Les actions de la France à l`Est

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Thomas SCHRElliER
Les actions de la France à l'Est
ou
Les absences de Marianne
L'Harmattan
5-7, rue de l'École Polytechnique
75005 Paris FRANCE
-
L'Harmattan
Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
Collection Aujourd'hui l'Europe
dirigée par Catherine Durandin
La fin de la guerre froide confronte les Européens à d'énormes
mutations et ouvre des perspectives unitaires. Et pourtant de nouvelles
frontières et fractures se dessinent. Les Européens vivent une
compétition parfois hégémonique, parfois frustrante, pour accéder à
un niveau de développement présupposé comme normal.
La collection Aujourd'hui l'Europe a pour objectif de publier des
textes de philosophie, histoire et sciences politiques qui s'interrogent
sur les redéfinitions d'identité et de sécurité européennes, sur les
traditions, sur les crises...
Dernières parutions
Sorin ANTOHI, Imaginaire culturel et réalité politique dans la
ROlunanie moderne, 1999.
Traian SANDU, La Grande Roumanie alliée de la France '(19191933), 1999.
Sanda STOLOJAN, Au balcon de l'exil roumain à Paris, 1999.
Patrick MICHEL, La religion au musée, 1999.
Traian SANDU, Le système de sécurité français en Europe centreorientale, l'exemple rounzain (1919-1933), 1999.
Avertissement
Dix ans après la chute du Mur de Berlin et l'implosion du système
communiste à l'Est - à part les relations entre Paris et Moscou - les
rapports de la France avec les pays d'Europe centrale et orientale font
rarement l'objet d'une étude allant au-delà d'un article destiné à une
revue politique aussi prestigieusequ'elle soit.
J
D'où l'idée de cet ouvrage.
Malgré son volume limité, il se fixe un objectif ambitieux: présenter au lecteur qui se sent concerné ou simplement intéressé par ce
qui se passe dans « l'autre Europe» une sorte d'inventaire.
Des dizaines voire des centaines de livres sont consacrés à la politique étrangère de la France, sans compter les Mémoires des principaux
acteurs des événements notoires dans ce domaine où ministres et hauts
fonctionnaires expliquent le pourquoi et le comment de leur action au
service du pays - tout en justifiant ou en dénigrant - la politique
dictée par tel chef du gouvernement jusqu'en 1958 et tel président de la
République depuis cette date qui marque le début du rôle central du chef
de l'État dans la conduite des relations extérieures de la France.
A ces ouvrages s'ajoutent les témoignages des journalistes ou œ
simple citoyens d'une valeur inégale, mais indispensables.
L'ouverture des archives diplomatiques désormais consultables, exception faite des trente dernières années, constitue une source précieuse
pour mieux connaître et comprendre le fonctionnement de l'appareil
prestigieux de la diplomatie française.
Mais dans la documentation abondante mise à la disposition du
grand public et des chercheurs, il manque un livre qui traite exclusivement de l'examen de l'évolution des rapports entre la France et ce
qu'on pourrait appeler l'ensemble de l'ancien espace soviétique.
Le Larousse donne comme définition au mot: inventaire,« l'état
détaillé et estimatif des biens et droits que possède une entreprise, pour
constater les profits ou les pertes».
Il s'agit donc dans les pages qui vont suivre, de «l'Entreprise
France» et des résultats de son fonctionnement dans une région où
elle était, il y a quatre-vingts ans, le pays le plus connu et le plus
respecté.
Aujourd'hui les francophiles - beaucoup plus nombreux que les
francophones - regrettent le recul français.
Nous essayerons d'en analyser les raisons, tout en espérant contribuer, en tirant le signal d'alarme, à inverser la tendance.
octobre 1999
T. S.
6
INTRODUCTION
DE TRIANON A YALTA OU LA GLOIRE EVANOUIE
Au lendemain de la Première Guerre mondiale,
l'éclatement des Empires ouvre un nouveau chapitre de
I'histoire européenne.
Le 19 septembre 1919 les Alliés signent avec l'Autriche le
traité de Saint-Germain, suivi neuf mois plus tard, le 4 juin
1920, du traité de Trianon avec la Hongrie.
En remaniant profondément la carte de l'Europe, les artisans du « système de Versailles» étaient guidés par de nombreuses préoccupations:
-satisfaire aux obligations contractées envers l'Italie et la
Roumanie;
-réorganiser l'Est du continent suivant le principe ethnographique;
-constituer, sur les ruines de la Monarchie austrohongroise, un réseau d'Etats assez forts pour résister à
un réveil des appétits allemands;
-constituer en mê.me temps un «cordon sanitaire» contre
le bolchevisme russe;
-créer une «Mitteleuropa» qui ne soit ni allemande ni
russe I .
Le principal défaut du «système de Versailles» était de
reproduire dans un cadre nouveau, les problèmes des minorités en Europe centrale et orientale.
1.
Cf. Fejtô (F.), Histoire des démocraties populaires, Seuil, 1973, pp.
20-26. Et Duroselle (J.-B.), Histoire diplomatique de 1919 à nos
jours, Dalloz, 1976, pp. 22-29.
Le traité de Trianon privant la Hongrie des deux tiers
d'un territoire millénaire, réduisit le nombre de ses habitants
de 20 855 000 à 7 615 000. Trois millions et demi de Hongrois de souche furent ainsi exclus des nouvelles frontières,
ce qui ne manqua pas d'aggraver sensiblement les antagonismes entre les nations danubiennes.
Ce choc matériel et psychologique donnera pendant tout
l'entre-deux guerres un caractère désespérément révisionniste à la politique hongroise, qui plaçait la récupération de
ses anciens territoires au-dessus de toute autre considération2.
Du côté des Alliés, avec le président des États-Unis
d'Amérique, deux autres personnalités, le premier ministre
britannique Lloyd George et surtout son collègue français
Georges Clemenceau dominent en 1920 la scène internationale.
La position du président des États Unis d'Amérique semble fluctuante. Ainsi Woodrow Wilson, dans un discours «en
quatorze points» prononcé le 8 janvier 19183 parle du droit
à l'autodétermination des peuples des Empires. Cependant,
préoccupé des conséquences de l'émiettement de l'Europe
centrale et orientale, il révisera peu à peu ses positions. De
plus, selon Henry Kissinger, « impatient de mettre en place la
Société des Nations, le président Wilson avançait parfois des
théories qui encourageaient les espoirs français, à savoir:
créer une zone de sécurité» 4.
Aux yeux de Clemenceau, il ne pouvait y avoir qu'un seul
moyen de garantir la paix en Europe: c'était d'y établir la
prépondérance de la France, en groupant autour d'elle un
solide réseau d'alliances continentales et en disloquant la
puissance allemande5.
Dans ce but, il a souhaité la disparition de la Monarchie
austro-hongroise,
soutenant à fond les revendications
2.
3.
4.
5.
Cf. Schreiber (Th.) et Bolgar (L.), Introduction au livre de Levai (1.),
L'Église ne s'est pas tue. Le dossier hongrois 1940-1945, Seuil,
1966, pp. 7-16.
Texte publié in Histoire Politique de la Grande Guerre, Aristide Quil1et
éditeur, 1934.
Cf. Kissinger (H.) , Diplomatie, Fayard, 1966. p. 213.
Cf. Goguel (F.), La politique des partis sous la IIf République, Seuil,
1946, p. 173.
8
d'indépendance des Polonais et des Tchèques qui voulaient
les premiers se débarrasser des Russes et les seconds des Autrichiens.
Depuis longtemps la constante préoccupation de la politique française à l'Est était de chercher - avec plus au moins
de succès - des alliés en Europe centrale et orientale pour
réduire la force menaçante du monde germanique.
C'est ainsi que des missions militaires françaises ont été
envoyées dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale
(Pologne, Tchécoslovaquie, Lituanie, Lettonie et Estonie) et
que militaires et diplomates français se lancent dans la construction d'un réseau d'alliances avec l'Est. Le rôle joué par
ces missions peut être envisagé sous plusieurs angles: la raison officielle en fut l'organisation et l'instruction des armées
nationales. Mais en réalité, ces missions avaient des possibilités plus larges que celles des attachés militaires auprès des
représentations diplomatiques: il s'agissait de promouvoir
les intérêts de l'industrie française de matériel militaire, sans
oublier l'intérêt politique6.
Pour certains observateurs, le traité de Versailles constitue
le dernier moment où la France pouvait faire valoir ses vues
au reste du monde7. «En fait, dans nos relations avec
l'Europe centrale et orientale écrit avec une grande lucidité
Jacques Bainville en 1920 - notre véritable clientèle à l'Est se
trouve en général dans les classes les plus raffinées et les plus
conservatrices: les masses populaires dont les représentants
sont au pouvoir n'ont pas ces raisons d'attachement "à la
France qui résultent surtout d'une bonne éducation. La loi
du nombre ne nous favorist? pas »8. Ce qui se confirmera
malheureusement
6.
7.
8.
par la suite, quand il se révélera que la
Cf. Colloque de Strasbourg (24-26 mai 1984) : Les conséquences des
traités de paix de 1919-1920 en Europe centrale et sud-orientale. Association des Publications près les Université de Strasbourg, 1987,
p. 333. Voir aussi la thèse soutenue le 29 juin 1999 à Paris N par
Paul Gradvohl intitulée «Genèse et mise en œuvre du contrôle militaire interallié en Hongrie :un exemple de la politique militaire française au centre de l'Europe en 1918-1927».
Cf. Boniface (P.), ln France est-elle encore une grande puissance ?,
Presses de Science Politique, 1998, p. 25.
Cf. Bainville (J.), Les conséquences politiques de la paix, 1920
pp. 141-142.
9
première puissance militaire du monde est moralement épuisée et qu'elle n'utilisera pas son potentiel pour faire valoir
ses vues9. Paris « patronne» en Europe danubienne, la constitution de la Petite EntenteIO groupant la Tchécoslovaquie, la
Roumanie, la Pologne et le Royaume des Serbes, des Croates
et des Slovènes (qui deviendra en 1929 la Yougoslavie) contre une menace éventuelle de l'Allemagne, de l'Autriche, de
la Hongrie ou de la Bulgarie. Elle conclut en 1924 une alliance défensive avec la Tchécoslovaquie, analogue à celle
signée trois ans plus tôt avec la Pologne, complétée en 1926
par des pactes de consultation mutuelle avec la Roumanie et
le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes.
Mais les signatures de ces accords furent rarement suivies
de faits.
Pendant ce temps en Russie bolchevique, après la fin de
toute opération militaire sur son territoire et le départ des
derniers soldats des armées occidentales s'amorce un certain
rapprochement avec les puissances « capitalistes ».
Il aboutira, le 20 octobre 1924, à la reconnaissance de
l'Union des Républiques socialistes soviétiques, officiellement constituée en décembre 1922, par les démocraties libérales dont la France.
Jusqu'à la fin des années 20 vont se multiplier les consultations entre la France et les pays est-européens favorables à
sa politique.
Un certain temps, le souvenir des victoires remportées
pendant la Première Guerre Mondiale auréole l'armée française d'un prestige encore intact en Europe centrale et
orientale.
Pourtant, avec l'arrivée au pouvoir du Cartel des Gauches
en 1924 et la présence d' Aristide Briand à la tête du ministère des Affaires étrangères, on ne pense plus la sécurité de la
France en termes de système englobant l'Allemagne;
les
accords de Locarno signés en 1925 scellaient les frontières
9.
Cf. Boniface (P.), op. cil., p. 32.
10. C'est Edouard Benès, alors ministre des Affaires étrangères de la
nouvelle RépubIique tchécoslovaque qui, le 1cr septembre 1920 parle
pour la première fois de « Petite Entente» à l'occasion de la conclusion d'un traité d'alliance signé avec le Royaume des Serbes, Croates
et Slovènes.
10
occidentales du Reich mais pas ses frontières orientales laissant subsister le révisionnisme de Berlin Il.
Quoi qu'il en soit, parallèlement à la crise économique
mondiale éclatant à la fin de la décennie, la conjoncture politique commence à se modifier sur le continent.
La montée de plus en plus spectaculaire du nationalisme
allemand soulève à Paris de sérieuses inquiétudes. D'au tan t
plus que la France, progressivement épuisée par son déclin
démographique, la répétition de crises internes, l'aggravation
des problèmes économiques et sociaux semble avoir perdu la
volonté d'agir au-delà de ses frontières 12.
Les reculades sur le plan des réparations et du désarmement tendent à montrer à ses amis à l'Est que la France n'est
peut-être plus leur meilleur protecteurl3. Elle se soucie de
moins en moins du sort de ses alliés et amis des pays
d'Europe centrale et orientale, alors que l'Allemagne pourtant marquée par sa défaite de 1918, voit monter son influence dans cette zone géopolitique.
Les hésitations de la diplomatie française expliquent en
bonne partie la signature le 26 janvier 1934 d'un pacte de
non-agression entre l'Allemagne. et la Pologne. Selon le professeur Soutou, cet accord n'aurait pas dû être une surprise
pour Paris: il se préparait en profondeur depuis des années
et éUlitle résultat du manque de convergence entre les objectifs des deux pays, de l'absence d'un dialogue réel et d'un
ce~~it1(tI1~l'ris)des dirigeants
parisiens pour un pays catholit- 14.
qu~~~ÇÇ)II~8~Y"CJ:eur
tZêl~s,lâFrance n'a pas (encore) disparu de la région.
Quêlquëssemaines après le traité polono-allemand, le ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou se rend
successivement à Prague, à Varsovie, à Belgrade et à Bucarest
-
- -----
+i::>::::::::::::-:::>::>:::::':>::-/::-:<::-
Il.
Cf. l'article de Soutou (G.-H.), «Vive la Pologne, Monsieur! Mythes et réalités de la politique française », in Géopolitique, Automne
1991, pp. 97-104.
12. Cf. Baumont (M.), Les origines de la Deuxième Guerre Mondiale,
Payot, 1969, p. 63.
13. Cf. Doise (J)-Vaisse (M.), Diplomatie et outil militaire. Politique
étrangère de la France 1871- J969, Fayard, 1987, p. 298.
14. Cf. Soutou (G. -H.), article cité.
Il
pour mettre au point un pacte général de
face à
Hitler qui accède au pouvoir en Allemagne.
Mais il est déjà trop tard.
Dans le même temps, le gouvernement français s'efforce
de développer ses liens avec l'Italie.
A cette époque, malgré l'analogie des idéologies fasciste
et national-socialiste, les objectifs de Rome et de Berlin concernant l'Europe danubienne sont différents. En janvier 1935, quelques mois après l'attentat de Marseille qui a
coûté la vie au roi Alexandre de Yougoslavie et à Louis Barthou, le successeur du ministre des Affaires étrangères, Pierre
Laval, réussit la concrétisation d'un bref rapprochement
franco-italien. Les négociations à Paris pour la mise au point
d'un pacte avec l'Union soviétique, membre depuis septembre 1934 de la Société des Nations, aboutissent le 19 mai
1935 à la signature d'un accord. A ce moment, on pourrait
espérer une «réactivation» de la politique française à l'Est.
D'autant plus, qu'avant la fin du même mois Pierre Laval
part pour l'Europe centrale et orientale. A Varsovie, il fournit au colonel Beck l'assurance que le traité franco-soviétque
n'est nullement inspiré par un attachement particulier de la
France à l'URSS, mais par un double souci de mieux assurer
la sécurité de la France face au péril hitlérien et de détourner
Moscou d'une collaboration active avec le Reich. D'autre
part, il affirme que l'alliance franco-polonaise n'est pas remise en question
15.
Dès l'année suivante, quand éclate la guerre d'Espagne,
deux camps .'I(:)ntse dessiner. D'un côté Hitler et Mussolini,
rapprochés parl'>aige commune qu'ils apportent à Franco et
par leur désir de bouleverser l'équilibre continental résultant
des traités de 1919-1920, de l'autre la France et la Petite
Entente, composée d'Etats ayant des intérêts nationaux et des
systèmes socio-politiques différents.
Par ailleurs, en raison de l~guerre d'Ethiopie qui éclate
en 1935, manifestement>t.\1J~gr,,~>par l'organisation de son
nouvel Empire africain,R'ûssolini
(tout en s'intéressant à
l'Espagne) abandonne le terrain dans
15. Noter la signature le 16 mai 1935 d'un pacte d'assistance
tchécoslovaque.
12
sovieto-
où la France ne parvient pas, en dépit de quelques efforts de
dernière minute, à faire obstacle à une pénétration allemande
de plus en plus perceptible.
Le réarmement du Reich bat son plein et l'Italie, après
avoir quitté en novembre 1937 la Société des Nations qui
condamne son action en Éthiopie, devient l'allié fidèle de
l'Allemagne.
Ces événements se produisent au moment où Yvon Delbos, ministre des Affaires étrangères du premier cabinet
Blum et des deux cabinets Chautemps, effectue l'ultime
tournée des amitiés françaises en Europe centrale et orientale.
Il ne peut y constater que la dislocation de l'édifice diplomatique élevé depuis 1921 : les « amis de la France» se trouvent dispersés dans des positions divergentes. Vainement sa
diplomatie essaie-t-elle de ranimer, de rajuster et de coordonner alliances ou amitiés: elles sont à peu près inconciliables. Le désordre latent qui résulte de toute cette situation est
grave pour les positions françaises en Europel6.
L'année 1938 est marquée par l'Anschluss proclamée par
Hitler le 13 mars entre son pays natalI' Autriche et le Reich.
La réaction française se limite à une note de protestation
communiquée par la voie diplomatique à Berlin. S'il est vrai
que la France est en pleine crise ministérielle lorsque le drapeau à croix gammée est hissé dans la capitale autrichienne,
une certitude ressort des documents allemands découverts
après la Seconde Guerre Mondiale: Hitler n'a pas craint un
seul instant une intervention française.. .17
Après l'abandon de l'Autriche par les démocraties occidentales, les événements se précipitent en Europe centrale et
orientale.
La crise tchécoslovaque qui éclate en mai 1938, aboutira
le 20 septeIl1bre à l'accord quadripartite de Munich entre
Hitler, Myssôlini, Chamberlain et Daladier. La plupart des
historiens« s'accordent à le qualifier à juste titre, de
« capitulation honteuse des démocraties occidentales» et à y
reconnaître une grande victoire pour l'Allemagne.
16. Cf. Baumont (M.), op. cil., p. 285.
17. Cf. Duroselle (J.-B.), op. cil., p. 206.
13
Psychologiquement et stratégiquement, Munich achevait
la dislocation du système des alliances françaises à l'Est.li#e
démembrement de la Tchécoslovaquie conduira inévitablement au coup de force du 15 mars 1939 qui met fin, provisoirement, à l'existence de cette république créée vingt ans
auparavant... à Paris.
A peu près au même moment la guerre d'Espagne se termine avec la victoire des forces nationalistes soutenues par
Hitler et Mussolini. Ce dernier de son côté, imitant les méthodes du Führer ordonne à ses troupes d'envahir aussitôt
l'Albanie qui est placée quelques jours plus tard, en avril,
sous protectorat italien, sans que cela provoque, une fois de
plus, la moindre réaction officielle française.
Toutefois le 13 avril, une semaine après cette invasion, une
déclaration solennelle du gouvernement français confirme
l'alliance... franco-polonaise et des « assurances» sont également données à la Roumanie: rien de concret mais de
beaux textes.
La déception de la Roumanie et des pays francophiles de
l'Europe centrale et orientale est totale. A partir de ce moment, ces pays ne semblent plus faire confiance à la France.
Ils manifestent ouvertement leur « intérêt» pour l'Allemagne
considérée comme plus « crédible ».
Le roi Carol de Roumanie estime qu'en fait l'assistance à
son pays passe à l'arrière-plan des préoccupations françaises
et que de bonnes relations avec l'Allemagne pourraient protéger Bucarest non seulement contre les Soviétiques, mais
aussi contre les velléités révisionnistes des Hongrois.
Pendant l'été, la perspective d'une guerre déclenchée par
Hitler à propos de Dantzig, rend particulièrement importante
la collaboration de la France et de la Grande-Bretagne avec
l'Union soviétique.
Il n'est donc pas étonnant que les démocraties occidentales et l'Allemagne aient cherché à ranger Moscou dans leurs
camps respectifs. Jusqu'au mois d'août, le choix de l'URSS
n'étant pas fait, il y a eu des négociations parallèles 18. Nous
connaissons la suite.
18. Compte tenu' des événements ultérieurs, la signature dans les mois
suivants de l'accord de Munich de traités de non-agression angloallemand et franco-allemand paraîtra plutôt dérisoire...
14
La littérature abondante consacrée à ces négociations qui
ont finalement abouti, le 23 août 1939, au traité germanosoviétique, s'explique par l'importance de cet événemene9.
Dès le lendemain de la publication du traité de nonagression, Hitler accélère les préparatifs contre la Pologne. Il
espère toutefois que la France et la Grande-Bretagne
n'interviendront pas dans un conflit désormais inévitable.
Le 1er septembre les troupes allemandes franchissent la
frontière polonaise.
Varsovie fait appel à ses alliés: le gouvernement français
ordonne, le jour même, la mobilisation générale. Quarantehuit heures plus tard, les ultimatums français et britanniques
adressés à Hitler ayant été rejetés, Paris et Londres déclarent
la guerre à Berlin.
Ainsi débute la Seconde Guerre Mondiale.
Après l'effondrement de la Pologne sous les coups conjugués des Allemands et des Soviétiques (ces derniers entrent
dans le pays le 17 septembre), Paris accueille les représentants d'une République de Pologne qui, aux yeux de Staline
et de Hitler a cessé d' exister20.
Cependant, les différents pays d'Europe
centrale et
orientale, malgré l'orientation plus ou moins pro-allemande
de leur politique extérieure, ne rompent pas leurs relations
diplomatiques avec la France en état de guerre avec
l'Allemagne.
Bien entendu, il ne peut plus être question d'une politique
est-~uropéenne française: le Reich est devenu la plus grande
puissance en Europe centrale et orientale où la protection de
la France s'est révélée illusoire: il faut payer cher les erreurs
des traités de 1919-1920...
10 juillet 1940: la Troisième République cesse d'exister.
L'État français du maréchal Pétain maintient des relations
avec l'URSS et les..pays danubiens et balkaniques. A noter
19. Cf. Rossi (A.), «Le pacte germano-soviétique », Cahiers des Amis
dfÇJaLiberté, 1954. Bien entendu tous les ouvrages sur les origines de
l(.\p~uxième Guerre mondiale consacrent un ou plusieurs chapitres au
paèîêHîtler -StaHne.
20. Pour un récit journalistique voir aussi Schreiber (Th.) et Meretik (G.),
«888 heures d'agonie pour l'Europe» in Historama, février 1972,
pp. 99-124.
15
que dans la plupart des postes diplomatiques, les représentants de Vichy signalent. dès la fin de 1940 les efforts allemands pour contrecarrer l'action soviétique en Europe, malgré l'apparent bon fonctionnement du pacte Hitler-Staline21.
Le déclenchement de l'attaque de la Wehrmacht contre
l'URSS le 22 juin 1941 crée une situation nouvelle. Huit
jours plus tard, Vichy rompt ses relations avec Moscou, donnant comme motif l'activité des agents diplomatiques soviétiques en France...
Pendant toute la durée de la guerre, différentes formations
(Légion des Volontaires français contre le bolchevisme;
Légion tricolore, unité française de Waffen SS) bénéficient de
l'appui plus ou moins tacite des autorités de Vichy et prennent part aux combats sur le front russe.
Heureusement une autre France que celle de Vichy, la
France Libre, ayant sa diplomatie et ses forces combattantes,
reprendra la longue tradition des relations avec la Russie et
luttera aux côtés des résistants antifascistes.
Le 24 juin 1941 à Londres le général de Gaulle donne des
instructions à ses proches collaborateurs chargés des relations
extérieures, en vue de contacter le Kremlin. Après trois mois
de pourparlers, le gouvernement soviétique reconnaît le
26 septembre le général comme « le chef de tous les Français
libres ». Serge Bogomolov est nommé ambassadeur auprès
du Comité national de la France combattante.
Petit détail: il a déjà représenté l'Union soviétique en
France. .. auprès de Vichy.
Bien qu'à cette époque la situation militaire soit peu favorable aux Alliés, des négociations débutent entre les grandes
puissances sur l'avenir de l'Europe centrale et orientale.
Dans ses conversations avec les représentants occidentaux,
Staline insiste de plus en plus vigoureusement sur la conclusion «d'accords précis visant les règlements politiques dans
le monde de l'après-guerre ». Il demande notamment à ses
nouveaux alliés de reconnaître les frontières de 1941 de
l'URSS, telles qu'elles se dessinaient à la suite de l'accord
21.
Cf. Mourin (M.), Les relations franco-soviétiques
1967, pp. 256-258.
16
1917-1967, Payot,
germano-soviétique, c'est-à-dire après l'annexion des trois
pays baltes et de la Pologne orientale.
Selon plusieurs mémorialistes américains et anglais, Staline ne se serait pas arrêté là. Il aurait proposé le démembrement du grand Reich allemand, la restauration
de
l'indépendance de l'Autriche, le transfert de la Prusse orientale à la Pologne, le retour des Sudètes à la Tchécoslovaquie
et l'agrandissement par certains territoires italiens de la Yougoslavie reconstituée22.
La France, « allié incommode »23est totalement absente de
ces négociations. A vrai dire, il s'agit plutôt de tractations. A
Londres et à Washington on eût aimé avoir affaire à une
France moins pointilleuse sur ses droits, d'où la méfiance à
l'égard du général de Gaulle.
Comme les capitales anglo-saxonnes, Moscou pense, à
partir de la victoire remportée à Stalingrad en janvier 1943,
aux lendemains de la défaite de l'Allemagne.
Mais de même que les Américains et les Britanniques, les
Soviétiques ne manquent pas d'arrières-pensées y compris au
sujet de l'avenir de la France.
Tous désirent sa renaissance mais certains (et pas seulement du côté soviétique) craignent qu'admise aux règlements européens, elle ne reprenne, comme au temps de la
Petite Entente, ses prétentions à l'influence sur les États
d'Europe centrale et orientale rendus à la liberté.
En fait, pas plus du côté des Occidentaux que du côté des
Soviétiques, on ne semble pressé de voir réapparaître une
France vraiment souveraine. D'où l'absence de la France
Combattante des grandes réunions au sommet de la coalition
antifasciste comme celle de Téhéran en décembre 194324.Au
cours de cette première conférence sont prises, du moins
implicitement, des décisions relatives au partage des zones
d'influence en Europe centrale et orientale qui remplissent
d'angoisse les gouvernements est-européens en exil à Londres. Car ils savent que déjà d'autres émigrés - des commu22.
Cf. Le Mémorial de Roosevelt de Sherwood (R. E.) que cite Fejtô (F.)
op. cit.
23. Titre d'un chapitre du livre de Laloy (J.) (interprète du général de
Gaulle) «Yalta », R. Laffont, 1988.
24. Cf. Laloy (J.), op. cit., pp. 60-66.
17
nistes réfugiés à Moscou - préparent leur retour et la conquête du pouvoir avec le concours de l'Armée Rouge qui se
trouve pourtant encore à plusieurs centaines de kilomètres
des frontières de leurs pays respectifs.
Quelques jours après la conférence de Téhéran, Édouard
Benès, président tchécoslovaque en exil, quitte Londres. A
Moscou il signera un traité d'amitié, de collaboration et
d'assistance mutuelle avec l'URSS Lors de son voyage de
retour en janvier 1944, Benès rencontre le général de Gaulle
à Alger, le renseignant sur les intentions fortement arrêtées de
Staline en ce qui concerne le rôle des Soviétiques en Europe
centrale et orientale après la victoire des alliés.
Déjà l'attitude de Moscou à l'égard du gouvernement
polonais en exil révèle ses desseins. Si le général de Gaulle
estime légitime de donner aux Polonais des compensations
territoriales à l'Ouest aux dépens de l'Allemagne comme
prix des territoires que l'URSS ne manquerait pas de reprendre à l'Est, il considère que les puissances occidentales devraient exercer une action pour assurer les libertés démocratiques aux Polonais et autres peuples de la région. En
mars 1944, malgré les protestations soviétiques, le général
décide mettre à la disposition du gouvernement polonais en
exil à Londres, le stock d'or confié en septembre 1939 par la
Banque d'États polonaise à la Banque de France, et transféré
en juin 1940 à Bamako.
Le débarquement allié du 6 juin 1944 marque le début de
la Libération de la France. Mais, malgré l'avance des alliés et
l'installation du gouvernement provisoire de la République à
Paris en août, la France continue d'être l'objet de discriminations de la part de ses partenaires.
C'est ainsi que la reconnaissance officielle du Gouvernement Provisoire par les Américains et les Britanniques s'est.
produit plusieurs semaines après celle du nouveau gouvernement italien... 25
La France n'est pas invitée à la conférence préparatoire de
la future organisation des Nations Unies provoquant le
25.
Cf. Vaisse (M.), La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle
1958-1969, Fayard, 1998, p. 27.
18
22 novembre une déclaration du général de Gaulle: selon le
président du Gouvernement Provisoire, la France «ne
s'estimerait pas engagée par des mesures dont elle n'aurait
pas eu à délibérer dans les mêmes conditions que ceux qui
les avaient prises».
Ces propos concernent en particulier des discussions au
sujet de l'avenir de la Pologne et vraisemblablement les renseignements obtenus par le général quant au déroulement de
la rencontre Churchill-Staline à Moscou le mois précédent.
En effet, en fixant en quelques minutes sur un morceau de
papier des proportions d'influence des puissances victorieuses en Europe centrale et orientale, les deux dirigeants ont, de
facto, scellé le sort des peuples de la région26.
Deux jours après la publication de cette déclaration largement diffusée, le général de Gaulle entame son voyage en
Union soviétique. Il arrive le 2 décembre à Moscou. Des
pages célèbres de ses Mémoires de guerre (<< Le Salut ») décrivent le déroulement de ses rencontres avec Staline et les
circonstances de la conclusion du pacte franco-soviétique du
10 décembre 1944.
Le 26 mai 1944 (c'est-à-dire avant le débarquement en
Normandie) le général de Gaulle a parlé à l'ambassadeur
soviétique à Alger du «besoin d'une alliance de la France
avec la Russie et une série d'Etats européens, limitrophes de
l'Allemagne;
Hollande, Belgique, Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne. Le but essentiel de cette alliance est de régler
le problème
allemand»
(. ..) Comme le remarque
l'ambassadeur, les plans d'après-guerre conçus à Alger par
le général s'inspirent de l'alliance franco-russe de 1893:
l'Allemagne serait enfermée dans un étau franco-soviétique:
26.
Le premier ministre britannique raconte dans ses Mémoires qu'il a
proposé à Staline les pourcentages suivants:
Pour l'Union soviétique
Pour la Grande-Bretagne
Roumanie
90%
10%
Bulgarie
75%
25%
Yougoslavie
50%
50%
Hongrie
50%
50%
Grèce
10 %
90%
En fait, « Pour la Grande-Bretagne» a également signifié «Pour les
États-Unis» bien qu'à l'époque l'Amérique ne s'est pas encore beaucoup intéressée à cette partie du monde.
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au Reich se substituerait une Confédération germanique aussi
faible que possible (...): ces vues ne sauraient déplaire à
Moscou27.
« Staline - écrit de Gaulle dans ses Mémoires de guerre -allait
tâcher de nous vendre le pacte contre notre approbation publique œ
son opération polonaise».
Signe des temps: le premier représentant (d'ailleurs officieux) d'un gouvernement démocratique auprès de l'autorité
politique installée à Varsovie par l'URSS - sera un Français.
Selon le général, ce pacte constitue le premier traité conclu entre la France et une grande puissance et peut être considéré comme la manifestation de la reconnaissance de la
France Libre en tant que puissance indépendante28.
«Pour la France et la Russie - déclare-t-il le 21 décembre
1944 devant l'Assemblée consultative - être unies, c'est être fortes: se trouver séparées, c'est se trouver en danger. En vérité, il y
a là comme un impératif catégorique de la géographie, œ
l'expérience et du bon sens».
Jusqu'à
s'inspirent
ques et de
la période
opposés.
27.
28.
nos jours, les relations entre Paris et Moscou
de ces propos, en dépit des divergences idéologil'appartenance des deux pays - du moins pendant
communiste - à des systèmes socio-politiques
Cf. Laloy (J.), op. cit., pp. 82-83 qui cite les archives soviétiques
(SFOT T. II. Doc. 69, page 139).
Dans l'abondante
littérature consacrée aux relations
francosoviétiques (à part les livres de Laloy et Mourin déjà cité, voir BortoIi (G.) Une si longue bienveillance:
les Français et l'URSS 19441991, Plon, 1994; Wolton (Th.), La France sous influence, Grasset,
1997; Lecomte (B.), Le Bunker. Vingt ans de relations franc;osoviétiques, J.-C. Lattès, 1994.
Voici dans quels termes l'éditorialiste du Figaro (cité par Bortoli (G.),
op. cit., p. 7) salue le traité dans le numéro du 13 décembre 1944 dI
quotidien: « Ce traité, le premier que signe la France depuis qu'elle a
retrouvé sa liberté, restitue à notre pays sa pleine autorité diplomatique. A ce titre, il représente une étape essentielle sur le chemin, si
vite parcouru de notre relèvement».
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Cependant il s'est rapidement vérifié dès la fin de l'année
1944, que sans vouloir sous-estimer l'intérêt de l'URSS pour
la France, les Soviétiques comptent tout d'abord développer
leur coopération étroite avec les États-Unis et la GrandeBretagne.
La France n'est pas présente à Yalta. Trois semaines avant
la rencontre, le gouvernement français adresse une note à ses
trois alliés leur demandant de l'inviter à la rencontre en préparation. Mais finalement, de Gaulle ne sera pas informée ni
du lieu ni de la date de la conférence de Yalta29. Staline,
Churchill et Roosevelt (ce dernier déjà très malade) se réunissent du 2 au 12 février. Au début de la conférence, Staline est
«vigoureusement
hostile» à l'attribution
d'une
zone
d'occupation à la France en Allemagne; il s'oppose à ce
qu'un représentant du gouvernement français siège dans la
commission de contrôle inter alliée. Grâce aux efforts de
Churchill, le résultat final de la conférence
sera
« globalement positif» pour la France; le pays libéré peut
reprendre sa place dans l'arène internationale pour devenir
notamment l'un des membres permanents de l'Organisation
des Nations unies en cours de constitution. Et le 9 mai 1945,
le représentant de la France, le général. de Lattre de Tassigny
appose sa signature à Berlin avec les autres délégués des puissances victorieuses sur l'acte de capitulation de l'Allemagne.
La Seconde Guerre Mondiale est terminée mais le rapport
des forces dans le monde a considérablement changé.
L'Allemagne et l'Italie sont évincées de la scène internationale, la Grande-Bretagne et surtout la France considérablement affaiblies.
25 avril 1945 : quelques jours avant l'effondrement du
Ille Reich, les photographes fixent pour la postérité la poignée de main historique des premiers soldats soviétiques et
américains sur l'Elbe.
Désormais les États-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques socialistes soviétiques, les deux absents des traités
de Versailles de 1919, vont jouer un rôle déterminant dans
29.
Voir à part le livre déjà cité de Laloy (J.), Conte (A.), Yalta ou le
partage du monde, Laffont, 1964, Fontaine (A.), Histoire de la guerre
froide, tome I, Fayard, 1965 et Stettinius (E.), Yalta, Roosevelt et les
Russes, 1951.
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les relations internationales et aussi à l'intérieur de leurs zones d'influence, tacitement reconnues en octobre 1944 à
Moscou et en février 1945 à Yalta.
Ce sera le début de nouvelles péripéties pour l'Europe
centrale et orientale, région du monde où la France brille par
son absence.
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