ALEAS CLIMATIQUES ET ADAPTATIONS DES SYSTEMES AGROPASTORAUX DANS LES ALPES DU NORD QUELLES PERCEPTIONS PAR LES BERGERS ET LES ELEVEURS DEPUIS 2000 ? Les experts du GIEC* (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) mesurent depuis une vingtaine d’années les nombreux impacts de l’évolution du climat tels que : recul des glaciers, variations du manteau neigeux, allongement des saisons de végétation, déplacement géographique de certaines espèces… Ces modifications aux conséquences multiples augurent des nombreux défis à relever, tout particulièrement dans l’arc alpin où les effets du changement climatique semblent accentués**. A l’origine de ce travail : les récents épisodes de sécheresse et de canicule (notamment en 2003), l’incertitude concernant les conséquences des évolutions climatiques annoncées et des interrogations soulevées en conséquence par des techniciens pastoraux quant à une gestion plus adaptée des alpages et parcours d’intersaison (modification du taux de chargement, de l’utilisation des surfaces...). Les éleveurs et bergers ont toujours « fait avec » les aléas. Mais comment anticiper et gérer un système agropastoral*** dans un contexte où les aléas deviennent de plus en plus fréquents et difficilement prévisibles ? Dans un contexte d’aléas climatiques croissants, les variations de disponibilité des ressources fourragères et hydriques posent en effet la question de la durabilité des systèmes agropastoraux. SYSTEME AGROPASTORAL ? Le terme « système agropastoral » précise le concept de « système d’élevage », qu’Etienne Landais a défini en 1987 comme l’ensemble {hommestroupeaux-ressources}, en soulignant la dimension « alpages et parcours » dans son fonctionnement. « ALEAS CLIMATIQUES » OU « CHANGEMENT CLIMATIQUE » ? Le changement climatique est un phénomène « à grande échelle », tant géographique que temporelle, ce qui rend difficile l’appropriation par tous de ses enjeux. Le terme « aléas climatiques » a été choisi parce qu’il correspond mieux à l’échelle des pratiques et des exploitations pastorales. C’est pourquoi l’Association Départementale d’Economie Montagnarde de la Drôme (ADEM), la Fédération des Alpages de l’Isère (FAI), les Sociétés d’Economie Alpestre des Savoie (SEA 73 et SEA 74) et la chambre d’agriculture de la Drôme ont souhaité identifier les effets des aléas climatiques sur les systèmes agropastoraux des Alpes du Nord et les possibilités d’adaptation. La question des conséquences des aléas climatiques sur les activités pastorales se pose « entre techniciens », mais comment est-elle perçue par les bergers et les éleveurs, premiers acteurs du pastoralisme ? Sous la coordination du Suaci Alpes du Nord, le travail a donc porté en 2008 sur la question : « Selon les bergers et éleveurs des Alpes du Nord : quelles sont les conséquences des aléas climatiques sur les pratiques et les systèmes agropastoraux ? » Hypothèse principale Hypothèses secondaires Information recherchée en 2008 Les aléas climatiques ont des conséquences sur les systèmes agropastoraux Les aléas entraînent des modifications au niveau des systèmes agropastoraux et/ou pratiques Quels sont ces changements ? Les éleveurs et bergers mobilisent des leviers d'action dans leurs systèmes agropastoraux pour faire face aux conséquences des aléas Quels sont-ils ? * GIEC, 2007. Bilan 2007 des changements climatiques : Impacts, adaptation et vulnérabilité. Contribution du groupe de travail II au quatrième rapport d’évaluation du GIEC. Cambridge University Press. **Projet ClimChAlp, 2006-2008. Etat des connaissances sur les impacts avérés et potentiels des changements climatiques sur les aléas naturels dans l’Arc Alpin, base ClimChAlp [en ligne] sur www.risknat.org/projets/climchalp_wp5/. ***L’approche fait référence à la définition du système d’élevage d’Etienne Landais, 1987. Recherches sur les systèmes d’élevage, questions et perspectives. Versailles, INRA. 1 ALEAS CLIMATIQUES ET ADAPTATIONS DES SYSTEMES AGROPASTORAUX DANS LES ALPES DU NORD QUELLES PERCEPTIONS PAR LES BERGERS ET LES ELEVEURS DEPUIS 2000 ? COMMENT ONT ETE CHOISIES LES 18 UNITES PASTORALES VISITEES ? 1. METHODE La méthode repose sur des enquêtes menées auprès des bergers et des éleveurs utilisateurs de surfaces pastorales de la Drôme, de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie. A titre expérimental, la chambre d’agriculture de la Drôme a complété ce travail par une enquête en exploitation, afin d’appréhender la question à l’échelle du système agropastoral dans son ensemble. A L’ECHELLE DE L’ESTIVE / ALPAGE Nombres d’enquêtes réalisées Modalités de l’enquête Manière d’aborder la question des aléas climatiques 1. Utilisation de la typologie des espaces pastoraux alpins réalisée par le Cemagref* A L’ECHELLE DE L’EXPLOITATION 18 (Drôme : 6, Isère : 6, Savoie : 4, Haute-Savoie : 2) 10 (Drôme) Entretiens semi-directifs auprès d’un éleveur et d’un berger sur la base d’un calendrier d’utilisation de l’alpage Pas de focalisation sur les aléas climatiques mais sur l’ensemble des changements survenus sur l’alpage et dans son utilisation depuis 2000 environ Entretiens semidirectifs sur la base de calendriers de fonctionnement de l’exploitation Focalisation sur les changements et adaptations des exploitations aux récents épisodes de sécheresse et de canicule 2. Une sélection « à dire d’experts » par les services pastoraux 2. RESULTATS 2.1. A L’ECHELLE DE L’ALPAGE, REGARD SUR 18 UNITES PASTORALES DES ALPES DU NORD Des perceptions variables selon les alpages : Situation rencontrée Des évolutions récentes liées au facteur « aléas climatiques » Nombre d’unités pastorales concernées (Sur 18) Types d’évolutions constatées 4 Drôme 1 Isère 1 Savoie (6/18) 1 Perte de productivité laitière Insuffisance en fourrage et/ou en eau Types d’adaptations Gain et/ou mobilisation de nouvelles surfaces (forêts domaniales, acquisitions…) Réorganisation collective Des observations ponctuelles +/mentionnées quand on aborde la question des aléas climatiques 4 Isère 2 Savoie 1 Haute-Savoie (7/18) Décalage des saisons Remontée de l’aulne vert Apparition de chardons, d’euphorbes Problèmes sanitaires … Des évolutions récentes non conditionnées par le facteur « aléas climatiques » 2 Drôme 1 Isère 1 Savoie 1Haute-Savoie (5/18) Arrivée de prédateurs Gain d’expérience des bergers Réorganisation des exploitations Mise en place de dispositifs de protection face à la prédation Réorganisation du travail Technicité du berger Le tableau ci-dessus distingue les estives et alpages selon le changement le plus important sur lequel s’est focalisé l’entretien (1ère et 3ème colonnes). Pour les alpages ayant connu peu d’évolutions récentes marquantes (colonne centrale), on a retenu les éléments pouvant avoir un lien avec les aléas climatiques. 1 Nombre d’élevages concernés sur le nombre total d’enquêtes effectuées * C. Ernoult, E. Perret, S. Labonne, L. Dobremez, F. Veron, P. Nouvel, C. Valence, 2003. Adaptation des systèmes d’exploitation à des enjeux environnementaux : les ovins utilisateurs d’espaces pastoraux dans le massif alpin. Cemagref. 2 ALEAS CLIMATIQUES ET ADAPTATIONS DES SYSTEMES AGROPASTORAUX DANS LES ALPES DU NORD QUELLES PERCEPTIONS PAR LES BERGERS ET LES ELEVEURS DEPUIS 2000 ? On distingue trois cas de figure qui, chacun, donnent une importance différente aux effets des aléas climatiques : 1. Des évolutions que l’on peut véritablement interpréter comme une adaptation du système agropastoral aux aléas climatiques 2. Des observations ponctuelles faisant référence à une évolution de la ressource pastorale ou de l’alpage, mais qui n’ont pas fait l’objet d’adaptations 3. Des situations où le facteur « aléas climatiques » n’est pas lié aux évolutions des systèmes agropastoraux. Un premier résultat surprenant Dans 15 entretiens sur 18, les éleveurs et bergers n’ont pas évoqué spontanément les aléas climatiques comme de fortes contraintes : les années 2007 et 2008, plutôt humides, ont pu atténuer les inquiétudes nées lors des épisodes de sécheresse. Les effets des aléas climatiques sont faiblement ressentis par les bergers et éleveurs : un possible contraste entre le « temps court » des pratiques pastorales et le « temps long » des évolutions climatiques. Des effets globalement peu ressentis mais des phénomènes quantifiables qui interpellent … Sur certains alpages tel que celui du Sénépi* (plus gros alpage bovin de l’Isère ; ± 900 bovins) les conditions de températures de 2003 couplées à une réduction du potentiel fourrager ont eu de lourdes répercussions sur les animaux inalpés : une chute de 50% de la prise de poids des animaux durant l’estive malgré la diminution du taux de chargement à l’initiative collective des éleveurs. GAIN CORPOREL MOYEN ET TOTAL SUR L’ALPAGE DU SENEPI (38) PERIODE 1994-2006 JOURS DE PRESENCE ET CHARGEMENT SUR L’ALPAGE DE SENEPI PERIODE 1994-2006 (JOURNEE BOVINS/HECTARE) 2.2. A L’ECHELLE DES EXPLOITATIONS TRANSHUMANTES, EGALEMENT UTILISATRICES DE SURFACES PASTORALES, LE RESSENTI DE 10 EXPLOITANTS DROMOIS Les exploitations enquêtées : • • • Orientées vers la production de viande (ovins : 8, bovin : 1, bovin et équin : 1), pour moitié spécialisées. Aux surfaces fourragères constituées en majorité de prairies temporaires à base de luzerne-dactyle. Aux surfaces pastorales individuelles d’une grande diversité (vieux champs, landes, bois) et en quantité très variable de 15 ha à 300 ha. Impacts majeurs de l’aléa sécheresse et canicule sur les exploitations pastorales : Impact sur les surfaces Détérioration des parcours et prairies naturelles (8/10) Difficulté de semis pour les prairies (4/10) Des foins récoltés plus tôt, de qualité meilleure en faible quantité (10/10) Impact sur le troupeau Problèmes sanitaires (3/10) Baisse de fertilité, moins d’agneaux (2/10) Difficultés dans la conduite d’un agnelage d’été (1/10) Des impacts immédiatement ressentis sur la conduite des surfaces fourragères. Les conséquences sur le troupeau sont plus ponctuelles. * Président du groupement de l’alpage du Sénépi in R. Tellene, 2007. Perception locale d’un risque global et d’expert : Le changement climatique sur les territoires pastoraux d’altitudes aux caractères remarquables et protégés. Mémoire de Master 1, Fédération des Alpages de l’Isère et Institut de Géographie alpine, 64 p. 3 ALEAS CLIMATIQUES ET ADAPTATIONS DES SYSTEMES AGROPASTORAUX DANS LES ALPES DU NORD QUELLES PERCEPTIONS PAR LES BERGERS ET LES ELEVEURS DEPUIS 2000 ? Adaptations mises en place, qu’elles soient conjoncturelles ou plus pérennes : Niveau d’intervention Actions sur le pâturage Actions sur le distribué Actions sur le troupeau Adaptations conjoncturelles Agrandissement des surfaces pastorales (7/10) Pâturage des prairies de fauche au printemps (5/10) Achat de grossier, de concentrés (8/10) Diminution des ventes de foin, de céréales (4/10) Modification de la conduite alimentaire (1/10) Une adaptation conjoncturelle essentiellement basée sur la disponibilité en surfaces pastorales et sur l’achat d’aliments. Adaptations structurelles Spécialisation des surfaces pastorales (3/10) Meilleure gestion du pâturage de repousses de prairies en automne (3/10) Plus de stocks pour une meilleure sécurité, assolement, enrubannage (7/10) Diminution de l’effectif du troupeau (2/10) Modification des périodes d’agnelage (1/10) Une adaptation structurelle qui met en évidence la notion de sécurité alimentaire face à un aléa sécheresse susceptible de se répéter plusieurs années consécutives. 3. CONCLUSION ET PERSPECTIVES Ces enquêtes, réalisées en 2008, ont permis de comprendre que les aléas climatiques ont été en général faiblement ressentis par les bergers et éleveurs rencontrés, qui les ont toujours intégrés comme faisant partie du métier. Les aléas apparaissent plus comme des révélateurs de vulnérabilité de certains alpages et/ou de certaines exploitations pastorales que comme un véritable changement. Dans certains cas, les aléas ont révélé des « points critiques » dans le fonctionnement de systèmes agropastoraux, parfois sans marges de manœuvre immédiatement mobilisables. Quant aux adaptations des pratiques, elles sont majoritairement conjoncturelles (à court terme) plutôt que structurelles (à long terme). Ce travail auprès des éleveurs et bergers des Alpes du Nord a bien permis d’appréhender la complexité de la prise en compte locale des effets des aléas climatiques, et d’identifier la diversité des adaptations spontanées développées par les acteurs pastoraux. Au regard de ces premiers résultats, le groupe de travail souhaite à partir de 2009 : • Rendre visibles les évolutions par l’acquisition de données chiffrées sur les conséquences du changement climatique et la mise en place d’une veille sur les adaptations à l’échelle des systèmes agropastoraux ; • Développer une approche plus globale de la durabilité des espaces pastoraux pour raisonner leur place au sein des territoires (fonctions de production, écologiques, environnementales…) en tenant compte des évolutions majeures de contexte tels que les aléas climatiques ; • Analyser les expériences locales pour valoriser et diffuser le travail quotidien d’adaptation et d’innovation des éleveurs et des bergers. Pour en savoir plus : ADEM 26: [email protected] FAI 38: [email protected] SEA 73: [email protected] SEA 74: [email protected] Suaci Alpes du Nord : [email protected] 4