F. Berrino Modulation par la nutrition du métabolisme des hormones : prévention du cancer du sein. Franco Berrino Istituto Nazionale per lo Studio e la Cura dei Tumori Divisione di Epidemiology - Milan – Italie Résumé Face au profil hormonal des femmes les plus exposées au risque de cancer du sein, on s’est posé la question des mesures à prendre pour prévenir le cancer du sein en agissant sur l’alimentation. Comment réduire le niveau plasmatique des hormones sexuelles, augmenter celui de leurs protéines de liaison, réduire le taux plasmatique de l’IGF-1 et augmenter celui de sa protéine de liaison. Un régime alimentaire adéquat a été appliqué à un groupe de 104 femmes sélectionnées à partir de 312 femmes ménopausées, sur la base d’un taux de départ très élevé en testostérone. La moitié de cette population (groupe d’intervention) reçoit le régime adapté pendant 4 mois, l’autre moitié constitue le groupe témoin avec une alimentation normale. Les résultats montrent, dans le groupe d’intervention, une diminution du ratio entre testostérone et Sex Hormone Binding Globulin. Une seconde étude a été réalisée à plus long terme sur une population de 115 femmes qui avaient eues un cancer du sein. L’index prédictif du risque de rechute, de récidive ou de second cancer est évalué en fonction des paramètres étudiés et le taux de testostérone s’avère le meilleur des facteurs pronostiques chez les femmes atteintes d’un cancer du sein. Ménopause / Nutrition / Cancer du sein / Prévention ðUne étude a été conduite sur 11 000 femmes habitant la province de Brescia où est tenu un registre des cancers. On a pu analyser les résultats sur les 144 premiers cas de cancers du sein survenus dans cette population. Actuellement, le nombre de ces cas a presque doublé et les examens ultérieurs vérifieront les présents résultats. Dans le protocole de l’étude, on demandait à toutes les femmes de se laver le visage avec le même savon le soir avant de venir et de ne pas se laver le visage le matin de l’examen.. On pouvait alors mesurer le sebum cutané qui est un indicateur de l’activité androgène, ainsi que le niveau d’hirsutisme. Chez les femmes ménopausées, la relation au risque de cancer du sein est bien établie avec le taux sanguin des hormones sexuelles - oestrogènes ou androgènes. Un effet protecteur significatif est associé au taux des protéines de transport (SHBP). Avant la ménopause, la relation entre Correspondance : Franco Berrino Istituto Nazionale per lo Studio e la Cura dei Tumori - Divisione di Epidemiology - Via Venezian 1 - 20133 Milan – Italie E-mail : [email protected] Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 25 Modulation par la nutrition du métabolisme des hormones : prévention du cancer du sein les variations des taux hormonaux et le risque est beaucoup plus difficile à analyser. Dans un article non encore publié, nous avons observé que, même avant la ménopause, en tenant bien compte du moment du cycle lors de la prise de sang, il existe une association du risque au taux de testostérone et une protection qui est fonction du taux de progestérone, dans la deuxième partie du cycle. On trouve également un effet protecteur de certains métabolites des oestrogènes hydroxylés en position 2 au lieu de 16. Avant la ménopause, on trouve aussi une relation significative entre le risque et les concentrations sanguines de glucose, d’IGF-1 et de "Binding Protein" n°3. Après la ménopause, on observe une association avec le taux d’IGF-1 libre seulement chez les femmes obèses. La question posée est de savoir quelles mesures prendre pour la prévention du cancer du sein. Que peut-on faire pour réduire le niveau des hormones sexuelles, augmenter le niveau des protéines de liaison, réduire le niveau de l’IGF-1 et augmenter l’IGF-1-BP, de façon à diminuer le risque de cancer du sein. Un résultat intéressant vient de la mesure des taux d’acides gras dans les membranes des globules rouges. On note un rapport entre l’acide stéarique et l’acide oléique et on observe que le risque augmente s’il y a plus d’acide oléique dans ces membranes. Cela peut indiquer que les femmes qui ont un régime pauvre en acides gras polysaturés tendent à synthétiser des acides oléiques à partir des acides stéariques. Il y a là une influence de l’insuline dans l’activation de la désaturase, enzyme de désaturation. Ainsi ce rapport stéarique/oléique peut être un indicateur d’activité insulinique. Le style de vie occidental qui est riche en sucres raffinés et en protéines animales peut influencer la résistance insulinique et augmenter la production d’oestrogènes et d’androgènes dans les ovaires et réduire la synthèse hépatique des SHBP. Tous ces facteurs contribuent à une augmentation des taux sanguins d’hormones Figure 1 sexuelles libres (Figure 1). Par ailleurs en accord avec R. Kaaks, une alimentation riche, en particulier en protéines, peut augmenter la synthèse de l’IGF-1 et la résistance insulinique. L’hyperinsulinémie fait diminuer la synthèse des transporteurs IGF-1-BP1 et BP2, d’où une augmentation de la biodisponibilité de l’IGF1 qui coopère avec les oestrogènes pour la prolifération des cellules mammaires et autres. Figure 1 – Mechanisms linking nutrition and BC risk 26 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 F. Berrino Bases du régime alimentaire et protocole de l’étude ðPeut-on modifier le niveau sanguin des hormones sexuelles en intervenant sur l’alimentation ? La stratégie de l’étude DIANA (qui signifie : comment utiliser la DIète pour réduire les ANdrogène) a consisté à réduire la consommation d’aliments présentant un index glycémique élevé ainsi que d’aliments riches en acides gras saturés, c’est-àdire, agir sur les deux facteurs qui déterminent la résistance insulinique. On a aussi augmenté dans notre régime les aliments riches en acides gras oméga3 qui peuvent augmenter la sensibilité insulinique. On a aussi essayé d’augmenter les aliments riches en phyto-oestrogènes qui pourraient eux-mêmes stimuler la synthèse hépatique de SHBP et inhiber quelques enzymes de la stéroïdo-synthèse comme la 17 β-hydroxystéroide-oxydoréductase. On a alors utilisé dans le régime des produits issus du soja, des légumes secs une grande variété de céréales et d’algues. En pratique, il s’agit d’une alimentation mixte entre l’alimentation méditerranéenne traditionnelle et l’alimentation macrobiotique. On a beaucoup réduit la consommation de protéines animales au profit de protéines végétales de sorte que la quantité de protéines totales ne change pas. On a augmenté les acides gras oméga3, les isoflavones et les lignanes en réduisant beaucoup la consommation de cholestérol et augmentant celle des fibres. On a aussi augmenté les amidons, les céréales non raffinées et on n’a pas beaucoup modifié l’apport en acides gras monosaturés et polysaturés. L’étude a porté sur 312 femmes ménopauséees, chez lesquelles on a dosé le taux sanguin de testostérone, car c’est le plus facile à étudier et parce que l’implication des androgènes dans le cancer du sein a été bien confirmée Le groupe des 104 femmes ayant les niveaux d’androgènes les plus élevés a été randomisé en deux groupes, Médecine Nucléaire - dont on a mesuré les taux sanguins hormonaux avant et après des périodes de 4,5 mois au cours desquelles ces femmes venaient deux fois par semaine dîner avec nous et suivaient deux fois par semaine des cours de cuisine. On leur donnait à emporter un lot d’aliments pour qu’elles puissent continuer leur régime à la maison. On a fait 36 cours de cuisine, 36 dîners avec chacune des femmes du groupe d’intervention. Le groupe de contrôle ignorait ce qu’on faisait. On lui avait seulement recommandé d’augmenter la consommation de fruits et légumes comme on fait toujours pour la prévention des cancers. SHBG Testosterone Oestadiol Glucose Insulin Insulin area IGF-I IGFBP-1 IGFPB-2 GH Résultats de l’étude (Figure 2) ðOn a observé dans le groupe d’intervention : - une augmentation significative de la SHBG (Sex Hormone Binding Globulin), - une diminution significative de la testostérone, - une diminution non significative de l’oestradiol, - une diminution significative de la glycémie, - une diminution significative de la surface de l’insuline après un test d’hyperglycémie provoquée, - une augmentation significative des deux protéines de liaison de l’IGF-1, qui dépendent de l’insuline, - pas de diminution significative de l’IGF-1. Interv. +25% -18% -18% -6% -10% -8% -6% +12% +30% +54% Control +4% -6% -6% -1% +5% +9% -4% -6% +7% +10% P 0.00 0.00 n.s. 0.03 n.s 0.04 n.s. 0.02 0.00 n.s F igur A-1 (Diet and Abdr og ens) rrandomised andomised tr ial : iguree 2 – DIAN DIANA-1 Abdrog ogens) trial hormonal change after 5 months of diet. Chez ces femmes du groupe d’intervention, on a vu également une baisse importante du taux de cholestérol et une diminution de poids assez importante. En moyenne ces femmes ont perdu 4 kg pendant ces quatre mois et demi sans diminuer leur apport alimentaire. C’est seulement le type d’alimentation riche en fibres qui est en cause, sans réduction de l’apport calorique. Les résultats ont été résumés en terme de ratio entre testostérone et SHBG. La plupart des femmes du groupe d’intervention ont réduit ce ratio, alors qu’il n’y a pas de différence dans le groupe de contrôle. Ce ratio est d’autant plus diminué que les fem- mes ont perdu plus de poids et on peut se demander si n’importe quel régime qui fait perdre du poids ne donnerait pas le même résultat. Nous pensons cependant que le type d’alimentation spécifique a un effet plus important que la seule perte de poids. Deuxième étude ðOn a voulu vérifier les précédents résultats d’une part en prolongeant le régime dans le temps pour avoir un effet à long terme et aussi avec la collaboration de femmes qui avaient déjà eu un cancer du sein mais sans récidive. Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 27 Modulation par la nutrition du métabolisme des hormones : prévention du cancer du sein On a alors recruté 115 femmes avec un diagnostic précédent de cancer du sein et on les a randomisées en deux groupes. On a fait un dosage sanguin de testostérone et retenu toutes les femmes sans discrimination du taux qui était généralement élevé. On a réalisé un régime pendant trois mois avant bilan. Après cette première période, on a continué le régime sur les deux groupes, un groupe avec neuf mois d’intervention alimentaire, un groupe avec douze mois. On a comparé les dosages de base avec leur taux à 1 an. Les résultats de cette étude sont très semblables aux précédents avec toutefois quelques différences. Les résultats à douze mois montrent une diminution de poids significative. On voit une diminution significative du cholestérol et des triglycérides, ce qui est assez rare pour les triglycérides car lorsqu’on réduit la consommation de graisses, les triglycérides augmentent généralement parce que les gens augmentent leur consommation de sucres. Dans l’étude, la consommation de sucre a augmenté mais pas de sucre simple, seulement des sucres à index glycémique assez bas. On observe une diminution significative de l’insulinémie et de la testostérone mais pas de l’oestradiol. La SHBG était significativement augmentée au troisième mois mais il n’y avait plus de différence entre les taux de base et les taux à douze mois. Le groupe des femmes qui étaient traitées par le tamoxifène avait des résultats beaucoup moins marqués et présentaient beaucoup moins d’effets du régime par rapport aux femmes non traitées. 28 Maintenant, cinq ans sont passés depuis cette étude. 28 de ces femmes ont fait une rechute ou un deuxième cancer. Chez les femmes qui ont fait une rechute,le taux de testostérone était de 52 µg /mL, taux qui s’est réduit à 46 µg/mL pendant l’étude. Comparativement les femmes sans rechute avaient un niveau de départ de 39 µg/ mL qui s’est réduit à 36 µg/mL. Si on analyse les résultats avec le modèle de Cox, en terme de risque relatif, en divisant les niveaux de testostérones basales en trois terciles, on constate que les femmes qui étaient dans le tercile supérieur, avec des niveaux supérieurs à 50 µg/mL, ont un risque très élevé d’avoir une métastase ou un second cancer, l’un ou l’autre avec la même probabilité. Si on ne considère que le sousgroupe des femmes ayant un cancer avec des récepteurs d’oestrogènes et/ ou de progestérone positifs, on voit qu’il existe un risque significatif associé soit aux taux de testostérone soit à ceux d’oestradiol. On observe également un effet protecteur significatif de la SHBG et un risque non significatif avec l’insuline. Mais, de tous les paramètres, c’est la testostérone qui reste le meilleur index prédictif qui ressort de cette étude. Si on considère le taux de testostérone basale, on observe que sur 53 femmes ayant un niveau supérieur à la médiane, 21 ont présenté une re- Médecine Nucléaire - chute (11 des métastases, 7 un deuxième cancer, 3 une récidive locale). Si on prend les autres (taux inférieur à la médiane), sur 57 femmes, on trouve seulement 7 cas de récidive, de rechute ou de deuxième cancer. Ce sont des différences hautement significatives. En ce qui concerne l’influence de l’intervention alimentaire, on observe que les femmes qui avaient un taux de testosterone supérieur à la médiane au début et qui sont restées supérieures à la médiane après un an de régime alimentaire, présentent un risque très élevé de récidive (18 sur 39 ). Dans le groupe de celles dont le taux de testostérone était bas au début et bas à la fin, c’est seulement 5 cas de récidive sur 52. Ces résultats sont assez nouveaux même si on savait depuis 1970 que le taux de testostérone pouvait refléter le risque de récidive de cancer du sein. A la suite de ces résultats, nous proposons de doser systématiquement le taux de testostérone des femmes atteintes d’un cancer du sein et de vérifier que les niveaux atteints sont des facteurs pronostiques importants. Une autre conclusion est qu’il serait intéressant de faire des études plus extensives pour voir si, par des interventions alimentaires ou pharmacologiques, on peut faire diminuer les taux de testostérone et réduire ainsi le risque de récidives. Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 F. Berrino Baseline values Weight kg Cholesterol mg/dl Triglycerides mg/dl Insulin Oestradiol Testosterone SHBG a) b) b) UI/ml pg/ml pg/ml nmol/l 65.4 224 108 8.1 6.3 419 64 3 rd month (a) * * * = = = 12 th month (b) 62.2 200 93 6.8 5.9 380 68 * * * * * Interaction TAM + vs TAM (c) -2.7 vs -3.7 * -21 vs -27 -4 vs -22.3* -0.8 vs -1.7* -0.4 vs -0.4 -13 vs -53* +2.2 vs +5.1 * comparison of changes in intervention and control group comparison between 12 months and baseline examination comparison between (1y- baseline) in patients under tamoxifen treatment and in women without any treatment * =p<0.05 Figure 3 – DIANA-2 Results at 3 m. (randomised) and 12 m (before-after) Modulation of the hormonal metabolism by the nutrition : prevention of breast cancer. According to the hormonal profile of those women most exposed to breast cancer risk, the question of the nutritional measures to be taken to prevent breast cancer was asked. How to reduce the plasmatic level of sex hormones, to increase their binding proteins, to reduce the IGF-1 plasmatic rate and to increase its binding protein ? An adequate diet was applied to a group of 104 women selected among 312 menopausal women, on the basis of very high initial levels of testosterone. Half of this population (group of intervention) received the adapted diet for 4 months, the other half was the reference group with a normal food. In the intervention group , the results showed a reduction in the ratio between testosterone and Sex Hormone Binding Globulin. Another study was carried out later on 115 women who had developed a breast cancer. The predictive risk index of relapse, repetition or second cancer was evaluated according to the studied parameters and it was found that the testosterone levels provide the best prognosis factors in women with a breast cancer. Menopause / Feeding / Breast cancer / Prevention Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1 29