EDF ou Intérêts et limites de l’intégration amont/aval CORRIGE Questions : 1. Faites une analyse des avantages et inconvénients du modèle intégré puis spécialisé amont/aval et identifiez à chaque fois les conditions nécessaires à sa mise en place. Il n’est pas possible d’apprécier les qualités et inconvénients du modèle intégré et du modèle spécialisé en dehors de leur contexte. Nous allons donc comparer les contextes respectifs : - Modèle intégré : ce modèle apparaît après la guerre. Il a pour objectif de concentrer en une seule entité toutes les « forces électriques » de la nation afin de faciliter la reconstruction et de rétablir un système électrique national de qualité en un temps record. Les variables essentielles dans ce contexte sont donc la fourniture d’électricité en France et le temps. Il n’est pas alors question de commerce, de marché ni même de coût mais seulement de la réalité physique de l’électricité en France après la guerre. - Modèle spécialisé : ce modèle apparaît récemment, suite à la directive européenne imposant l’ouverture du marché de l’électricité. Il n’est plus alors question d’équiper un territoire donné, paradigme physique rattaché au métier d’électricien, mais d’identifier les segments les plus profitables dans la chaîne de valeur de l’électricité et de les comparer aux ressources et compétences disponibles pour l’investisseur intéressé. La variable essentielle est alors la profitabilité. Nous passons d’un paradigme physique-métier à un paradigme purement financier. Les avantages du modèle intégré sont les suivants : optimisation des ressources à la maille nationale, cohérence entre l’objectif et les moyens, simplification de la structure, centralisation de la prise de décision qui dans ce contexte est un avantage. L’inconvénient est qu’il n’existe aucun contre-pouvoir, notamment économique. La maîtrise des coûts n’est pas une priorité, l’innovation risque également d’être étouffée au bénéfice de la structure monolithique. Le système risque ainsi de se replier sur lui-même. Les avantages du modèle spécialisé sont les suivants : identification et appréciation économique des compétences, valorisation économique de chaque élément de la chaîne de valeur, optimisation « microéconomique », développement de l’innovation (où commence l’amont, où finit l’aval ? Pourquoi ? Autant de questions qui poussent à la réflexion), prise en compte des coûts et des profits, arrivée d’investisseurs d’un type nouveau, alliances financières en dehors du territoire d’origine... Les avantages sont multiples mais l’inconvénient est de taille : perte de vue du pilotage global. Qui décidera du futur paysage électrique ? Pour qui et à quel endroit (seulement le territoire national ou au-delà) ? Le modèle intégré a pu émerger du fait de la situation historique exceptionnelle qui légitimait la nationalisation. Dans une économie riche et en croissance, la nationalisation aurait été difficile à mettre en place ou du moins à faire accepter. Au contraire, le modèle spécialisé a pu s’opposer au modèle intégré car les infrastructures de qualité et l’économie prospère contemporaine laissent penser à l’existence d’une rente de situation. Le monopole dans ce contexte n’a plus de légitimité. En dépit de son succès, il peut même paraître inéquitable. Il Gaël Le Boulch, 2004 1/4 est alors aisé de distinguer la réalité financière – lieu de tous les abus – de la réalité physique – lieu de tous les bienfaits de l’électricité en France. Cette logique binaire quelque peu simpliste s’est pourtant imposée puisque la directive européenne s’attaque non pas à la réalité de l’électricité en France (aménagement du territoire, politique énergétique ambitieuse, innovations technologiques…) mais uniquement à son marché. C’est cette distinction, imposée par Bruxelles, qui permet l’émergence du modèle spécialisé même si celui-ci, en matière de compétences électriques et de métiers, laisse largement à désirer. 2. Qu’apporte la nouvelle organisation d’EDF en 2004 à l’ancien modèle d’après 1946 ? Vous semble-t-elle plus ou moins efficiente ? La nouvelle organisation d’EDF apporte à l’entreprise plusieurs avantages : - Une mise en conformité avec les exigences européennes, - Elle encourage l’identification des coûts et des marges, - Une remise en cause des succès passés et ainsi l’apparition de faiblesses et de forces jusqu’ici ignorées. Par exemple, la vente n’était pas le fort d’EDF puisque l’entreprise n’avait que des abonnés usagers mais pas vraiment des clients. A l’inverse, son service après vente est de grande qualité du fait de ses obligations de service public. - Une structure adaptée pour faire face à la concurrence et aux alliances. La séparation entre l’amont et l’aval laisse envisager que l’aval puisse se sourcer en dehors d’EDF, de même pour l’amont qui peut choisir ses distributeurs. La définition de l’efficience est d’atteindre un objectif avec un minimum de moyens. Cette structure spécialisée amont/aval privilégie une logique d’appréciation des coûts et des marges qui devrait encourager la recherche de l’efficience. Au contraire, la structure monopolistique n’était tournée que vers l’objectif à réaliser – l’électrification de la France – et faisait peu de cas des moyens pour y parvenir. Cette nouvelle structure semble donc plus efficiente que l’ancienne. Mais sera-t-elle efficace ? 3. La création de la troisième branche vous paraissait-elle indispensable ? Créeriezvous une quatrième branche pour le gaz ? Nous venons de voir dans la question précédente que la nouvelle organisation d’EDF semble plus efficiente que l’ancienne mais nous n’avons pas clairement identifié comment va se traduire cette efficience et surtout à quel endroit de l’organisation vont apparaître les marges de progrès s’il y a lieu. Le schéma ci-dessous va nous aider à répondre à cette question. Gaël Le Boulch, 2004 2/4 EDF avant 2004 EDF 2004 EDF après 2004 ? Troisième Branche Troisième Branche MARGES PRODUCTION M A R G E S TRANSPORT DISTRIBUTION MARGES MARGES MARGES MARGES MARGES Branche Energie Branche Commerce Branche Energie Branche Commerce AMONT AVAL AMONT AVAL MARGES Branche Gaz ? Avant les réformes mises en place suite à l’ouverture des marchés de l’énergie, EDF se présentait comme un groupe monolithique intégrant l’ensemble des grands métiers de l’électricité : la production, le transport, la distribution. Les marges émergeaient de l’ensemble de la structure. La structure d’EDF 2004 rattache les marges à deux entités clairement définies : la Branche Energie et la Branche Commerce. Ce changement organisationnel met délibérément en avant un changement de perspective : c’est désormais le paradigme économique qui doit prendre le pas sur le paradigme industriel. La recherche de l’efficience économique est devenue primordiale. Il est donc explicitement demandé à chacune des branches de faire des marges. Cette situation présente toutefois un inconvénient : chaque branche, en bon élève, va chercher à maximiser ses marges même si cela se fait au détriment de l’ensemble de la structure. Les branches risquent donc non plus de travailler en pleine et totale collaboration afin d’atteindre un objectif fixé pour l’ensemble du Groupe EDF (modèle antérieur à 2004) mais pourraient se retrouver en compétition, le tout au détriment de la performance de l’ensemble du Groupe. Egalement, cette seconde structure favorise l’émergence de baronnies rendant le pilotage plus difficile. D’où l’idée de la création de la troisième branche qui redonne de la cohésion à l’ensemble de la structure en rapatriant les marges et en les redistribuant ensuite aux deux autres branches sous forme d’objectifs et de budgets. Sans ce choix stratégique, EDF aurait pu passer du statut de Groupe industriel intégré à celui de holding énergétique possédant des participations dans les métiers amont et aval de l’électricité. Ce risque étant d’autant plus grand que EDF est entré dans une phase d’expansion à l’International par des achats externes d’entreprises présentes soit dans l’amont, soit dans l’aval, les deux branches en terme de périmètre géographique ne se superposent plus parfaitement. Ce déséquilibre « métier » favorise également les baronnies, l’esprit de compétition excessif et la déstructuration du Groupe. La Troisième Branche, en rapatriant les marges à la tête du Groupe et en fixant des objectifs Groupe, cherche à éviter cela tout en laissant à EDF de poursuivre son développement. La question de la création d’une Branche Gaz s’inscrit dans la même perspective. Que veut devenir EDF ? Une entreprise de holding énergétique ou un Groupe intégré non seulement dans l’amont et l’aval mais aussi dans l’électricité et le gaz, ces deux énergies étant complémentaires (aujourd’hui, avec le développement des cycles combinés, de plus en plus d’électricité est produite à partir du gaz) ? A cette question difficile vient s’ajouter un degré d’incertitude supplémentaire qui n’existait pas pour l’amont et l’aval : EDF ne possède aucune compétence gazière ni dans l’amont (extraction, transformation, trading), ni dans le transport (gazoduc, tankers), ni dans l’aval (distribution, commercialisation). Gaël Le Boulch, 2004 3/4 Le développement de cette compétence gazière dans une Branche Gaz trop structurée risque donc de tuer dans l’œuf toute velléité d’apprentissage organisationnel de la part des autres entités du Groupe EDF. Nous risquerions de constater au bout de quelques mois le développement des branches historiques d’EDF d’un côté et de la Branche Gaz de l’autre sans qu’aucune synergie ne se soit développée. Nous nous retrouverions alors de fait face à une structure de holding énergétique doté d’actifs gaziers aux compétences isolées. En outre, la création d’une Branche Gaz trop prématurée risquerait de lancer dans une course à la marge une sous-entité non mature dont la finalité immédiate n’est pas la rentabilité mais l’apprentissage de nouvelles compétences. Cette structure ne semble donc pas adaptée ni au contexte ni à la finalité de toute idée de développement gazier au sein du Groupe EDF. Gaël Le Boulch, 2004 4/4