Le triomphe de l'amour - Saison 1997/98 - Odéon
1er avril - 26 avril
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR
de MARIVAUX
mise en scène ROGER PLANCHON
avec, par ordre d'entrée en scène, Nathalie Krebs, Micha Lescot, Alain Payen, Régis Royer,
Roger Planchon, Isabelle Gélinas, Claire Borotra, et Stéphane Cavallini, Frédéric Domet,
Georges Egler, Yves Georges, Denis Manin, Patrick Séguillon
Production TNP-Villeurbanne, en collaboration avec le Conseil Général du Rhône
Cela pourrait se jouer sur une île, comme d'autres comédies romanesques de Marivaux. En
l'occurrence, une Grèce de convention lui suffit. Il y campe une étrange famille : un philosophe et sa
soeur y tiennent lieu de couple; un jeune prince privé du trône de ses pères, qu'ils croient persécuté et
ont élevé à leur image, leur tient lieu d'enfant adoptif, à l'écart du monde et de ses risques. Mais leur
isolement n'est pas complet. Il a suffi d'une promenade en forêt, d'un regard furtif, pour que la jeune
princesse régnante se mette en tête de conquérir le captif consentant. Pour y réussir, elle ne reculera
devant rien, et puisqu'il s'agit d'abord de parvenir jusqu'au prince pour le séduire, quel meilleur moyen
que de séduire chemin faisant ceux qui prétendent le séquestrer, tous sexes confondus?... On s'en
doute, la fausse famille trop sage succombera aux manoeuvres de l'intruse, et le couple sévère
apprendra à ses dépens qu'après tout, il n'en avait pas fini avec la jeunesse de son propre coeur.
DOSSIER DE PRESSE
Entretien avec Roger Planchon
Roger Planchon et Marivaux
Avertissement de l'auteur
Repères biographiques
Entretien avec Roger Planchon
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Le triomphe de l'amour - Saison 1997/98 - Odéon
- Le Triomphe de l'Amour marque pour vous à la fois un retour à Marivaux - quarante ans après La
Seconde surprise de l'amour - et la poursuite d'un travail sur les classiques français...
- Contrairement à ce que l'on croit, je ne suis pas un spécialiste des classiques français. J'ai présenté
quatre Molière, trois Racine et un seul Marivaux avant celui-ci. On me met cette étiquette parce qu'il se
trouve que ce sont ces spectacles-là ( La Seconde surprise de l'amour en 1959, Tartuffe en 1962 ou
Bérénice en 1964) qui ont été le plus remarqués.
Marivaux, j'ai essayé une fois ou deux d'y revenir mais je n'ai pas trouvé la bonne distribution. C'est un
auteur qui exige un certain style d'acteurs. Pour créer ce Triomphe de l'amour j'ai enfin pu réunir de
très bons acteurs, et qui savent le jouer. Isabelle Gélinas est peut-être actuellement la meilleure actrice
française dans ce genre de rôle. Nathalie Krebs est exceptionnelle, Alain Payen et les jeunes, Claire
Borotra, Régis Royer et Micha Lescot, sont formidables. La distribution est bien entendu la même qu'à
la création au TNP de Villeurbanne il y a dix-huit mois. Je n'aurais pas voulu présenter une version "de
tournée".
- Vous dites que le Triomphe de l'amour est un des sommets de la comédie d'amour de tous les siècles
et de tous les peuples"...
- C'est une des oeuvres les plus aiguës qui soient, oui. Dans cette pièce, Marivaux raconte quelque
chose que vont reprendre Laclos d'un côté, Sade de l'autre, puis certains auteurs du XIXème siècle. Et
je constate même qu'aujourd'hui beaucoup de jeunes auteurs de scénarios entent de refaire Le
Triomphe de l'amour à leur façon. Marivaux fait non seulement là un apport définitif sur la question du
libertinage mais, pour la première fois, il accorde à une femme la place la plus importante. La question
du Don Juan féminin occupe encore beaucoup la littérature française d'aujourd'hui. De nombreux
romans actuels le prouvent. Le Triomphe est donc une pièce mère. Le libertinage est au coeur de la
littérature amoureuse française. Jusqu'à Roger Vailland, jusqu'à Aragon. Jusqu'à Sollers. Sans doute le
sida a-t-il interrompu la chaîne, mais cela reviendra.
- C'est donc moins l'amour qui triomphe que le libertinage ?
- Non, les deux triomphent. C'est ce qui fait le caractère exceptionnel de cette oeuvre. Marivaux fait se
côtoyer les deux grands thèmes de l'amour occidental: d'un côté le libertinage, de l'autre l'amour
absolu. L'amour courtois, au sens où Denis de Rougemont en parle dans L'amour et l'occident, et les
visions de Laclos, voire de Sade, sont réunis là. Ce n'est nullement exagéré de le prétendre. Il suffit de
voir comment la rupture est traitée dans cette pièce. Elle l'est de façon plus brutale que dans Laclos. Et
au moment même où le XVIIIème s'enfonce dans le libertinage, c'est là le paradoxe, Marivaux remet en
lumière cette chose étrange qu'est l'amour courtois, la quête de l'être unique, de l'absolu, "l'amour fou"
cher à André Breton. Dans la même pièce! C'est la première fois. Et comme chaque fois que quelque
chose est raconté pour la première fois il y a là une sorte d'évidence, la fraîcheur de la source.
- La question du libertinage semble essentielle chez vous, jusqu'à Lautrec, le personnage central du film
que vous venez d'achever. Vous avez vous même écrit une pièce intitulé Les libertins...
- J'ai découvert les intellectuels français après la guerre. J'étais un petit paysan, je ne savais rien de
cette vie avant d'y être plongé brusquement. Et qu'ai-je vu? Sartre, Vailland, Adamov, tout un monde
où l'on prêchait le libertinage, où l'on pouvait même trouver scandaleux de donner la vie Ce fut une
chose très surprenante pour moi. Je découvrais une façon de vivre dont je n'avais jamais soupçonné
l'existence. Cette présence du libertinage dans le milieu intellectuel et littéraire français des années
cinquante était très forte. Sans doute plus que dans toute autre littérature. J'ai voulu en comprendre
les raisons. Et cette réflexion fut à l'origine de plusieurs de mes spectacles.
- Y a-t-il une saveur particulière à traiter ce thème au théâtre ?
- Oui. Quand on joue une pièce comme Dom Juan il se passe quelque chose de particulier dans la salle.
Quand on joue Le Triomphe de l'amour le public est troublé. Je ne crois pas que ce soit un thème
galvaudé. Il s'agit bien de notre histoire française.
- En 1959, lorsque vous montez La seconde surprise de l'amour, vous créez le scandale...
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- Il faut se replacer dans le contexte. Marivaux fut un auteur plutôt méconnu à son époque. Voltaire le
méprise. On juge son oeuvre gentille, on ne voit pas que, s'il y a un héritier possible pour Racine, c'est
plutôt Marivaux que Voltaire. Il sera très peu joué. La Comédie Française elle-même mettra des années
à l'adopter à son répertoire. Parce qu'on ne voit, dans son théâtre, que des rapports de badinage. Les
acteurs interprètent les personnages de la façon la plus légère possible. On s'ingénie, par exemple, à
multiplier les signes pour que le spectateur comprenne que tel ou tel personnage est en train de
mentir. Ce qui a créé la surprise, en 1959, c'est que les menteurs que je mettais en scène parlaient
vrai. C'était de bons menteurs. Ce ton de vérité a stupéfié. Brusquement, la dureté du texte de
Marivaux apparaissait à tous. Et on a pu écrire que Marivaux était mort, que je l'avais tué.
Aujourd'hui, on a compris que ce théâtre avait secrètement la dureté de celui de Racine. Alors que
Voltaire n'en a que l'emphase tragique. Marivaux a lu attentivement Racine. Il a vu que la force de son
théâtre résidait dans le fait que les choses se passent ici et maintenant, entre des personnages qui sont
là, présents. Ce qui fait la grandeur d'un auteur de théâtre est sa capacité à faire qu'il se passe
réellement quelque chose sur la scène pendant le temps de la représentation. Ce que Corneille par
exemple, malgré la force poétique de son écriture, ne fait que parfois. Deux ou trois grands auteurs ont
su mettre en avant cet aspect, ce sont les plus grands, Racine, Marivaux, puis, bien plus tard,
Tchekhov.
- Ce n'est pas une caractéristique du théâtre actuel...
- Non. Je suis en opposition avec un théâtre où l'on essaie de déconstruire la fable, d'introduire du
récit, d'évacuer la notion de temps. Pour moi, le temps est l'essence de l'écriture théâtrale. Car c'est,
comme dans nos vies, l'introduction de l'irrémédiable. C'est un débat central. Je crois que c'est une
erreur d'essayer de faire sortir le temps du théâtre. Des jeunes auteurs s'acharnent à l'évacuer alors
qu'il est l'écriture même de Tchekhov, de Racine, de Marivaux. C'est fondamental. Pour moi, c'est
presque un manifeste, un combat artistique.
- Marivaux cherche-t-il à traiter d' un problème social ?
- Il faut le dire, car on le nie souvent. Marivaux était avocat, il connaissait très bien le problème social
fondamental de son temps qui était qu'à ce moment-là une femme qui se mariait donnait tout, ses
biens et sa liberté, à celui qu'elle épousait. Dans de nombreux Etats aujourd'hui, cela reste d'actualité.
Marivaux ne va pas cesser d'écrire sur cette question. L'éternelle histoire de la veuve très riche qui
hésite à se marier s'explique ainsi. Il y a un côté profondément féministe chez Marivaux. Il traite de
sujets qui sont encore préoccupants aujourd'hui. Le questionnement actuel de beaucoup de femmes sur
ce qu'elles ont perdu en gagnant la liberté est la même question retournée. Les pièces de Marivaux
contiennent aussi des précisions que l'on ne soupçonne pas sur le pouvoir. Le problème du pouvoir, à
partir du statut de la femme, est posé. Sans vouloir à tout prix trouver une actualité à la pièce, le
problème des quotas de femmes en politique ne relève-t-il pas de la même interrogation?
- Pourquoi avez-vous introduit deux autres textes de Marivaux dans la pièce ?
- Ce sont quelques phrases d'Hermocrate, personnage d'un récit écrit une dizaine d'années auparavant,
ainsi que deux courtes scènes de La Réunion des amours, petite pièce que Marivaux a composée
l'année précédente, sous la forme d'un grand dialogue entre Cupidon et l'Amour-Amitié. J'ai trouvé
intéressant de donner une résonance encore plus grande à la pièce en citant ces textes qui ne sont
presque jamais montés. Hermocrate est un double du jeune Marivaux, dont il énonce la pensée
profonde. La Réunion des amours est d'un ton et d'un contexte très proches. Le débat que Marivaux y
mène est celui qui va être au coeur du XVIIIème siècle.
- Le mot de "bonté" revient souvent chez vous. A propos du Triomphe de l'amour, vous citez ce vers
d'Apollinaire: "...Bonté, contrée énorme où tout se tait"...
- J'aime en effet les auteurs, les peintres qui sont préoccupés par la bonté, que voulez-vous !
Aujourd'hui, dans les films américains, ou français, je vois des gangsters qui parlent très exactement le
langage du nihilisme et du cynisme. Et ils n'en sortent que pour entrer dans la sentimentalité plate et
gluante. Ce nihilisme, ce cynisme, on ne peut toutefois pas le leur reprocher, il est celui des grands
décideurs qui ont le pouvoir sur le monde. Le cinéma ne fait que reprendre ce langage-là. En un mot,
partout la fin justifie les moyens. On a l'impression, aujourd'hui, que plus on montre des sentiments
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Le triomphe de l'amour - Saison 1997/98 - Odéon
dégueulasses, plus on approche de la vérité. Il y a toute une littérature qui croit découvrir la vérité du
monde en le salopant encore plus. Eh bien, je ne crois pas que ce soit la vérité du monde! Cette
attitude est aussi stupide que celle des décennies précédentes, où le cinéma montrait un monde sans
conflits, sans malheurs, sans tragédies.
J'ai du respect pour les auteurs et les gens qui ne croient pas que le cynisme et le nihilisme sont le fond
de la vérité. Les personnages de Marivaux ne recourent jamais au cynisme. Je ne l'ai jamais trouvé non
plus chez Tchekhov, Shakespeare ou Molière. Ces auteurs sont ma famille. Je crois qu'ils me protègent.
- Vous avez dit que l'avenir des théâtres passait sans doute par la mise en place d'ateliers nationaux de
création dramatique. C'est le pouvoir aux auteurs?
- Je le maintiens. J'ai le sentiment, très modestement, d'être dans la situation de Dullin, d'avoir une
vision à peu près claire de ce qu'il faudrait faire en étant toutefois quasiment certain que c'est la
génération suivante qui la mettra en application. Il faut en effet mettre en place des centres de création
où le pouvoir serait donné aux auteurs. Je crois que c'est possible.
Je crois que le metteur en scène va peu à peu perdre de son importance. On ne pourra pas
éternellement faire la énième version de l'Avare. Quelque chose est fini. Ce que j'essaie de faire avec
ma troupe depuis des années, du cinéma et du théâtre, préfigure ce que pourraient être les centres de
création. Il y aurait des auteurs, des metteurs en scène, un groupe d'acteurs.. Il s'agit d'inventer une
nouvelle répartition du pouvoir entre eux. On y produirait du spectacle vivant et des films. Ces centres
de création doivent prendre en main un destin audiovisuel.
Je crois que les metteurs en scène eux-mêmes vont se fatiguer de monter des classiques. S'ils le font,
c'est que d'une part leur travail se voit davantage sur un texte classique et d'autre part que le public ne
se déplace pas pour un auteur contemporain. C'est la question à poser à la vie théâtrale: comment
faire pour que les auteurs ne soient pas marginalisés? Il existe de plus en plus de lieux où ils peuvent
faire lire leurs pièces, mais dans le même temps les grands théâtres ne leur ouvrent pas leurs portes. Il
faut donc inventer une nouvelle structure. Je vois comment elle peut être. Je saurais la faire. Je suis
candidat pour y travailler car je crois que je saurais, comme j'ai su mettre en place, je pense, une
véritable décentralisation cinématographique en Rhône-Alpes.
- Etes-vous seul à vous y atteler?
- D'autres pensent la même chose, et ils sont de plus en plus nombreux. Ce que je crois, c'est que les
théâtres de demain doivent prendre en main le spectacle vivant et la création audiovisuelle. Dans ces
centres de création, les auteurs pourront exister. Cela peut se faire demain matin. C'est évidemment
une petite révolution à accomplir. Il faut trouver des décideurs courageux et une volonté politique.
Depuis quinze ans, je travaille à ce changement. Ce n'est pas une idée farfelue. Avec la
décentralisation, c'est même le sens de ma vie.
- Historiquement, les metteurs en scène doivent laisser la place?
- Il ne s'agit pas bien entendu de contester le travail des metteurs en scène. A la fin du XIXe siècle, on
créa des musées pour honorer les formes d'art de toutes les époques. Au théâtre, les metteurs en
scène sont ceux qui ont donné la garantie au public que ce qu'ils voyaient étaient bien du Molière, du
Racine ou du Goldoni. Nous refaisions les tableaux. Strehler était le garant de Goldoni, peut-être ai-je
été le garant de Molière.
Avant l'arrivée des metteurs en scène, les classiques n'étaient pas tellement joués. Souvenons-nous
que la Comédie Française était un groupe d'acteurs qui se réunissaient trois fois par semaine pour
écouter des auteurs lire leurs pièces (Victor Hugo, Sade l'ont fait) et décider de les jouer. Avec
l'audiovisuel, l'occasion se présente de refaire cela. Il ne s'agit pas de faire mourir les théâtres mais de
créer des centres qui prennent en charge ce travail. Il faut inventer un autre système. Je le redis: il
faut que les théâtres prennent en charge le spectacle vivant et un destin audiovisuel.
- Vous mettez cela en application depuis plusieurs années. Dans votre dernier film Lautrec, les acteurs
sont les comédiens de vos spectacles. Comment un sujet devient-il un film ou une pièce?
- Le théâtre et le cinéma poussent dans la même terre. Mais très vite votre sujet vous guide et ce que
vous écrivez devient soit un film soit une pièce. Lautrec ne pouvait que devenir un film. C'est une
traversée de mondes tellement différents (la haute aristocratie, le milieu des peintres montmartrois, le
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Le triomphe de l'amour - Saison 1997/98 - Odéon
Moulin Rouge, le petit peuple de la Butte, les grands bordels parisiens...) que seul le cinéma pouvait en
rendre la diversité. Mais, sur le fond, je raconte encore l'histoire d'un homme de génie, bon et
généreux.
Propos recueillis par Claude-Henri Buffard
Roger Planchon et Marivaux
Il s'agit en somme d'un petit problème de physique amusante, ou de sciences naturelles : soit un être
qui en désire un autre. Soit par ailleurs un obstacle à ce désir. Etant posé que cet obstacle sera
surmonté, tracer la ligne la plus élégante et la plus suggestive qui conduira la comédie à son terme. La
solution est brillante : de l'avis même des contemporains, le Triomphe de l'Amour est une des pièces
"des mieux intriguées qui soit sortie de la plume de M. Marivaux".
Une des plus intriguantes aussi. Car si nul n'est dupe des conventions d'un tel théâtre, chacun consent
de bonne grâce à s'y laisser prendre, séduit à son tour comme les personnages, afin de concentrer sa
rêverie de spectateur sur l'essentiel: la finesse des moyens de séduction mis en oeuvre, la subtilité
d'une langue aussi précise qu'allusive, le trouble des sentiments et leur retentissement sur ce qu'on
croit savoir de soi-même. Le sourire comique y gagne une grâce songeuse, s'y nuance d'une légèreté et
d'une délicatesse déployant tout le registre qui s'étend de l'ironie à l'émotion.
A cet égard, Le Triomphe de l'Amour rappelle le Shakespeare du Songe d'une Nuit d'Eté ou de La
Tempête. Mais la fantaisie romanesque permet encore de s'affranchir au besoin des bienséances et de
conférer aux répliques une acuité, aux conduites une brutalité d'autant plus violentes que leur élégance
reste entière sans rien devoir aux bonnes moeurs. Telle est la griffe de Marivaux, qui est ici le digne
héritier de Racine : il sait comme nul autre donner à la passion la plus nue l'expression la plus claire et
la plus discrète - d'une politesse explosive, avec toute la lumineuse intelligence de son siècle.
Intelligence souriante, fantaisie poétique, ressacs de l'ironie et de l'émotion : autant de qualités que
Roger Planchon, qui tient lui-même le rôle du vieux philosophe, nous fait partager à son tour, pour
donner tout son poids à ce mot de Marivaux qu'il aime à citer : "Dans ce monde, il faut être un peu trop
bon pour l'être assez".
Le Mercure de France de mars 1732 résume, pour ses lecteurs, Le triomphe de l'amour de Monsieur
Marivaux:
"Une jeune princesse, amoureuse d'un jeune prince opprimé, auquel un philosophe a donné un asile
pour le dérober au péril qui menaçait sa vie, s'il la passait dans l'éclat qui convient à sa naissance, se
travestit en homme pour s'introduire chez Hermocrate (c'est le nom du philosophe qui l'a élevé chez lui
dès sa plus tendre enfance). Ce philosophe a une soeur, appelée Léontine, d'un honneur encore plus
austère. La Princesse, déguisée sous le nom de Phocion, commence par mettre la soeur du philosophe
dans ses intérêts, en lui faisant croire qu'il l'aime...", etc., etc.
En mars 1732, une des plus belles intrigues du théâtre romanesque vient d'être portée à la scène par
les Comédiens Italiens de Paris. Un des sommets de la comédie d'amour de tous les siècles et de tous
les peuples.
Sous la désinvolture apparente de ses péripéties inouïes, Le triomphe de l'amour plonge au plus
profond et met à nu la folie, la dérision, la cruauté, la grandeur de l'amour dans le pauvre coeur des
hommes.
Il est un vers d'Apollinaire, fulgurant : "... bonté, contrée énorme où tout se tait". Seuls peut-être
Marivaux et Shakespeare ont su un jour, au théâtre, entrer dans ce territoire que nous pressentons au
plus secret de nos coeurs mais que nous savons interdit à la plupart d'entre nous.
Pour Shakespeare, pour Marivaux, nous n'avons jamais été chassés du Paradis terrestre. Les deux ont
écrit leurs comédies fabuleuses pour permettre à tous les Adam et Eve de cette terre de sentir que le
Paradis terrestre existe et qu'il suffit d'y pénétrer.
Le triomphe de l'amour et les comédies de Shakespeare, aux intrigues invraisemblables, nous
apportent l'essentiel, que nous devons recevoir, recueillis. Marivaux est l'auteur qui a écrit : "Dans ce
monde, il faut être un peu trop bon pour l'être assez".
Roger Planchon
juin 96
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