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PETITE
ISTOII DO VALUS
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PAR
H I L A I R E GAY
GENEVE
LlBRAÏBÏE A . Jl'LLIEN, EDITEUR
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PETITE HISTOIRE DU VALAIS
Bibl. cant.
US Kantonsbibl.
10100B5985
TA 565
PETITE
HISTOIRE DU VALAIS
PAR
H ILAIRE GAY
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GENÈVE
LIBRAIRIE A.
JÜLLIEN, E D I T E U R
1910
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SlON — I M P B D J E R I E KLEINDIENST & SCHMID
A LA JEUNESSE VALAISANNE
LES TEMPS ANCIENS
CHAPITRE 1er
LES ORIGINES
Les âges préhistoriques. — Avant d'ouvrir le livre
des annales valaisannes, jetons un coup d'œil sur
ces âges lointains qui ont précédé les temps historiques et en forment les origines. Nous voyons
alors que notre pays n'a pas toujours présenté le
même "aspect. Ce n'est qu'après de longues périodes
de siècles, au cours desquelles il subit de profondes
transformations, que se dessina sa configuration
actuelle. La terre ferme, lentement formée sous les
eaux d'une mer immense qui couvrait nos régions,
avait émergé çà et là. Mais ce ne fut que vers la
fin de l'ère tertiaire que les Alpes, graduellement
soulevées avec les temps, et dont la formation a
déterminé en grande partie le relief européen, atteignirent leur altitude extrême. L'homme apparaît sur
la terre et termine l'œuvre de la création. Il assiste
aux derniers événements qui devaient encore, pendant l'ère quaternaire, la dernière des grandes époques géologiques, modifier l'aspect de nos contrées.
Dans une première période, un régime humide
donne naissance à de larges cours d'eaux et à d'é-
—
8
—
normes amas de glaces. Le glacier du Rhône, réuni
à ceux de l'Arc et de l'Isère, a un développement
de plusieurs centaines de kilomètres et se prolonge
jusqu'à Lyon. La Suisse presque entière est sous
les glaces. Elles ont laissé, comme témoins de leur
présence, ces blocs erratiques qu'elles ont transportés sur tous les versants alpins.
A cette période diluvienne succéda la période
glaciaire, qui est celle, non de l'extension, mais
de la limitation des glaciers, et que signale l'avènement d'un climat plus froid et plus sec. La faune
et la flore se transforment également avec la température. De gigantesques mammifères, les variétés de l'éléphant quaternaire, le rhinocéros, l'ours
et le félin des cavernes, qui vivaient sous nos latitudes, se sont éteints. Le palmier et le laurier, qui
croissaient jusqu'au centre de l'Europe, ont aussi
disparu.
Cependant les conditions climatériques s'améliorèrent. Les glaces entassées sur les Alpes reculèrent
peu à peu. Les flancs des hauts monts, qui profilaient dans l'espace une double ligne de cimes argentées, et à leur pied une plaine nouvelle, insensiblement prolongée par les alluvions du Rhône, se
couvrirent de verdure, d'arbres et de plantes. Le
fleuve enserrait dans un lit plus étroit ses flots tumultueux, et allait les mêler aux ondes du Léman
dont l'azur- resplendissait à l'horizon. A la vue de
ce spectacle, l'homme préhistorisque sortit de sa
rocheuse demeure, et, possesseur de ressources
— 9 —
nouvelles, fit un pas de plus dans la voie de la
civilisation.
La cité lacustre. — L'habitant des cavernes, qui
avait connu le mammouth et le renne et savait travailler le silex, a fait place à l'homme lacustre.
Celui-ci habite, près des rives du Léman, une cabane qui repose sur des troncs d'arbres profondément enfoncés dans le lac, et qu'une passerelle
mobile ou un canot met en communication avec le
rivage. Là, lui et les siens n'ont plus à redouter les
attaques des hommes et des fauves. Plus de deux
cents villages, qu'on nomme des cités lacustres, s'élevèrent ainsi sur les lacs de la Suisse. Leurs habitants cultivaient la terre, récoltaient le blé et en
moulaient le grain, domestiquaient des animaux,
tels que le cheval, le bœuf, la chèvre, le mouton,
le chien, fabriquaient de la poterie et tissaient même
de grossières étoffes de chanvre. La pêche et la
chasse pourvoyaient à leurs besoins ; dans la vallée,
l'élan, le cerf, le sanglier s'offraient à leurs traits.
Leurs haches en pierre polie, leurs couteaux et leurs
javelots en silex, les divers objets dont ils se servaient, sont conservés dans nos musées.
Dès que l'homme eut appris à connaître les métaux, et qu'il eut à sa disposition des armes et des
instruments de travail de bronze, puis de fer, commença pour lui une ère nouvelle. Mieux armé pour
le combat de la vie, il finit par abandonner la cité lacustre pour reprendre définitivement possession
du sol.
— 10 —
CHAPITRE II
LE VALAIS INDÉPENDANT
Les Celtes. — Le Valais, qui offrait aux tribus
nomades de riches pâturages, de giboyeuses forêts
et de sûres retraites, fut à son tour envahi par les
Celtes. Ce peuple était parti, à une époque inconnue, des plaines de l'Asie centrale et s'était répandu dans toute l'Europe occidentale, particulièrement dans la Gaule (France) et le nord de l'Italie,
où leurs descendants sont connus sous le nom de
Gaulois. Quel fut à leur approche le sort des anciennes populations ? On l'iguore. Mais on sait que
les institutions et la langue des conquérants ne tardèrent pas à prévaloir. En effet les peuplades qui
occupaient le Valais portaient des noms celtiques.
Les principales étaient les Nantuates qui s'étendaient
des rives du Léman jusqu'à Saint-Maurice; les Véragres ou Varagres, autour de Martigny jusqu'à
la Morge ; les Séduniens, depuis la Morge jusqu'aux
environs de Brigue; les Vibères ou libères, depuis
Brigue jusqu'aux sources du Rhône.
Mœurs et coutumes. — Ces nouveaux habitants
s'attachèrent bientôt avec un amour jaloux à ces
vallons verdoyants et à ces épaisses forêts où ils
avaient fixé leurs demeures. Au sein de cette nature, à la fois sévère, calme et riante, ils menaient
une vie libre et sauvage. Souvent en guerre avec
leurs voisins et avec les hordes barbares, qui tra-
Province des Alpes Graies et Pennines.
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— 11 —
versaient leur vallée pour aller se jeter sur la riche
Italie, ils déployaient dans la lutte un courage indomptable, et, au retour des expéditions guerrières,
clouaient aux portes de leurs huttes la tète des
ennemis tués. Ils vivaient du produit de leurs troupeaux et de la chasse. Le sol, en grande partie inculte, commençait à être défriché. Les Celtes, vêtus
d'abord de peaux d'animaux, adoptèrent dans la suite
la saie gauloise. La lance, l'épée de fer, le lourd
javelot, le grand bouclier en bois, recouvert de plaques de fer, étaient leurs armes. Adonnés au paganisme, ils adoraient les forces de la nature et des
esprits imaginaires, et leur offraient à l'ombre des
forêts de sanglants sacrifices.
Premières bourgades. — Peu à peu ils groupèrent leurs habitations sur quelques point de la vallée et y fondèrent des centres populeux, qui donnèrent naissance à Sedunum (Sion), bourg des Séduniens, Octodure (Martigny), bourg des Véragres,
et Tarnade (Saint-Maurice), bourg des Nantuates.
Pour protéger leur territoire, ils fortifièrent les
lieux et les passages les plus importants. Renfermées dans leurs hautes montagnes, les peuplades
du Valais vivaient indépendantes les unes des autres, mais savaient dans le danger commun se prêter un mutuel appui. A l'époque où les Romains
pénétrèrent dans leur pays, elles possédaient déjà
une certaine culture intellectuelle.
Invasion des Romains. — Un petit peuple, dont
la cité s'élevait sur les rives du Tibre, à quelques
—
12 —•
lieues de la mer, allait devenir par sa hardiesse,
son activité et son habile politique le maître du
monde. Mais la plus grande partie de la Gaule manquait encore à sa conquête. L'ambition d'un de ses
fils, Jules César, lui donna ces fertiles contrées,
avec l'Helvétie et les Alpes valaisannes. Ce général,
qui venait de vaincre les Helvètes, voulait posséder
le libre passage des Alpes, et n'attendait qu'une
occasion favorable pour s'en rendre maître. L'important col du Grand Saint-Bernard, appelé alors
mont Pennin i, qui était la voie habituelle du commerce, était connu et fréquenté depuis longtemps.
Mais les montagnards rançonnaient les voyageurs
et soumettaient les marchandises à des droits de
péage et de transport exorbitants. Ces faits appelèrent l'intervention de César, qui se préoccupait d'ouvrir de nouvelles et plus rapides communications
avec l'Italie par le col du Pennin et le Simplon.
Servius Galba reçut l'ordre d'occuper le Valais avec
la douzième légion et un corps de cavalerie. Après
plusieurs combats et la prise de quelques forts, il
reçut de tout le pays des députés et des otages.
La paix conclue, il laissa deux cohortes chez les
Nantuates, et, avec le reste de la légion, alla passer
l'hiver à Octodure.
Bataille d'Octodure (57 av. J.-C). — Galba s'établit, dans un camp retranché, sur l'une des rives
de la Branse, qui traversait Octodure, et laissa l'autre aux indigènes. Ces derniers, irrités de la pré1
Pennin, en celtique, signifie le sommet
— 13 —
sence de ces envahisseurs qui les chassaient de
leurs foyers et menaçaient leur indépendance, résolurent de les anéantir. Un matin, aux premiers
rayons du jour, les Véragres et les Séduniens fondent à coups de pierres et de javelots sur le camp
ennemi. Après six heures de lutte, ils allaient s'en
emparer, lorsque soudain par toutes les issues du
camp, les légionnaires, l'épée à la main, se précipitèrent sur eux. Malgré leur intrépidité, les Valaisans,
surpris par cette brusque attaque, durent reculer.
Cette sortie désespérée sauva Galba qni se hâta de
rallier les débris de ses troupes et d'abandonner la
place, après avoir incendié Octodure. 11 ne se crut
en sûreté que sur le territoire des Allobroges.
L'œuvre entreprise par César fut achevée par
l'empereur Auguste. Il soumit les peuples des Alpes
et assura à l'Italie ses communications avec l'Helvétie, la Gaule et les régions du Rhin. Nos ancêtres
avaient perdu leur antique liberté et se trouvaient
asservis à l'empire romain.
CHAPITRE III
LES ROMAINS
Gouvernement des empereurs. — Il importait à
Rome que le peuple belliqueux qui gardait les passages des Alpes ne lui demeurât pas hostile. Aussi
son administration sut-elle éteindre les regrets d'une
— 14 —
liberté perdue, et même lui concilier les sympathies
de ces montagnards. Le gouvernement paternel d'Auguste et les libéralités de Claude contribuèrent particulièrement à ce résultat. Ce dernier, qui régna
de 41 à 54 ap. J.-C, accorda aux populations du
Valais des privilèges exceptionnels et releva Octodure qui lui dut sa prospérité.
Le pays, désigné sous le nom de Vallée Pennine i,
forma d'abord, avec les peuples alpestres, une zone
indépendante entre l'Italie et la Gaule. Il faisait partie
de la province des Alpes Graies et Pennines, qui fut
réunie plus tard au diocèse de Trêves ou des Gaules,
avec Moutiers en Tarentaise comme métropole. Un
gouverneur, nommé par le prince, pour un temps
indéterminé, avec un traitement fixe, et exerçant
tous les pouvoirs, militaires, administratifs, judiciaires, était à la tête de ia province. Ses actes étaient
contrôlés par l'empereur, et cette surveillance prévenait ou du moins rendait moins fréquents les
abus de pouvoir. Le Valais fournissait à l'armée romaine un corps d'alpins et 500 cavaliers. Il exigeait
lui-même la présence de nombreuses troupes, destinées à protéger et à contenir en même temps la
vallée nouvellement conquise. Les points importants furent fortifiés par l'art romain et occupés
par des garnisons. On vit entre autres se dresser
la tour de Valère, commandant la plaine de Sion,
ainsi appelée du nom de Valeria, mère du consul
1
Les Romains appelaient notre pays Vallis Pennina ou Vtenina, ou simplement Vallis, la vallée, d'où le nom de Valais.
— 15 —
romain Titus Campanus, dont le tombeau était au
pied de la colline.
Prospérité du Valais. — Avec la domination romaine le pays entra dans une voie prospère. Le
défrichement des terres, l'élève du bétail, les produits des pâturages des Alpes, la culture de la vigne, l'exploitation des diverses espèces de marbres,
l'industrie, le commerce créèrent des richesses nouvelles. Tarnade, Octodure, Sion et Brigue se développèrent et s'embellirent ; chacune de ces villes
avait ses prérogatives et son administration particulière. La ville la plus importante était Octodure, où
s'était multiplié l'élément latin. Située à la jonction
de deux grandes routes, siège d'un tribunal, possédant le privilège d'ouvrir des foires et des marchés,
elle renfermait dans son enceinte de remarquables
monuments et offrait, dans son animation, une image
de la vie romaine. Les voies de communication
avaient été améliorées et augmentées. Une large et
belle chaussée, sans cesse sillonnée par les légionnaires et les marchands, passait par le Grand SaintBernard et Octodure et reliait l'Helvétie à l'Italie.
Le passage du Simplon fut également rendu accessible au commerce. Mais Borne faisait souvent peser de lourds impôts sur la prospérité qu'elle avait
réveillée au sein de ses provinces, et les exactions
de certains procurateurs sont demeurées légendaires.
Mœurs et religion nouvelles. — Au contact des
Bomains, les Valaisans abandonnèrent insensiblement
— 16 —
leurs mœurs primitives. Ils s'assimilèrent les lois,
les coutumes et la langue des conquérants. La civilisation romaine pénétra dans leurs vallées et adoucit la rudesse des mœurs. Délaissant les divinités
gauloises et leurs rites barbares, ils dressèrent des
autels à celles de Rome, à Jupiter, à Mercure, à la
la déesse du Salut, à la déesse de la Santé. Chaque
foyer eut ses dieux pénates, et chaque localité son
génie tutélaire. Mais cette évolution fut lente à s'accomplir. Pendant longtemps le peuple révéra, sous
des noms latins, ses anciennes idoles.
Résultats de la domination romaine. — Sous la
longue suite des empereurs, le Valais put apprécier les heureuses conséquences de la paix. En
soumettant tous les peuples, les Romains avaient
supprimé les guerres intérieures et assuré ainsi la
prospérité de l'empire. Cependant la civilisation
romaine dissimulait, sous son brillant manteau, les
chaînes de la servitude, et apporta aussi avec ses
bienfaits son luxe et ses vices. Les Romains, oubliant la simplicité et les vertus de leurs pères, finirent par tomber dans la mollesse et la dépravation, et quand les peuples de la Germanie envahirent
leurs provinces, ils ne purent leur résister. La perte
des mœurs antiques causa la ruine de l'empire.
La Légion thébaine. Le christianisme. — Le christianisme, qui de l'Orient grec s'était propagé dans
la Gaule, commençait à répandre ses lumières sur
l'humanité. Ses martyrs en inaugurent en Valais l'avènement. Une légion romaine, forte de 6600 hom-
«'
— 17 —
mes, composée de chrétiens de la Thébaïde ou
Haute-Egypte, campait près de Tarnade, sous les
ordres de Maurice. Ayant reçu l'ordre de sacrifier
aux dieux, elle s'y refusa et préféra se laisser massacrer que de renoncer à sa foi. Les Thébains, soldats valeureux, auraient facilement pu défendre leur
vie, mais ils aimèrent mieux mourir que tuer. Ils
arrosèrent de leur sang la plaine de Vérolliez. Cet
événement eut lieu en 302, sous le règne de Dioctétien. L'Abbaye de Saint-Maurice, qui fut fondée
quelques années plus tard, en a consacré la mémoire.
Le sang des martyrs est une semence féconde,
et le sacrifice de la Légion thébaine porta ses fruits.
Dès le IVe siècle le christianisme pénétrait dans notre
pays. Sous la protection de Constantin, il devint la
religion dominante dans l'empire. Bientôt des communautés chrétiennes fleurirent à Tarnade, à Octodure, à Sion, où, en 377, un pieux gouverneur,
Ponce Asclépiodote, restaurait les églises. Le premier
évèque fut saint Théodore Ier ou Thêodule. Il résidait à Oclodure et mourut vers 391. Dès lors le
Valais forma un évêché relevant du métropolitain
de Tarentaise, et dont Octodure fut le siège jusqu'à
la fin du VIe siècle.
2
LE MOYEN AGE
CHAPITRE IV
LES GERMAINS
La grande invasion (406). — Vers la fin de 406,
les Francs, les Alémanes et les Burgondes, peuples
germaniques établis sur les bords du Rhin et alliés de
Rome, voyaient leur territoire envahi par des hordes
de Vandales, à!Alains, de Suêves. Ils s'efforcèrent vainement d'arrêter le torrent, ils furent eux-mêmes
entraînés par lui. Tous ils franchissent le Rhin et
se jettent sur la Gaule qu'ils ravagent pendant plusieurs années. C'est la grande invasion. « Des peuples innombrables et féroces, dit saint Jérôme, ont
occupé toute la Gaule. Tout ce qui est compris entre les Alpes et les Pyrénées, entre l'Océan et le
Rhin, est dévasté. Mayence a été prise et détruite,
des milliers d'hommes ont été égorgés dans l'église. » Quelques généraux, Stilicon, Aétius, opposèrent aux fiarbares une résistance habile et vaillante,
mais ils ne firent que prolonger l'agonie de l'empire
d'Occident. Les envahisseurs s'établirent dans les
provinces romaines et y fondèrent de nouveaux
Etats.
Le Valais tomba au pouvoir des Alémanes et des
Burgondes. L'ancien territoire des Vibères, comme
— 19 —
celui de l'Helvétie orientale, fut occupé par les premiers et le reste de la vallée par les seconds.
Les Alémanes. — Les Alémanes se partagèrent
les terres et les troupeaux, et, selon le droit antique, condamnèrent les vaincus à l'esclavage. Ils divisèrent le pays en districts, construisirent des fermes et conservèrent leurs coutumes et leurs usages,
qui tenaient lieu de lois écrites. Braves, énergiques,
constamment sous les armes, ils avaient à leur tête
un chef militaire, nommé par l'assemblée des nobles et des hommes libres. Ces derniers ne payaient
aucun impôt, mais tous faisaient à leurs frais les
expéditions guerrières. Leurs établissements agricoles, où tous les travaux étaient exécutés par des
colons et des esclaves, la chasse, la guerre, suffisaient à leurs besoins. Gardiens jaloux de leurs
institutions, ils ont laissé, au pied des Alpes, l'empreinte de leur caractère: l'usage de la vieille langue allemande, la simplicité des mœurs, le respect
des traditions et du lien familial, l'amour de l'indépendance, distinguent encore aujourd'hui les habitants du Haut-Valais.
Les Burgondes. — Ce peuple, qui était chrétien,
avait, dès 413, fondé un Etat dans le bassin de la
Saône et du Rhône, enveloppant à l'est la Suisse
française, le Valais et la Savoie, qu'Aétius leur céda
vers 443. Les historiens anciens nous représentent
les Burgondes comme des géants, épris de liberté,
et en temps de paix d'humeur douce et débonnaire.
Ils étaient commandés par des chefs ou rois nom-
— 20 —
mes Hendins. L'issue fatale d'une bataille ou la stérilité d'une année obligeaient ces derniers à déposer le pouvoir, Ils partagèrent équitablement avec
les habitants les domaines et les esclaves, se livrèrent à l'agriculture, aux arts et métiers, au commerce,
et cherchèrent à relever une prospérité que des
hordes sauvages avaient détruite. Admirant la civilisation romaine, même dans sa décadence, ils en
adoptèrent les restes corrompus, et confondirent leurs
mœurs et leur langue avec celles des Gallo-Romains.
Les rois burgondes. — Ce fut sous Gondebaud
que la puissance burgonde atteignit à son faîte.7Ce
prince fut l'organisateur de la monarchie.' Il publia, ;
au commencement du VIe siècle, un recueil législatif,
appelé Loi Gombette,(qui règle les rapports de ses
sujets entre eux, et dont on remarque les dispositions modérées.' La population est, comme ailleurs,
divisée en classes. La royauté, à l'origine élective,
est devenue héréditaire. \ Celui qui en est revêtu
reçoit de l'empereur le titre de maître de la milice
ou de patrice.1 Les anciennes circonscriptions romaines sont administrées par des comtes, burgondes
ou gallo-romains, que le roi nomme et révoque à
son gré, et qui concentrent entre leurs mains tous
les pouvoirs. Les tribunaux admettent, selon les
coutumes germaniques, le combat judiciaire et les
épreuves par l'eau, par le fer. Tout crime ou délit
se rachète à prix d'argent. Mais les Gallo-Romains
sont jugés d'après la loi romaine, et conservent leurs
institutions municipales
— 21 —
Gondebaud laissa deux fils. L'aîné, Sigismond, fut I
le restaurateur de l'abbaye de Saint-Maurice. Il reconstruisit, sur de grandes et magnifiques bases,
l'église et les bâtiments du monastère, qu'il enrichit, en 515, de nombreux domaines, situés dans la
Haute-Bourgogne, le pays de Vaud, la vallée d'Aoste
et le Valais. Cette royale abbaye prit dès lors une
importance remarquable. Cinq cents religieux, divisés en cinq chœurs, y chantaient jour et nuit et
sans interruption les louanges de Dieu.
Conquête du royaume des Burgondes par les
Francs (53). — Les Francs convoitaient depuis
longtemps le royaume burgonde, qu'ils avaient déjà
rendu tributaire. Ils livrent bataille au dernier fils
de Gondebaud, le successeur de Sigismond, le battent et s'emparent de ses Etats (534). Cette conquête ne détruisit cependant pas la nationalité du
peuple vaincu. Les Burgondes conservèrent leurs
lois, leurs mœurs et une certaine indépendance.
Trop grossiers pour savoir donner une organisation
aux peuples qu'ils avaient soumis, les Francs les
laissaient vivre selon leurs coutumes, et se contentaient de leur imposer leur suprématie. Le Valais
fut placé sous le gouvernement d'un patrice.
Désastres et invasions. — Dans la seconde moitié
du VIe siècle, d'affreux désastres désolèrent la contrée. Le mont Tauredunum, qui s'élevait à quelque
distance de Saint-Maurice, au-dessus des défilés du
Rhône, s'écroula en 563, ensevelissant sous ses décombres maisons, églises, richesses, habitants. Sa
— 22 —
chute arrêta le cours du fleuve, qui inonda la région. Les effets de cette catastrophe se firent sentir
jusqu'à Genève, dont les flots du lac emportèrent
les ponts et les moulins.
Quelques années après, les Lombards, qui venus
du Nord étaient depuis peu maîtres de l'Italie, ravagèrent à plusieurs reprises les campagnes valaisannes. En 574, ils s'installent dans l'abbaye de
Saint-Maurice, y vivent pendant plusieurs mois, puis
la saccagent et la brûlent. Leurs bandes furent enfin
détruites, près de Bex, par les troupes du roi Gontran, qui régnait sur la Bourgogne.
Octodure, l'antique cité gallo-romaine, que les évoques honoraient de leur présence, déjà à demi-ruinée par les Barbares, disparut sous les eaux de la
Dranse. En 580, une épouvantable inondation dévasta
son territoire. Le siège de Pévêché fut transporté à
Sion, qui l'a conservé.
Charlemagne (768-814). — A la première dynastie des Mérovingiens, qui s'était éteinte avec les
« rois fainéants », avait succédé celle des Carolingiens, ainsi appelée du nom de son plus illustre
représentant, Charles le Grand ou Charlemagne. Ce
prince, qui fut conquérant, législateur, défenseur
de l'Eglise et protecteur des lettres, parvint à faire
vivre sous les mêmes lois une foule de peuples divers, ennemis les uns des autres, et qui ne demandaient qu'à se séparer. L'administration des provinces était contrôlée par des envoyés royaux, qui
s'assuraient de la manière dont la justice était rendue
— 23 —
et les lois observées. La législation de l'empire était
soumise à l'approbation des grands et des évoques,
dans des assemblées que le prince convoquait deux
fois par année. Suivant l'usage des Germains, tous
les propriétaires devaient le service militaire. Le
soldat s'équipait, s'armait et vivait à ses frais et
sans solde ; la terre ou bénéfice qu'il avait reçu en
tenait lieu.
Charlemagne favorisa particulièrement l'instruction
en créant des écoles dans les évèchés, dans les
monastères, jusque dans son palais. Un jour, entrant
dans une de ces écoles et voyant que les fils des
nobles méprisaient l'étude, il leur fit de sévères
reproches : « Sachez, dit-il, que je ne fais nul cas
de votre naissance, et que si vous ne cherchez pas
à vous instruire, vous n'obtiendrez aucune faveur
de Charlemagne. »
L'église de Sion et l'abbaye de Saint-Maurice eurent part à ses bienfaits. Il protégea les maisons hospitalières placées sur les passages des Alpes, où il
rétablit la sécurité. A Bourg-Saint-Pierre, au pied
de la montagne, existait un monastère destiné à secourir les pèlerins et les voyageurs. Après sa disparition, s'élèvera, vers le milieu du XIe siècle, le
célèbre hospice fondé par Saint Bernard de Menthon.
Charlemagne, sacré empereur d'Occident par le
pape Léon III, en 800, mourut le 28 janvier 814.
Partage de l'empire d'Occident. — L'œuvre politique de Charlemagne ne dura pas. Les partages
successifs de ses Etats rompirent l'unité de l'empire,
— 24 —
et il y eut bientôt autant de royaumes que de fils
de rois. Ce fut le traité de Verdun (843) qui sanctionna le partage formel de la succession de Charlemagne entre les trois fils de Louis le Débonnaire.
C'est la naissance de trois nationalités nouvelles :
française, allemande et italienne. Un petit-fils de
Louis le Débonnaire, Charles le Gros, réunit toutes
les couronnes des Carolingiens. On crut que l'empire allait revivre. Mais ce souverain montra tant
de faiblesse que ses sujets le déposèrent (887).
A la faveur des troubles qui agitaient la monarchie, le comte Rodolphe, gouverneur de la Bourgogne transjurane, assembla à Saint-Maurice les
grands et les évèques de la contrée, et se fit couronner roi du pays dont il avait l'administration
(888). Son autorité ne tarda pas à être reconnue
des Alpes au Rhin et à la Saône. Ainsi fut fondé
le deuxième royaume de Bourgogne dont le Valais
forma l'un des comtés.
CHAPITRE V
LE DEUXIÈME ROYAUME
DE BOURGOGNE
Les successeurs de Rodolphe Ier. — Rodolphe II
fut, comme son père, un administrateur éclairé et
énergique, et sut agrandir ses Etats par l'acquisition du royaume d'Arles. Il mourut en 937, et fut
— 25 —
inhumé dans l'abbaye de Saint-Maurice, où reposait
son père. La tradition populaire a conservé le souvenir de la veuve de ce roi, la bonne reine Berthe,
qui gouverna l'Etat, avec fermeté et vigilance, pendant la minorité de son fils Conrad. Cette vertueuse
princesse encourageait l'agriculture, protégeait le
pauvre serf et favorisait surtout les monastères,
asiles de la prière et de la liberté, où les enfants
trouvaient une école, les voyageurs un hospice et
les malades une infirmerie. Elle fit construire des
églises, élever des tours de défense et de refuge,
restaurer les villes et les bourgs. Montée sur son
palefroi, et filant selon sa coutume, elle parcourait
ses domaines, cherchant à soulager quelque infortune, et déployant toujours une bienfaisante activité.
Les Sarrasins. — Sous Conrad, les Sarrasins,
partis des côtes d'Afrique, désolèrent les contrées
du Midi. Le Valais vit arriver ces hordes de pillards,
qui le saccagèrent pendant de longues années. Campés sur les principaux passages des Alpes, ils ne
quittent leurs repaires que pour porter autour d'eux
le fer et le feu. Ils détruisent l'église de BourgSaint-Pierre et l'abbaye de Saint-Maurice (940), ruinent toutes les localités dont ils peuvent s'emparer,
et se mettent à exercer le brigandage. A Orsières,
ils firent prisonnier saint Mayeul, abbé de Cluny,
qui revenait d'Italie, et qui dut payer une rançon
de mille livres d'argent (972). Enfin, leur principale
position, la forteresse de Fraxinet, sur la côte de
Provence, ayant été prise et détruite, ils furent contraints d'abandonner les Alpes.
— 26 —
Donation du Valais aux évêques de Sion (999)
et sa réunion à l'empire d'Allemagne (1032). —
Conrad était mort en 993. Son fils, Rodolphe III,
se montra incapable de tenir les rênes de l'Etat.
Ne pouvant maintenir dans le devoir la turbulente
noblesse bourguignonne, il se décida à vendre ou
à léguer son royaume aux empereurs d'Allemagne.
En 999, il donna le comté du Valais à Hugues, évoque de Sion, et à ses successeurs, avec le titre de
comte et la possession du pouvoir souverain. Il
mourut sans postérité en 1032.
Mais les nobles, craignant pour leur indépendance,
ne voulurent pas reconnaître l'autorité impériale.
Un neveu de Rodolphe III, le comte Eudes, qui prétendait au trône, se met à leur tète et occupe Martigny. L'empereur Conrad le Salique, avec des troupes nombreuses, pénètre en Bourgogne, bat son
compétiteur, et oblige les grands de le reconnaître
comme leur seul souverain. Le Valais fut ainsi réuni
à Y empire d'Allemagne.
Les évêques de Sion conservèrent leur principauté, qu'ils firent administrer par une classe de
fonctionnaires qui représentent, en Valais, la noblesse féodale.
La féodalité. — La féodalité ou système féodal,
qui était alors en pleine vigueur dans nos contrées,
et devait subsister pendant mille ans, repose sur
des principes curieux et bizarres, qu'il est intéressant de connaître. En voici l'exposé. Lorsqu'un souverain voulait accorder à un guerrier ou à un favori
— 27 —
une marque de sa reconnaissance ou de sa faveur, il
lui donnait en usufruit une terre, soit un bénéfice,
ou lui confiait le gouvernement d'une province ou
une charge de la couronne, soit un office. Cet usage,
établi par les premiers chefs des Germains, développa la féodalité qui acheva de se constituer sous
les successeurs de Charlemagne.
Les bénéfices ou fiefs et les offices devinrent
héréditaires. Par l'acte ^hommage, le vassal reconnaissait tenir son fief de la munificence de son
suzerain, se déclarait son homme et s'engageait à
certaines obligations, entre autres, et c'était la prinpale, à suivre son suzerain à la guerre avec le nombre d'hommes que son fief comportait. Il prêtait
ensuite le serment de foi ou fidélité, et en retour
le seigneur lui accordait le fief par investiture, en
lui remettant une motte gazonnée, un rameau d'arbre ou une arme. De son côté, le suzerain devait
aide et protection à son vassal. Un seigneur puissant aliénait à son tour tout ou partie de son fief,
et devenait à la fois vassal et suzerain ; ces arrièrefiefs étaient aussi l'objet d'une concession semblable.
Le vassal perdait son fief s'il n'observait pas les
conditions du contrat féodal. A ces fiefs étaient attachés des serfs, qui faisaient partie du domaine
qu'il cultivaient et étaient transmis avec lui. Audessus des serfs étaient les tenanciers libres ou
censitaires, qui payaient au seigneur une redevance
ou cens annuel. Une partie des terres étaient cependant demeurées exemptes de toute redevance
féodale, et formaient des alleux.
— 28 —
Le système féodal morcela le comté du Valais en
une multitude de fiefs, ayant chacun son seigneur
dont le comte-évêque était le haut suzerain. La
partie de la population soumise à la servitude eut
ses tailldbles, qui payaient la taille au seigneur ; ses
taillables à miséricorde, qui lui devaient des redevance illimitées ; ses serfs mainmortables, qui ne
pouvaient disposer de leurs biens. Tous les droits
féodaux sur les terres et sur les personnes étaient
l'objet de transactions continuelles. La possession
de ces bénéfices arma souvent les uns contre les
autres vassaux et suzerains.
La féodalité eut pour résultat d'affaiblir le pouvoir central, et d'augmenter celui de nombreux
seigneurs, ambitieux et remuants, qui ensanglantèrent de leurs querelles ces siècles malheureux. Elle
fut, pour les classes inférieures de la société, une
époque de misère et d'oppression. Cependant, dans
le Valais, elle se fit moins durement sentir. Le
gouvernement paternel des évêques en adoucit les
rigueurs.
Services rendus par l'Eglise. — L'Eglise eut une
action bienfaisante sur la féodalité. « Elle avait été,
au Ve et au VIe siècle, dit Duruy, le salut de la civilisation et du monde. Les Barbares entrés dans l'empire romain avaient apporté, au milieu des ruines
qu'ils avaient faites, les passions les plus brutales.
Tout ordre, toute moralité, semblaient sur le point
de disparaître. L'Eglise conquit ses vainqueurs ; elle
parla à ces Barbares de miséricorde et d'humanité ;
— 29 —
elle fit de ses temples autant d'asiles où l'opprimé
trouva un refuge, et de ses monastères des lieux
de retraite pour la prière, la méditation et le travail. Les moines placés sous la règle de Saint-Benoît partageaient leur temps entre les actes de dévotion, la copie des manuscrits et le défrichement
du sol. Les écoles, fondées dans les monastères et
les évêchés, empêchèrent que toute culture de l'esprit ne disparût. »
On doit encore à l'Eglise deux institutions célèbres : la trêve de Dieu et la chevalerie.
La trêve de Dieu fut instituée pour diminuer les
maux qu'entraînaient les guerres continuelles des
seigneurs entre eux. Toute attaque, toute effusion
de sang était interdite, sous des peines sévères,
depuis le mercredi soir jusqu'au lundi matin.
La chevalerie était une espèce de sacerdoce militaire voué à la défense des églises, des veuves et
des orphelins. Le fils du noble, après avoir subi un
noviciat, était admis à ceindre l'épée de cette brillante association. La chevalerie eut en Valais de nombreux représentants, qui habitaient les tours et les
castels qui se dressaient alors sur toutes les collines de notre pays.
— 30
-
CHAPITRE VI
LES COMTES-ÉVÊQUES
Gouvernement episcopal. — L'évêque de Sion,
comte du Valais, relevait directement de l'empereur dont il devint un des grands vassaux. Investi
du pouvoir souverain, il fit administrer par des
officiers le territoire soumis à sa juridiction. Ce fut
sur les principes de la féodalité que s'organisa le
gouvernement episcopal. Le comté fut divisé en districts, formant des fiefs administratifs. Ernen, Mœrel, Naters, Saint-Nicolas, Viège, Rarogne, Loèche,
Sierre, Anniviers, Sion, Ardon-Chamoson, Martigny
et Massongex, qui constituaient le domaine des évoques, obéissaient à des vidomnes, des majors et des
sautiers, qui remplissaient des fonctions administratives, judiciaires et militaires.
Le vidomne et le major avaient le droit de haute
et basse justice, et l'exerçaient, le premier pendant
les mois de mai et d'octobre, et le second pendant
les dix autres mois de l'année. Le sautier n'avait
que la juridiction inférieure. Le major de Sion portait la bannière de l'évêque dans les expéditions
militaires. Ces offices, pendant les premiers siècles,
furent tenus en fiefs héréditaires, puis devinrent en
partie électifs. Les personnes revêtues de ces charges nobles devaient au suzerain l'hommage et le
plait, soit une redevance due à chaque mutation
de suzerain ou de vassal. L'évêque institua encore
— 31 —
des faillis et des châtelains, dont les fonctions
étaient temporaires. Ces derniers gardaient les forts
épiscopaux et rendaient aussi la justice. Le prélat
avait sa cour, dont le premier dignitaire était le
sénéchal, qui dans les jours solennels précédait le
comte-évêque en portant le glaive de la rëgalie,
symbole du pouvoir souverain.
La vallée inférieure, de Martigny au lac Léman,
c'est-à-dire Saint-Maurice et Monthey, ainsi que VEntremont, Saxon, Saillon, Conthey, appartenaient aux
comtes de Savoie. Ce territoire était divisé en châtellenies, ayant à leur tête des officiers électifs, relevant de la juridiction du juge du Chablais. On y
trouvait également de nombreux fiefs administratifs,
possédés par des vidomnes, des majors, des métraux et des sautiers. Les seigneuries d'Ayent, Grätiges, Bas-Châtillon et le petit comté de Mœrel relevaient aussi de la Savoie, et Bagnes, Salvan, Choex,
Vouvry, des abbés de Saint-Maurice.
Conflits entre les comtes de Savoie et les évêques. — Les domaines des comtes de Savoie dans
le Valais et ceux des évoques sur le territoire savoisien, enchevêtrés les uns dans les autres, furent
une cause de troubles qui devaient être funestes à
la Savoie. Après une lutte tantôt sourde, tantôt violente, qui durera plusieurs siècles, cette dernière
perdra sans retour sa province valaisanne. Ce conflit commença entre le comte Humbert III et l'évêque Conon. Il fut cependant suspendu par un traité
de paix conclu en 1179.
— 32 —
Une seconde source de discorde naquit encore.
Pour placer sous sa domination le Valais episcopal,
Humbert III s'était fait céder par le duc Berthold IV
de Zœhringen, recteur impérial de Bourgogne, le
privilège de conférer à l'évèque les attributions de
de haute suzeraineté. Mais l'empire ressaisit ce
droit et se le réserva expressément. Cependant
les comtes de Savoie en reprirent plus tard possession. Pour se soustraire à ce vasselage, les évoques
allaient quelquefois demander aux empereurs l'investiture de leur comté. A cette occasion ils devaient
donner au suzerain trois vases de cristal et un mulet blanc ferré d'argent.
Landri de Mont (1206-1237) et les Zaehringen.
Victoire d'Ulrichen (1211). — Le duc Berthold V de
Zœhringen essaya, comme son père, de faire reconnaître son autorité sur le Valais. Mais l'évèque, dont
le fief relevait directement de l'empereur, la contesta. Le duc eut recours à la force. Ses armes
n'obtinrent guère plus de succès. Il réunit enfin une
armée nombreuse, franchit le Grimsel et pénètre
dans la vallée du Rhône. Bientôt les sinistres lueurs
de l'incendie qui dévore les villages et les hameaux,
annoncent l'approche de l'envahisseur. Les Valaisans
prennent position près d1'Ulrichen et attendent l'ennemi. La bannière épiscopale flotte au-dessus de
leurs rangs. Le combat s'engage, l'armée ducale est
vaincue, et la liberté, gage de la victoire, brille
d'un nouvel éclat sur les Alpes valaisannes (1211).
Landri de Mont, dont l'étendard vit fuir le der-
—
33 —
nier des Zsehringen, construisit, sur une hauteur
qui domine la Morge, le château de la Soie, dans
le but de fortifier ses frontières contre la Savoie,
dont les possessions s'étendaient jusqu'au pied de
cette forteresse. Il restaura le château de Montorge
et acquit de la Savoie le comté de Mœrel. Les annales du pays conserveront le souvenir de la belle
et énergique figure de ce comte-évèque, qui, à la
tète de son peuple, repoussa l'envahisseur. Son
nom demeurera inséparable de la victoire d'Ulrichen.
CHAPITRE VII
GUERRES DE PIERRE DE SAVOIE
Henri Ier de Rarogne (1243-1271). Causes de la
guerre. — Le Valais ne demeura pas étranger à la
lutte engagée entre le sacerdoce et l'empire. Il y
prit une part qui lui fut néfaste. L'empereur Frédéric II, qui menaçait les libertés du Saint-Siège et
en poursuivait avec acharnement les défenseurs,
avait été déposé par le pape Innocent IV, et Guillaume de Hollande, roi des Romains, élu à sa place.
Mais le premier ne se soumit pas à cette sentence,
et les deux rivaux se disputèrent la couronne impériale, entraînant dans leur lutte les princes et les
peuples. En 1248, le pape invita l'évêque Henri de
Rarogne à prêter le secours de ses armes au comte
de Kioourg, partisan de Guillaume, pour s'emparer
3
—
34: —
des domaines de ses adversaires. L'évêque obéit et
occupa le Valais savoisien, que Guillaume lui donna
en fief et où il plaça comme gouverneur Eberhard
de Nidau.
Envahissement du Valais. Alliance avec Berne
(1252). — Pierre de Savoie, surnommé le Petit Charlemagne, partisan de Frédéric H, était tombé en disgrâce auprès du pape, et se trouvait alors en Angleterre, à la cour du roi Henri III, son neveu. Mais
il ne tarda pas à se venger de cette agression. Son
armée envahit le Valais, met en déroute les troupes qu'Eberhard de Nidau avait massées sur les
frontières du Ghablais, marche sur Sion, qui tombe
en son pouvoir, emporte Loèche, Tourtemagne, Viège,
et rase les châteaux de Mangepan et de Dirrenberg,
dans le comté de Mœrel.
Après cette défaite, l'évêque se hâta de rechercher l'amitié et l'appui de la jeune ville de Berne,
avec laquelle il conclut, en 1252, une alliance de
dix ans. C'est le premier traité que le Valais ait
contracté avec une ville helvétique.
Reprise des hostilités. Traité de 1260. — La
guerre, quelque temps assoupie, éclata de nouveau.
Le pillage, l'incendie, le meurtre, marquèrent les
incursions des sujets du comte. L'évêque lui-même
fut assailli et poursuivi à coup de javelots près du
château de Montorge. Il demanda justice de ces attentats. Pierre, pour toute réponse, reprend les armes et enlève les châteaux de Martigny et du Crest,
près d'Ardon.
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L'évèque se vit contraint de demander la paix.
Le vainqueur exigea le paiement de tous les frais
de guerre. Henri, ne pouvant réunir une somme
pareille, fut forcé de lui remettre en hypothèque
les châteaux de Martigny, du Crest et de Chamoson. Mais le Petit Charlemagne voulait arrondir ses
domaines du côté du Valais. Il obligea le prélat de
renoncer à tous les droits qu'il avait au-dessous de
la Morge, au Crest, à Chamoson, à Martigny, à Massongex, à Montreux, tandis que lui-même faisait
abandon de ceux qu'il avait au-dessus de cette rivière. Il se faisait la part du lion. Ce traité fut conclu le 5 septembre 1260, et fut ratifié par le pape
Alexandre IV. L'évêque, pour cimenter définitivement la paix, releva de l'excommunication toutes
les personnes qui l'avaient encourue.
Nouvelle guerre et nouveau traité. — Mais cette
réconciliation ne fut qu'une trêve. Henri de Rarogne voulut reprendre par la force ce qu'il avait dû
céder par intimidation. Il s'empara du château de
Martigny et démantela celui de Brignon, qui commandait la vallée de Nendaz. En 1265, un nouveau
traité suspendit les hostilités et fixa une trêve d'un
an. A son expiration, elles recommencèrent avec
fureur. La mort de Pierre de Savoie put seule mettre fin à cette guerre désastreuse, qui durait depuis
vingt ans. Le caractère plus pacifique de son frère
Philippe, qui lui succéda, contribua à rétablir la
concorde. Henri obtint de ce prince la résiliation de
l'échange précédent et recouvra ses domaines (1268).
— 36 —
Les Croisades. — Sous son épiscopat, saint Louis,
roi de France, avait conduit à Tunis la dernière
armée des croisés. De nombreux chevaliers et hommes d'armes, à la tète desquels on remarquait Aymon
de la Tour et Boson, major de Monthey, prirent part
à ces lointaines expéditions, qui mirent en présence
les hommes de l'Orient et de l'Occident. La vue
d'une civilisation étrangère frappa d'étonnement l'hahitant des Alpes, qui rapporta dans son pays un
esprit nouveau.
Origine des communes. — Pendant l'époque qui
vient de s'écouler, la situation politique du Valais
se modifie. Les cultivateurs, courbés sous la servitude seigneuriale, commencent à s'affranchir. Ils
rentrent en possession d'une antique liberté, que le
sort des armes et des vicissitudes de tous genres
avait aliénée au profit d'une classe plus heureuse.
Les hommes, sentant le besoin de réunir leurs forces, divisées par le système féodal, s'étaient déjà
groupés en communautés, mais ce n'est qu'au XIIIe
siècle que celles-ci se trouvent constituées et en
possession de quelques droits. On les voit établies
dans de nombreuses localités, dont les habitants,
propriétaires de biens privés et communaux, se
réunissent en assemblées générales, sous la présidence du seigneur ou de son lieutenant, pour s'occuper de leurs intérêts.
La commune de Sion apparaît déjà au XIIe siècle.
En 1269, elle promulgue avec l'évèque, le vidomne,
le major et le sautier des statuts et des règlements.
— 37 —
Douze consuls, choisis parmi les citoyens, sont
chargés de l'administration de la communauté, sous
la surveillance de l'évèque et de ses officiers. Brigue, Viège, Loèche, Martigny, possèdent également
des franchises et des privilèges, concédés par l'autorité épiscopale. Dans le Valais savoisien, Gonthey,
Saillon, Sembrancher, Orsiêres, Saint-Maurice, Monthey, ont leurs institutions communales, octroyées
par les comtes. Les évoques de Sion et les comtes
de Savoie se montrèrent les protecteurs des libertés publiques.
Le peuple fait les premiers pas dans la voie de
l'émancipation et du domaine administratif. Pour le
moment, son rôle se borne à prendre une modeste
part à la gestion des affaires communales ; dans le
siècle suivant, ce rôle grandira, et l'élément populaire conquerra sa place dans les conseils du pays.
CHAPITRE VIII
INSURRECTION DES NOBLES
La noblesse. — La noblesse formait une caste
puissante. A sa tête se distinguaient les de la Tour,
possesseurs de nombreux domaines et fiefs administratifs, relevant soit de l'évèque de Sion, soit du
comte de Savoie. De ce dernier ils tenaient principalement la seigneurie de Bas-Châtillon, qui comprenait aussi la vallée de Lœtschen. En cas de guerre
—
38 —
entre le Valais et la Savoie, ils avaient le choix d'offrir leurs services personnels au comte, en fournissant des soldats à l'évêque. Ces fiers seigneurs, qui
recevaient de leur côté l'hommage de nobles feudataires, se trouvaient soumis à une double vassalité qu'ils ne supportaient qu'avec contrainte, et
dont souvent ils refusèrent de remplir les devoirs.
Puis venaient les de Rarogne, qui leur succéderont,
et un grand nombre de familles, portant le nom du
lieu dont elles avaient le fief, avec le titre de chevalier ou de donzel. Ces nobles, à l'humeur belliqueuse, hostiles à tout contrôle, à toute autorité,
étaient toujours prêts à s'insurger contre le pouvoir
central. Les de la Tour entretenaient cet esprit de
révolte, et les entraînaient dans des guerres continuelles.
Les évêques avaient ainsi à lutter non seulement
contre les ennemis extérieurs, mais encore contre
leurs propres vassaux. Pour leur résister, ils recherchent le concours du peuple, qu'ils dotent de libertés et de franchises. Cet ensemble de prérogatives
formera la base d'une nouvelle puissance, exercée
plus tard par les dizains. Ces communautés anéantiront la noblesse féodale et saperont, à leur tour,
les fondements du pouvoir episcopal.
Boniface de Challant (1290-1308). Bataille de Loèche (1294). — Pendant la vacance du siège, qui
précéda l'élection de Boniface de Challant, les de
la Tour, de Rarogne, de Naters, de Viège et de
Mœrel s'étaient emparés de plusieurs fiefs et se
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refusaient à remplir leurs devoirs de vasselage. Ils
se révoltèrent et prirent les armes contre leur suzerain. Leur armée, commandée par Pierre IV de
la Tour, seigneur de Chàtillon, fut battue et mise
en fuite, près de Loèche, par les troupes épiscopales,
composées de paysans dévoués à l'évèque. Les
chefs se réfugièrent dans le château du Roc de
Naters, mais durent bientôt se rendre. Quelquesuns payèrent de leur tête leur félonie, d'autres de
leurs biens. Un traité de paix intervint ensuite entre l'évèque et Pierre de la Tour, qui jura fidélité
à son suzerain.
Supplice du chevalier de Saxon (1300). — Pour
protéger la ville episcopate, Boniface de Challant
avait construit ou restauré le château de Tourbillon.
Puis il avait renouvelé l'alliance bernoise. Mais le
puissant parti qu'il croyait avoir dompté, ne renonçait pas à la lutte. Quelques nobles voulurent s'emparer traîtreusement du fort de Tourbillon, dans le
dessin de le livrer à l'ennemi. Le complot fut découvert, et une vingtaine de conjurés eurent la tête
tranchée. L'un d'eux, le chevalier Anselme de Saxon,
fut décapité à Sion, sur le Grand-Pont ; ses biens
furent confisqués au profit de la ville et de l'évêché (1300). La sévérité du châtiment intimida les
nobles et les fit rentrer dans le devoir. Mais ce
n'était encore qu'une trêve.
En 1318, sous Aymon de Chàtillon, une nouvelle
prise d'armes fut fatale aux de la Tour et à leurs
alliés de l'Oberland. Leurs troupes furent taillées
— 40 —
en pièces près de Tourtemagne. Le massacre fut effrayant. Le lieu du combat fut nommé Pré des
soupirs.
Guichard Tavelli (1342-1375). — Une contestation au sujet des fiefs de Saint-Nicolas et de Zermatt, possédés par Pierre V de la Tour, seigneur
de Châtillon, ralluma la guerre. Ce dernier, à la
tête d'un certain nombre de nobles du Simmenthal, de la Gruyère et du Valais, ravagea les terres
épiscopales. Il poussa l'audace jusqu'à frapper l'évêqu'e lui-même et les gens de sa suite. Le désordre
et l'anarchie étaient à leur comble. Les communautés, dépourvues de toute organisation militaire,
devenaient le théâtre des sanglantes déprédations
des nobles. Martigny se vit forcé de se mettre sous
la protection du comte de Savoie. Guichard Tavelli
sollicita l'appui du Saint-Siège. Une sentence d'excommunication ayant inutilement frappé les rebelles,
Pierre de la Tour, Jean et Pierre de Rarogne,Henri de Blonay, Jean de Boubenberg, Jean de Weissenbourg, le comte Pierre de Gruyère et d'autres
nobles, l'évêque eut recours à Amédée VI de Savoie, le protecteur de sa famille (1352).
Intervention de la Savoie. Prise de Sion (1352).
— Le comte s'empressa de répondre à l'appel du
prélat. Il lève une armée et arrive devant Sion, qui
lui ouvre ses portes et reçoit un gouverneur savoisien. Loin de rétablir la paix, l'intervention du comte
ne fit qu'aggraver la situation. Après son départ la
révolte et le mécontentement ne tardèrent pas à
— 41 —
éclater. Les communautés accusèrent l'évêque de
vouloir soumettre le pays à la domination savoisienne et l'obligèrent à chercher un refuge auprès
d'Amédée VI.
Une seconde fois ce dernier intervient. Mais ce
ne fut qu'après avoir éprouvé une vigoureuse résistance, qu'il put se rendre maître de la cité et de
ses châteaux. L'assaut avait duré « depuis soleil
levant, dit la chronique, jusques à heure de vespres, faisans les habitans extreme defense. Toutefois enfin fut la ville prinse par force, et mise à
sao : et grand nombre de ceux qui furent trouvez
en armes, massacrez. » Le comte de Savoie conclut
ensuite un traité avec les nobles et les communes.
Il imposa une indemnité de guerre de 28,000 florins d'or et exigea soixante otages (novembre 1352).
Prenant lui-même le titre de bailli episcopal, il
nomma un vice-bailli qu'il installa dans le fort de
Tourbillon.
Intervention de l'empereur. Traité de paix avec
la Savoie (1361). — Les communautés de Loèche,
Rarogne, Viège et Naters, craignant pour leur indépendance, sollicitèrent de leur côté l'appui de l'empereur Charles IV. Ce prince reçut leur serment de
fidélité, plaça à Sion un capitaine impérial, et confirma les libertés et franchises des communes qui
s'étaient mises sous sa protection (1354). Celles-ci,
pour mieux grouper leurs forces, conclurent entre
elles, l'année suivante, une alliance défensive.
En 1360, les Valaisans, las d'une situation qui ne
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les débarrassait nullement des châtelains savoisiens,
prirent les armes et assiégèrent Tourbillon. Le comte
accourut au secours" du château. Un nouveau traité
désarma les belligérants, II accordait au comte une
somme de 13,000 florins d'or pour ses prétentions
sur le Valais (1361).
Résultats de la guerre civile. — La discorde qui
régnait entre les nobles et le parti episcopal n'avait
point pris fin. Le meurtre de la comtesse Isabelle
de Blandrate de Viège et de son fils Antoine, sacrifiés, près du pont de Naters, au ressentiment du
peuple, l'incendie du château de Bas-Chàtillon et de
nombreux bâtiments dans la vallée de Lœtschen et
à Gonthey, appartenant à la famille de la Tour, des
personnes massacrées, étaient les déplorables résultats de la guerre civile. Le comte de Savoie, qui
avait obtenu de Charles IV le titre de vicaire impérial, intervint comme arbitre pour metter un terme à
cet état de choses. Les frères Antoine et Jean de la
Tour avaient refusé de prêter hommage pour quelques-uns de leurs fiefs, et suscité ainsi cette guerre
de représailles qui ruinait le peuple des campagnes.
Ils réclamaient une somme considérable pour les
dommages causés par les partisans de l'évêque.
Amédée VI le condamna à prêter à Guichard Tavelli l'hommage exigé, et ne soumit le prélat qu'à
une faible indemnité (1370) *.
Meurtre de Guichard Tavelli (1375). — La no1
C'est à cette époque qu'on commence à employer, dans le
Valais, des armes à feu.
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blesse, les alliances, la fortune territoriale distinguaient Antoine de la Tour parmi les grands de la
contrée. Hautain, emporté, vindicatif, il voulait que
tout pliât sous sa volonté. Pendant le séjour que
Charles IV fit à Berne, il avait jeté le gant en sa
présence, résolu à soutenir par les armes que la
ville de Berne attentait à ses droits dans la vallée
de Frutigen. Cuno de Binggenberg accepta le défi,
mais l'empereur n'autorisa pas le combat. Irrité de
la sentence portée par le comte de Savoie, il nourrissait de sinistres projets contre Guichard Tavelli.
Un jour, pendant que le prélat et son chapelain récitaient ensemble les heures canoniales, en se promenant dans un petit jardin du château de la Soie,
attenant aux créneaux des remparts, des assassins,
à la solde du sire de la Tour, pénétrèrent dans la
place, se jetèrent sur ce vieillard vénérable et le
précipitèrent avec son chapelain du haut de ce rocher à pic que couronnent encore quelques débris
du fort episcopal. C'était le 8 août 1375.
Ruine de la maison de la Tour. — A la nouvelle
de cet horrible forfait, les patriotes jurèrent de venger leur évèque. Ils courent aux armes et envahissent les domaines du meurtrier. Après avoir emporté
le château de Granges, ils se dirigent sur celui
d'Ayent. Mais, près du pont de Saint-Léonard, ils
se trouvent en présence des alliés et des vassaux
d'Antoine de la Tour. Le combat s'engage, et là,
comme à Loèche, les nobles sont vaincus par les
paysans. Les casques aux panaches ondoyants, les
— 44 —
riches armures qui lancent des éclairs d'or, sont
broyés sous la massue vengeresse, et leurs débris
informes se mêlent à la poussière du chemin. Le
peuple, poursuivant sa victoire, livre aux flammes
les châteaux d'Ayent et de Conthey, et met le siège
devant celui de Bas-Châtillon, dont les murs tomberont aussi sous ses coups. Antoine de la Tour,
le dernier seigneur de Châtillon, s'enfuit du Valais
qu'il ne devait plus revoir. Son crime consomma la
ruine de sa maison.
Les communes au XIVe siècle. — Au milieu de
ces guerres civiles, les communes avaient conquis
de nouveaux droits, qu'elles firent reconnaître par
le pouvoir episcopal. Aussi, dès la première moitié
du XIVe siècle, participent-elles avec lui à l'administration du pays. Leurs députés forment le Conseil général du Valais. Cette assemblée, mentionnée
pour la première fois en 1339, se réunissait chaque
année, le mardi après l'octave de Pâques, et selon les
circonstances. L'évêque devait la consulter sur les
affaires importantes. Après avoir vu naître les communes et les corporations bourgeoises, qui groupent des hommes libres autour de bienfaisantes institutions, nous assistons à l'origine du système représentatif.
'
v
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CHAPITRE IX
INSURRECTION DES COMMUNES
Edouard de Savoie (1375-1386). — Edouard de
Savoie, évoque de Belley, succéda à Guichard Tavelli. Son parent, Amédée VL. était parvenu à obtenir cette translation pour maintenir son influence
dans ia vallée du Rhône. Le prélat racheta les biens
que les de la Tour avaient vendus à la Savoie, et,
en garantie du prix d'acquisition, remit au comte
ses châteaux de Martigny, de la Soie et de Montorge.
En livrant à l'étranger les principales forteresses
du pays, l'évèque mécontenta les communautés.
Aussi après la mort d'Amédée VI, son protecteur,
fut-il contraint d'abandonner son siège. Les patriotes s'étaient soulevés, achevaient de détruire le château de Bas-Chàtillon, portaient le fer et le feu dans
le Valais savoisien, à Hérémence, à Nendaz, à Conthey, à Saillon. Les troupes du comte mirent un
terme à leurs succès en enlevant les places d'Ardon et de Chamoson.
Cession de Martigny et d'Ardon-Chamoson (1384).
— L'évèque exilé avait trouvé un asile à la cour de
Chambéry. Amédée VII, célèbre dans les tournois
sous le nom de comte Rouge, irrité de l'affront infligé
à un membre de sa famille, réunit une puissante armée et marcha sur Sion. Les assiégés résistèrent
vaillamment ; les femmes elles-mêmes prirent part
— 46 —
à la défense. Mais la ville finit par tomber aux mains
de l'ennemi, qui la livra au pillage et aux flammes.
Le 21 août 1384, un traité de paix cédait au comte
Martigny et Ardon-Chamoson, avec une indemnité
de 45,000 florins. C'était le renouvellement du traité
de 1260. Edouard de Savoie, rétabli par la force sur
son siège, ne put se concilier les sympathies de
ses sujets. L'animosité qui le poursuivait grandit
encore, et il dut s'éloigner du Valais. Il fut transféré à l'archevêché de Tarentaise.
Humbert de Billens (1388-1392). — Humbert de
Billens, vassal du comte de Savoie, avait été élu
évoque. Les Valaisans refusèrent de reconnaître
l'allié de l'ennemi héréditaire. Ils refusaient également de payer l'indemnité imposée par le dernier
traité. La guerre éclata. Amédée VII vint établir
son camp à Salquenen. C'est là que les habitants
de Sion, de Sierre et de Loèche lui promirent le
secours de leurs armes contre les communes supérieures. Devant le comte s'ouvrait la vallée d'Anniviers, seigneurie de Pierre de Rarogne, dont l'entrée était défendue par le château de Beauregard,
surnommé l'Imprenable. De Rarogne avait pris une
part active à l'insurrection précédente, et occupait
le château. Le comte, à la tète de forces supérieures, emporte Beauregard et réduit la vallée, qu'il
ravage furieusement. Deux enfants du sire de Rarogne sont immolés à sa vengeance. Les quatre communautés supérieures déposèrent les armes.
Combat de Viège (1388). — Le comte venait à
Le Valais de 1384 à 1475.
V Valais episcopal. — S Duché de Savoie. — B Possessions de Berne.
G Comté de Gruyère. — M Duché de Milan.
— 47 —
peine de quitter le pays, que les Valaisans marchèrent sur Viège, où campaient des troupes commandées par le bailli episcopal, Rodolphe de Gruyère.
Pendant la nuit, ils mirent le feu aux granges où
reposaient les soldats, et les attaquèrent à l'improviste. L'incendie éclairait de rouges lueurs la scène
du massacre. Les cris et les plaintes des soldats
mourants, qu'un fer impitoyable frappait sans relâche, se mêlaient au sifflement de la flamme meurtrière. Là périrent, dit la chronique, 4000 hommes
avec la fleur de la noblesse savoisienne (décembre
1388).
Traité de 1392. — Le 24 novembre 1392, la paix
fut conclue entre la Savoie et les VII dizains ' de
Conches, Brigue, Viège, Rarogne, Loèche, Sierre et
Sion. Ces trois derniers s'engagèrent à payer 25,000
florins pour les frais de guerre. Ce traité, qui confirma celui de 1384 et ramena quelques années de
calme, sanctionna le partage formel du Valais entre
les évêques et les comtes, fixant la Morge de Conthey pour limite respective. La même année, Guillaume IV de Rarogne, le Bon, succéda à Humbert
de Billens, qui quitta le pays.
Guillaume V de Rarogne, le Jeune (1402-1418).
— La ruine des de la Tour avait abaissé la puissance de la noblesse. Une seconde maison, celle
1
Le Valais episcopal comprenait dix communautés ou communes : Mœrel, Noter» et Brigue, Viège, Rarogne, Loèche, Sierre,
Granges, Sion, Ardon-Chamoson et Martigny, qui sont mentionnées
en 1335, d'où le nom de dizains donné dans la suite aux sept
communautés du Haut-Valais.
48 —
de Rarogne, s'efforcera vainement de la relever. Elle
succombera à son tour devant les armes des patriotes, et avec elle disparaîtra la haute aristocratie
féodale. Guillaume V de Rarogne avait succédé à
Guillaume IV, et Guichard de Rarogne, seigneur
d'Anniviers, oncle du prélat, était bailli et capitainegénéral. L'administration de ce dernier souleva le
mécontentement du peuple, qui l'accusait de fouler
aux pieds ses libertés et de faire cause commune
avec les princes pour le réduire à la servitude.
L'évèque lui-même ne fut pas à l'abri de ces récriminations. Les patriotes résolurent de délivrer le
pays de cette famille.
La Mazze. — Le mouvement commença à Brigue.
Les chefs de l'insurrection appelèrent le peuple
aux armes en dressant la Mazze. Cette naïve et
terrible coutume populaire consistait à exposer, sur
une place publique, une énorme massue, représentant un visage humain, à l'expression triste et souffrante, entourée de ronces et d'épines, emblème
de la misère et de la tyrannie. Un homme la tenait
debout au milieu de la foule qui accourait. On demandait à la Mazze de désigner le nom de l'oppresseur qu'elle redoutait ou de l'auteur de ses
souffrances : « Est-ce Silinen ? — Est-ce Asperlin ? >
La Mazze demeurait silencieuse. Mais, au nom de
Rarogne, elle s'inclina profondément. Aussitôt tous
les assistants-, qui voulaient participer à la délivrance
commune, levèrent la main au ciel pour témoigner
leur adhésion à la cause populaire, puis vinrent,
— 49 —
l'un après l'autre, enfoncer un clou dans la statue
en signe de la fermeté de leur résolution. La Mazze
fut ensuite promenée de village en village, de dizain en dizain. Elle finit par visiter le capitainegénéral, l'évèque et tous les partisans des de Rarogne.
Soulèvement contre la maison de Rarogne. —
Les résidences seigneuriales furent envahies et saccagées. Guichard de Rarogne s'enfuit à Berne, dont
il était bourgeois, et implora la protection de cette
ville. Mais les Bernois, poursuivant la conquête de
l'Argovie, ne purent s'occuper de sa vengeance. Il
sollicita alors l'intervention d'Amédée VIII de Savoie,
que l'empereur Sigismond créa duc, et lui livra la
garde des forts épiscopaux. Cet acte porta à son
comble l'irritation des patriotes, et une suite de
sanglantes représailles éclatèrent bientôt entre Valaisans et Savoisiens. Les premiers, sous les ordres
de Nicolas Werra, Lagger et Rolet Lambien, s'emparèrent des châteaux de l'évèché et les démantelèrent, et les seconds dévastèrent la plaine de Sion
et la vallée d'Hérens. De Rarogne obtint enfin l'appui de Berne, tandis que les dizains s'alliaient aux
Waldstetten (1417).
André de Gualdo (1418-1437). — Les troubles
dont le Valais était le théâtre et l'incapacité que
montrait Guillaume V, appelèrent l'attention du concile de Constance. L'évèque fut privé de sa dignité,
et l'administration du diocèse confiée à André de
Gualdo (1418). Dès son avènement, ce prélat mit
4
— 50 —
tout en œuvre pour rétablir l'ordre dans le pays.
Les Confédérés s'étaient également réunis à plusieurs reprises dans le même but. Mais les Valaisans refusaient d'exécuter leur jugement, et se livraient avec les Bernois à une guerre de rapines
qui ne faisait qu'aggraver la situation. Pendant qu'ils
enlevaient les troupeaux de leurs voisins, ceux-ci,
sous la conduite du sire de Rarogne, surprenaient
la place de Sion qu'ils mettaient au pillage.
Héroïsme de Thomas Riedi à Ulrichen (1419).
Berne, voyant que toute tentative de conciliation était inutile, résolut enfin de recourir à la
force. Dans les derniers jours de septembre 1419,
deux colonnes franchissent les Alpes, l'une par le
Sanetsch, l'autre par le Grimsel. L'alarme se répand
dans les vallées supérieures, et le tocsin appelle
les habitants à la défense de la patrie. L'ennemi, le
fer et le feu à la main, ravageait le Haut-Conches.
Les flammes dévoraient Obergestein, Oberwald, Unterwassern. La population, affolée, s'enfuyait en désordre vers Ulrichen. Thomas Riedi, un simple
laboureur, l'arrête, calme sa frayeur et l'exhorte à
combattre pour la patrie et la liberté. Il rappelle à
ses concitoyens la gloire que leurs pères ont acquise en repoussant de ces mêmes lieux l'armée
du fier duc de Zsehringen. Son courage et ses mâles paroles enflammèrent le patriotisme des laboureurs ; 200 hommes se placèrent sous ses ordres.
Le chapelain Jacques Minichoio arrivait également
avec 400 combattants, qu'il avait réunis a Münster.
— 51 —
A la tète de ces 600 braves, Riedi fond à l'improviste sur l'ennemi. Armé de sa massue, il sème
autour de lui la mort et l'effroi; quarante guerriers, râlant à ses pieds, sont la preuve de sa bravoure et de sa vigueur athlétique. Lui-même, haletant de fatigue, tombe enfin sur un monceau de
cadavres, et meurt pour cette patrie qu'il a tant
aimée. Pendant ce temps, le corps qui menaçait
Sion reculait, à Chandolin, devant l'intrépidité des
hommes de Savièse. Après cette double défaite,
les Bernois se hâtèrent de quitter le Valais. Le souvenir de Thomas Riedi, le héros d'UIrichen, conservera une glorieuse place dans les annales valaisannes : il transmettra, à travers les âges, l'exemple
du courage et de l'abnégation patriotique.
L'année suivante la paix fut conclue à Evian, sous
la médiation du duc de Savoie, de l'archevêque de
Tarentaise et de l'évêque de Lausanne. Les dizains
se soumirent à indemniser Guichard de Rarogne,
l'évêché de Sion et les Bernois. Ils devaient payer
25,000 florins d'or.
Progrès de la démocratie. — Le XIVe siècle commence à voir s'éteindre l'hérédité des charges de l'ancienne noblesse. Les dizains exercent, par des magistrats électifs, la justice civile et criminelle. L'importance politique de ces communautés, dont plusieurs rachètent des droits seigneuriaux, augmente
et se développe. Elles se donnent des lois et des
statuts, organisent leur administration intérieure, et
font consacrer par les chartes épiscopales leurs
— 52 —
droits et leurs libertés, qui constituent les principes de la démocratie et d'un nouveau système gouvernemental.
CHAPITRE X
CONQUÊTE DU BAS-VALAIS ET
GUERRE DE L'OSSOLA
Walter Supersaxo (1457-1482). — Les montagnards
qui faisaient paître leurs troupeaux sur les confins
de Berne, de l'Italie et de la Savoie avaient été de
tout temps en lutte avec leurs voisins. La revendication des droits de propriété sur les pâturages
avaient entraîné une longue suite de pillages, d'incendies, de meurtres, que des traités successifs
s'efforcèrent vainement d'arrêter. La même mésintelligence divisait Savièse et Conthey. Ces querelles interminables fournirent au duc de Savoie l'occasion d'écrire à l'évêque que « si cela ne finissait
pas bientôt, il en viendrait enfin aux grands remèdes ». Le prélat ne s'effraya point de ces paroles menaçantes. Assuré de l'appui des patriotes,
dont il avait su acquérir la confiance, il se contenta
de renouveler l'alliance conclue avec les Waldstetten
et avec Berne. Cette ville venait de se détacher de
la Savoie, qui avait pris parti pour Charles le Téméraire, ce belliqueux duc de Bourgogne dont les
armes menaçaient l'indépendance de la Suisse. Le
— 53 —
traité de Berne mit fin à l'attitude passive qu'observaient le Valais et la Savoie. Chacun d'eux, confiant dans ses alliés, désirait du reste tenter le sort
des armes.
Victoire de la Planta (1475). — L'armée savoisienne, forte d'environ 10,000 hommes, sous le commandement du capitaine-général, Amêdèe de Gingins, ne tarda pas à paraître devant Sion. Un
détachement se dirigea sur Savièse, qui devint le
théâtre d'une horrible vengeance. 4000 patriotes,
aidés d'une poignée de Grisons, accoururent au
secours de la ville, et, sous les ordres de Jean de
Platéa, essayèrent de repousser l'ennemi. Mais, accablés par le nombre, ils durent reculer. La place
allait tomber au pouvoir des assiégeants, lorsque
les bannières de Berne et de Soleure apparurent
sur les hauteurs du Sanetsch : 3000 guerriers venaient se joindre aux Valaisans et tombaient à l'improviste sur les flancs de l'agresseur, tandis que
les hommes des Ormonts et de Ghâteau-d'Oex, débouchant par des sentiers à peine praticables, l'assaillaient sur les derrières. L'arrivée de ces renforts
et leur attaque audacieuse relevèrent le courage
des patriotes, qui reprirent l'offensive. L'armée ducale, malgré le nombre de ses bataillons et leur
bonne contenance, fut écrasée par les Confédérés.
Une terreur panique se répandit dans les rangs
savoisiens. Le capitaine-général dut abandonner le
champ de bataille, et chercher son salut dans la
fuite, après avoir laissé 300 nobles et plus de 1000
— 54 —
soldats sur la plaine de la Planta. Cinq bannières,
120 chevaux et nombre d'armures restèrent aux
mains des vainqueurs (13 novembre 1475).
Conquête du Bas-Valais. — Les jours suivants,
les dix-sept places fortes du Bas-Valais furent prises
et démantelées. Les Haut-Valaisans s'avancèrent jusqu'à Saint-Maurice et jusqu'au pied du Grand SaintBernard. Après la bataille de Grandson (2 mars 1476),
ils reprirent les armes et achevèrent la conquête
de la vallée inférieure.
Le Conseil général, assemblé à Sion, le 31 décembre 1476, décida que « le Bas-Valais était réuni à
l'Eglise de Sion et à la patrie du Valais, — et que
ses habitants, nobles ou roturiers, moyennant leur
serment de fidélité, étaient placés sous la protection de l'évèque et des patriotes, en qualité de vassaux, de sujets et de combourgeois, et seraient toujours traités comme tels. »
Cependant la Savoie avait réclamé la restitution
de sa province et, selon un usage traditionnel, une
indemnité pour la destruction de ses châteaux. L'évèque, de son côté, invoquait la Caroline, c'est-àdire une donation que Charlemagne aurait faite aux
évèques de Sion du comté et de la préfecture du
Valais, qui comprenait à peu près le canton actuel,
et aurait été usurpé en partie par la maison de Savoie. C'est sur cette donation, et non sur celle de
Bodolphe III, que s'appuyaient les évêques. Le congrès de Fribburg, qui s'était réuni pour mettre fin
aux guerres de Bourgogne, avait confirmé aux VII
— 55 —
dizains la possession du Bas-Valais, porte naturelle
de la vallée du Rhône, c'est-à-dire la région située
entre la Morge de Conthey et Massongex. Le pays
conquis forma le gouvernement de Saint-Maurice.
Jodoc de Silinen (1482-1496). — Les Valaisans
et leurs biens étaient depuis longtemps l'objet des
voies de fait et des rapines de leurs voisins de la
vallée de l'Ossola. En 1484, l'évèque, ne pouvant obtenir satisfaction, envahit leur territoire qui fut pillé
et brûlé. Sur l'intervention des Suisses, un traité
suspendit les hostilités. Pour mettre fin à l'insolence
des Italiens, le prélat conçut le projet de réduire
l'Ossola en bailliage. Mais dans deux expéditions, en
1487 et 1495, conduites la première par Albin de
Silinen, frère de Jodoc, et la seconde par ce dernier
lui-même et Georges Supersaxo, les Valaisans
rencontrèrent une résistance inattendue et durent
battre en retraite. Irrité de ce nouveau revers, l'évèque accusa Supersaxo de s'être laissé gagner par
l'or du duc de Milan et d'avoir jeté la défection
dans ses troupes. Un traité de paix, conclu avec le
duc, termina la guerre, mais ne put faire disparaître l'animosité qui divisait les deux peuples.
Soulèvement contre l'évèque. Son exil. — Le roi
de France,. Charles VIII, invoquant d'anciennes prétentions sur le royaume de Naples, pénétrait alors
en Italie. L'évèque saisit cette occasion pour donner suite à ses desseins sur l'Ossola. Il recruta en
Valais et en Suisse plusieurs milliers de volontaires
qu'il offrit au roi. Cette campagne, dont les débuts
— 56 —
promettaient un brillant succès, eut une issue malheureuse, qui fut fatale à la popularité de Jodoc de Silinen. Les patriotes, à la voix d'un chef de parti, Georges Supersaxo, se soulevèrent contre lui. Ils l'accusèrent d'avoir fait répandre le sang valaisan dans l'Ossola et les plaines de l'Italie. Une sentence arbitrale,
portée par les Confédérés, en 1496, le condamna à
résigner l'évêché et à quitter le pays. Il s'était cependant montré un administrateur éclairé et bienfaisant. Il restaura nombre d'édifices, rétablit les
bains de Loèche et exploita activement les mines
d'argent de Bagnes. Il voulut, comme son prédécesseur, reculer les limites de sa principauté, mais
l'intrépide résistance de l'Ossola trompa son attente,
et lui-même tomba victime de son insuccès.
Les lettres et les arts. — La domination romaine,
le christianisme, firent naître les fruits d'une culture intellectuelle qui eut aussi ses évolutions. Pendant la période romaine les lettres et les arts jetèrent quelque éclat, mais à l'approche des peuples
barbares ce mouvement de l'esprit s'arrêta. L'Eglise
lui redonna une vie nouvelle et le purifia. Au milieu des ruines amoncelées de toutes parts, elle
abrita dans ses monastères l'éducation et l'instruction de la jeunesse. L'abbaye de Saint-Maurice accueille des jeunes gens appartenant aux premières
familles de la France. Les religieux Achivus et Faustus fondent la littérature chrétienne, et retracent les
vertus de leurs premiers abbés. Aux temps féodaux, les membres de la noblesse valaisanne ne
— 57 —
méprisaient point l'étude des belles-lettres. Si on et
quelques localités possédaient des établissements
d'instruction. Nous trouvons, au XIIIe siècle, un recteur des écoles du Valais. Pendant cette période,
l'architecture avait atteint sa perfection, et produit
de nombreux et superbes monuments, dont quelques-uns sont encore debout.
Jusqu'à la conquête du Bas-Valais, la langue romane, issue du latin et des idiomes des peuples
qui avaient occupé la contrée, eut Loèche pour frontière ; là commençait le dialecte allemand. Le roman
donna naissance au français ; mais la langue latine
conserva encore longtemps une prépondérance marquée dans les lettres, l'enseignement et les actes
officiels.
LES TEMPS MODERNES
CHAPITRE XI
LE CARDINAL SCHINER
Mathieu Schiner (1499-1522). — Mathieu Schiner,
qui succéda à son oncle Nicolas Schiner, naquit à
Miihlibach. Il fit ses études à Sion, à Berne, à Zurich, à Côme. Ayant embrassé l'état ecclésiastique,
il fut remarqué par Jodoc de Silinen, qui facilita
— 58 —
son entrée au chapitre de la cathédrale. Grâce également à l'appui de Georges Supersaxo, personnage tout puissant dans les conseils du pays, il
s'éleva bientôt de degré en degré. Ennemi de la
politique française, il prit une part active aux guerres d'Italie, dans le double but d'affermir l'indépendance du Saint-Siège, et d'établir la prépondérance suisse sur la Lombardie, pour assurer à la
Confédération la ligne des Alpes, ses frontières naturelles. Mais la division qui régnait chez les Suisses, travaillés par l'or français, et la révolte d'un
sujet ambitieux entravèrent ses nobles et patriotiques projets.
Le pape Jules II voulait chasser les Français qui
envahissaient l'Italie. Comptant sur les Suisses pour
atteindre son but, il trouva dans la personne de
Schiner un homme d'un rare génie qui devait puissamment le seconder. Il lui donna toute sa confiance
et le chargea de contracter une alliance avec les
Confédérés. En 1510, une première campagne, dirigée par l'évèque, ne put donner aucun résultat.
Rentré dans le Valais, Schiner s'y trouva en présence d'un parti français, dont le chef était naguère
son protecteur et son ami, Georges Supersaxo. Réduit à s'enfuir, il traversa l'Italie, déguisé en lépreux.
Georges Supersaxo. — A l'instigation de Supersaxo, les trois dizains de Conches, Brigue et Viège
avaient conclu une alliance avec Louis XII. Ce
traité irrita profondément Schiner et le brouilla
sans retour avec Supersaxo, qui ne devait pas jouir
— 59 —
longtemps de son triomphe. Le prélat s'était réfugié
auprès de Jules II, qui le nomma cardinal et légat
du Saint-Siège partout où il se rendrait (1511).- Revêtu
de ces nouvelles dignités, il se hâta de reparaître en
Valais, d'où Supersaxo à son tour dut s'éloigner. Pour
briser cette faction, il poursuivit son chef de ses rigueurs. Fribourg, Neuchàtel, Berne, Rome, retinrent
successivement ce dernier dans les fers ou lui rendirent la liberté. Son évasion des prisons de Fribourg coûta la vie à son défenseur, l'avoyer d'Arsent. Celui-ci, accusé d'avoir favorisé celte fuite, fut
arrêté, jugé et exécuté sans pitié, à la suite d'une
émeute, provoquée par le parti romain, qui dominait dans cette ville.
Guerres d'Italie. — Cependant le cardinal déployait toujours contre la France une infatigable
activité. En 1512, à la tête des Confédérés, il bat
les Français et s'empare en sept semaines de toute
Ta Lombardie. Le pape proclama les Suisses « les
libérateurs de l'Italie et les défenseurs de l'Eglise »,
et leur fit de magnifiques présents. Il conféra au
cardinal l'évèché de Novare. L'année suivante, Schiner défait les Français sous les murs de cette ville.
Mais, en 1515, à Marignan, il dut reculer devant
les armées de François Ier et de Venise. Pendant
ces deux sanglantes journées, on avait pu le voir
toujours au premier rang, à cheval, revêtu de la
pourpre, animer ses troupes au combat. C'était lui
qui avait fait commencer l'attaque. Cependant, le
premier soir, il avait voulu prévenir la défaite du
I
— 60 —
lendemain par des conseils que dédaigna l'insouciante témérité de ses capitaines. François Ier avait
reconquis le Milanais. Désirant attacher les Suisses
à sa politique, il leur fit accepter un traité de paix
perpétuelle, qui fut signé à Fribourg le 29 novembre 1516. Le Valais, allié des XIII cantons, y fut
compris. Il fit partie dès lors de tous les traités
qui furent conclus entre la France et la Confédération.
Guerre civile. — Les succès de François Ier relevèrent le parti Supersaxo, qui se montra plus hardi.
Il accusa le cardinal d'avoir méconnu les concordats relatifs à la conquête du Bas-Valais ; de s'être
emparé des mines de Bagnes et de Saillon et de
Saxon, fiefs de l'Etat; d'avoir toléré l'administration
vexatoire de son frère, Pierre Schiner, châtelain
de Martigny ; d'avoir porté des lois arbitraires. En
1517, la diète, qui avait remplacé l'ancien Conseil
général et étendait ses attributions, décida de reprendre les mines de Bagnes et de soumettre tous
ces différends au Saint-Siège. Elle ordonna à Pierre
Schiner d'évacuer le château de Martigny, et nomma
un nouveau fonctionnaire. Les gens du fort le maltraitèrent et le firent prisonnier. Pendant ce temps,
Sion devenait le théâtre de sanglants désordres,
commis par les partisans du cardinal. Supersaxo
prit les armes, mais les Suisses arrêtèrent la collision. Une nouvelle diète, une commission arbitrale,
dont Schiner repoussa la compétence en excommuniant ses adversaires, une diète à Lucerne, une
»
— 61 —
assemblée générale à Sion, ne purent apaiser la
haine des partis. Le sang allait encore couler, lorsque la diète d'Ernen décréta le bannissement du
cardinal.
Exil et mort de Schiner. — Schiner résista à ce
décret de proscription et s'écria : « Brigue est le
foyer de la révolte, je ferai raser ce bourg ! » Mais
l'orage éclate avec une nouvelle fureur. Les bannerets des dizains supérieurs, à la tête d'une troupe
armée, viennent chasser du château de la Majorie
Gaspard Schiner, qui défendait la résidence de son
frère. Les Bas-Valaisans, qui avec le seul dizain de
Loèche demeuraient fidèles à leur évêque, essayèrent de se soulever. Mais ce mouvement fut. vite
comprimé. Le parti episcopal battu, le cardinal fut
obligé de quitter le pays. Zurich, qui l'avait accueilli,
vit comparaître les adversaires. Mais là, comme ailleurs, rien ne put les rapprocher. Supersaxo assiégea
même le fort de Martiguy, qui, en 1518, fut emporté
et ruiné. Schiner recourut au Saint-Siège. Mais ce
fut en vain que le pape Léon X frappa de l'excommunication Supersaxo et ses partisans, qui furent
même mis au ban de l'empire : les Haut-Valaisans
s'entêtèrent dans leur opposition et Schiner ne put
rentrer dans sa patrie. Il mourut à Rome le 30
septembre 1522.
Mathieu Schiner est l'homme le plus remarquable que le Valais ait vu naître. Favori et conseiller
des papes et des empereurs, il fut revêtu des plus
hautes dignités. Il marqua son administration par
— 62 —
plusieurs œuvres d'utilité publique. Il releva la cathédrale de Sion et l'église de Saint-Théodule, agrandit les bains de Loèche, embellit le château de la
Majorie, améliora l'organisation des tribunaux, des
emplois publics et de la milice. Son éloquence était
entraînante, et son érudition profonde. Né pauvre,
il fut toujours désintéressé, et n'employa ses richesses qu'à favoriser les beaux arts et les lettres.
Il fut en Valais le représentant de la Renaissance.
Sort de Supersaxo. — Pendant que Schiner s'éteignait dans l'amertume de l'exil, Supersaxo était
maître du Valais, qu'il gouvernait à son gré. Comme
successeur du cardinal, il fit nommer, par le chapitre et la diète, un de ses partisans, Philippe de
Platéa, qui avait été excommunié avec lui. Aussi
le pape refusa-t-il de confirmer cette élection. A la
tête de 2000 Valaisans, dont la plupart succombèrent, il partagea en Italie les derniers revers de
. l'armée française. Ces désastres soulevèrent le mécontement du peuple, et un nouveau parti se leva
contre le vieil agitateur. On lui reprocha le sang
qu'il avait fait verser dans ces guerres étrangères,
les discordes qu'il n'avait cessé de semer parmi
ses concitoyens. La source de sa fortune devint
suspecte. Accusé d'avoir détourné de grosses sommes provenant de la France, d'avoir voulu vendre
à Berne les mines de Bagnes, et à la Savoie la montagne de Durance, il fut condamné, en 1529, aune
amende de 12,000 écus. Puis l'orage qui grondait
sur sa tête se déchaîna avec violence. Les mêmes
—
63
—
armes qu'il avait employées contre deux évèques
se retournèrent contre lui : il fut banni sans pitié.
Une nuit d'hiver, sur un traîneau, il s'enfuit à Vevey, où bientôt après il mourut. En même temps,
Philippe de Platéa résignait l'évèché.
CHAPITRE XII
CONQUÊTE DE MONTHEY
Adrien Ier de Riedmatten (1529-1548). — Les Bernois, profitant des embarras du duc Charles III de
Savoie, dont les Français envahissaient les Etats,
s'emparèrent du pays de Vaud. Les Valaisans, de
leur côté, s'avancèrent sur le Chablais. Les habitants de Monthey et d'Evian, voyant les terres ducales occupées de tous côtés par l'étranger, abandonnés de leur prince, redoutant les horreurs de
la guerre, vinrent se placer sous la protection valaisanne. On leur promit le maintien de leur foi et
de leurs libertés, et la restitution de leur territoire
au duc, mais dans le cas seulement où ce dernier
recouvrerait les provinces conquises par les Bernois, contre remboursement des frais d'expédition.
Le 25 février 1536, à Saint-Maurice, les représentants des communes savoisiennes, le chapitre de
l'abbaye d'Abondance et plusieurs nobles prêtaient
le serment de fidélité entre les mains du capitainegénéral Jodoc Kalbermatten.
— 04 —
Gouvernements d'Evian et de Monthey. Traité
de Thonon (1569). — Adrien Ier de Riedmatten, qui
par son habileté avait agrandi le domaine de l'Eglise
de Sion, eut pour successeur Jean Jordan (1548-1565).
Le Valais se trouvait ainsi en possession de la rive
droite de la Dranse du Chablais. Cette région fut
divisée en deux gouvernements, Eoian et Monthey.
Plus tard on détacha du premier les populations
de la montagne, qui formèrent le troisième gouvernement des Alpes. Cependant la maison de Savoie
relevait sa puissance. Le duc Emmanuel-Philibert,
fils de Charles III, à la tète des Espagnols, battit les
Français à Saint-Quentin, en 1557, et deux ans après
se fit restituer, par le traité de Cateau-Cambrésis,
l'héritage de ses pères. En 1564, Berne lui rendit
Gex et le Chablais, et conserva le pays de Vaud.
Le Valais, selon l'acte d'occupation, devait ainsi
se dessaisir de la rive droite de la Dranse. Un traité
conclu à Thonon, le 4 mars 1569, entre les mandataires du duc, de l'évêque Hildebrand Ier de Riedmatten (1565-1604) et des VII dizains, laissa au Valais le gouvernement de Monthey. On renouvela les
anciennes alliances et on convint de se prêter un
secours réciproque de 2000 hommes. La Morge, qui
traverse Saint-Gingolph, fixa définitivement la frontière valaisanne. Ce traité créa entre les deux Etats
une paix qui fut durable.
Organisation du Bas-Valais. — Les communes
du Bas-Valais conservèrent leurs franchises, mais
ne participèrent pas à l'administration générale du
Le Valais de 1475 à 1798.
46°
H Haut-Valais ou les VII Dizains. — B Bas-Valais formant deux gouvernements :
St-Maurice, acquis en 1475 et Monthey, acquis en 1536. — Le gouvernement d'Evlan
a été possédé de 1536 à 1569.
— 65 —
pays. Elles n'avaient aucun représentant à la diète.
Elles étaient placées sous la juridiction des gouverneurs, qui exerçaient le pouvoir judiciaire et administratif. Ces magistrats prononçaient, sans appel,
avec le concours de leurs assesseurs, sur les causes dont la valeur principale n'excédait pas soixante livres. On pouvait appeler de leurs sentences
à la diète, qui jugeait en dernier ressort. Choisis
dans les familles patriciennes, ils étaient nommés
par la diète pour le terme de deux ans, et alternaient entre les VII dizains. Ils avaient un traitement
fixe de 120 florins de Savoie, auquel s'ajoutait le
produit des frais de procédure, des amendes et
des confiscations. Les anciennes châtellenies savoisiennes subsistèrent et formèrent des juridictions
inférieures., dont les fonctionnaires, appelés châtelains, appartenaient à la bourgeoisie locale. Les offices héréditaires, les vidomnats, les métralies et
quelques fiefs, dont plusieurs restèrent encore longtemps entre les mains des nobles, devaient l'hommage ou à l'évèque ou à l'Etat. Les seigneuries
d'Ardon-Chamoson, Isérables, Marttgny et Massongex relevaient du premier, et tous les autres fiefs
du second. L'abbaye de Saint-Maurice était représentée à Bagnes par un châtelain haut-valaisan.
Les districts actuels du Bas-Valais formaient des
bannières, fournissant chacune un corps de milice,
commandé par un banneret. Cette milice, comme
celle des VII dizains, avait à sa tête un colonel.
La Réforme. — Dès 1529, le Valais, pour conser5
—
66
—
ver sa foi, s'était allié aux cantons catholiques. Cette
alliance, déjà renouvelée en 1533, le fut ensuite à
plusieurs reprises. La Réforme, protégée par Berne,
avait en effet pénétré jusque dans la vallée du
Rhône. Le Haut-Valais en reçut les germes d'un
de ses fils, Thomas Platter, professeur à Bàle, et
le Bas de ses voisins d'Aigle, que les Bernois avaient
gagnés à la nouvelle doctrine, comme le reste du
Pays de Vaud. En 1603, le peuple, appelé à décider,
à la majorité des suffrages, entre le catholicisme et
le protestantisme, se réunit en assemblée générale
à Sion, et jura de transmettre intacte à ses descendants la religion de ses pères. La Réforme disparut du pays sans y laisser de trace.
CHAPITRE Xliï
LA RÉPUBLIQUE DU VALAIS
Triomphe de la démocratie. — L'importance politique des VII dizains s'était considérablement accrue,
surtout depuis les dernières conquêtes. Ces communautés, qui, dans les guerres de Rarogne, avaient
définitivement anéanti l'aristocratie féodale, commencèrent dès lors à tourner leurs armes contre le
pouvoir des comtes-évèques. Les luttes de la démocratie naissante avaient déjà ébranté le siège d'Adrien II dß Riedmatten (1604-1613). Elles continuèrent sous l'épiscopat à?Hildebrand II Jost, qui verra
surgir la République du Valais.
— 67 —
Le parti qui dirigeait ce mouvement était celui
des francs patriotes, dont les chefs appartenaient
aux premiers rangs de la magistrature. Contestant
la légitimité des droits du siège de Sion, et déclarant que le peuple avait conquis sa liberté par ses
propres armes, il contraignit le chapitre de la cathédrale et l'évèque à reconnaître les VII dizains pour
un peuple libre, de régime démocratique et possédant l'exercice de la souveraineté. Le bailli, investi
du pouvoir suprême, devait recevoir le serment de
l'évèque élu et lui remettre le glaive de la régalie
(1613-1634). Dès lors l'évèque ne conserva plus que
quelques lambeaux de souveraineté : le droit de
grâce, la convocation de la diète, la nomination des
notaires, l'hommage de quelques fiefs. Les noms
de comte et préfet du Valais, inscrits en tète des
chartes épiscopales, ne seront plus que des titres
honorifiques. Les succès de la démocratie ne furent
obtenus qu'au prix d'une longue et ardente lutteHildebrand Jost s'était vu obligé de fuir le Valais,
et n'avait pu y rentrer qu'après avoir fait sa soumission envers l'Etat. Le chef du parti episcopal,
Antoine Stockalper, qui avait formé un complot pour
faire périr les chefs des francs patriotes, Roten,
Maguëran, Preux, Ambuel; était mort sous la hache
du bourreau.
Maisons religieuses. — Le XVIIe siècle vit s'élever
plusieurs maisons religieuses. L'Etat autorisa une
communauté de bernardines à se bâtir un couvent
à Collombey, sur les ruines du manoir des nobles
-
68 —
d'Arbignon (1643). La même année, Adrien III de
Riedmatten consacra l'église des pères capucins de
Sion. En 1656, Adrien IV de Riedmatten en consacra une autre pour le même ordre à Saint-Maurice,
élevée, comme le monastère, qui fut fondé en 1611,
par les libéralités du capitaine Antoine Quartèry. A
Brigue existait un couvent d'tirsulines, doté par
Gaspard Stockalper (1663).
Le Valais au XVIIIe siècle. — Le système gouvernemental qui remplaça celui des comtes-évêques,
se maintint jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Le Valais
traversa la plus grande partie de cette période dans
une paix profonde. Son histoire ne contient que
quelques débats soulevés par les revendications du
chapitre, et quelques rares émotions populaires. En
1755, une alerte mit sur pied la milice. La Léventine, bailliage d'Uri, s'était révoltée contre ses maîtres. A l'appel des Alliés, 500 Valaisans se mirent
en marche. Mais les insurgés s'étaient soumis, et la
troupe rentra dans ses foyers. A leur passage à
Sion, les soldats furent généreusement traités par
l'évêque Roten. On dit même qu'il leur donna quelques fûts de vin qui les accompagnèrent chez eux.
Aussi les Bas-Valaisans appelèrent-ils cette campagne
la guerre du vin rouge.
La diète exerçait le pouvoir législatif, et le grand
bailli, qui était à la tête de l'Etat, le pouvoir exécutif. Il présidait la diète dans laquelle l'évêque
siégeait et avait droit à deux suffrages. Les députés
du Valais assistaient aux diètes de la Confédération.
— 69 —
En 177.7, il prirent part au dernier traité conclu
par les XIII cantons et leurs alliés avec la couronne
de France. C'est à cette même époque que fut
frappée la dernière monnaie valaisanne, qui portait
d'un côté les armes de l'évêché, et de l'autre celles
de la République, soit sept étoiles symbolisant les
Vil dizains. L'assemblée législative revisait les Abscheids, qui faisaient suite aux Statuts, ou premières
lois écrites, qui avaient été promulgués en 1571,
et qui formaient avec les franchises communales le
droit valaisan. L'Etat avait conclu des capitulations
militaires avec la France et la Savoie ; plus tard il
en conclut une avec l'Espagne. Nos régiments s'étaient distingués en Lorraine (1635), kRocroy (1643),
à Lérida (1647), à Fontenoy (1745). Le 14 novembre
1780, Sion en fête assistait au renouvellement de
l'alliance de la République avec les sept cantons
catholiques, alliance qui avait autrefois unis ces
Etats pendant les crises religieuses. En souvenir de
cette solennité on frappa une médaille d'argent,
avec la devise latine « L'union fait la force >.
Si pendant le cours de ce siècle le Valais fut
épargné par le fléau de la guerre, il ne le fut pas
par les révolutions de la nature : l'éboulement des
Diablerets, qui fit plusieurs victimes, des inondations
du Rhône et de ses affluents, des tremblements de
terre, causèrent des dommages considérables. A ces
désastres vint s'ajouter Y incendie de Sion, qui, le
le 24 mai 1788, réduisit en cendres une partie de
la ville et de ses châteaux.
— 70 —
CHAPITRE XIV
INDÉPENDANCE DU BAS-VALAIS
Insurrection de Monthey et de Saint-Maurice
(1790). — Un acte arbitraire d'un gouverneur de
Monthey souleva une émeute populaire, qui fut
dans notre pays le prélude de la révolution. Un
montagnard de Val d'IUiez, Pierre-Maurice Bellet,
d'une taille et d'une vigueur peu communes, sépara
un jour à Trois-Torrents deux hommes qui se battaient. Le gouverneur Etienne Schiner, furieux de
cette action qui le privait peut-être d'une amende,
car le sang aurait pu couler, infligea l'amende à
Bellet. Celui-ci refusa de la payer, estimant qu'il
n'avait pu encourir une peine pour avoir apaisé une
querelle. Le 8 septembre 1790, jour de foire à Monthey, ' Schiner fit séquestrer sa jument. Bellet se
rendit au château du gouverneur et protesta vivement contre cet abus de pouvoir. On lui restitua
sa jument. Mais la foule surexcitée assaillit la résidence du magistrat, qui prit la fuite.
La révolte éclata aussitôt à Saint-Maurice, où le
gouverneur abandonna son poste. Ce mouvement,
auquel ne participèrent pas les autres communes
du Bas-Valais, ne tarda pas à se calmer. Les gouverneurs, dont le capitaine de Vantéry, au nom des
insurgés, avait demandé la suppression, furent rétablis. Le gros Bellet reçut de l'Etat une verte remontrance, et quelques-uns de ces compagnons
— 71 —
durent faire amende honorable. Quant à Schiner,
il essuya une terrible réprimande pour ses concussions, et fut contraint de renoncer à sa charge.
Occupation militaire de Monthey (1791). — La
révolution avait été assoupie, mais le feu couvait
sous la cendre. Le successeur de Schiner, PierreAntoine Preux, ne se sentant plus en sûreté, sollicita une occupation militaire. Les VII dizains fournirent un contingent de 700 hommes, et les bannières
de Saint-Maurice et d'Entremönt de 200, sous le
commandement du major-général de Riedmatten.
Monthey fut soumis. Toutes les personnes suspectes y furent arrêtées et condamnées à des peines
diverses, dont cinq à la peine de mort et à la confiscation des biens. Elles furent exécutées à Sion
le 19 novembre 1791. Cette terrible répression contint pendant quelques années les communes qui
menaçaient de se soulever.
Insurrection générale du Bas-Valais (1798). —
La révolution avait éclaté en France et changé la
forme de son gouvernement. Le Valais avait reconnu
la République française et reçu d'elle un chargé
d'affaires. Le résident Mangourit avait mission de
répandre les nouvelles doctrines politiques et d'effectuer la révolution. Il s'installa à Saint-Maurice
et prépara le mouvement. Le 28 janvier 1798, l'arbre
de la liberté fut planté sur la place publique. Le
gouverneur s'éloigna. Les représentants de toutes
les communes du Bas-Valais, rassemblés dans cette'
ville, proclamèrent l'indépendance du pays. Ils éta-
— 72
-
blirent un comité général provisoire, qui avait pour
but de « prévenir l'anarchie et ses maux, de comprimer les méchants et les malveillants, de faire
respecter la religion, les autorisés constituées et la
propriété ».
Dès que le Haut-Valais eut connaissance de ces
événements, il s'empressa d'envoyer, dès le 1er
février, des commissaires à Saint-Maurice, chargés
de déclarer « que les VII dizains renonçaient à leurs
droits de souveraineté, et reconnaissaient les BasValaisans pour un peuple libre, et qu'ils manifestaient de plus le désir sincère de vivre avec eux
dans une amitié fraternelle ».
Emigrés français en Valais. — Depuis plusieurs
années de nombreux émigrés français et particulièrement des ecclésiastiques, qui avaient refusé de prêter le serment constitutionnel étaient venus chercher un asile en Valais. De 1792 à 1798, la petite
ville de Saint-Maurice et son abbaye en accueillirent
plus de 150. Ils y reçurent, comme dans le reste du
pays, une large et affectueuse hospitalité. L'abbé
Georges Schiner envoya encore des sommes d'argent au nonce, qui résidait à Lucerne, pour secourir les prêtres réfugiés dans les autres parties de
la Suisse. Mais, en 1798, le Directoire français exigea
leur éloignement, et Mangourit en fit exécuter
l'ordre.
Assemblée représentative provisoire. — Le comité
général continuait son œuvre. Il annonça que la
constitution qu'il élaborait avec le concours du rési-
—
73
—
dent, abolissait les droits féodaux et la servitude
personnelle. Il reçut bientôt l'acte de l'indépendance
du Bas- Valais. Le grand bailli Sigristen et les députés des VII dizains y confirmaient la déclaration du
1er février. Après la délivrance de cette charte, les
représentants du Haut et du Bas-Valais, réunis à
Saint-Maurice, se constituèrent en assemblée représentative provisoire de la Républiqe du Valais, sous
la présidence de Pierre-Joseph de Riedmatten, bourgmestre de Sion. On nomma un Directoire' exécutif
provisoire de trois membres. Le pays fut divisé, en
dix dizains, dont le sort détermina l'ordre : SaintMaurice, Viège, Conches, Rarogne, Entremon{, Brigue, Sion, Monthey, Sierre et Loèche. Il fut décrété
que le projet de constitution, préparé par le comité,
serait imprimé dans les deux langues et présenté
à l'approbation de communes.
Réunion du Valais à la République helvétique
(1798.) —' L'assemblée avait à peine commencé ses
travaux, qu'elle reçut un arrêté du général Brune,
créant une République rhodanique, dont le Valais
devait faire partie. Mais ce projet, qui fut fort mal
accueilli, ne tarda pas à être retiré par son auteur.
Les armées françaises avaient envahi la Suisse. Le
5 mars 1798, Berne était tombée en leur pouvoir.
Sa chute avait entraîné celle de la vieille Confédération
des XIII cantons, qui fit place à la République helvétique une et indivisible, constituée sous l'influence
du Directoire français. Le Valais désirait conserver
son indépendance, mais il dut se soumettre à la vo-
— 74 —
lonté du plus fort. Il se prononça donc pour sa
réunion au nouvel Etat. C'était le vœu de la France.
CHAPITRE XV.
LA RÉPUBLIQUE HELVÉTIQUE
Première insurrection du Haut-Valais (1798). —
Une constitution, connue par son esprit unitaire, fut
imposée au peuple suisse. Elle le réunissait en un
seul Etat, divisé en dix-neuf préfectures, et gouverné
par un Directoire composé de cinq membres. Les
dizains orientaux, qui vivaient à l'ombre d'une démocratie séculaire, et qui avaient toujours lutté pour
le maintien de leur autonomie, repoussèrent ces
principes contraires à leurs coutumes et leurs institutions. Les communes occidentales, placées dans
des conditions différentes, acceptèrent favorablement
une constitution qui sanctionnait l'indépendance
qu'elles venaient de reconquérir.
Pendant qu'on procédait à la nomination des autorités helvétiques, le même cri de guerre qui avait
retenti dans les Waldstetten se fit entendre à Conches, à Rarogne, à Loèche, dans les montagnes,
appelant le peuple aux armes pour la défense de
la religion et de la liberté. Quelques magistrats
essayèrent en vain de combattre ce soulèvement,
qui ne pourrait avoir que de funestes conséquences. L'évêque Blatter et le chapitre firent aussi
— 75 —
d'inutiles efforts. La guerre était décidée. Dès les
premiers jours de mai 1798 l'insurrection formait
ses rangs. Mangourit demanda des secours au général Schauenbourg, qui commandait en Suisse l'armée française d'occupation. 4000 Haut-Valaisans,
sous les ordres de Joseph et Eugène de Courten,
après s'être emparés de Sion, se rencontrèrent à
Riddes avec les troupes vaudoises et bas-valaisannes,
levées par le Directoire helvétique. Après un léger
engagement, ces dernières durent se replier sur
Martigny où elles attendirent les Français. Profitant
de leur succès, les insurgés avaient occupé Saillon
et Saxon et envoyé une colonne sur Bagnes, qui
rallia à leur cause les habitants de cette vallée.
Combat de la Morge. Sac de Sion. — Cependant
des négociations avaient été engagées pour réconcilier les adversaires. Mais Mangourit mit tout en
œuvre pour les faire échouer. La division qui régnait chez les Haut-Valaisans lui vint encore en aide.
Elle s'accrut à un tel point, que Joseph et Eugène
de Courten se virent forcés de se retirer pour faire
place à de nouveaux chefs. Réduits à 1400 combattants, les insurgés se retranchèrent derrière la
Morge, résolus à résister aux Français. Le 17 mai,
jour de l'Ascension, une division franco-vaudoise,
soutenue par douze pièces d'artillerie, sous le commandement du général Lorges, massée sur la rive
droite du Rhône et les versants de Conthey, ouvrait le feu à sept heures du matin. On riposta vivement, et plus d'une fois les bataillons français reçu-
— 76 —
lèrent devant une pluie de balles. Lorges franchit
la rivière pour charger à la baïonnette. Leurs munitions épuisées, les Haut-Valaisans, ne pouvant recourir à l'arme blanche, se replièrent sur les rochers
et. les coteaux voisins, et y soutinrent un combat
acharmé. A leur aile droite, le feu meurtrier des
tireurs de Savièse, postés près de la Chapelle de
Chandolin, avait infligé à l'assaillant de cruelles
pertes. Après deux heures de lutte, la mousqueterie
des insurgés se tut, et la déroute commença. De
nombreux morts et blessés couvraient le sol. Le
drapeau blanc fut hissé sur les vieux remparts de
Sion qui se rendit à merci.
Un détachement de hussards fut accueilli à la porte
de Conthey par des coups de feu, qui tuèrent un
lieutenant et quelques hommes. Si dans cette circonstance, quelques Haut-Valaisans, égarés par le
désespoir, méconnurent les lois de la guerre, le
vainqueur oublia celles de l'humanité : Français et
Vaudois mirent Sion à sac, ne respectant pas même
les églises ni leurs desservants. Cette malheureuse
cité fut encore condamnée à une amende de 200 000
francs. Les dizains orientaux déposèrent les armes,
et furent soumis à une contribution de 150 000.
francs. Une centaine de citoyens furent enfermés
dans le fort de Chillon. Les arbres de liberté
furent relevés, et au mois d'août de la même année
le peuple valaisan prêtait le serment de fidélité à
la constitution helvétique.
Mangourit avait présenté comme préfet un par-
•
— 77 —
tisan de la politique française, Louis Pittier. Mais
le Directoire helvétique ne ratifia pas ce choix, il
nomma Charles-Emmanuel de Rivaz.
Deuxième insurrection du Haut-Valais (1799). —
Uue coalition des monarques européens se préparait à entrer en lutte avec la République française,
et la Suisse allait devenir un champ de bataille. La
France demanda à l'Helvétie, son alliée, un corps
auxiliaire de 18,000 hommes. Dès les premiers mois
d'année 1799, la campagne s'ouvrait sur le Danube,
en Italie et en Suisse. Pendant que la guerre éclatait sur ses frontières, le Haut-Valais se préparait
silencieusement à reprendre les armes. Il résolut
de ne pas fournir un seul homme à la conscription. Le délégué du Directoire helvétique le somma
de rentrer dans le devoir. Les hommes du landsturm lui répondirent en se levant en masse. Après
avoir remporté quelques succès sur les premières
troupes envoyées par le Directoire (avril-mai 1799),
ils se concentrèrent dans le bois de Finges, sous
les ordres de Perrig, Venetz et Barthêlemi Walther.
Cette forêt, qui s'étend au delà de Sierre, entre le
Rhône qui la défend au nord et au couchant, et de
hautes montagnes aux pentes rapides qui la couvrent au midi, était regardée comme une position
inexpugnable. C'est là qu'ils attendirent l'ennemi.
Combats de Finges. Résultats de la guerre. —
3000 Français, renforcés de quelques compagnies
vaudoises et bas-valaisannes, sous le commandement
—
78 —
de Lollier, s'avancèrent jusqu'à l'entrée de la forêt.
L'artillerie ouvrit le feu, et l'infanterie attaqua à la
baïonnette les retranchements de Finges. Ce premier assaut fut repoussé avec perte. Le 9 mai, plusieurs officiers et quelques centaines de soldats
restèrent sur le carreau. Le 13, le 14, le 15 mai, de
nouveaux assauts furent livrés, mais sans succès.
Cette dernière journée coûta à Lollier 300 hommesDevant cette vigoureuse résistance, ce dernier dut
appeler des renforts. Les Haut-Valaisans ne possédaient qu'une bien modeste artillerie, mais leur principal moyen de défense consistait dans leurs mousquets dont ils se servaient avec une redoutable
adresse. Cependant de nouveaux bataillons étaient
venus grossir les rangs français. Le camp de Finges
subit bientôt une dernière et décisive attaque. Ses
valeureux défenseurs, surpris au milieu de la nuit,
furent massacrés par les soldats de la 89e demibrigade, commandée par le général Xaintrailles.
Le vainqueur porta ensuite autour de lui le fer
et le feu. De nombreux villages furent pillés et
brûlés, Loèche, Viège, Brigue saccagés, la campagne
entière dévastée. Les débris des troupes insurgées,
ralliés aux Autrichiens qui avaient pénétré dans la
vallée de Conches, opposèrent encore une résistance héroïque à la marche des Français. A Viège,
le commandant Walther, surpris par un détachement de cavalerie, avait refusé de se rendre et était
tombé en brave. Mais les Impériaux furent rejetés
sur l'Italie, et les Français restèrent maîtres de la
— 79 —
la vallée supérieure. Ils y prirent leurs cantonnements et achevèrent ainsi de la ruiner.
Cette guerre de 1799 est une des pages les plus
lugubres de notre histoire nationale. L'invasion avait
laissé à sa suite des misères inexprimables. La contrée qui en avait été le théâtre offrait aux regards
un navrant spectacle. La charité publique chercha
à soulager tant d'infortunes. Les Conseils helvétiques votèrent des secours. Plus de deux cents orphelins furent recueillis dans le Bas-Valais. On redevint frères dans le malheur.
CHAPITRE XVI
LE VALAIS DE 1800 à 1815
Occupation militaire du Valais (1801-1802).— Le
général Bonaparte \ qui sous le nom de premier
consul gouvernait la France et s'apprêtait à fonder
un empire, voulait ouvrir à ses armées la voie du
Simplon et placer le Valais sous sa dépendance immédiate. Au mois de novembre 1801, il fit occuper
le pays par les bataillons du général Turreau. Cet
agent politique se servit de tous les moyens pour
forcer les habitants à se donner à la France. Mais
les Valaisans refusèrent de livrer leur patrie à l'étran1
Au mois de mai 1800, il franchit le Grand Saint-Bernard
avec 40,000 hommes. Ce passage est resté célèbre. Ce furent les
Valaisans qui transportèrent l'artillerie.
— 80 —
ger. Croyant vaincre cette résistance par la rigueur,
il imposa d'écrasantes contributions, remplit de garnisaires les demeures des citoyens, destitua le préfet
national de Rivaz, qu'il remplaça par Pittier, ainsi
que les membres des autorités cantonales et communales, dévalisa le trésor public, porta nombre de
décrets arbitraires. Pour protester contre les actes
de la France, les communes avaient délégué à Berne,
auprès du gouvernement helvétique et de l'ambassade française, des députés, qui malgré les glaces
de l'hiver avaient franchi la Gemmi. A leur retour
Turreau les fit arrêter. Toutes ces odieuses vexations ne purent ébranler le patriotisme des Valaisans.
Cependant ces derniers accéléraient les négociations avec Berne et la France, pour soustraire le
pays aux maux qu'il éprouvait. Le premier consul
parut renoncer pour le moment à ses projets d'annexion. Il isola le Valais de l'Helvétie et en fit un
état libre et indépendant sous le protectorat des Républiques française, italienne et helvétique. L'acte
de garantie, signé à Bex le 23 août 1802 par les
représentants de ces trois nations, réservait à la
France le libre et perpétuel usage d'une route commerciale et militaire passant par le Simplon. *
Le Valais république indépendante (1802-1810). —
La diète, qui venait d'être élue, se réunit à Sion le
26 août 1802, sous la présidence de Gaspard-Eugène
1
La route du Simplon, que le premier consul fit ouvrir, offrit
le passage en 1805.
— 81 —
Stockalper. Muller-Friedberg prit la parole au nom
de la République helvétique. Une vive émotion s'empara de l'assemblée et les yeux des députés se
remplirent de larmes quand l'orateur prononça ces
paroles : « Je viens vous offrir, à vous, qui êtes les
représentants légitimes du peuple valaisan, l'indépendance de votre patrie. C'est au nom du gouvernement helvétique que je délie de Ses serments ce
peuple chéri qui, par la vertu et la constance avec
lesquelles il a su les honorer, s'est rendu un modèle digne d'imitation aux Suisses eux-mêmes, a
mérité la bienveillance et l'admiration des étrangers,
et a posé un monument perpétuel à son caractère
moral et religieux. » La diète nomma ensuite le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le Conseil d'Etat dont le
président portait le titre de grand bailli. Une nouvelle constitution, qui reposait sur le principe de
la liberté et de l'égalité politique, et donnait à l'évoque un siège à la diète, reconnaissait douze dizains :
Conches, Brigue, Viêge, Rarogne et Mœrel, Loèche,
Sierre, Sion avec Nendaz, Veysonnaz et Salins, Hérémence, Martigny, Sembrancher, Saint-Maurice et
• Monthey. Elle fut adoptée le 30 août.
Les troupes françaises avaient commencé à évacuer le pays. Le 5 septembre, la fête de l'indépendance fut célébrée avec éclat. A Sion, la bannière
rouge et blanche, aux douze étoiles, se déploya sur
l'Hôtel de Ville, au bruit du canon, aux sons de la
musique de la 87e demi-brigade, aux acclamations
de tout un peuple. Un service solennel eut lieu à la
6
— 82 —
cathédrale. Au banquet officiel, le premier toast fut
porté à Napoléon Bonaparte, « restaurateur de la
République du Valais ». Le soir mille feux de joie
brillaient sur les crêtes des Alpes. Une aurore nouvelle sembla se lever sur la vallée du Rhône, et le
peuple se reprit à espérer.
La paix reparut. Les plaies de cinq années de
lutte et de misère se refermèrent insensiblement.
La prospérité revint. Les magistrats s'appliquèrent
à améliorer la situation du pays. L'administration de
la justice, le système des finances, l'organisation
des milices, la police des forêts, l'entretien des routes, la salubrité publique, éveillèrent leur sollicitude.
Le département du Simplon (1810-1813). — Le
peuple valaisan goûtait depuis huit ans les bienfaits
de sa liberté, lorsque, le 14 novembre 1810, une
proclamation du gouvernement lui annonça qu'un
décret de Napoléon I >' réunissait le Valais à l'empire sous le nom de département du Simplon. Le
même jour, le général Berthier, à la tête des troupes impériales, prenait possession du pays. Le nouveau département français fut divisé en trois arrondissements : Sion, chef-lieu, résidence du préfet,
Brigue et Saint-Maurice, sous-préfectures. Les arrondissements furent subdivisés en cantons. Les
diverses parties de l'administration, de l'instruction
publique, l'organisation des tribunaux, furent établies
sur le modèle français. La législation valaisanne fit
place à celle de l'Empire. L'évêché de Sion fut conservé, et l'évêque de Preux nommé baron d'Em-
-
83 —
pire. Berthier fît prêter aux membres du clergé,
aux autorités, aux professeurs du'collège le serment
de fidélité à l'empereur, et renvoya ensuite la plus
grande partie de ses troupes. L'ambassadeur Derville-Maléchard, nommé préfet, prit la direction du
département.
Occupation du Valais par les Alliés (1813). — Les
soldats valaisans avaient partagé les gloires et les
désastres de l'Empire. Eu 1812, dans la campagne
de Russie, au passage de la Bêrésina, ils s'étaient
signalés par leur bravoure, mais la terre natale
pleurait ses fils. L'année suivante, le champ de bataille de Leipzig voyait pâlir l'étoile du conquérant
et, le 21 décembre 1813, les Alliés franchirent le
Rhin. Le comte de Rambuteau, successeur de Derville-Maléchard, s'éloigna en toute hâte avec la gendarmerie, les douaniers, la garnison et la caisse
publique. Le 31 décembre, le colonel autrichien de
Simbsclien, arrivé à Sion, annonça par une proclamation qu'il venait occuper le Valais par ordre des
puissances alliées. Il invita le pays à déléguer douze
députés, sous la présidence du grand bailli provisoire Stockalper, pour procéder à une nouvelle organisation des pouvoirs. On créa un corps de
police militaire, désigné sous le nom de chasseurs
valaisans et fort de 400 hommes. Les lois françaises et les autorités judiciaires furent supprimées ;
on nomma des juges provisoires. Les bourgmestres
et les syndics remplacèrent les maires et les adjoints.
Le commandant autrichien établit son quartier-gé-
— 84 —
néral à Saint-Maurice, où il fît élever des ouvrages
de défense (1814).
Les Français s'approchaient des frontières suisses.
Un détachement de gendarmerie essaya de forcer
le passage du Grand Saint-Bernard, mais il fut repoussé par les hommes de PEntremont. Une forte
colonne italienne cherchait à opérer par le Simplon
sa jonction avec le maréchal Augereau, dont les
avants-postes s'étendaient jusqu'aux environs de
Genève. Elle fut mise en déroute par les Autrichiens et les chasseurs valaisans, qui s'avancèrent
jusqu'à Domo d'Ossola.
Réunion du Valais à la Suisse (1814). — Pendant
que notre pays recouvrait son autonomie, les armées des Alliés entraient dans Paris, l'empereur
abdiquait et Louis XVIII montait sur le trône de
France. La paix de Paris reconnut l'indépendance
de la Suisse, et garantit l'organisation politique
qu'elle se donnerait. Les soldats étrangers quittèrent
le sol valaisan. Le ministre d'Autriche avait fait savoir au gouvernement provisoire du Valais que le
désir des Alliés était de réunir ce pays à la Suisse,
et l'avait invité à envoyer à Zurich des députés
pour traiter. Cette heureuse intervention prévint la
discorde qui menaçait de désunir les deux parties
du canton. A Zurich, les ministres des puissances
étrangères accueillirent avec bienveillance la deputation valaisanne, les Confédérés lui tendirent une
main fraternelle. Les vœux du peuple de la vallée
du Rhône ne tardèrent pas à être exaucés : le 12
— 85 —
septembre 1814, le Valais fut reçu, comme vingtième
canton, dans le sein de la Confédération suisse.
Les lettres et les sciences. — Pendant la période
qui s'écoule du XVIe au XIXe siècles, les lettres et
les sciences prennent un certain degré de développement. L'enseignement donné dans les collèges de
Brigue, de Sion et de Saint-Maurice pose les bases
d'une culture intellectuelle. Un groupe de savants
et d'écrivains marque le mouvement littéraire et.
scientifique de cette période. Mentionnons entre
autres les chroniqueurs et historiens Brantschen,
Bérodi, qui est aussi connu comme auteur dramatique, et Briguet; le théologien et poète latin Binner ; le naturaliste Murith. La famille de Rivaz a
produit trois historiens distingués, dont le premier,
Pierre de Rivaz (1711-1772), a laissé un nom célèbre. L'abbaye de Saint-Maurice a donné un précepteur à l'empereur Joseph II dans la personne du
Ô<i chanoine Weguer.
RÉSUMÉ CHRONOLOGIQUE
DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS DE 1815 A 1875
1815. Constitution cantonale (12 mai). — Pacte fédéral (7 août).
1816. Affreuse disette. — Mort du naturaliste Murith.
1818. Inondation• du glacier du Giétroz, qui ravage Bagnes, Voilages, Sembrancher, Bovernier et Martigny, 50 victimes
(juin).
1827. Une avalanche ensevelit, dans le district de Conches, les
villages de Biel et de Seihingen, avec 80 habitants
(janvier).
1833. Projet de revision du Pacte fédéral. Manifestation de Martigny (11 avril);
1834. Pétition du Bas-Valais pour obtenir au sein de la diète
une représentation proportionnelle à la population des
districts.
1839. Les députés du Bas-Valais élaborent une nouvelle constitution, qui est rejetée par le Haut-Valais. — Conllit. —
Intervention fédérale.
1840. Troubles d'Evolène (22 mars). — Insurrection du BasValais. Défaite des Haut-Valaisans (1 e r avril). Adhésion
de tout le Valais à la constitution du 3 août 1839. —
Première séance du Grand Conseil, qui remplace la diète
(18 mai).
1842. Formation des partis extrêmes.
1843. Lutte de la Jeune Suisse et de la Vieille Suisse.
1844. Troubles. — Nouvelle intervention fédérale. — Les HautValaisans entrent dans Sion. — Combat du Trient. Dé-
— 88 —
1847.
1848.
1852.
1855.
1856.
1857.
1865.
1870.
1874.
1875.
faite de la Jeune Suisse et du parti libéral (21 mai). —
Constitution cantonale (14 septembre).
Guerre du Sonderbund. Un bataillon valaisan prend part,
avec l'armée des cantons catholiques, à l'attaque du
Gothard et aux combats livrés dans le Freiamt (Argovie) et à Qislikon. — Trois compagnies sont faites prisonnières à Lucerne et dirigées sur Bâle. — Capitulation et occupation du Valais (29 et 30 novembre). —
Le parti libéral reprend le pouvoir.
Constitution cantonale (10 janvier). — Constitution fédérale (12 septembre).
Constitution cantonale (28 décembre).
Promulgation du Code civil.
Avènement au pouvoir du parti conservateur.
Conflit entre la Suisse et la Prusse au sujet de Neuchâtel.
Occupation du Rhin.
Mort des historiens Boccanl et Furrer.
Guerre franco-allemande. Occupation des frontières.
Revision do la constitution fédérale (29 mai).
Constitution cantonale (26 novembre).
De 1815 à 1875, le siège episcopal de Sion fut occupé par
Joseph-Xavier de Preux (1807-1817), Augustin-Sulpice
Zen-Ruffinen (1817-1829), Maurice-Fabien Roten (18301843), Pierre-Joseph de Preux (1843-1875), et Adrien VI
Jardinier (1875-1901), qui eut comme coadjuteur puis
comme successeur Mgr Jules-Maurice Abbet.
TABLE DES MATIERES
Pages
LES TEMPS ANCIENS
CHAP. I.
Les origines
CHAP. II.
Le Valais indépendant
10
CHAP. III.
Les Romains
13
LE MOYEN AGE
CHAr. IV. Les Germains
CHAP. V.
Le deuxième royaume de Bourgogne . . . .
7
18
24
CHAP. VI.
Les comtes-ôvèques
30
CHAP.
CHAP.
CHAP.
CHAP.
VII.
VIII.
IX.
X.
Guerres de Pierre de Savoie
Insurrection des nobles
Insurrection des communes
Conquête du Bas-Valais et guerre de l'Ossola
33
37
45
52
CHAP.
CHAP.
CHAP.
CHAP.
CHAP.
LES TEMPS MODERNES
XI. Le cardinal Schiner
XII. Conquête de Monthey
XIII. La République du Valais
XIV. Indépendance du Bas-Valais
XV. La République helvétique
CHAP. XVI. Le Valais de 1800 à 1815
Résumé chronologique des principaux événements de 1815 à 1875
57
63
66
70
74
79
87
TABLE DES CARTES
Pages
Province des Alpes Graies et Pennines
Le Valais de 1384 à 1475
Le Valais de 1475 à 1798
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