L`ASSEMBLÉE CONSTITUANTE

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L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE
DANS LE MOUVEMENT NATIONALISTE
ALGÉRIEN
Centre de Recherches et d'Études sur l'Algérie Contemporaine
Le CREAC entend :- Promouvoir la publication d'ouvrages anciens, tombés dans le
domaine public dont la richesse historique semble utile pour l'écriture de l'histoire. Présenter et éditer des textes et documents produits par des chercheurs, universitaires
et syndicalistes français et maghrébins.
Déjà parus:
La Fédération de France de l'USTA (Union Syndicale des Travailleurs Algériens.
Regroupés en 4 volumes par Jacques SIMON, en 2002).
Avec le concours du Fasild-Acsé
- L’immigration algérienne en France de 1962 à nos jours (œuvre collective sous la
direction de Jacques Simon)
- Les couples mixtes chez les enfants de 1 'immigration algérienne. Bruno Lafort.
- La Gauche en France et la colonisation de la Tunisie. (1881-1914). Mahmoud Faroua,.
- L'Etoile Nord-Africaine (1926-l937), Jacques Simon,.
- Le MTLD (Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (1947-1954)
(Algérie), Jacques Simon
- La réglementation de, l’immigration algérienne en France. Sylvestre Tchibindat.
- Un Combat laïque en milieu colonial. Discours et œuvre de la fédération de Tunisie de la
ligue française de l’enseignement (1891-1955). Chokri Ben Fradj
- Novembre 1954, la révolution commence en Algérie. J. Simon
- Les socialistes français et la question marocaine (1903-1912) Abdelkrim Mejri
- Les Algériens dans le Nord pendant la guerre d’indépendance. Jean René Genty.
- Le logement des Algériens en France. Sylvestre Tchibindat.
- Les communautés juives de l’Est algérien de 1865 à 1906. Robert Attal. -Le PPA (Le
Parti du Peuple Algérien) J.Simon
-Crédit et discrédit de la banque d’Algérie (seconde moitié du XIXè siècle) M.L.Gharbi
-Militant à 15 ans au Parti du peuple algérien. H. Baghriche
-Le massacre de Melouza. Algérie juin 1957. Jacques Simon
- Constantine. Le cœur suspendu. Robert Attal
- Paroles des communautés juives de l’Est algérien de 1865 à 1906. Robert Attal.
- Le PPA (Le Parti du Peuple Algérien) J. Simon
- Crédit et discrédit de la banque d Algérie (seconde moitié du XIXe siècle) M. L. Gharbi
-Militant à 15 ans au Parti du peuple algérien. H. Baghriche
- Le massacre de Melouza. Algérie juin 1957. Jacques Simon
- Constantine. Le cœur suspendu. Robert Attal
- Paroles d'immigrants : Les Maghrébins au Québec. Dounia Benchaâlal
- « Libre Algérie ». Textes choisis et présentés par Jacques Simon.
- Algérie. Le passé, l'Algérie française, la révolution (1954-1958). Jacques Simon.
- Messali avant Messali. Jacques Simon.
- Comité de liaison des Trotskystes algériens. Jacques Simon.
- Le MNA. Mouvement national algérien. (1954-1956). Nedjib Sidi Moussa J. Simon
- Algérie. L'abandon sans la défaite (1958-1962). Jacques Simon
- Constantine. Ombres du passé. Robert Attal
- Biographes de Messali Hadj. (C. A. Julien, D. Guérin, M. Kaddache, C. R.Ageron, R.
Gallisot... M. Harbi, B. Stora). Jacques Simon
2010
Algérie. Naufrage de la fonction publique et défi syndical. (Entretiens) L. Graine
2011
L'Algérie au passé lointain. De Carthage à la Régence d'Alger. Jacques Simon
JACQUES SIMON
L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE
DANS LE MOUVEMENT NATIONALISTE
ALGÉRIEN
L’HARMATTAN
CREAC-HISTOIRE
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-56837-2
EAN : 9782296568372
PRÉSENTATION
L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE SOUVERAINE
ET L’ALGÉRIE
Pendant la vague révolutionnaire qui a déferlé du Maghreb au
Moyen-Orient, le mot d’ordre qui a donné puissance et cohésion
aux luttes tumultueuses qui se sont développées est celui de la
fondation d’un État de droit par une Assemblée constituante.
Partout, les masses qui ont occupé l’espace public ont défendu les
mêmes revendications : le rejet des régimes militaro policiers,
l’arbitraire, l’obscurantisme et l’appropriation des richesses par
une couche de prédateurs corrompus, la refondation de l’État et de
la société sur les principes de la démocratie, l’exercice de toutes
les libertés démocratiques et l’organisation d’élections libres à une
Assemblée chargée d’élaborer une constitution validée par un
référendum.
Cette révolution arabe qui s’est manifestée avec des caractères
particuliers dans des pays aussi divers que la Tunisie et le Yémen,
s’inscrit dans le mouvement d’émancipation des peuples, ouvert
avec la Révolution française de 1789. Il s’est affirmé pendant les
révolutions de 1848 et le mouvement des nationalités en Europe,
les bouleversements qui ont suivi les deux guerres mondiales et
celui de la décolonisation qui se prolonge jusque dans les années
soixante. Dans la formation de chaque mouvement nationaliste, la
question de la nature du régime et de l’État à construire occupe
une place centrale. Ce fut le cas de l’Algérie où, dès 1927, l’Étoile
Nord Africaine a revendiqué la formation de la nation algérienne à
l’issue d’un processus constituant. Ce problème d’une constituante
reste toujours d’une actualité brûlante en Algérie, à la veille de la
célébration du cinquantenaire de son indépendance.
PREMIÈRE PARTIE
LA CONSTITUANTE DANS SA DIMENSION
HISTORIQUE
À un certain niveau de développement économique, toutes les
sociétés de l’Antiquité se sont dotées d’institutions pour
réglementer la vie publique. L’histoire des cités grecques, de
Carthage et de la Rome républicaine, celle des empires romain,
byzantin et arabe, le monde du Moyen Âge et de l’Europe
moderne, nous est familière depuis l’école et le lycée. En France,
pendant l’Ancien Régime, la loi fondamentale faisant fonction de
constitution s’est adaptée pendant un millénaire à la situation
politique du royaume. L’évolution, toujours accomplie sans
violence et sans rupture avec le passé, s’explique par le caractère
coutumier de la constitution. Avec l’essor du capitalisme
commercial, la bourgeoisie s’est d’abord alliée à la royauté pour
combattre la féodalité et l’Église. Devenue classe sociale
dominante, elle a détruit l’ordre ancien et imposé ses propres
institutions.
L’exemple classique est celui de l’Angleterre, où Cromwell, à
la tête des Côtes de fer, une troupe animée d’un fanatisme
religieux, défit les armées royales, fit condamner Charles 1er par
une haute Cour et proclama la République (Commonwealth). Il
conquit l’Irlande, écrasa les Écossais et se fit conférer le pouvoir
dictatorial avec le titre de Protecteur. Malgré son talent, Cromwell
fut incapable de fournir à l’Angleterre une constitution et un an
après sa mort en 1659, son fils Richard abandonna le pouvoir. La
monarchie fut rétablie, mais c’est le Parlement dirigé par les
députés de la bourgeoisie qui impulsera la révolution économique
en Angleterre.
Le régime parlementaire anglais a favorisé le triomphe de
l’esprit critique appliqué à la politique et à la religion. Il a nourri la
réflexion des philosophes français comme Montesquieu qui publie
en 1748, L’esprit des lois, le premier grand traité constitutionnel,
Voltaire, auteur des Lettres philosophiques, Diderot et les
Encyclopédistes et Rousseau, l’apôtre de la démocratie et de la
république avec Le contrat social. L’idée en cours d’une
constitution formelle considérée comme la reproduction du contrat
social existait certes dans une doctrine très en vogue au XVIIIe
siècle qui remontait à Grotius, Vattel, Puffendorf et pour certains à
Saint-Thomas-d'Aquin, mais le mérite de Rousseau est d’avoir
établi que le pouvoir constituant – celui d’élaborer, de modifier ou
d’abroger une constitution – appartient exclusivement au peuple et
à ses représentants1. Cette doctrine connaîtra des applications
diverses pendant la décade suivante.
1. LA FRANCE RÉVOLUTIONNAIRE
En 1789, la France est, avec 28 millions d’habitants, l’un des
pays les plus peuplés d’Europe avec une population surtout rurale
et un réseau urbain assez lâche, avec quelques villes en plein essor
démographique et économique : Marseille, Bordeaux Lyon,
Rouen, Nantes, Toulouse et Paris aux 650 000 habitants. La
prospérité est liée au commerce avec les colonies et à la traite des
Noirs, au développement des échanges grâce à l’amélioration du
réseau routier et fluvial et aux débuts de la révolution industrielle,
où l’artisanat reste encore prépondérant2.
De la Régence au règne de Louis XVI, le déficit chronique du
budget de l’État est aggravé par un accroissement constant des
dépenses, une forte inflation et le coût de l’intervention française
pendant la guerre d’indépendance américaine. Tous les projets de
réorganisation de la monarchie (Turgot), de réformes fiscales et
judiciaires proposés par Maupeou, Necker et Calonne échouent,
du fait de la noblesse et du clergé accrochés à leurs privilèges.
8
En 1788, le pays est placé devant une situation où la
combinaison d’une crise agricole, industrielle et financière a
provoqué des émeutes urbaines et des soulèvements ruraux. Pour
régler la crise financière et trouver de nouveaux impôts, le roi s’est
trouvé contraint de convoquer les États Généraux3. Dans la
préparation de cette Assemblée, chaque village, chaque ville et
chaque corporation rédigèrent des Cahiers de doléances. Les
nobles réclamaient surtout une constitution limitative de
l’absolutisme royal, le respect des droits acquis et des libertés
locales. Le clergé se divisa sur la réforme de l’Église. Quant au
Tiers État, il condamnait le système judiciaire et notamment
l’arbitraire des lettres de cachet et demandait l'abrogation des
droits féodaux, l'allègement des impôts royaux et la suppression de
la fiscalité inégalitaire.
La révolution de 1789
Le 5 mai 1789, la cérémonie d’ouverture des États généraux à
Versailles déçoit le Tiers État dont la représentation avait été
doublée. Les réformes n’étaient même pas évoquées et le vote
devait s’effectuer « par ordre » et non « par tête ». Le 17 juin, les
députés du Tiers État refusent de discuter le projet royal et,
rompant avec la tradition, ils se proclament Assemblée nationale,
affirmant ainsi le principe de la souveraineté nationale. Le 20 juin,
après le ralliement d’élus du bas clergé et de nobles libéraux, les
députés du Tiers État jurent (serment du Jeu de paume) de ne pas
se séparer avant d’avoir donné une constitution4 au royaume. Le
roi ayant cédé, l’Assemblée nationale se proclame, le 9 juillet
1789, Assemblée constituante.
N’acceptant pas le fait accompli, le roi concentre 16 régiments
étrangers autour de Versailles. Il renvoie, le 11 juillet, Necker et
forme un ministère de combat (de Bretreuil í de Broglie). Alerté,
le peuple de Paris entre en scène. Il installe un Comité à l’Hôtel de
Ville et forme une milice bourgeoise pour maintenir l’ordre et
s’opposer à un coup de force du roi. Le 14 juillet, le peuple pille
l’Hôtel des Invalides où il s’arme et s’empare de la Bastille,
symbole de la monarchie absolue. L’exemple de Paris est suivi en
province : les municipalités élues s’installent dans les villes et
dans les campagnes, les paysans attaquent les châteaux et brûlent
les titres seigneuriaux.
9
Pour canaliser un mouvement social de grande ampleur – La
Grande Peur qui menaçait de devenir une Grande Jacquerie í ,
l'Assemblée abolit dans la nuit du 4 août tous les privilèges
féodaux5. Sous la double poussée d’une révolution parlementaire
et d’une émeute populaire, la monarchie absolue s’effondre. C’est
dans ce climat insurrectionnel que la Révolution élabore ses
institutions.
L’Assemblée constituante : son œuvre
De 1789 à 1791, la Constituante a inventé une France nouvelle.
Disposant d'un large pouvoir et s'appuyant sur un mouvement
social profond, l’Assemblée abrogea la législation de l’Ancien
Régime et jeta les bases d’une réorganisation de la société et des
institutions en se fondant sur une nouvelle philosophie politique :
« la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Puisant
comme la constitution américaine à un même fonds d’idées (esprit
de liberté, hostilité à l’absolutisme, contrat social, droit naturel), la
Déclaration posait deux grands principes d’organisation politique :
í L’appartenance de la souveraineté nationale, non plus au
monarque ni aux individus formant la société, mais à la nation
considérée comme une personne juridique ;
í La séparation des pouvoirs selon la doctrine de Montesquieu.
La Constitution de 1791 considère le Roi et l’Assemblée
comme deux organes représentatifs de la nation. Louis XVI
devenu « roi des Français » et non « roi de France » exerce le
pouvoir exécutif. Il prête serment de fidélité à la nation et à la loi
et perçoit, tout comme un fonctionnaire, un traitement sous le nom
de « liste civile ».
L’Assemblée dont les pouvoirs vont s’accroître, au détriment
de ceux du roi, procède à la réorganisation de l’État qui concerne
l'administration locale (83 départements divisés en districts et
cantons remplacent les provinces), 1'administration judiciaire
(l’organisation uniforme de tribunaux composés de juges élus
remplace les parlements, tribunaux de bailliage et la vénalité des
offices), le système fiscal (les contributions payables par tous
remplacent les impôts traditionnels) et l'armée (garde nationale).6
L'Église, l'un des trois piliers de l'ordre ancien, n’est pas
épargnée. La nationalisation des biens de l’Église s’accompagne
d’une refonte complète de ses structures par la constitution civile
10
du clergé, à mi-chemin de la séparation de l’Église et de l’État et
de la symbiose antérieure entre les deux pouvoirs. La carte
religieuse sera modelée sur la carte administrative et les membres
du clergé reconvertis en fonctionnaires.7
Transformation profonde des structures économiques,
législatives et administratives de l'Ancien Régime, refonte des
institutions et adoption d'une charte des libertés et de l'égalité
devant l’impôt, proclamation de la souveraineté du peuple qui
participe de façon effective à la vie politique dans les
municipalités et les clubs, essor prodigieux de la presse et large
publicité des débats, laïcité de l'État et changement des mentalités,
telle fut l'œuvre immense de la Constituante8. Elle comportait
toutefois des limites, car parvenue au pouvoir, la bourgeoisie
limita le champ des libertés démocratiques et réserva l'accès à
l'Assemblée aux seuls propriétaires fonciers. Le droit de pétition
sera réglementé et les possibilités d'action des travailleurs (grèves,
coalitions) seront interdites par la loi Le Chapelier.
Fin 1791, la fuite du roi, l’aggravation de la crise sociale puis
la guerre contre l'Autriche et la Prusse vont ruiner l'équilibre
fragile établi entre Louis XVI et l’Assemblée législative qui a
succédé en septembre à la Constituante. Après les premières
défaites militaires et l’avance rapide de l’ennemi, l’Assemblée
décrète la « Patrie en danger ». Le 10 août 1792, dans un sursaut
patriotique, les sans-culottes 9 renforcés par les gardes nationaux
de province prennent les Tuileries. Chassé de ses appartements, le
roi se réfugie auprès de l’Assemblée qui le dépose le soir même,
l’enferme à la prison du Temple et décide l’élection au suffrage
universel d’une Convention nationale.
De la République à l’Empire
Le 25 septembre 1792, l’Assemblée abolit la monarchie et
déclare que « la République française est une et indivisible ». En
1793, la Convention qui concentre tous les pouvoirs se transforme
en une Assemblée constituante souveraine. Elle vote « la
Constitution de l'an I « qui accorde les droits politiques et sociaux
à tous les citoyens ». L’âpreté des luttes politiques entre Girondins
et Montagnards, les dangers intérieurs (révolte de la Vendée) et
extérieurs, ont imposé la suspension de la Constitution de 1793
« jusqu’à la paix » et la formation d’un gouvernement de combat :
11
le Comité de salut public. Prenant appui sur la mobilisation des
paysans et des « bras nus »10, armés et organisés dans des Comités
de quartier et de village, la Convention écrase la révolte et prend
des mesures pour satisfaire les revendications démocratiques et
sociales des couches populaires. Elle refoule du pays les armées
étrangères et jette les fondements de la France moderne. En 1795,
la Constitution de 1793 est définitivement écartée, remplacée par
celle de l’an III du Directoire.
Général jacobin, Bonaparte met fin, après le coup d’État du 18
Brumaire (9 novembre 1799) à la République que la bourgeoisie
thermidorienne voulait établir. La Constitution de l’an VIII ratifiée
par le peuple accorde de larges pouvoirs au Premier consul
Napoléon Bonaparte qui, à peine installé, organise un État d’un
type nouveau, très centralisé. Il conserve en partie l’héritage
révolutionnaire et rétablit la paix religieuse avec la signature en
1801 d’un Concordat consentant à l’Église un statut officiel sans
refaire du catholicisme une religion d’État. Napoléon échoua dans
son entreprise de conquête de l’Europe, mais les principes de la
révolution et le régime administratif qu’il implanta dans les
territoires conquis favoriseront l'éveil des nationalités en Europe,
en Amérique et en Orient.
Conclusion : La Révolution française est un évènement majeur
qui a marqué l’histoire contemporaine. En proclamant la
souveraineté de la nation, elle a inventé la vie politique moderne,
avec la presse d’opinion, les clubs et les partis, les campagnes
électorales et la vie parlementaire. Elle a détruit la société
d’Ancien Régime avec l’abrogation de tous les privilèges et
poursuivi le mouvement des Lumières en accentuant la laïcité de
l’État et en retirant à la société son fondement religieux. Elle a
encore contribué à uniformiser la nation, faisant de la guerre ellemême une cause nationale.
De la Restauration à la IIe République
Après la chute de l’Empire, Louis XVIII rétablit la monarchie
de droit divin. Il octroie une Charte, mais il conserve les acquis de
la bourgeoisie. En 1830, la tentative de Charles X de restaurer
l’Ancien Régime aboutit à une insurrection parisienne (Les trois
glorieuses) et à l’avènement de la monarchie de Louis Philippe.
C’est une période où la bourgeoisie libérale s’enrichit par
12
l’industrie et le commerce. En 1847, une crise économique
entraîne des émeutes et une campagne de banquets politiques de
l’opposition. Le 24 février 1848, après trois journées de combats
acharnés, au cours desquelles la garde nationale rejoint le peuple
de Paris insurgé, Louis Philippe abdique. Un gouvernement
provisoire installé à l’Hôtel de Ville proclame la République et
procède à des élections à une Assemblée constituante. Celle-ci
rédige une Constitution, fortement inspirée de l’expérience
américaine, avec un président de la République élu au suffrage
universel et une Assemblée unique que le président ne peut
dissoudre. La situation change quand les revendications ouvrières
non satisfaites provoquent une insurrection parisienne (journées de
juin 1848).
Élu président de la République en décembre 1848, Louis
Napoléon Bonaparte établit par le coup d’État du 2 décembre
1851, un pouvoir personnel fondé sur le plébiscite puis il rétablit
l’Empire, le 2 décembre 185211.
2. L’ÉVEIL DES NATIONALITÉS EN EUROPE
Dans le prolongement de la Révolution française, l'Europe est
submergée par une série de révolutions où les revendications
économiques, sociales et démocratiques sont étroitement liées à
celle de la souveraineté du peuple. Dans les Balkans, les peuples
chrétiens se révoltent et parmi eux, la Grèce obtient
l’indépendance. En Italie, le grand-duc de Toscane accorde une
Constitution à ses États. Il est suivi le 14 mars par le pape Pie IX.
À Venise, au Piémont, à Francfort, à Mannheim et en Allemagne
du Sud, à Vienne et à Naples, les insurgés combattent pour
abroger la monarchie, établir toutes les libertés démocratiques et
élire au suffrage universel une Assemblée constituante. La plupart
des révolutions européennes de 1848 seront écrasées, mais les
forces sociales et politiques mises en mouvement alimenteront le
mouvement des nationalités en Europe pendant le second XIXe
siècle.
Les unités italienne et allemande
En 1859, Napoléon III allié au roi de Piémont Victor
Emmanuel chasse les Autrichiens de la Péninsule et permet
13
l’annexion au Piémont de la Lombardie, de la Toscane, Parme,
Modène et du nord des États du Pape. De son côté, Garibaldi à la
tête des Mille s’empare de la Sicile, de la Calabre et de Naples
dont les populations déclarent par plébiscite leur rattachement au
Piémont. Les États du Pape ayant adopté, le 18 février 1861, la
même position, le Parlement piémontais élargi aux représentants
des nouvelles provinces, proclame l’unité du pays. Victor
Emmanuel II devient « roi d’Italie par la grâce de Dieu et par la
volonté de la Nation » combinant les principes monarchiques et
ceux de la souveraineté populaire.
L’Allemagne en tant qu’État est une création récente. Tout
commence avec la disparition du Saint Empire romain germanique
en 1806, et avec elle la constitution médiévale des pays allemands.
Ce bouleversement est le fait de la Révolution française et de la
création par Napoléon de la Confédération du Rhin, agrégat de 39
États souverains détachés de l’Empire et égaux en droit. Les
institutions françaises ne s’appliquèrent pas uniformément à tous
les États, mais la zone annexée à la France en 1810-1811 connut
une application immédiate et complète du régime administratif
français :
« L’égalité civile, la liberté religieuse, l’abolition de la dîme et des
droits féodaux, la vente des biens ecclésiastiques, la suppression
des corporations, la multiplication des fonctionnaires, une
administration « sage et libérale », une constitution comportant le
vote de l’impôt et des lois par les notables, devaient tisser un
réseau d’intérêts étroitement liés au maintien de la domination
française ; le gouvernement des esprits, organisé comme dans
l’empire français, ferait le reste. L’essentiel de cette politique
sociale s’incarnait dans le Code civil et c’est pourquoi l’empereur
s’est acharné à l’imposer partout.12. »
L’Empire napoléonien disparu, le Congrès de Vienne (15 mai
1820) créa la Confédération du Rhin, association de 26 villes
libres et d’États souverains. Pendant la révolution de 1848, le
premier grand mouvement unitaire de la nation allemande avec la
création du Parlement de Francfort13, fut brisé par l’Autriche.
Tirant les conséquences de l’échec de la solution « parlementaire »
de l’unité allemande, la Prusse élimina l’Autriche de la
Confédération germanique (Sadowa, 1866) et regroupa autour
d’elle les États du Sud. Quatre ans plus tard, le chancelier
Bismarck proclama l’Empire allemand, après le traité de Francfort
14
(10 mai 1871) qui enlevait à la France vaincue à Sedan, l’Alsace et
la Lorraine.
Au final, la nouvelle Allemagne ou Reichland était « un
Empire territorialement délimité, politiquement uni, sans être
unifié et sans cesser de garder le caractère d’État fédéral
(Bundesstaat)14 ».
Les marxistes et la question nationale
La question nationale a été longuement étudiée par les
marxistes15. La position de Marx et de Engels repose sur une thèse
principale : le primat de la classe sur toute autre catégorie
historique. La nation n’est qu’une catégorie transitoire qui
correspond à la phase historique où le capitalisme a atteint un
certain niveau de développement. La nation fournit à la
bourgeoisie, lorsqu’elle a conquis le pouvoir, le cadre territorial où
elle se constitue en classe dominante, détruit de fond en comble
les institutions et la société de l’Ancien Régime et réalise
l’accumulation du capital avec l’exploitation forcenée du
prolétariat. Pendant cette phase, la bourgeoisie est considérée
comme une classe révolutionnaire16, car elle crée, en unifiant les
travailleurs dans la grande industrie, les conditions matérielles et
sociales de sa propre négation. Cette position va évoluer sur la
question polonaise :
« Le partage de la Pologne est le ciment qui lie entre eux les trois
grands despotismes militaires : la Russie, la Prusse et l’Autriche.
Seul le rétablissement de la Pologne peut briser ce lien et liquider
ainsi le plus grand obstacle à l’émancipation des peuples
européens17. »
La position sera plus élaborée sur l’Irlande où l’émancipation
sociale de la classe ouvrière passe par un préalable :
l’indépendance nationale. Lutte de classe et lutte nationale se
conjuguent, mais sans se confondre, dans le cas des peuples
opprimés. Cette thèse, reprise et développée par Rosa
Luxembourg18 sera approfondie par Léon Trotsky19. Elle trouvera
une application pendant la révolution russe d’octobre 1917 avec la
décision prise par le Congrès des Soviets de dissoudre
l’Assemblée constituante ainsi que dans les manifestes, thèses et
résolutions des premiers congrès de la Troisième internationale20.
Cette théorie « trotskyste » de la révolution permanente sera
combattue par Staline au Ve congrès de l’IC21.
15
La théorie stalinienne décréta que dans les pays coloniaux, la
révolution comprend deux phases : l’une où la bourgeoisie et le
prolétariat luttent ensemble pour établir une Constituante et une
phase seconde : celle de la révolution socialiste. Cette politique
aboutira en Chine, en Allemagne puis en Espagne et en France
avec les Fronts populaires, à une défaite de la classe ouvrière. En
Algérie, elle amena le Parti communiste algérien à soutenir le
projet Violette du gouvernement Blum puis le GPRF du général de
Gaulle, responsable des massacres de Sétif et Guelma en mai
1945, avant de se dissoudre dans le FLN pendant la guerre
d’Algérie.
3. MUSTAPHA KEMAL INVENTE LA TURQUIE
L’histoire de l’Empire ottoman, dont la Régence d’Alger fut
une province, peut servir d’introduction à l’histoire du
nationalisme algérien. L’apogée de cet empire se place pendant le
règne de Soliman le « Magnifique »22. Après lui, son fils Selim
s’attache à réorganiser un empire immense, mais après la
destruction presque totale de la flotte ottomane à Lépante (1571),
le reflux commence. Les Turcs sont expulsés d’une large partie de
l’Europe après le traité de Karlowitz (1699) et sont menacés en
Égypte par Bonaparte (1798).
Durant tout le XIXe siècle, « la question d'Orient » a servi de
camouflage à la volonté des puissances européennes de dépecer
l'empire ottoman, miné par l’archaïsme de son « mode de
production asiatique »23, l’instabilité du régime politique, la
rigidité de l’administration centrale et provinciale et l’éveil des
nationalités opprimées. Sous couvert de la protection des « lieux
saints » et des minorités religieuses, la France s'assure la
protection des catholiques du Levant (Syrie, Liban) et de
Palestine, la Russie, celle des Grecs orthodoxes et la GrandeBretagne, celle des protestants puis des Juifs (Affaire de Damas en
1840)24. Cependant, depuis l’expédition de Bonaparte en Égypte et
des soulèvements de 1848, l'influence de la Révolution française
et le mouvement des idées libérales ont largement pénétré en
Orient.
De 1839 à 1878, Mahmud II et son fils adoptent une série de
réformes dites du Tanzimat (réorganisation) dans plusieurs
16
domaines, l’Administration, l’Intérieur, la Justice, les Affaires
étrangères, l’Économie, l’Enseignement, les Finances, l’Armée et
les Travaux publics25. En 1877, le sultan Abdülhamid jette les
bases d’une monarchie constitutionnelle, qui s’effondre après la
signature du traité de Berlin (1878) qui modifie la géographie
politique des Balkans.
C’est dans ce contexte que le mouvement des Jeunes Turcs
s’est efforcé d’enrayer le processus de décomposition de l'État et
de l'Empire. Arrivé au pouvoir en 1908, il rétablit le régime
parlementaire expérimenté en 1877, adopte un large programme
de réformes économiques et sociales et associe au pouvoir toutes
les composantes de la bourgeoisie ottomane (turque, grecque,
arménienne et juive). Ces réformes importantes ne réglaient pas
cependant le problème essentiel, à savoir : le contrôle des circuits
économiques et financiers de l'Empire par un cartel de banques
européennes, la Banque Ottomane.26
Au début du XXe siècle, l'empire agonise. Les Anglais,
installés en Égypte, contrôlent le canal de Suez, la mer Rouge et le
Golfe (Koweit). En 1912, les Turcs qui ont cédé à l’Italie la
Tripolitaine, leur dernière province en Afrique, doivent affronter
une coalition des États balkaniques (Monténégro, Serbie, Bulgarie
et Grèce), soutenus par la Russie. Battus, ils sont chassés d'Europe
et de la mer Égée. Seules demeurent rattachées à l'Anatolie, les
provinces de la péninsule arabe et du Proche-Orient.
C’est dans ces conditions qu’Istanbul signe en 1914, un traité
d’alliance secret avec Berlin et entre en guerre aux côtés de
l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne, annulant l’accord signé à la
Conférence de Berlin entre les puissances européennes de ne pas
démembrer l'Empire ottoman. « La question d'Orient » sera
désormais réglée par les armes. Dans les Dardanelles et dans le
Moyen-Orient (Arabie, Palestine, Irak, Syrie), les Turcs subissent
une série de défaites qui imposent au Sultan de signer le 30
octobre 1918, la désastreuse Convention de Moudros27. En 1920,
le Traité de Sèvres légalise le dépeçage de l'Empire ottoman.
L’Anatolie est découpée en trois districts sous contrôle de la Grèce,
de la France et de l'Italie. À l'Est, deux nouveaux États naissent :
« le territoire autonome des Kurdes » et la « république
indépendante de l'Arménie ». Quant au Moyen-Orient arabe, il
passe sous le contrôle des Français et des Anglais.28
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Refusant ce diktat, un homme exceptionnel va redresser la
situation. Intelligent, énergique et brillant capitaine d’état-major,
Mustapha Kemal a combattu en Tripolitaine et gagné ses galons
de général pendant les guerres balkaniques. En décembre 1918, il
crée une « Association pour la défense des droits des provinces
orientales » qui adopte au Congrès d’Erzurum une lettre se
réclamant des « principes wilsoniens » et le nomme à la tête d’un
Directoire.
En septembre 1919, le Congrès de Sivas charge Mustapha
Kemal de libérer la nation turque, puis il lance un appel à tous les
Turcs pour qu'ils participent à l’élection d'une grande Assemblée
nationale de Turquie (GANT) convoquée à Ankara, le 23 avril
1920. Bénéficiant d’un soutien financier, diplomatique et militaire
de la Russie soviétique, Kemal intervient pour que l’Assemblée
devienne, à l’image de la Révolution française, une Assemblée
constituante. Sous son impulsion, la GANT adopte une
Constitution basée sur le principe de la souveraineté nationale
avec une nouvelle structure politique baptisée « Gouvernement de
la Grande Assemblée nationale de Turquie », désignation ambiguë
qui laisse en suspens le problème de la forme future de l’État turc.
Chef de ce gouvernement, Kemal marche sur Istanbul et remporte
sur les Grecs une victoire éclatante à Sakarya. Nommé par la
GANT commandant en chef des armées avec les pleins pouvoirs,
Mustapha Kemal devient comme le premier consul Bonaparte
l’arbitre de la situation.
De 1920 à 1937, Atatürk a mené une série de réformes très
importantes pour rattacher la Turquie au modernisme européen.
Parmi elles : l’abolition du sultanat en 1922 ; la proclamation de
la république en 1923 ; l’abolition du califat en 1924 ; la réforme
de l’enseignement la même année, avec la laïcisation et le
rattachement de toutes les écoles religieuses au ministère de
l’Éducation nationale ; la loi dite de « Chapeau » : Sapka kanunu
qui en 1925, imposa la casquette française à la place du fez
ottoman ; la réforme de l’orthographe en 1928 avec le
remplacement de l’alphabet arabe par celui en latin ; la laïcité de
l’État en 1928 ; les réformes juridiques avec l’abandon de la charia
remplacée par le Code civil suisse, le Code pénal italien, le code
administratif français, le code commercial allemand, le calendrier
grégorien et le système international des poids et mesures.
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Les femmes furent les premières bénéficiaires de ces mesures
avec l’abolition de la polygamie, le droit de succession, le
témoignage devant les tribunaux, l’éducation, l’exercice d’un
métier, les droits civiques à commencer par le droit de vote. Dans
les bals républicains, les hauts fonctionnaires étaient tenus de
danser avec leurs épouses pour servir d’exemple au petit peuple29.
La rupture avec le passé s’est effectuée de façon rapide et
brutale, mais progressivement les réformes sociales et les libertés
seront limitées (contrôle des syndicats et des partis ouvriers) et les
droits des minorités (Kurdes, Arméniens) contestés. Par ailleurs, le
rôle moteur joué par Kemal et l'armée dans la formation de la
Turquie moderne pèsera longtemps sur la vie sociale, culturelle et
politique du pays.
À la différence de Napoléon qui a conservé les conquêtes de la
révolution bourgeoise et de Bismarck qui réalisa l'unité allemande
en s'appuyant sur une bourgeoisie industrielle puissante, Mustapha
Kemal ne s’est pas appuyé sur le peuple et sur la bourgeoisie, mais
sur l'armée pour construire l'État et la nation turque, ce qui marque
la fragilité et les limites de la révolution kémaliste. Malgré tout,
l'œuvre du Ghazi Atatürk reste remarquable, car la rupture
profonde effectuée avec le passé islamique de la Turquie nourrira
le mouvement de la réforme dans les pays arabes du Proche-Orient.
Elle a confirmé par ailleurs que partout, en Occident comme en
Orient, la question nationale est toujours réglée par la formation
d’une Assemblée constituante adoptant des institutions
démocratiques et un changement profond des structures
économiques, sociales, politiques, de la condition féminine et des
mentalités.
Longtemps Mustapha Kemal sera un modèle pour le koulougli
Messali Hadj à Bordeaux pendant la guerre puis à Tlemcen
jusqu’en 1924. C’est le soutien apporté par la Russie soviétique à
Kemal qui a fait de Messali un admirateur de Lénine, ce qui l’a
conduit à adhérer en 1926 au PCF et à la CGTU puis à devenir
comme Sultan Galiev, un communiste musulman. Mais c’est dans
l’étude de l’histoire des révolutions française et russe, dans les
brochures de Lénine et les résolutions des Congrès de la IIIe
Internationale qu'il s'inspire pour élaborer le programme de l'Étoile
nord-africaine sur la question nationale.
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