16 LE NOUVELLISTE VENDREDI 19 JUILLET 2013 SÉRIE LES ANIMAUX VENUS D’AILLEURS 5/5 Nature en mutation D’ÉTÉ Chacal doré, raton laveur, ragondin, tortue, coccinelle asiatique, écrevisse tueuse, autant d’espèces qui envahissent nos régions avec un impact non négligeable sur l’environnement. DÉSÉQUILIBRE Il est mignon et les gens l’adorent, mais il est porteur sain d’un redoutable virus qui tuera les espèces locales, alors que lui restera immunisé. La face noire de l’écureuil gris des institutions zoologiques chaux-de-fonnières est que les gens comprennent qu’acquérir une mignonne petite tortue se traduit par un engagement à très long terme vis-à-vis d’un animal qui va substantiellement grandir pour atteindre près de 30 centimètres. Lâcher ces tortues exotiques dans la nature est une aberration. Elles font concurrence à la cistude d’Europe, notamment pour les places de thermorégulation et sont d’une rare voracité. BLAISE DROZ «Il faut bien comprendre que nous n’agissons pas contre les espèces exogènes, mais en faveur de la faune indigène.» Ces propos de Gottlieb Dändliker, inspecteur genevois de la faune illustrent parfaitement la philosophie qui prévaut chez ceux qui ont la responsabilité de gérer la vie sauvage. Manuel Ruedi, responsable du département de mammalogie et d’ornithologie du Museum d’histoire naturelle de Genève est tout autant catégorique: «Au début on est mal outillés pour se rendre compte du potentiel dévastateur d’une espèce néogène et lorsqu’on s’en aperçoit, il est trop tard. Une des espèces dont nous avons beaucoup à craindre est l’écureuil gris américain», explique le zoologue. Il est mignon et les gens l’adorent, mais il est porteur sain d’un virus redoutable contre lequel il s’est progressivement immunisé. En revanche, ce virus importé tue les écureuils roux indigènes en quelques semaines. A cela s’ajoute que l’écureuil gris est plus grand et plus agressif que l’écureuil roux dont il occupe l’espace vital. En Angleterre, l’écureuil gris est apparu dès la fin du 19e siècle par une succession de lâchers dans les parcs et jardins. «Actuellement l’Angleterre ne compterait plus que 160 000 écureuils indigènes contre plus de 3 millions d’écureuils américains», explique une publication de l’Inspection de la protection de la nature du canton de Berne. En Italie du Nord, la situation est identique par suite de lâchers dans la région de Turin en 1948. Aujourd’hui l’espèce est aux por- Gare au cerf sika Toujours dans le canton de Neuchâtel, l’inspecteur de la faune Jean-Marc Weber s’est livré à un vaste tour d’horizon des espèces venues d’ailleurs. «Plus de 40 espèces animales L’écureuil gris américain constitue une menace sérieuse pour l’écureuil roux européen. LUXBOYER tes du Tessin où son arrivée est imminente. Parce que ce démon a un visage d’ange, qu’il est diurne et qu’il se répand d’abord dans les parcs des villes, les tentatives d’éradication ont toujours soulevé l’ire de protecteurs des animaux incapables de faire une pesée d’intérêt. «Il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers!», rappelle Manuel Ruedi. Ouïes rouges Un autre démon à visage d’ange est la tortue à ouïes rouges de Floride. «Elle est massivement importée et vendue dans les animaleries, constate Arnaud Maeder, directeur du Musée et du zoo de La Chaux-de-Fonds. Bon nombre d’entre elles deviennent encombrantes après avoir grandi et leurs propriétaires souhaitent s’en débarrasser.» Le zoo de La Chaux-de-Fonds est submergé de demandes. «On nous en propose entre 20 et 30 chaque année», constate Arnaud Maeder, qui ajoute: «Nous en présentons un grand nombre au public dans un but pédagogique, mais nous sommes contraints d’envoyer les gens qui nous sollicitent au Centre de récupération des tortures de Chavornay, dans le canton de Vaud. Là, ils ont de grandes capacités d’accueil.» L’essentiel pour le directeur Nous présentons à La Chaux«de-Fonds un grand nombre de tortues à ouïes rouges dans un but pédagogique.» ARNAUD MAEDER DIRECTEUR DES INSTITUTIONS ZOOLOGIQUES On n’en pince pas toujours pour l’écrevisse exogènes ont été observées dans le canton depuis le début de ce siècle. La grande majorité de ces espèces appartient au grand groupe des invertébrés», explique-t-il non sans ajouter que les espèces qui provoquent des dégâts aux infrastructures (moule zébrée), aux cultures (doryphore), qui propagent des agents infectieux (écrevisse américaine) ou menacent les espèces indigènes (grenouille rieuse) ne sont pas bienvenues. «Un autre sujet de préoccupation est le cerf sika originaire du Japon. Introduit dans le canton de Schaffhouse, il a déjà atteint l’Argovie. Parce qu’il est capable de s’hybrider avec le cerf élaphe indigène, son arrivée possible dans le canton de Neuchâtel ne sera pas perçue positivement», conclut Jean-Marc Weber. Les apprentis sorciers BÊTE À BON DIEU Ancien employé de l’entreprise internationale de lutte biologique Cabi à Delémont, Florent Affolter défend avec force son ancien job: «Quand elle est pratiquée avec tout le sérieux requis, la lutte biologique ne présente aucun risque!» Faisaient-ils forcément la même chose, ceux qui ont lâché des coccinelles asiatiques aux Etats-Unis d’abord, puis en Belgique? Friand de pucerons, ce petit coléoptère a été élevé massivement et ses larves encore plus gourmandes que les adultes vendues librement dans les jardineries. «Vos rosiers sont couverts de pucerons, optez pour la lutte biologique. La poudre de Perlimpinpin s’appelle Harmonia axyridis!» Certes, ces larves ont mangé des tonnes de pucerons, mais la suite de l’histoire est malheureusement très classique. La coccinelle asiatique, plus performante, supplante les espèces indigènes partout où elle passe. Sa progression est fulgurante. La première utilisation de ce prédateur exogène en Belgique remonte à 1982. Elle est arrivée à Bâle en 2004, depuis lors, de vastes secteurs de Suisse sont envahis. Aux Etats-Unis des vignobles entiers ont été colonisés par cet insecte au goût infecte et les vendanges ont été perdues. De quoi nourrir de fortes craintes en Europe mais selon Christian Linder de la Station agroscope de Changins: «Les conditions sont heureusement différentes. Aux Etats-Unis d’immenses parcelles de soja ensemencés de coccinelles asiatiques côtoyaient d’immenses vignobles. Lorsque le soja a été récolté, les insectes n’ont pas eu d’autres recours que de se réfugier dans le raisin sur le point d’être vendangé. Ici, la situation est différente. Nous cultivons de plus petites parcelles de manière bien plus respectueuse et nous ne nous attendons pas à des contaminations problématiques quand bien même nous avons craint le pire au début.» RIVALES On ne saurait évoquer les espè- CAUSE PERDUE Gottlieb Dändliker estime que l’élimination des écrevisses invasives est une cause La coccinelle asiatique, une beauté trompeuse. SP L’écrevisse signal a presque partout pris le dessus sur les espèces indigènes. Son éradication semble être une mission totalement impossible. MUSÉUM DE GENÈVE DU LUNDI 15 AU VENDREDI 19 JUILLET, RETROUVEZ: Tempête dans la biodiversité Pas tous vilains, les petits canards perdue d’avance sauf peut-être dans quelques cours d’eau isolés. «Une solution serait de les empoisonner complètement de manière contrôlée. Cela aurait le même effet qu’une pollution accidentelle avec destruction de toute vie mais ensuite, les espèces indigènes reviendraient naturellement ou seraient réimplantées après que l’on se soit assuré de l’élimination complète des espèces invasives. Or, pour l’heure du moins, de telles mesures sont rigoureusement proscrites.» La longue marche du chacal doré Pas drôle, la grenouille rieuse ▼ ces invasives en omettant de mentionner les quatre espèces d’écrevisses importées qui s’emparent inexorablement des habitats des trois espèces indigènes. L’undecesenvahisseurs,l’écrevisseàpattes grêles provient du sud de l’Europe. Les trois autres, l’écrevisse américaine, l’écrevisse rouge de Louisiane et l’écrevisse signal, sont d’origine nord-américaine. Ironie du sort, l’écrevisse signal, l’une des plus envahissante, a été volontairement introduite pour compenser les pertes de rendement de l’écrevisse à pattes rouges dont les populations souffraient d’une sévère mycose. L’écrevisse signal s’est multipliée au-delà de toute attente et occupe désormais une grande partie de l’Europe de l’Ouest. Elle menace sévèrement les espèces indigènes non seulement par son agressivité et sa taille supérieure, mais aussi parce qu’elle est porteuse de la fameuse mycose à laquelle elle est insensible. La face noire de l’écureuil gris