur bonne compréhension, et de noter, sur sa fiche de martelage, chaque arbre marqué
dans sa catégorie . Le pointeur est le plus souvent le technicien, chef de secteur . L'ingénieur
a pour sa part un rôle d'orientation, de coordination et de contrôle.
Le martelage exige de tous les membres de l'équipe une marche à pied en forêt sur un terrain
plus ou moins accessible, accidenté, mouillé et dans des conditions climatiques très variables.
Les marteleurs sont munis de deux outils : le compas et le marteau . Ils effectuent des mouvements
d'hyperextension de la tête et du tronc pour regarder et choisir l'arbre à marteler, puis des
mouvements de flexion du tronc avec un effort des membres supérieurs pour entailler l'écorce
de deux, parfois trois « blanchis » . Le pointeur . quant à lui, porte sa tablette sur laquelle il inscrit
les informations données par les marteleurs.
La charge physique et l'homme
Des relations simples ont été établies entre l'intensité du travail physique et ses répercussions
sur l'organisme, permettant un examen plus approfondi de la tâche.
. Rappel physiologique :
L'individu s'adapte au travail :
— localement, par une augmentation du débit circulatoire musculaire : apport d'oxygène et de
nutriments au niveau des muscles concernés par le travail ;
— globalement, par une adaptation du système respiratoire (augmentation de la fréquence respiratoire) et du système circulatoire (augmentation du volume d'éjection et de la fréquence cardiaque).
• Relation linéaire entre fréquence cardiaque et charge de travail:
Des études ont montré qu'il existe une relation linéaire entre charge de travail et fréquence
cardiaque, jusqu'à un seuil de fréquence cardiaque maximum . Ce seuil est variable selon l'âge,
le sexe, l'aptitude physique de l'individu . La fréquence cardiaque maximum pourrait être calculée
lors d'une épreuve d'effort sur bicyclette ergonomique . On admet, sur un plan théorique, qu'elle est
égale à 220, moins l'âge en années, ceci pour un sujet masculin.
Fréquence cardiaque maximum
► (théoriquement 220 – âge)
puissance du travail en watt
La relation linéaire entre fréquence cardiaque et puissance du travail permet de suivre l'adaptation
cardio-respiratoire de l'organisme à une charge de travail en mesurant la seule fréquence
cardiaque .
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Photo J.-P. VERNEY. MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE.
Rappelons que la fréquence cardiaque est variable selon les individus . C'est pourquoi, nous
rapporterons constamment les mesures à la fréquence cardiaque de repos et nous parlerons
d'augmentation de fréquence cardiaque ou « coût cardiaque ,> dû au travail.
L'étude dynamique du « coût cardiaque ,> au cours d'un travail permet d'évaluer l'effort demandé
aux adpatations de l'organisme, que cet effort soit dû au maintien d'une posture, à l'accomplissement d'un travail musculaire, aux activités mentales, aux adaptations à un environnement
thermique par exemple (intempéries).
Méthode et résultats des mesures
Nous avons mesuré la fréquence cardiaque de trois agents : deux marteleurs et un pointeur
en leur prenant le pouls durant 15 secondes :
— au repos couché, en cours d'examen annuel ;
— au cours d'une journée de martelage, tous les quarts d'heure durant deux périodes :
de 9 à 12 heures et de 15 à 16 heures 30 .
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Les mesures en cours de travail ont été faites le 4 juillet, par beau temps, sur un terrain mouillé
mais peu accidenté.
Les résultats, ainsi que les caractéristiques du terrain et de l'intensité du martelage ont été reportés
sur un graphique .
COURBE DES FRÉQUENCES CARDIAQUES EN COURS DE MARTELAGE
fréquences cardiaques
140
130
120
110
100
90
80
70
N (50 ans) pointeur
L (28 ans) marteleur
60
M (26 ans) marteleur
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4''
• Coût cardiaque au cours du martelage
L'accomplissement de la tâche de martelage entraîne, dans les conditions de l'étude, des pics de
fréquence cardiaque correspondant à un coût qui varie de 52 à 62 pulsations/mn pour le premier
marteleur, et de 54 à 67 pulsations/mn pour le second, donc des pics équivalant à un coût
moyen de 60 pulsations/mn.
Ces pics sont maintenus durant des périodes de 20 à 45 minutes (selon la longueur de la parcelle
notamment) . La tâche est en effet spontanément coupée de pauses brèves (1 à 5 minutes) prises
en position debout.
Pour un marteleur, ces pauses spontanées suffisent à faire descendre la fréquence cardiaque à
une fréquence qui est due à la station debout.
Pour le second marteleur, ces pauses ne suffisent pas : la fréquence cardiaque ne décroît pas
jusqu'à la valeur fréquence
debout ' . Seule, l'interruption du repas de midi permet un retour
à cette fréquence debout » . Cet agent nous a dit avoir débuté sa journée dans une forme
physique médiocre . Effectivement, sa fréquence debout était déjà nettement élevée (+ 20 pulsations
par minute) . Il semble que la fatigue, dans ce cas précis, s'accumule et devienne irréversible
malgré les pauses . Notons en effet que les valeurs de fréquence basale en position couchée
n'ont pas été relevées le même jour.
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Coût cardiaque du pointeur
Le coût cardiaque du pointeur est plus modeste : de 12 à 28 pulsations/mn . Il parait sensible à la
vitesse de la marche à pied (exemple : en fin d'après-midi, il y avait peu d'arbres à marteler sur une
distance plus grande à parcourir) et aux aléas du terrain : la parcelle parcourue en fin de matinée
était plus accidentée que la précédente et entraînait donc un coût cardiaque ,, plus important.
Interprétation des résultats - Comparaison avec les normes
Des auteurs admettent généralement que pour un travail professionnel de 8 heures par jour,
l'accroissement de la fréquence cardiaqùe au cours du travail, ne doit pas dépasser 35 % du coût
maximum théorique . Cette augmentation peut être supérieure dans certains efforts de courte durée,
où elle peut atteindre 50 % du coût maximum théorique . Au-dessus, on peut qualifier les efforts
de sportifs et cela n'est pas généralement le cas en cours d'activité professionnelle.
Les coûts cardiaques au cours du martelage évoluant en pics de 60 pulsations/mn en moyenne
sont importants . En effet, pour /e premier marteleur de 28 ans qui a une fréquence de repos
de 66 pulsations/mn, le coût maximum théorique est de 220 – 28 – 66 = 126 . Le coût réel que
l'on observe pour ce marteleur (52 à 62 pulsations/mn) représente 40 à 50 % de son coût
maximum théorique.
Pour le second marteleur âgé de 26 ans, qui a une fréquence de repos de 60 pulsations/mn,
le coût maximum théorique est de 220 – 26 – 60 = 134 . Le coût réel observé pour ce marteleur
(54 à 67 pulsations/mn) représente également 40 à 50 % de son coût maximum.
Imaginons un marteleur de 50 ans qui aurait une fréquence de repos de 70 pulsations/mn ;
son coût maximum théori q ue serait de 220 – 50 – 70 = 100 pulsations/mn . Des pics de 60 pulsations/mn représenteraient des efforts à 60 % de son coût maximum théorique, efforts pouvant
donc être qualifiés de sportifs . On conçoit aisément qu'à plus forte raison, un salarié ne possédant
pas son intégrité cardio-vasculaire puisse présenter des pathologies d'effort au cours de cette
tâche.
Nous devons donc constater que ce métier exige des aptitudes supérieures à la moyenne et
que la tâche de martelage risque de poser des problèmes à des sujets « pathologiques » ou
vieillissants » . A cet égard, il faut mentionner que la retraite à l'Office national des forêts est
acquise à 55 ans pour les agents (limite d'âge 60 ans) et à 60 ans pour les techniciens (limite
d'âge : 65 ans).
La charge mentale de la tâche
Les facteurs de charge mentale de la tâche nous paraissent être positifs dans le sens où la
tâche fait intervenir sans cesse des choix conscients : l'agent forestier doit choisir l'arbre à marteler
selon des critères qu'il a appris par la théorie et par l'expérience . L'individu a un pouvoir
de décision sur « la vie ou la mort des arbres » . Le niveau d'attention est soutenu, mais la
variabilité des informations est enrichissante . Les communications avec le reste de l'équipe sont
obligatoires, surtout avec le pointeur. Le rythme de travail est celui d'une équipe plutôt que
de chaque agent.
Conclusion
De nombreuses études ont prouvé qu'il existe une relation linéaire entre la charge physique
d'un travail et la fréquence cardiaque des sujets soumis à cette tâche.
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Nous avons étudié la tâche de martelage que pratique un agent forestier durant plusieurs mois
par an, sous son aspect charge physique, grâce à des relevés ponctuels de fréquence cardiaque
en cours de tâche.
Le coût cardiaque, ou augmentation de la fréquence cardiaque en cours de martelage est important puisqu'il représente 40 à 50 % du coût maximum théorique pour des sujets de 25 à 30 ans.
et qu'il représenterait jusqu'à 60 % du coût maximum théorique pour un sujet de 50 ans . Ce
coût évolue par pics, car la tâche est spontanément coupée de pauses brèves qui permettent
dans un cas de faire descendre la fréquence cardiaque à une valeur due à la station debout.
Ces pauses semblent être insuffisantes pour un sujet déjà fatigué . Une pause, celle de midi.
s ' accompagne d'une collation . Il semblerait justifié qu'il existe une deuxième collation coupant
le travail de la matinée, ce qui n'est pas toujours le cas.
En conclusion, la tâche de martelage est une charge physique importante pour l'agent qui
l'exécute . Sa durée est limitée dans le temps, mais au rythme où elle est accomplie pour des
raisons de climat et d'exigence administrative, elle requiert une aptitude supérieure à la moyenne
et peut poser des problèmes aux sujets dont l'aptitude est limitée par les pathologies ou le
vieillissement prématuré de leur organisme .
Docteur Geneviève MARGUET
Médecin du Travail
14, rue Arago
25300 PONTARLIER
BIBLIOGRAPHIE
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