pratique |biochimie Actualités et apport de la biologie dans la maladie de Crohn La maladie de Crohn a bénéficié ces dernières années de grands progrès tant dans la compréhension de son mécanisme physiopathologique que dans sa prise en charge thérapeutique. La biologie joue désormais un rôle crucial dans le diagnostic de cette maladie et le suivi des traitements. © CNRI/SPL/PHANIE Le spectre clinique de la maladie de Crohn est vaste, comportant une grande diversité de localisations (de la bouche à l’anus) et de lésions : inflammatoires (à l’origine de la diarrhée, des douleurs abdominales, de l’altération de l’état général) et sténosantes (responsables des complications chirurgicales de type fistule ou abcès). De fait, les tableaux cliniques sont très variés. Pendant longtemps, les malades ont été traités par corticothérapie, ce qui permettait de contrôler les manifestations cliniques, mais n’empêchait pas la survenue de lésions sévères. Aujourd’hui, de nouveaux traitements par anti-TNFα sont disponibles, permettant la cicatrisation des lésions et la prévention des complications évolutives. Pour cela, les patients doivent être traités tôt. Ce modèle fonctionne dans plus de 70 % des cas ; toutefois, environ 20 % des malades sont diagnostiqués avec une forme d’emblée compliquée (pénétrante, à l’origine d’abcès, ou sténosante, responsable d’occlusions). La révolution des biothérapies Chez la plupart des patients, il est donc possible d’intervenir tôt : en les traitant par des Ac antiTNFα, nous pouvons désormais améliorer les lésions, c’est-à-dire agir sur l’histoire naturelle de la maladie. Toutefois, ces traitements ne sont pas dénués d’effets secondaires graves et, chez les premiers patients traités, sont survenues des tuberculoses cliniques. Aujourd’hui, un dépistage préalable est recommandé (interrogatoire, radiographie de thorax, intradermoréaction (IDR)). Ces mesures ont permis de réduire sensiblement les cas de tuberculose. Toutefois, l’IDR étant peu sensible, l’avènement des tests sanguins d’évaluation de la production d’interféron gamma (IGRAs : QuantiFERON®-TB GOLD In tube, T-SPOT™-TB) a permis une nette amélioration de ce dépistage, même si, les patients étant sous corticothérapie et immunodéprimés (leur capacité à produire de l’IFNγ est diminuée), les tests peuvent ne pas être interprétables. Le principal écueil était de sur-traiter par antituberculeux les patients chez qui l’IDR était faussement positive, due à une vaccination par le BCG. Les IGRAs, aujourd’hui systématiquement proposés avant mise sous anti-TNFα, ont drastiquement diminué ce problème. Si le patient a été exposé, il reçoit un traitement antituberculeux (la 16 clinique suffit) ; si le test IGRA est positif, le patient est également traité ; si le test est négatif, il peut bénéficier d’un traitement par anti-TNFα d’emblée. Actuellement, l’objectif des traitements de la maladie de Crohn est donc la cicatrisation des lésions (même partielle) : ceci permet de diminuer l’activité clinique de la maladie, de réduire le recours à l’hospitalisation, de diminuer les complications de la maladie, ainsi que le recours à la chirurgie et à la corticothérapie. Toutefois, cet objectif thérapeutique n’est atteint qu’environ une fois sur deux et, pour le savoir, il faut réaliser une endoscopie (la clinique et la CRP ne suffisent pas à prédire la cicatrisation). La calprotectine est alors une aide précieuse. Place des marqueurs biologiques La calprotectine fécale La calprotectine est une protéine issue de la dégranulation des polynucléaires neutrophiles. Elle est protégée vis-à-vis de la protéolyse intestinale par sa liaison au calcium et reste stable dans les selles pendant 1 semaine à température ambiante. Elle est dosable dans les selles par des techniques simples, Elisa et immunochromatographie (ICT). Toutes ces OptionBio | Mercredi 25 mars 2015 | n° 523 techniques ne sont pas comparables, mais toutes utilisent comme valeur seuil < 50 μg/g de selles. La calprotectine fécale permet de différencier les troubles liés à un syndrome de l’intestin irritable (trouble fonctionnel) de ceux liés à une maladie organique chez les patients consultant pour des douleurs abdominales, avec des valeurs prédictives positive et négative supérieures à 80 %. Elle est corrélée au degré d’inflammation muqueuse, ce qui permet de l’utiliser pour le suivi thérapeutique. La calprotectine fécale n’est pas un marqueur de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), mais un marqueur de l’infiltration inflammatoire de la muqueuse intestinale. Lors du suivi des patients, elle est corrélée aux données endoscopiques (il existe un lien entre le score d’activité de la maladie et la concentration fécale de calprotectine) et est le meilleur marqueur prédictif des résultats de l’endoscopie. Chez un patient combinant rémission clinique et calprotectine basse, très peu de lésions sont retrouvées à l’endoscopie. Ainsi, s’il n’est pas encore totalement admis que l’endoscopie puisse être évitée lors du suivi des patients, il s’agit d’un premier pas important dans ce sens. Par ailleurs, lorsque le traitement est interrompu chez des patients « contrôlés », nous savons que la rechute biologique survient 2 à 4 mois avant la rechute clinique. De fait, ces patients peuvent être suivis par un dosage de calprotectine fécale tous les 2 mois. Attention toutefois, dans certains cas, les lésions peuvent être transmurales au niveau de l’intestin grêle ; dans ce cas, la CRP est un meilleur marqueur de suivi de la maladie. Actuellement, les patients traités pour maladie de Crohn sont donc suivis par IRM et dosages de calprotectine et de CRP. En cas d’échec thérapeutique, il faut rechercher une complication (évolution de la maladie imposant un changement de traitement) et redemander un dosage de calprotectine fécale pour discriminer les patients ayant des manifestations de côlon irritable (douleur sans inflammation) et ceux ayant une maladie inflammatoire active. Ceci permet de savoir si le traitement est insuffisamment actif ou bien si le malade a développé des séquelles de type « troubles fonctionnels » dans les suites des poussées de sa maladie. biochimie Les dosages d’anti-TNFα et d’Ac anti-TNFα Si la maladie reste peu active et non compliquée, il convient d’optimiser le traitement par anti-TNFα. Or, l’efficacité thérapeutique est clairement liée à une concentration en anti-TNFα (infliximabémie, adalimumabémie…) dans le sang suffisante. Lorsque ce n’est pas le cas, la dose peut être doublée, ce qui permet d’augmenter sensiblement le nombre de patients en rémission. Il est aussi possible d’optimiser le traitement en ajoutant un immunosuppresseur. Le manque d’efficacité des traitements peut également être dû à l’apparition d’Ac anti-TNFα (Ac anti-infliximab, Ac anti-adalimumab…) chez les patients traités en monothérapie. En cas d’échec, il est conseillé de rechercher ces Ac (test Lisa Tracker™). Ils peuvent être transitoires (ils ne | pratique posent alors pas de problème) ou persistants (conduisant à l’échec thérapeutique). Lorsqu’ils sont détectés de manière persistante, un changement de molécule s’impose. Conclusion Aujourd’hui, le clinicien bénéficie de plusieurs outils biologiques fondamentaux dans sa pratique quotidienne : la calprotectine fécale, qui lui permet de sélectionner les patients qui vont vraisemblablement évoluer vers une complication chirurgicale, et les dosages d’anti-TNFα couplés à la recherche d’Ac anti-TNFα pour guider la thérapeutique ; en effet, il est inutile de doubler la dose d’une molécule si le patient a développé des Ac (stables dans le temps) contre celle-ci ; il convient alors d’en changer. Enfin, de nouvelles thérapeutiques sont développées et semblent prometteuses dans la maladie de Crohn : un Ac dirigé contre la sous-unité α4β7 de l’intégrine (védolizumab), qui permet de rattraper un patient sur deux après échec des anti-TNFα et l’ustekinumab (ayant une AMM dans le psoriasis) agissant sur la voie de l’IL12 et de l’IL23. À suivre… | Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. CAROLE EMILE Biologiste, rédactrice scientifique [email protected] source D’après une communication de G. Savoye (Service de chirurgie digestive, CHU de Rouen) et Nathalie Kapel Service de coprologie fonctionnelle, CHU Pitié-Salpêtrière, Paris). Journées internationales de biologie, Paris, octobre 2014. IB E X H I B I T I O N PARIS 2015 PARIS 2015 22 - 2 4 J U IN EVOLUTION IN LABORATORY MEDICINE Le grand rende]Yous de Oa bioOogie PpdicaOe en )rance et en Europe de O·annpe 3$L$I6 'E6 &21*5E6 'E 3$5I6 Un congrès et une exposition qui réunissent 3rograPPe scientiIiTue 3rograPPe proIessionneO en un seul événement 6ponsors et exposants EuroMedLab EYpnePents sppciaux et les JIB Inscriptions 7outes Oes inIos sur ZZZparisorg OptionBio | Mercredi 25 mars 2015 | n° 523 17