HISTOIRE GÉNÉRALE DU CONGO DES ORIGINES À NOS JOURS Couverture : logo du Cinquantenaire de l’Indépendance du Congo. Sous la direction du Professeur Théophile OBENGA HISTOIRE GÉNÉRALE DU CONGO DES ORIGINES À NOS JOURS I. Méthodologie historique Genèse du Congo Préface par Denis SASSOU N’GUESSO Président de la République du Congo L’HARMATTAN © L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-12927-6 EAN : 9782296129276 PREFACE Inaltérable conviction, dans l’intelligence pratique de l’action politique pour bâtir une nation, édifier une patrie, construire un Etat dans le monde moderne, notre constante réflexion, par goût personnel (à cause de la prime éducation au village) et par expérience des affaires publiques (à cause des nécessités circonstancielles et des responsabilités), est que l’histoire ne saurait se résoudre en une succession de péripéties fortuites, mais qu’elle est, assurément, l’expression même de la relation dialectique entre le présent et l’avenir, le passé restauré et assumé, les faits connus. C’est cela la liberté qui garantit et préserve les valeurs de paix sociale, d’espérance collective, les vertus de démocratie et de travail qui procurent la prospérité et le bonheur. Affaire de mémoire et de conscience, l’histoire est également une affaire d’historicité, c’est-à-dire de valeurs fondamentales qui sous-tendent toute action humaine remarquable. Dès lors, il nous plaît de féliciter l’équipe mise en place, pour ses compétences, en vue de la rédaction de ce premier ouvrage de synthèse sur l’Histoire générale du Congo des origines à nos jours. Ce travail patriotique de science et de culture, de connaissance et de pédagogie, trouvera nécessairement, et toujours, grand accueil auprès de tous les Congolais et de tous les amis du Congo de par le monde. C’est un des fermes souhaits à la Nation que nous formulons à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance de la République du Congo. Denis Sassou Nguesso Président de la République du Congo 5 INTRODUCTION GENERALE par Théophile OBENGA En prescrivant, par décret, la rédaction d’un ouvrage synthétique sur l’histoire générale du Congo, des origines à nos jours, et ce, à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance de la République du Congo, Monsieur le Président de la République, Son Excellence Denis Sassou Nguesso, a accompli une geste dont la substance historique suscite forcément une réflexion : cette Introduction. Certes, au Congo, nous connaissions, fût-ce dans la miclarté, les faits saillants de notre histoire, notamment la courte et riche tranche de l’ère coloniale (moins d’un siècle) et postcoloniale (juste un demi-siècle, à ce jour) : textes fondateurs, discours mémorables, personnalités considérables, présidents et gouvernements, heurs et malheurs, faiblesses et sursauts, crises et espoirs. Mais, tout bien pesé, nous n’avions pas encore un ouvrage de synthèse sur l’histoire du Congo. Ainsi donc, le décret présidentiel marque la naissance officielle de l’historiographie congolaise, c’est-à-dire que l’intention du Gouvernement de la République d’écrire une histoire générale du Congo date du régime de Denis Sassou Nguesso. Le Gouvernement de la République a par conséquent mis des moyens pour atteindre cet objectif inédit. Voilà le premier mérite de la décision présidentielle. Le second mérite n’est pas moins capital. Il s’agit de l’élaboration des faits de mémoire et d’histoire qui ont façonné et toujours structurent la conscience historique congolaise. Il n’y a pas d’Etat de droit viable sans conscience historique du peuple, c‘est-à-dire sans communauté de destin, car l’Etat, qui implique nation, est plus qu’un simple appareillage de structures et de 7 formalités convenues. L’Etat, de surcroît de droit, n’est jamais qu’un projet humain de communauté de destin dont les fondements, d’évidence, s’enracinent dans la conscience historique d’un peuple. Les valeurs émergent et fleurissent grâce à la conscience historique. La conscience historique est une affaire d’ontologie, c’est-à-dire qu’elle concerne l’essence même de l’être. Un troisième mérite, tout autant crucial, est celui d’historicité du décret présidentiel. En effet, à la réflexion, si l’historiographie restaure la conscience historique, celle-ci, pour se manifester, engendre une capacité d’agir en connaissance de cause, et c’est cela que les historiens et les philosophes appellent historicité, c’est-à-dire qu’entre le réel et le possible, la raison humaine se dresse pour d’autres accomplissements. L’histoire ne s’arrête guère, telle est aussi la condition humaine. La capacité de faire, de créer, d’innover, sa propre mémoire explorée et restaurée, telle est l’historicité. Si je regroupe les mots-clés historiographie, conscience historique et historicité, il est manifeste que le Président Denis Sassou Nguesso, lui-même méticuleux connaisseur de l’Afrique et du Congo (et même de l’Inde !), a voulu, par vertu constitutionnelle, libérer les consciences et les mentalités, réconcilier les Congolais et les Congolaises, toutes ethnies confondues, avec leur propre passé, récent et lointain : "assumer" dans l’honneur et le courage pour avancer, car seul l’essentiel a du poids et de l’avenir. Pour réaliser et cette vision et cette problématique du Chef de l’Etat, avec compétence et autorité, il a été procédé au regroupement de ceux qui, parmi les fils et les filles du Congo, cultivent depuis fort longtemps les règles, principes, méthodes et techniques du travail scientifique qui ne vaut que par sa rigueur, 8 son objectivité, sa qualité réflexive, son impact culturel et pédagogique. Cet ouvrage, le premier du genre, en respectant la liberté intellectuelle de chacun(e) des auteurs de chapitres, est néanmoins le fruit des efforts multiformes concertés : les oublis, peu nombreux à vrai dire, ne peuvent être qu’involontaires ; les imperfections heuristiques, à signaler par des lecteurs avisés, seront corrigées lors des futures éditions ou par les générations à venir, car une œuvre d’une telle importance et d’une telle envergure ne peut ne pas comporter des "manquements" : il s’agit d’une histoire générale de tout un pays, et non point d’une monographie tribale détaillée, jusqu’aux anecdotes. L’historien s’intéresse à l’essentiel, et non au détail anecdotique qui, souvent, préoccupe le "lecteur-sans-vision" au-delà de son histoire locale. Il est question en fait d’un travail collectif aux styles variés, malgré un souci réel d’harmonisation et de présentation équilibrée. Les cartes et les illustrations apportent des éclairages historiques uniques : il faut les consulter dans cette perspective. Cet ouvrage de science historique, d’apport culturel et de bénéfice pédagogique, est un bien national, parce qu’il concerne le patrimoine de toute la communauté nationale, en traitant de la méthodologie historique, des préludes historiques avec les mondes sub-actuels, des réalités et complexités congolaises d’aujourd’hui. Un chemin d’avenir, large, s’ouvre pour un Congo prospère qui a muté du non-être à l’être, par et dans le travail, la méthode, l’amour du pays et, surtout, le désir ardent de laisser aux générations futures un sens aigu d’exigence et d’excellence. Ainsi, les grandes coupures chronologiques de l’histoire générale du Congo peuvent être esquissées, dans des temporalités successives, cependant liées les unes aux autres, surtout dans les Temps modernes : 9 I. Procédés et finalités heuristiques de l’histoire II. Cadre physique général. Fondements humains et culturels III. Mondes préhistoriques, néolithiques et sub-actuels, il ya plus de 2 000 ans IV. Histoire ancienne : 9ème - 16ème siècle V. Histoire moderne : 16ème - 19ème siècle VI. Histoire contemporaine : 20ème - 21ème siècle. Des historiens, géographes, anthropologues, linguistes, sociologues, politologues, juristes, économistes, littéraires, journalistes, médecins, etc., ont tous contribué, à divers degrés, à cet ouvrage de solide information scientifique, de clarté pédagogique et de grande ambition culturelle. Enseignants, cadres, intellectuels, écoliers, élèves, étudiants, touristes, bref tous ceux et toutes celles qui s’intéressent au Congo, par amour ou pour les affaires, toujours par amitié et sympathie, trouveront dans cet ouvrage de synthèse tout ce qu’il faut pour se faire une idée correcte de l’histoire du peuple congolais. C’est au peuple que revient, en définitive, le mérite exceptionnel de la conception, l’élaboration et la finalisation de cet ouvrage qui fut au départ un concept du Président de la République. 10 PARTIE I HISTOIRE ET MÉTHODE HISTOIRE ET MÉTHODE par Théophile OBENGA Cette Partie I, essentiellement consacrée aux questions et problématiques fondamentales de la recherche historique, traite des points suivants : I. Besoin vital humain de connaître le passé II. Modalités et signification du travail historique III. Histoire universelle, toile de fond de toute histoire humaine IV. L’histoire : le mot et la chose V. L’histoire : les conceptualisations VI. Sources de l’histoire du Congo et critique historique - Les paléoclimats - La préhistoire - Berceaux agricoles primaires. Plantes cultivées et histoire - Traditions orales historisantes. Langues-Histoire - Sources écrites - Machines électroniques et recherche historique. "Histoire et méthode" ou "Méthodologie historique" ou encore "Méthode historique", c’est toujours pour signifier la même idée, c’est-à-dire l’exposé didactique des principes et procédés d’investigation et de connaissance qui confèrent à l’histoire, soit l’étude du passé humain, son statut de discipline scientifique. L’histoire obéit en effet à une épistémologie précise. De telles considérations de méthode, d’ordre général, sont une demande de logique historique pour éviter bien des malentendus, souvent de routine intellectuelle. Les légendes (latin legenda, "ce qui doit être lu", sens de base) ont aussi un rapport avec la quête de la connaissance du 13 passé humain. C’est le cas par exemple de la Légende de M’Pfoumou Ma Mazono (1954) de Jean Malonga, récit merveilleux, s’il en fut (la traversée d’une large rivière à dos d’hippopotames, etc.), embelli par l’imaginaire poétique du narrateur. Mais le merveilleux n’exige ni temps ni lieu précis pour localiser les faits, les péripéties, les événements. Temporalités chronologiques et spatialités historiques sont très ténues dans le récit légendaire. Le travail historique, au contraire, se préoccupe obstinément des genèses, des antécédents, des préludes, pour mieux aborder les longues durées, les mouvements de fond distincts de ceux de surface, bref les causations historiques. C’est cette spécificité de l’histoire et du travail historique qu’il faut maintenant tenter de délimiter (ou de définir) en ayant une vue sur l’essentiel. I - Besoin vital humain de connaître le passé L’être humain a un souci qui le caractérise fondamentalement, et de façon permanente : percer l’opacité du passé pour tenter de connaître ce qui fut et qui est désormais irremplaçable. La notion d’irremplaçabilité constitue le fondement de toute mémoire historique, d’où le besoin vital humain de connaissance historique. C’est-à-dire que l’être humain, toujours, désire connaître d’où il vient (le passé), où il en est (le présent) et où il va (le futur, l’avenir). La condition humaine s’exerce dans l’entre-trois : le passé, le présent et le futur ; il n’y a pas de présent s’il n’y a pas de passé et s’il n’y a pas de futur. Le présent est tout à la fois dépassement et tension : dépassement des temps révolus et tension vers des temps non encore dévoilés. Le connu motive la connaissance de l’inconnu ; l’histoire contient tout à la fois le connu et l’inconnu, et l’historien, dans 14 son travail, essaie d’amoindrir notre ignorance de l’un et de l’autre. II-Modalités et signification du travail historique Pour satisfaire le grand besoin culturel, intellectuel et spirituel de connaissance du passé de l’être humain, l’historien conduit son travail en trois étapes spécifiques, cependant imbriquées les unes dans les autres : - l’heuristique est l’étape initiale consacrée à la recherche patiente des sources, des documents, susceptibles de fournir des informations historiques ; ces sources et documents doivent être de nature primaire, c’est-à-dire de nature directe, originelle ; - la critique historique est l’étape d’analyse scrupuleuse et objective des sources, en les examinant à la lumière de la critique qui, en histoire, a tout un corpus de règles et de principes précis, pour l’établissement de la vérité historique qui revêt souvent la modalité du vraisemblable ; - la causation historique est l’étape décisive de l’explication historique qui demande à l’historien une grande ouverture d’esprit ; en réfléchissant sur les faits historiques dûment établis dans le temps et dans l’espace, l’historien, homme ou femme de métier, met nécessairement en mouvement des modèles paradigmatiques, des systèmes historiques explicatifs qui relèvent de l’art et de la science d’écrire l’histoire : l’historiographie, l’écriture historique qui peut engendrer des "mythes nationaux", des "gonflements historiques inutiles", des "oublis volontaires" à cause des "faits gênants", des "exagérations partisanes", des "triomphalismes de propagande", des "jugements hâtifs", des "préjugés ataviques", des "reflexes racistes et dominateurs", etc. 15 L’histoire est donc une affaire fort "complexe" comme les sociétés humaines elles-mêmes. C’est à l’historien d’exercer, au cœur du labeur, un esprit d’éveil, une intelligence critique, une culture d’ouverture et non d’enfermement et de repli de soi sur soi. Quoi qu’il en soit de ces "complexités" et de ces "glissements psychologiques", la finalité ultime de l’histoire est, pour l’homme, la connaissance de soi ("human self-knowledge", comme disent les Anglo-Saxons). Une certaine clarté de cohérence intellectuelle est par conséquent requise. L’histoire, c’est la quête de soi dans le présent. Quête du sens qui confère à l’être sa propre présence à lui-même et au monde : présence de soi à soi et présence de soi au monde qui renvoie à l’Origine. Il y a nécessairement une dimension ontologique de l’histoire à cause de cet enracinement dans l’essentiel, l’éphémère rendu à son évanescence, c’est-à-dire à sa propre disparition progressive. L’historien ne retient pas tous les faits, tous les événements du passé, car le temps, une norme universelle, est lui-même un puissant discriminant des faits humains. Les circonstances, les motivations et les mentalités changent, ce qui était hier honni peut devenir aujourd’hui objet de culte et de vénération. L’histoire établit et rétablit des faits. Les lectures des générations successives peuvent varier au gré de nouvelles contextualités historiques. III - Histoire universelle, toile de fond de toute histoire humaine L’histoire générale du Congo est, de soi, localisée au Congo, avec ses sources particulières d’information historique. Et les habitants, hommes et femmes d’hier et d’aujourd’hui, en sont les acteurs. 16 Cependant, cette histoire particulière du Congo est, en soi, l’histoire du monde comme toutes les autres histoires particulières, locales, régionales. Dit autrement, avec plus de netteté, le de soi n’existe que parce qu’il y a le en soi : l’histoire universelle est la toile de fond de toute histoire particulière, car l’histoire universelle embrasse toute l’humanité et ne laisse aucune histoire particulière en marge du monde. Longtemps, l’historiographie occidentale a écarté, par pur arbitraire idéologique, l’Afrique noire de l’histoire universelle, c’est-à-dire de la vie et des civilisations de l’humanité. Cette exclusion de l’Afrique noire de l’histoire universelle a causé de grands dommages à l’historiographie africaine : le relever est un signe salutaire car cela impose nécessairement de sérieuses révisions épistémologiques de la part d’une certaine historiographie qui s’octroyait des privilèges indus. L’expérience humaine est faite de tous les apports humains, magnifiques ou non : le problème n’est pas la magnificence des expériences, mais la nature humaine de ces expériences qui fait que ce sont des expériences humaines, toute dignité humaine étant par ailleurs également partagée comme le bon sens, la raison. On ferait par conséquent la même grave méprise historiographique en considérant les peuples Aka, Mbènzèlè, Mikaya, Ngombè, Twa, Mbuti, Binga, etc. très faussement dits "Pygmées" (d’un mot grec signifiant "poing", court comme le "poing" d’une main fermée ; latin pugnus) ou "Peuples autochtones", comme étant en marge de l’histoire du Congo et de l’humanité, en leur concédant généreusement quelques faveurs 17 juridiques de dignité citoyenne1. IV-L’histoire : le mot et la chose Le mot français histoire vient directement du latin historia, lui-même du grec ; il signifie aujourd’hui : « Relation des faits, des événements passés, concernant la vie de l’humanité, d’une société ou d’une personne sur la base de sources documentaires. » Conventionnellement, la relation des faits du passé humain avant l’apparition de l’écriture relève de la préhistoire qui, elle, est basée sur la fouille des sites et habitats selon les méthodes et techniques de l’Archéologie préhistorique. L’histoire proprement dite commencerait donc avec la naissance de l’écriture, vers 5000 av. notre ère. De nos jours, la méthodologie historique a beaucoup élargi la notion de « source historique ». Les documents écrits et les documents oraux sont tous des sources historiques dignes du même intérêt scientifique. Ce point sera quelque peu développé par la suite. Le mot histoire lui-même exige une explication technique, car son étymologie est souvent ignorée. Le mot grec historia, "histoire", provient de la racine indoeuropéenne *wid-, qui signifie : « voir ». A cette racine, il a été suffixé un thème d’agent –t r, ce qui a donné naissance au mot hist r, qui signifie : « témoin qui a vu de ses propres yeux un évènement et qui rapporte ce qu’il a vu ». Les textes les plus anciens de la littérature grecque autorisent cette claire 1 John Buettener-Janusch, Physical Anthropology: A Perspective, New York, John Wiley & Sons, 1973, p. 362: “African Pygmies are short Africans”. Traduction: «Les Pygmées africains (i.e. les Aka, de leur vrai nom) sont des Africains de petite taille ». Leur petite taille, fait naturel, ne signifie pas qu’ils sont des Africains de seconde zone. 18 compréhension. Chez Homère le mot hist r réunit les deux fonctions de "témoin oculaire" et d’ "arbitre". L’arbitre proclame le vainqueur d’une compétition, après avoir constaté de ses propres yeux la victoire du gagnant. Le mot hist r se trouve une seule fois chez Hésiode (Les Travaux et les Jours, 792) au sens de "juge" (histora), doué d’un esprit fort subtil (nóon pepukasménos estín). Dans le serment d’Hippocrate, les dieux omniprésents sont pris comme témoins oculaires (historias), en assistant à l’acte de prendre religieusement l’engagement de bien remplir les devoirs de la profession médicale. En dialecte grec dorien, le mot pour "témoin" est ma;tus, en grec attique martus, et en ionien, il est hist r. De hist r dérive le verbe histore qui signifie chez Hérodote : « s’informer », « demander », « décrire ». Chez le même Hérodote, le substantif historia a le sens de « recherche », « information », « exploration par autopsie », c’est-à-dire par directe vision, par témoignage oculaire, par action de voir de ses propres yeux (auto-psie). Hérodote, le père de l’histoire en Occident, a rassemblé un immense matériel au cours de ses nombreux voyages d’enquête directe, personnelle. Ces mots hist r, historia, histore ne se retrouvent pas chez Thucydide, historien qui cherchait plutôt à analyser le fonds psychologique et les causes profondes des événements historiques. Longtemps, le sens des mots n’a pas évolué, et historia fut toujours liée à la signification de « connaissance gagnée par la vue, par exploration à l’aide des yeux ». Connaissance et science étant interposables en grec (epistem'), la connaissance empirique à l’aide des yeux est devenue la science, gagnée à l’aide de la raison (logos), et l’historia, "histoire", est désormais entendue comme "science historique" dont la raison, la méthode, est la critique historique. 19 De l’empirique au rationnel, l’histoire s’est enrichie de divers contenus sémantiques, mais le sens de base demeure : l’historien témoigne toujours du passé, directement en tant que chroniqueur qui note au jour le jour les faits, les événements, ou en tant que spécialiste du métier d’historien. En Afrique noire, le sens de base de la connaissance du passé humain est souvent lié au concept de "déterrer, creuser", et non de "voir de ses propres yeux" comme en Occident : - kiswahili : Afrika Zamani, le passé, l’histoire de l’Afrique : c’est le titre de la Revue d’histoire de l’Association des Historiens Africains. - lingala : ko-kundola, sortir, déterrer, exhumer, découvrir, tirer de l’oubli - lingala : likundoli, le fait de tirer de l’oubli, donc histoire, soit la connaissance du passé (concept de l’école historique de la République Démocratique du Congo) - mbochi : i-tsímà, creuser, déterrer - mbochi : tsímì, l’histoire, c’est-à-dire ce qui a été exhumé de l’oubli (itàndà, otàndì) Comme de nos jours l’historien est rarement lui-même hist r, témoin oculaire qui a vu de ses propres yeux, le sens africain de l’histoire, "exhumation du passé pour le préserver de l’oubli", est encore le sens le plus convenable à la pratique de l’histoire dans les Temps modernes où la science historique est largement conceptualisée. V - L’histoire : les conceptualisations Dans les Temps modernes, en effet, les historiens, à défaut de la vision directe, de l’autopsie immédiate, élaborent des systèmes et paradigmes explicatifs pour comprendre les 20