1 LES ORGANES AUTO-CONSTRUITS REMPLACERONT-ILS LA TRANSPLANTATION D’ORGANES ? Claude Mercier 19 avril 2012 Cette question a fait l’objet d’un débat en fin 2011 dans une séance commune aux deux Académies de Médecine et de Chirurgie sous la présidence conjointe du Pr Pierre Joly et du Pr Henri Bismuth. Il m’a paru intéressant de vous rapporter ce débat dans la mesure où il s’agit d’une recherche qui peut apporter beaucoup dans le traitement de la pathologie terminale de certains organes : Chercheurs, médecins et chirurgiens travaillent au développement d’organes auto-construits, c’est à dire d’organe malade régénéré avec des cellules neuves injectées en son sein. En un mot, l’organe se soignerait tout seul ! Cette recherche est d’importance. Chaque année, près de 500 malades meurent en attente de greffe et il y a deux fois plus d’inscrits sur les listes d’attente que de greffes réalisées. Or les greffons proviennent pour l’essentiel d’accidents de la circulation dont on souhaite que, dans l’avenir, leur nombre diminue. • Les organes artificiels n’existent que pour le rein et, dans certaines conditions d’utilisation, pour le cœur. Ces organes artificiels ne remplacent que de manière imparfaite les fonctions de l’organe vivant et soumettent le patient à des contraintes handicapant la qualité de vie. Pour le rein, la transplantation reste une solution thérapeutique bien préférable. • La recherche sur l’utilisation d’organes provenant d’animaux (xénogreffe) est pratiquement abandonnée car elle se heurte à de trop grandes difficultés : transmission de maladies, notamment virales, difficile à contrôler, intolérance immunologique, etc. . Les organes auto-construits représentent aujourd’hui la piste de recherche la plus prometteuse. Les cellules souches, embryonnaires et adultes, apportent une vraie promesse de solution. Tous les organes auto-construits reposent sur le même modèle : la matrice de l’organe provient de l’organe luimême, qui est décellularisé avant d’être réensemencé par des cellules provenant de la différentiation contrôlée de cellules souches. L’avantage majeur des cellules souches adultes, qu’elles soient naturelles ou induites a partir de 2 fibroblastes cutanés (cellules souches pluripotentes induites ou iPS) du même sujet est de permettre la réalisation d’une autogreffe sans réaction de rejet immunologique. Pour Henri BISMUTH Le processus sera le suivant : Tout d’abord détruire l’ensemble des cellules de l’organe malade en injectant une solution de détergents biologique pour ne conserver que la structure extracellulaire. Puis réaliser dans un second temps une injection de cellules « neuves » dans l’organe, pour reconstruire un tissu sain. Enfin, replacer l’organe dans sa position normale. L’organe malade serait ainsi soigné. Dominique FRANCO : AUTORECONSTRUCTION DU LE FOIE La compréhension du fonctionnement des cellules souches est un élément fondamental au développement de cette nouvelle chirurgie : « La révolution, c’est d’avoir compris que la progression des cellules ne se fait pas que dans un seul sens. La cellule souche devient une cellule mature, mais on a réussit à lui faire parcourir le chemin inverse, en redevenant des cellules souches pluripotentes. Et c’est ce qui permet d’utiliser le principe de la reconstruction ». L’organe autoconstruit pourrait ainsi à terme répondre à une double problématique : celui du rejet et du déficit de don d’organes pour la transplantation. « Nous nous orientons plutôt vers l’utilisation de cellules souches que de cellules matures pour traiter les maladies du foie. Plus résistantes elles ont aussi la capacité de se diviser et de reconstruire l’organe lésé » poursuit-il. On pourrait envisager de mettre les cellules en culture dans un squelette bio-artificiel : « Il s’agirait là de prendre une partie du « squelette » d’un foie humain où les cellules hépatiques pourraient se développer au contact même de l’organe » raconte Henri Bismuth. D’où le principe de décellularisation d’une partie du foie, pour le récellulariser avec les nouvelles cellules hépatiques. Tout ceci est traité en dehors du corps humain, avant de réimplanter la partie de l’organe jadis malade, recellularisé. « Nous avons déjà essayé de transplanter un foie recellularisé chez le petit animal. Cela ne marche que dans un temps limité, 3 quelques heures tout ou plus. Il n’est donc pas question de donner de faux espoirs aux personnes en attente de transplantation ». Les médecins mettront encore plusieurs années avant les premiers essais cliniques. Mais la première mondiale du professeur Martinod concernant la transplantation de bronche devrait donner un coup d’accélérateur à cette nouvelle forme de traitement. L’obtention de cellules souches pluripotentes à partir d’un patient permettrait de reconstruire un foie avec ses propres cellules et d’éviter ainsi les phénomènes de rejet en cas de transplantation. Encore plus séduisante est l’hypothèse de reconstruire le foie du patient à partir d’un squelette exogène de taille adaptée et de cellules souches pluripotentes induites à partir de ses propres fibroblastes, supprimant ainsi complètement le rejet immunologique et la nécessité d’un traitement immunosuppresseur. Le chemin est long pour y parvenir mais l’accélération des connaissances et de la bio-ingénierie permettra peut-être d’arriver à ce traitement plus tôt qu’il n’est possible de l’imaginer. Des foies auto-construits ont été réalisés chez le petit animal et ont pu être transplantés chez des receveurs. Les progrès technologiques permettent de penser que ceci est transposable chez le gros animal et pourrait conduire à utiliser en thérapeutique la transplantation de foies autoconstruits à la place de foies de donneurs. Pr Jean-Michel DUBERNERD : le Rein - Les cellules souches embryonnaires sont une source idéale, leur utilisation apparaît cependant limitée par leur caractère allogénique susceptible d’entraîner une réponse immunitaire et leur rejet ainsi que par le risque de formation de tératomes in vivo. Les cellules foetales conservent leur capacité de prolifération et se différencient facilement sans faire courir de risque d’induction de tératomes in vivo. - Les cellules souches pluripotentes induites résultent de la « reprogrammation » génétique de cellules adultes. La faisabilité en a été démontrée chez le rat comme chez l’homme. Evitant de faire appel à des embryons, elles pourraient fournir une source idéale de cellules de par leur caractère autologue et leur faculté à proliférer en grand nombre. 4 De très nombreux problèmes restent à résoudre avant de fabriquer ou de construire un organe, notamment un rein, à partir d’une matrice extra cellulaire. D’ailleurs, aucun des organes « auto- construits » chez l’animal n’ont fait la preuve de leur capacité à assurer pour plus de quelques heures une fonction vitale chez le receveur. Pour le rein aucune transplantation n’a encore été rapportée alors qu’elle représente l’enjeu principal de la recherche dans ce domaine. Cet objectif reste plausible même s’il apparaît encore très lointain. Emmanuel MARTINOD : Le Poumon La transplantation pulmonaire est toujours le seul traitement curatif de l’insuffisance respiratoire chronique au stade terminal. Ses résultats restent néanmoins médiocres en raison du nombre insuffisant de donneurs, du rejet chronique et des complications liées aux immunosuppresseurs. La mise au point d’un poumon bio-artificiel régénéré à partir de cellules autologues pourrait apporter une solution majeure à ces problèmes non résolus. Nous avons démontré qu’il était possible d’obtenir une régénération in vivo épithéliale et cartilagineuse au niveau trachéo-bronchique en utilisant une matrice de tissu aortique. D’autres études ont permis une régénération trachéo- bronchique in vitro par ingénierie tissulaire ou in vivo après implantation hétérotopique d’une allogreffe. La problématique est encore plus complexe au niveau pulmonaire puisqu’il faut trouver une matrice élastique capable d’induire une régénération des différents éléments bronchiques, alvéolaires et vasculaires du poumon sur, de plus, une large surface permettant ainsi une ventilation, une perfusion et des échanges gazeux. Des études récentes ont démontré la possibilité de régénération des différents constituants du poumon in vivo et in vitro à partir de cellules autologues, en particulier de cellules souches. La recherche en ce domaine, qui en est à ses débuts, s’oriente vers l’utilisation préférentielle d’une matrice pulmonaire décellularisée dont la recolonisation épithéliale et endothéliale in vitro est obtenue par utilisation de cellules autologues. L’implantation in vivo chez l’animal semble permettre l’obtention d’un poumon bio-artificiel fonctionnel. Ces premiers travaux laissent entrevoir une application chez l’homme dans 10 à 20 ans d’après les prévisions les plus optimistes Philippe MENASCHE : 5 Le Coeur La pertinence clinique de ce concept d’organe auto-construit est illustrée par deux chiffres : En France, on dénombre chaque année environ 10.000 nouveaux cas d’insuffisance cardiaque grave, c'est-à-dire réfractaire aux traitements médicamenteux actuels et il est prévisible que cette incidence continue d’augmenter avec le vieillissement de la population et l’amélioration du pronostic de l’infarctus du myocarde qui expose un plus grand nombre de survivants à la survenue différée d’une défaillance ventriculaire gauche. Le pronostic de cette pathologie demeure globalement sévère puisque 50% des patients sont morts à 4 ans et qu’après une hospitalisation pour insuffisance cardiaque, 40% des patients décèdent ou sont ré-hospitalisés dans l’année qui suit. Bien que la transplantation cardiaque demeure le seul traitement radical aux stades les plus avancés de la maladie, la pénurie de donneurs et les complications d’une lourde immunosuppression en limitent nécessairement les indications. De toute façon, le nombre annuel de transplantations cardiaques en France oscille aux environs de 350 sans espoir réaliste d’augmentation. Le remplacement complet d’un cœur humain par un autre cœur constitué d’une matrice, d’origine animale, et ensemencée par des cellules capables de s’organiser, structurellement et fonctionnellement, pour le doter d’une activité mécanique efficace, est donc une perspective encore incertaine et en tous cas certainement lointaine. La maîtrise des techniques de détersion et d’ensemencement a déjà permis le développement de biomatériaux composites dans deux indications principales en chirurgie cardiaque. La première concerne le remplacement d’une portion de myocarde la seconde indication concerne les valves cardiaques. L’objectif ici est de disposer de valves biologiques susceptibles, notamment chez l’enfant et l’adulte jeune, de dégénérer moins vite que les bioprothèses actuelles. le cœur reconstruit en totalité à partir d’une matrice et de cellules autologues en tant que substitut complet à la transplantation est un objectif lointain qui pose encore de multiples problèmes techniques et dont la pertinence et l’applicabilité cliniques restent à ce jour discutables, surtout si des progrès importants sont faits dans les années à venir en matière de cœur artificiel totalement implantable. 6 CONCLUSION les Académies ne souhaitent pas donner de faux espoirs aux patients et, tout en soutenant cette recherche d’avenir, elles en appellent à une plus forte mobilisation pour le don d’organes. Le développement d’organes auto-construits est actuellement sérieusement envisagé pour le rein, le cœur le poumon et surtout pour le foie, organe pour lequel la recherche est la plus avancée. Mais, nous n’en sommes qu’au stade de la recherche fondamentale; le progrès ne se fera que par étapes, et il faut compter 10 à 20 ans pour pouvoir envisager une utilisation clinique. Aujourd’hui, rien ne remplace la transplantation d’organes à partir d’organes cadavériques et de donneurs vivants. Les patients en attente de greffe attendent une solution immédiate. Pendant que la recherche avance sur les organes du futur, tout doit être fait aujourd’hui pour favoriser le don d’organes. °°°°° °