Réanimation (2010) 19, 423—430 MISE AU POINT Physiopathologie de la dénutrition en réanimation Pathophysiology of malnutrition in intensive care unit A. Ait Hssain a,∗,b, B. Souweine a, N.J. Cano b,c,d a Service de réanimation médicale, hôpital G.-Montpied, CHU de Clermont-Ferrand, université Clermont-1, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand, France b Service de Nutrition, hôpital G.-Montpied, CHU de Clermont-Ferrand, 63003 Clermont-Ferrand, France c Unité de nutrition humaine (UNH), INRA, UMR 1019, CRNH Auvergne, Clermont université, BP 10448, 63000 Clermont-Ferrand, France d Unité de nutrition humaine (UNH), INRA, UMR 1019, CRNH Auvergne, université d’Auvergne, BP 10448, 63000 Clermont-Ferrand, France Reçu le 25 juin 2010 ; accepté le 30 juin 2010 Disponible sur Internet le 23 juillet 2010 MOTS CLÉS Nutrition ; Dénutrition ; Agression ; Muscle ; Réanimation KEYWORDS Nutrition; Malnutrition; ∗ Résumé La prévalence de la dénutrition est proche de 50 % à l’admission à l’hôpital et particulièrement à l’entrée en réanimation. L’état nutritionnel s’aggrave le plus souvent pendant le séjour du fait des différentes agressions subies en réanimation et de l’insuffisance d’apport. L’agression induit une augmentation des dépenses énergétiques et un hypercatabolisme protéique. Cette adaptation métabolique de l’organisme entraîne des modifications notables de la composition corporelle et plus particulièrement une diminution de la masse maigre. Celle-ci se fait principalement au dépend de la masse musculaire qui développe des atteintes structurelles à l’origine de conséquences fonctionnelles compromettant la réhabilitation. L’année qui suit le séjour en réanimation est souvent marquée par une persistance de la dénutrition, voire d’une aggravation de l’état nutritionnel et d’une mortalité d’environ 20 %. Ces données soulignent l’importance de la compréhension de la physiopathologie de la dénutrition en réanimation, abordée dans cet article, et de sa prise en charge. © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The prevalence of malnutrition is close to 50% at admission in hospital and particularly in intensive care unit (ICU). Most often, nutritional status worsens during the stay in ICU due to various stresses and insufficient nutrient intake. The aggression state induces an increase in energy expenditure and protein catabolism. Such a metabolic adaptation causes significant Auteur correspondant. Adresse e-mail : aait [email protected] (A. Ait Hssain). 1624-0693/$ – see front matter © 2010 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2010.06.009 424 Stress; Muscle; Intensive care unit A. Ait Hssain et al. changes in body composition and more precisely a decrease in lean body mass. The decrease in muscle mass is associated with myofiber structural and functional alterations compromising patient rehabilitation. During the year following the stay in ICU, patients are characterized by the persistence or even worsening of the protein-energy malnutrition and a mortality rate of about 20%. These data underline the importance of understanding the pathophysiology of malnutrition in the ICU, discussed in this article, and its management. © 2010 Société de réanimation de langue française. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction La dénutrition se définit par un déficit d’apport énergétique, protéique et en micronutriments, associée à une altération fonctionnelle et à une perte tissulaire. Elle induit notamment une diminution de la masse maigre cliniquement apparente sous la forme d’une fonte musculaire. L’hospitalisation en service de réanimation induit de façon quasi-constante une perte de poids. L’éventuelle dénutrition préexistante, l’insuffisance des apports nutritionnels, et la réponse hypercatabolique sont principalement en cause. On estime à 2 % par jour la fonte de la masse maigre chez le patient admis en réanimation. Celle-ci s’intègre dans le cadre d’un déficit protéino-énergétique global [1]. La perte de masse musculaire a un impact direct sur le risque de complications, tels l’augmentation des infections nosocomiales, le retard de cicatrisation et la difficulté de sevrage de la ventilation mécanique. Le corollaire en est une augmentation de la durée de séjour en réanimation et à l’hôpital [2]. On estime entre 40 et 60 % le nombre de patients dénutris lors de l’admission en réanimation [3,4]. Ce chiffre est similaire au nombre de patients dénutris admis à l’hôpital [5,6]. Certaines pathologies préexistantes doivent attirer l’attention sur un risque nutritionnel accru. Il s’agit principalement des maladies chroniques d’organes, des infections chroniques, des cancers et des affections digestives. Le séjour en réanimation est un facteur de dénutrition lié au déficit d’apport, à la durée du séjour, à la nécessité d’une ventilation mécanique prolongée et au nombre de défaillances viscérales survenant au cours de l’hospitalisation [7]. Ainsi, bien que l’état nutritionnel à la sortie de réanimation soit mal connu, le nombre de patients dénutris s’accroît probablement pendant le séjour en réanimation. L’évaluation de l’état nutritionnel en réanimation est difficile du fait des nombreuses limites des marqueurs anthropométriques et biologiques (variation de poids liée à des variations hydriques importantes, fiabilité des poids mesurés contestée, inflammation). Elle repose sur : des paramètres cliniques simples, poids et taille mesurés à l’admission, notion de perte de poids récente ; des paramètres biologiques, albuminémie et transthyrétinémie (préalbuminémie) interprétées en fonction de l’état inflammatoire ou infectieux indiqué par la valeur de la C-réactive protéine sérique [8] La Haute autorité de santé (HAS) a proposé un algorithme proposé par le Programme national nutrition santé (PNNS) pour le dépistage et la prise en charge de la dénutrition en réanimation reposant sur ces paramètres (Fig. 1, www. nutrimetre.org/PDF/noticeAlgorea.pdf, www.nutrimetre. org/PDF/Algorea.pdf). Dépister et prendre en charge la dénutrition est d’importance cruciale compte tenu de son retentissement sur le pronostic : augmentation du risque d’infections nosocomiales, de la durée de la ventilation artificielle, du temps de cicatrisation, du risque d’escarres et de la mortalité. La prise en charge de la dénutrition en réanimation nécessite la compréhension de sa physiopathologie. Celleci est traitée dans cet article avec un développement particulier de l’atteinte musculaire, élément majeur du pronostic. Réponse métabolique à l’agression On considère qu’il existe une agression primaire liée à la pathologie initiale, infection, traumatisme, acte chirurgical et des agressions secondaires, conséquences de l’agression initiale caractérisées par la survenue de défaillances d’organes. L’impact nutritionnel de l’agression peut être majoré par les traitements de la pathologie initiale, les techniques de suppléance des défaillances d’organes mais aussi par l’insuffisance d’apport de macro- et micronutriments. S’il existe une certaine hétérogénéité des patients séjournant en réanimation, il existe sur le plan métabolique un tableau commun lié à l’agression sévère. Celle-ci est responsable d’un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS) lié à une réponse cytokinique, hormonale et neuroendocrine [9]. Cette adaptation au stress est responsable d’une redistribution des priorités métaboliques, au profit du système immunitaire et des tissus de cicatrisation, concernant le métabolisme énergétique et protéique et caractérisée notamment par une protéolyse musculaire et un état d’insulinorésistance. Bénéfique lors des agressions de courte durée, cette adaptation conduit lorsque celles-ci se prolongent à une dénutrition protéique majeure. Métabolisme protéique Lors d’agressions sévères tels les polytraumatismes, les brûlures, les actes de chirurgie lourde et les syndromes septiques graves, une dégradation des réserves protéiques, avec une fonte musculaire cliniquement visible, est observée. Cet état hypercatabolique aboutit à une balance azotée négative, conséquence d’un déséquilibre entre la protéolyse qui est accrue et la synthèse protéique qui est diminuée [10,11]. Le catabolisme protéique est activé par des cytokines pro-inflammatoires (TNFalpha, IL-1, IL-6 principalement) et par les hormones de réponse à l’agression (cortisol, catécholamines, glucagon) Physiopathologie de la dénutrition en réanimation 425 Figure 1 Algorithme pour le dépistage de la dénutrition chez l’adulte en soins intensifs ou réanimation proposé dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS). Les flèches en pointillés indiquent l’action (www.nutrimetre.org/PDF/noticeAlgorea.pdf, www.nutrimetre.org/PDF/Algorea.pdf). [9,12]. Ces hormones de contre-régulation participent à l’insulinorésistance. L’apport de glucose aux tissus insulinodépendants diminue et les acides aminés, dont les concentrations sériques sont augmentées à la phase aiguë de l’agression, deviennent un substrat énergétique. Lors des états d’agression les muscles sont la principale source d’acides aminés. Le transport des acides aminés glucoformateurs d’origine musculaire, alanine et glutamine principalement, a augmenté. La glutamine est considérée comme un acide aminé essentiel chez le patient agressé, son importante utilisation par le système immunitaire, le rein et l’intestin pouvant conduire à un déficit [9,12]. Ces anomalies du métabolisme protéique ont un impact majeur sur la masse, la structure et la fonction musculaire (cf. infra). Métabolisme énergétique L’évaluation de la dépense énergétique de repos (DER) en réanimation est difficile. Son calcul par l’équation d’Harris et Benedict tend à la sous-estimer. La calorimétrie indirecte reste peu utilisée en pratique clinique du fait de son coût et de ses limites. Plusieurs études ont montré que le patient de réanimation présente à la phase aiguë une augmentation de la DER [13]. Celle-ci peut être réduite par les thérapeutiques telles que les antipyrétiques, la ventilation mécanique, l’analgésie et la sédation. En réalité, la dépense énergétique varie au cours du temps alternant des périodes d’augmentation et de diminution selon la situation clinique [14]. Des facteurs de correction et des équations multiparamétriques ont été avancés par plusieurs auteurs pour évaluer la DER selon les caractéristiques anthropométriques et les situations cliniques [15,16]. Le Tableau 1 mentionne les principaux paramètres influençant la DER en réanimation [9,17,18]. L’inadéquation entre les apports et la dépense énergétique est corrélée au risque de décès : la mise en place précoce d’un support nutritionnel adapté est un élément clé qui diminue le déficit énergétique et améliore ainsi le pronostic des patients [19]. Tableau 1 Principaux paramètres influençant la dépense énergétique en réanimation [9,17,18]. Augmentation Diminution Position +15 à 20 % Prémédication opératoire −10 % Sédation −20 à −50 % Opiacés −10 à −25 % Ventilation mécanique −11 à −25 % Hypothermie + sédation — 7 %/◦ C Fièvre/◦ C +10 à 15 % Sepsis +15 à 50 % Chirurgie +10 à 20 % Brûlure majeure +25 à 80 % Nutrition artificielle +10 à 20 % Catécholamines +10 à 30 % 426 Métabolisme glucidique, contrôle glycémique et insuline L’hyperglycémie, observée dans de nombreux états pathologiques aigus tels que suites opératoires, chirurgie, infarctus du myocarde ou sepsis, est le reflet visible d’une modification complexe du métabolisme glucidique. En effet, la réponse hormonale, caractérisée par une production accrue de cortisol, adrénaline, noradrénaline, hormone de croissance (GH) et glucagon, et les cytokines inflammatoires (TNF-alpha, IL-1 et IL-6) induisent une résistance à l’insuline. Celle-ci est associée à une réduction de l’utilisation périphérique du glucose, liée à une diminution du nombre de transporteurs GLUT-4 et à une altération de la transduction cellulaire du signal insulinique [20—23]. Ce défaut d’utilisation périphérique du glucose est associé à une stimulation de la néoglucogenèse hépatique. L’hyperglycémie et le défaut de captation du glucose par les tissus insulinodépendants réorientent son utilisation vers les tissus immunocompétents et les aires de cicatrisation au niveau desquels le transport du glucose via les récepteurs GLUT-1 est stimulé [20,21]. Cet aspect « adaptatif » de l’hyperglycémie en réanimation a longtemps été considéré comme favorable. L’hyperglycémie est cependant associée à un risque oxydatif majeur [24]. Les travaux de Van Den Berghe et al. ont mis en avant l’intérêt possible d’un contrôle glycémique strict par insulinothérapie en termes de morbidité et mortalité en réanimation [25]. Cet intérêt reste cependant débattu [26—28]. Métabolisme lipidique Les lipides représentent la réserve d’énergie la plus importante de l’organisme, sous forme de triglycérides, équivalente à 100 000 kcal chez un adulte. Le tissu adipeux joue ainsi un rôle primordial dans le jeûne. De même, lors d’agressions, il intervient comme source d’énergie pour la néoglucogenèse, en augmentant la lipolyse adipocytaire. Sous l’action de la lipoprotéine lipase, enzyme hormonosensible, les triglycérides seront clivés en glycérol et en acides gras, qui seront rapidement oxydés dans la cellule. Sous l’effet de l’hyperinsulinisme et de la sécrétion de catécholamines endogènes, la cétogenèse diminue et ne peut inhiber la néoglucogenèse à partir des acides aminés participant à l’hyperglycémie et à l’érosion du réservoir protéique musculaire. Stress oxydatif Dans les états de choc septique ou hémorragique, la production des espèces réactives de l’oxygène est corrélée au pronostic chez l’homme [29,30]. Le stress oxydant semble lié à survenue de dysfonction d’organe notamment rénal et contribue à accélérer la dénutrition [31]. Certains micronutriments (sélénium, vitamines C, D et E) ont été proposés pour moduler les effets délétères des espèces réactives de l’oxygène. L’organisme met donc en place une adaptation métabolique à l’agression avec redistribution des substrats calorico-azotés, au dépend de la masse maigre. À A. Ait Hssain et al. Tableau 2 Causes d’insuffisance d’apports en réanimation. Initiation retardée de la nutrition Doses caloriques prescrites en deçà des objectifs caloriques Doses caloriques délivrées en deçà des doses caloriques prescrites Doses caloriques absorbées en deçà des doses caloriques prescrites Vomissements, régurgitation Résidus gastriques de surveillance perdus Nursing Procédures diagnostiques nécessitant la mise à jeun (imagerie, bloc opératoire) Drogues vaso-actives Absence de voie d’administration d’une assistance nutritionnelle l’agression, s’ajoute l’insuffisance d’apport en macro- et micronutriments, qui accentue le déficit de la balance azotée et calorique. Ce phénomène se produit insidieusement car le patient présente souvent bien avant son admission en réanimation un jeûne partiel ou total qui est induit soit par une anorexie, soit par la prise en charge médicale (examens, transports intrahospitaliers, chirurgie). Insuffisance d’apport Face à l’augmentation de la demande énergétique et protéique, l’absence ou l’insuffisance d’apports nutritionnels contribue à aggraver l’effet de l’agression. Sur le plan métabolique, le jeûne accentue les modifications métaboliques liées à l’agression. Cette situation est d’autant plus fréquente que le tube digestif est lésé (chirurgie digestive, iléus paralytique) et que l’alimentation orale ne peut subvenir aux besoins. Compte tenu de la difficulté de définir précisément les besoins énergétiques des patients de réanimation , les sociétés savantes ont énoncé des recommandations pratiques pour le clinicien qui s’appuient sur le poids du patient [32,33]. En réalité, plusieurs études ont montré une différence entre les apports prescrits et les recommandations mais aussi entre les recommandations et les dépenses énergétiques totales [34—36]. À cela s’ajoutent d’autres causes d’insuffisance d’apports indiquées dans le Tableau 2. L’augmentation de la dépense énergétique et la diminution des apports nutritionnels tendent à constituer un déficit énergétique cumulé. Ce concept, défini en 1982 par Bartlett, montre que le déficit énergétique cumulé sur plusieurs jours est associé à une augmentation des complications, des infections, de la prolongation de la durée de séjour et aussi de la mortalité [37]. Des seuils de déficit calorique cumulé variant entre 4000 et 8000 kcal ont été rapportés. Leur importance était corrélée au risque de complications [34,38,39]. Ce déficit s’installe dans les premiers jours du séjour en réanimation et est difficile à combler par la suite sans risque de « surnutrition ». Le calcul automatisé des objectifs caloriques recommandés devrait permettre de sensibiliser les médecins et de limiter le déficit calorique cumulé [38]. Les patients les plus graves sont souvent ceux qui présentent le plus important déficit énergétique alors qu’ils Physiopathologie de la dénutrition en réanimation devraient bénéficier d’un support nutritionnel précoce [19]. La difficulté à nourrir ces patients réside entre autre dans l’intolérance digestive. Cela devrait être évité par l’association d’apports entéraux et parentéraux [40]. Des études prospectives randomisées restent nécessaires pour valider ce type de prise en charge. Ce concept de déficit énergétique cumulé mis en avant depuis quelques années montre l’importance de l’adéquation entre les apports et la dépense énergétique et l’intérêt probable de mesurer cette dernière dans le cadre d’une réanimation nutritionnelle. Maladies chroniques Dans les pays industrialisés, les maladies chroniques d’organes et particulièrement les bronchopneumopathies chroniques obstructives sont en passe de devenir, à l’échéance 2020, la troisième cause de mortalité [41]. Les services de réanimation sont de plus en plus sollicités pour prendre en charge ces patients qui présentent un risque nutritionnel accru. Cette tendance va probablement s’accentuer dans les prochaines années puisque les éventuelles décompensations aiguës d’insuffisance d’organes chroniques seront du ressort des services de réanimation. Il s’agit principalement des insuffisants respiratoires, rénaux, hépatiques et cardiaques. D’autres maladies chroniques sont pourvoyeuses de dénutrition : infections chroniques, pathologies cancéreuses. Dans l’étude de Doig et al., un patient sur cinq admis en réanimation avait soit une insuffisance d’organe chronique soit un état d’immunosuppression [42]. Ces patients présentent un phénotype commun associant l’inflammation chronique, une anorexie, une augmentation de la dépense énergétique de repos, un état d’insulinorésistance, une augmentation du turnover protéique et souvent une hypoandrogénie. Quelle que soit l’insuffisance d’organe chronique, la prévalence de la dénutrition augmente avec la gravité de la maladie [43]. D’autres pathologies, cancer et infections chroniques sont associées à une dénutrition liée à une augmentation de la dépense énergétique et à une dégradation protéique accrue. Dans ce contexte, un stress ou une acutisation de la maladie chronique déséquilibre rapidement l’état nutritionnel. Parmi les méthodes de suppléance des défaillances d’organe, l’épuration extrarénale peut être responsable d’une déperdition de nutriments, d’une diminution de la synthèse protéique et d’une augmentation du catabolisme et constituer une cause additionnelle de dénutrition. Muscle et réanimation La dénutrition protéino-énergétique observée en réanimation est caractérisée par une perte de poids et une modification de la composition corporelle au dépend de la masse non grasse et particulièrement de la masse musculaire. Cette dénutrition à prédominance protéique a un impact direct sur le devenir des patients [1,44]. La « dysfonction » musculaire est complexe. Elle est la résultante de la perte quantitative de masse musculaire souvent associée à une atteinte qualitative : anomalies de la structure et de la capacité oxydative des fibres musculaires. L’atteinte fonctionnelle se manifeste par une diminution 427 de la force musculaire qui peut être évaluée par une mesure de la force de contraction de la main grâce à un dynamomètre (handgrip). L’importance de ces anomalies musculaires est liée au nombre de dysfonctions d’organe et à la corticothérapie. Elles concernent la fonction musculaire périphérique mais aussi diaphragmatique [45]. Ces données ont été étudiées chez l’animal mais aussi chez l’homme dans les situations de sepsis expérimentales ou cliniques [46]. Évaluation quantitative et diagnostic Le métabolisme protéique au cours des états d’agression est sous la dépendance des cytokines pro-inflammatoires et du déséquilibre entre hormones cataboliques et anaboliques. La diminution de la synthèse protéique et l’augmentation de la dégradation protéique résultent en une balance protéique nette négative à l’origine de la fonte musculaire. Lors des états agressions, notamment septiques, il existe une protéolyse musculaire mettant en jeu des voies intracellulaires protéolytiques lysosomales, calcium dépendante et ubiquitine-protéasome dépendante qui sont stimulées par les cytokines pro-inflammatoires [47]. Pour évaluer cette atrophie musculaire, plusieurs techniques ont été proposées. L’imagerie (IRM, DEXA) permet une mesure précise de la masse musculaire totale mais nécessite souvent un transport du patient et limite donc son utilisation en pratique courante. L’échographie permet de mesurer certaines masses musculaires des membres mais n’est pas toujours réalisable. La bioimpédancemétrie et les mesures anthropométriques ne peuvent donner d’informations fiables du fait de l’hyperhydratation. L’excrétion urinaire de la 3-méthylhistidine, rapportée à la créatininurie, est utilisée pour évaluer le catabolisme musculaire. En l’absence d’insuffisance rénale, elle est un reflet de la protéolyse musculaire puisqu’elle est le produit de dégradation de l’actine et de la myosine. L’excrétion urinaire de la 3-méthylhistidine ne donne pas d’indication du niveau de synthèse protéique. Celle-ci est diminuée le plus souvent du fait d’une inhibition des facteurs d’initiation de la traduction protéique [48]. Atteintes structurelles et fonctionnelles La fonte musculaire observée en réanimation est associée à des modifications structurales des fibres musculaires [49]. Tout d’abord, la composition des fibres se réorganise avec une augmentation des fibres de type II et une diminution des fibres de type I. En microscopie électronique, les fibres musculaires présentent des anomalies ultrastructurales comprenant des désorganisations partielles ou complètes des disques Z, des pertes de filaments épais de myosine dans la bande A et une perte d’alignement des sarcomères. Ces changements morphologiques des fibres peuvent associer trois types de lésions : une atrophie sélective des fibres de type 2, une myopathie nécrosante et vacuolaire d’intensité variable et une perte des filaments épais de myosine [50]. Cette désorganisation cellulaire contribue à une altération de la transmission neuromusculaire qui accentue le phénomène d’inactivité musculaire. En effet, l’altération de la contraction musculaire fait intervenir plusieurs mécanismes, en particulier une diminution de 428 Tableau 3 Prise en charge multimodale de la dénutrition en réanimation. Dépistage des patients dénutris à l’admission Dépistage des patients avec facteurs de risque Apport nutritionnel précoce et maximal dans les 24 heures Contrôle de la glycémie < 8,0 mmol/L Modulation de la réponse inflammatoire par immunonutrition (glutamine) Réduire l’exposition à certains facteurs de risque suspectés (corticoïdes, myorelaxants) Diminution de la sédation précoce Mobilisation passive et activité physique précoce en réanimation Électrostimulation l’excitabilité mettant en jeu des lésions de la membrane cellulaire musculaire mais aussi des modifications intracellulaires de l’homéostasie calcique, élément primordial dans le couplage excitation contraction [51]. La diminution de la masse musculaire et ces atteintes structurales des fibres musculaires engendrent des atteintes fonctionnelles qui s’intègrent dans le cadre de la dénutrition protéinoénergétique associée à l’état d’agression. Approches préventives et thérapeutiques L’insuffisance d’apport, la réponse métabolique parfois intense et l’inactivité musculaire lors de l’alitement sont les causes principales de la dénutrition en réanimation. L’optimisation de la prise en charge nutritionnelle comprenant des apports adaptés à la dépense énergétique dès l’admission en réanimation, mais aussi la stimulation de l’activité musculaire qu’elle soit active ou provoquée, doivent permettre de réduire les conséquences fonctionnelles. Chez l’insuffisant respiratoire chronique, l’augmentation de la masse non grasse nécessite une prise en charge multimodale qui associe une optimisation nutritionnelle et une activité physique [52,53]. En réanimation, la relation entre la force musculaire et la mortalité hospitalière a mis en avant l’intérêt d’agir sur la myopathie pour améliorer le pronostic [54]. En effet, plusieurs études récentes ont montré un intérêt croissant pour l’exercice musculaire en réanimation [55]. L’activité musculaire, qu’elle soit développée spontanément par le patient ou provoquée par l’électrostimulation musculaire, engendre une diminution du temps de sevrage ventilatoire [55—57]. La compréhension physiopathologique de la dénutrition et de son impact sur la fonction musculaire est un enjeu majeur de recherche clinique en réanimation. La préservation de la masse et de la fonction musculaires nécessite une prise en charge intégrée, multimodale, associant notamment support nutritionnel, activité musculaire et contrôle du syndrome inflammatoire (Tableau 3). Conclusion La réponse métabolique à l’agression, le déficit calorique cumulé et l’inactivité musculaire interviennent de façon prépondérante dans la physiopathologie de la dénutrition A. Ait Hssain et al. lors d’un séjour en réanimation. Les conséquences en sont une diminution de la masse corporelle et des altérations de sa composition, caractérisée par une fonte musculaire. Celle-ci s’accompagne de modifications structurales, métaboliques et fonctionnelles des muscles périphériques et du diaphragme. La dénutrition et la fonte musculaire sont des éléments déterminants de la morbidité et de la mortalité lors du séjour en réanimation. Le retentissement musculaire doit être évalué en termes de masse et de fonction. La prise en charge de ces patients doit être intégrée et prendre en compte l’ensemble des déterminants de la dénutrition et de la myopathie : correction des apports nutritionnels, stimulation de l’activité physique et, dans la mesure du possible, contrôle des désordres métaboliques et inflammatoires. Conflit d’intérêt Aucun. Références [1] Plank LD, Connolly AB, Hill GL. Sequential changes in the metabolic response in severely septic patients during the first 23 days after the onset of peritonitis. Ann Surg 1998;228:146—58. [2] Herridge MS, Cheung AM, Tansey CM, Matte-Martyn A, DiazGranados N, Al-Saidi F, et al. 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