L`Hurluberlu - Atelier Théâtre Jean Vilar

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Le Coq combattant ou l!atrabilaire amoureux
Jean Anouilh
paru sous le titre de L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux
Distribution
Mise en scène et version scénique : Armand Delcampe
Avec
Armand Delcampe : le Général
Myriem Akheddiou : Sophie
Marie-Line Lefebvre : Tante Bise
Isabelle Roelandt : Aglaé, femme du général
Alexandre von Sivers : le docteur
Gérard Vivane : le baron Bélazor
Robert Guilmard : Lebelluc
Jean-Marie Pétiniot : Ledadu
Patrick Ridremont : David Edward Mendigalès
Olivier Leborgne : le curé
Jean-Claude Dubiez : le laitier
Géromine Poulain, Fanny Bruyère ou Valentine Jongen : Marie-Christine
Grégoire Turine, Maxime Nyamabu ou Thomas Recht : le fils du laitier
Sacha Schildermans, Aurélien Comblez ou Philémon Jongen : Toto
Scénographie et costumes : Lionel Lesire
Lumières : Jacques Magrofuoco
Maquillages : Martine Lemaire
Gestuelle : Jean-Paul Corti
Assistants à la mise en scène : Jean-François Viot et Mélodie Axel
Une production de l!Atelier Théâtre Jean Vilar.
Dates : du 2 décembre 2008 au 9 janvier 2009
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : +/- 2h30 entracte compris
Réservations : 0800/25.325
Contact écoles :
Adrienne Gérard - 010/47.07.11 - 0473/936.976 - [email protected]
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I. L!auteur, Jean Anouilh, bio-bibliographie
Il n!y a que les vaudevilles qui soient tragiques
Jean Anouilh
(Bordeaux 1910 – Lausanne 1987). Auteur dramatique français. Il a été pendant une
trentaine d!années l!écrivain le plus représentatif, et le mieux accueilli, d!une classe sociale –
la bourgeoisie d!après-guerre – cultivée et sceptique que pourtant, en anarchiste, il n!a cessé
de fustiger et de poursuivre de ses sarcasmes.
Anouilh fait du théâtre depuis 1932 (l!Hermine) et les quarante pièces qu!il a écrites
ont été classées par lui-même en catégories qui en donnent le ton : noires, baroques,
brillantes, grinçantes, roses, secrètes… Ce classement n!est pas tout à fait artificiel : la
distance est grande, il est vrai, entre le Bal des voleurs (1938), l!Invitation au château (1947,
m. en sc. A. Barsacq) par exemple, et la Sauvage ou Antigone (1944), voire la Valse des
toréadors (1952). D!un côté, Anouilh s!amuse avec les situations, les personnages et les
mots et l!on sent chez lui un penchant vers le cirque et le music-hall ; de l!autre, les situations
et les personnages, empruntés aussi bien à la tradition culturelle (Antigone, Médée – pièce
du même nom, 1953, m. en sc. A. Barsacq), historique (Becket – pièce du même nom, 1959,
m. en sc. M. Jamois) qu!au fait divers (l!Hermine), servent de prétexte à délivrer un message
dramatique : l!homme est un loup pour l!homme ; tragique même : l!existence est absurde.
La vie ne peut être vécue au jour le jour qu!en violation des valeurs sans lesquelles
précisément elle n!a pas de sens. C!est d!un existentialisme totalement désespéré : l!action,
chez Anouilh, à la différence du « projet » sartrien, bien loin de fonder un humanisme athée,
ne peut que compromettre et corrompre le pur : être fidèle à soi-même c!est dire non, non et
non, à perte de vie. Telle est la leçon de toutes les jeunes femmes d!Anouilh dont le nom
désigne déjà la qualité singulière : Antigone, la Sauvage, l!Hermine, Lucile (dans la
Répétition ou l!Amour puni, 1950, m. en sc. J.-L. Barrault), Colombe (1951).
On pourrait croire Anouilh aigri et rendant la société responsable de l!inaptitude de
ses héros à jouer un jeu social qui n!implique pourtant pas nécessairement la dégradation
morale ; et il y a de cela, sans doute, dans maintes pièces comme Le Rendez-vous de Senlis
(1941) ou Le Voyageur sans bagage (mise en scène Georges Pitoëff, 1937). En fait, Anouilh
est plus philosophe que moraliste et il s!affronte à des contradictions existentielles
proprement insolubles : seul l!amour absolu est amour mais l!amour absolu est impossible
(Ardèle ou la Marguerite, 1948) ; on a beau aimer et être aimé et être capable de se
débarrasser de son passé, on ne peut pas faire litière des déterminismes de toute nature qui
réduisent notre liberté à une illusion (La Sauvage). Seule issue : la fuite (Lucile dans La
Répétition) ou la mort volontaire (Antigone, ou Jeanne d!Arc dans L!Alouette, 1953).
Dès lors, comme Anouilh ne peut se tenir constamment sur ces hauteurs où l!air est
pur mais raréfié, il redescend dans le monde et place maintes de ses intrigues dans des
milieux bourgeois où les bienséances de surface servent d!écran (et, bien sûr, de révélateur,
car les écrans seront vite crevés par les persiflages d!Anouilh) à toutes les bassesses. C!est
le noir social qui s!étend alors sur des dizaines de pièces, de Pauvre Bitos (1958) à Cher
Antoine (1969) et de L!Hurluberlu (1959) à La Grotte (1961) : ratages, petits et gros
mensonges, coups bas en tout genre, revanches prises à la sauvette et sans joie, coups de
canif rageurs dans la respectabilité bourgeoise, tous ces ingrédients sont indispensables à la
fabrication de la cuisine peu ragoûtante, mais toujours relevée, qu!Anouilh, avec une dose de
provocation non exempte de masochisme, offre au public qui lui fournit la matière première
de ses observations.
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Ce qui sauve Anouilh de la monotonie – car il y a quelque chose de mécanique dans
cette obstination à river son œil sur le laid – c!est un ton, grinçant toujours, mélange détonant
de rire et d!amertume, de hargne et de fantaisie. Anouilh – c!est sa politesse à l!égard du public
et sa pudeur à l!égard de la vie – jamais, ou presque, ne pose ni ne plastronne, il est maître
en pirouettes et roi de l!esquive. Il est aussi, en tant qu!écrivain de théâtre, l!inventeur d!un
dialogue rapide, contrasté, taillé dans le marbre d!une prose forte, aux veines colorées et
chatoyantes. En tant que dramaturge, il est, en héritier direct de Pirandello et, lointain, de
Molière et de Shakespeare, capable de bâtir des œuvres à multiples fonds, avec
emboîtements d!une pièce dans l!autre (Marivaux dans La Répétition), surimpression des
temps, des espaces et des langages (L!Alouette), jeu dans le jeu (Le Boulanger, la
boulangère et le petit mitron, 1968 ; Ne réveillez pas Madame, 1970), intervention d!un
metteur en scène-acteur qui met la fable en perspective (La Grotte).
Toutes procédures qui, maniées avec la sûreté d!un grand professionnel, ne peuvent
que faire mouche sur un public sensible à toutes les prouesses d!acteur (Flon, Pitoëff, Périer,
Barrault, Blier, Bouquet) qu!une telle écriture appelle.
Michel Corvin
Extrait du Dictionnaire encyclopédique du théâtre,
Bordas, Paris, 1991
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II. La pièce
Résumé
Le général trouve que ça ne va pas en France. Il conspire contre le régime ; mais
chez lui ça ne va pas fort non plus.
Avec le docteur, le curé, un propriétaire et un petit hobereau voisins, et le quincaillier
du village, le général va rendre la France propre, grande et rigoureuse. Il va extirper les vers
qui se sont mis dans le fruit. Mais sa plus petite fille court précocement avec le fils du laitier,
la grande fille Sophie qu'il a eue d'un premier mariage s'est entichée d'un jeune fêtard
ridicule et goguenard, fils d'un usinier voisin, sa sœur Tante Bise, vieille jeune fille
laborieusement conservée "à la page", l'entraîne dans des vendettas d'honneur dérisoires
contre des hommes qui lui ont effleuré la taille – et sa femme Aglaé vient lui révéler qu'elle
s'ennuie et qu'elle rêve de quelque chose… Elle ne sait pas encore de quoi.
Avec la France sur le dos, toutes ces histoires de famille et la blessure secrète que lui
a faite l'aveu de sa femme – le général va se lancer comme un Don Quichotte touchant et un
peu comique contre les moulins. Et les moulins l'assommeront.
L!hurluberlu ou le réactionnaire amoureux
Le titre original de la pièce est L'Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux. Lors de la
création du spectacle, le 8 décembre 1959 au Anta Theater de New York, dans une mise en
scène de Peter Brook, la version anglaise du texte, traduite par Lucienne Hill, prenait le titre
de The Fighting Cock. Armand Delcampe a souhaité, pour son adaptation scénique, retenir
ce second titre.
La composition de L!Hurluberlu remonterait à 1956-1957 alors qu!Anouilh sollicitait
François Périer pour le rôle ; elle aurait été retravaillée pour en atténuer l!ancrage politique.
Le manuscrit n!apporte guère de lumières sur la genèse de la pièce bien qu!on y trouve des
liasses concernant différentes versions d!une même scène (numéro de David E.
Mendigalès ; scène du complot dans l!acte II). La seule impression qui ressort de l!examen
de ce manuscrit est qu!Anouilh, avec une évidente facilité d!écriture, laissait courir sa plume,
développant répliques et échanges pour, à une étape ultérieure, choisir et resserrer en
puisant dans ce qui constituait une manière de réserve. Si les variantes rédactionnelles sont
en grand nombre, on ne constate pas de modification significative du schéma dramatique ;
en revanche, les didascalies sont moins nombreuses et souvent moins développées que
dans la version publiée ; peut-on en conclure qu!à la relecture, lorsque le texte est
globalement mis en place et proche de son état définitif, Anouilh se représente son
interprétation et sa mise en scène, insérant alors des notations sur la psychologie, les
attitudes, les mouvements des personnages ?
Initialement la pièce s!intitulait La Comédie ; ce qu!éclaire peut-être une note du
manuscrit (« jouer la comédie, laisser aller les choses et perdre Aglaé ») ; mais le titre
définitif rend explicite la référence au Misanthrope de Molière, pièce un moment sous-titrée
« ou l!atrabilaire amoureux ». Peu d!années auparavant, Ornifle réécrivait Dom Juan et
Pauvre Bitos pouvait se lire comme une transposition politico-historique de Tartuffe. Plus
immédiatement, en cette année 1958, Anouilh travaille aussi à La Petite Molière, variation
biographique et sans doute allégoriquement autobiographique, qui lui fournit l!occasion de
rajeunir une ancienne familiarité avec l!auteur de L!Ecole des femmes.
Que le général emprunte ou non des traits de caractère d!Anouilh – H. Clurman,
après la représentation new-yorkaise de The Fighting Cock, y voit une « apologia pro vita
sua » –, il est sûr que la pièce affiche des dettes à l!endroit de Molière : retraitement plutôt
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qu!imitation ou parodie, comme l!avaient fait Eugène Labiche dans Le Misanthrope et
l!Auvergnat (1852) et plusieurs autres. N!est-il pas jusqu!à la scène finale entre le général et
son fils Toto qui prend l!aspect d!un dénouement de fantaisie, ouverture sur un avenir
incertain et purement théâtral, qui propose au conflit de la vie et de la rigueur une solution
aussi illusoire que les comédies ballets où Monsieur Jourdain est sacré grand Mamamouchi
(Le Bourgeois gentilhomme), où Argan est intronisé dans l!univers de la médecine (Le
Malade imaginaire) ? Ainsi se masque en partie le glissement « de la comédie du complot à
la tragédie de la solitude » (J. Languet, La Nation française, 11 février 1959).
Au metteur en scène de 1987, Georges Vergez, Anouilh aurait confié que la clé de la
pièce se trouvait davantage dans le titre que dans le sous-titre, que « ses personnages sont
tous un peu dans les nuages », ce qui aurait suscité l!image du tableau de Magritte dont se
sont inspirés les décors. De fait, l!hurluberlu est un « extravagant » - c!est le terme dont
Aglaé qualifie son mari - qui erre à l!écart du siècle, sinon à l!écart du monde réel. L!épithète
qualifie chez ce nouvel Alceste le côté bourru, bougon, rude parfois dans les propos, bref la
« bizarrerie » que Philinte reproche à son ami Alceste, lorsqu!il déplore ses « brusques
chagrins » et son « esprit contrariant ». Le jeune mondain mélancolique s!est mué en un
général qui s!oppose autant au monde qu!à la mode et à la modernité, ancré dans le passé
(« je ne veux pas que rien change, jamais »). C!est donc bien du côté de la tradition
classique qu!il faut regarder plus que de l!actualité, à la différence de la pièce précédente,
Pauvre Bitos, largement allégorique, où Anouilh réglait son contentieux avec la Libération.
Non qu!en soient absentes les allusions politiques ; ce général de brigade qui écrit ses
Mémoires, qui s!est laissé un moment séduire par l!Action française de Maurras, qui rêve une
France de l!honneur, sans s!identifier au général de Gaulle qui est devenu président de la
Vème République, fondée par référendum le 28 septembre 1958, lui emprunte
manifestement quelques traits. Le programme de 1987 invite au rapprochement en ajoutant,
à la suite de la distribution, cette indication : « L!action se passe à l!aube de la Vème
République, aux beaux jours. » Bien sûr, ce ne sont pas là des analogies de hasard, mais il
faut les considérer comme d!ironiques renvois à l!actualité plutôt que comme une caricature.
S!il est donc excessif d!affirmer avec Paul Meurisse que « c!est uniquement une
comédie de caractère », tant la satire y occupe de place, il reste que ce général semble
endosser, à 54 ans, le rôle qui était naguère celui des jeunes : Frantz, Thérèse ou Antigone.
Ridicule aux yeux des uns (Guy Leclerc ou Henri Gouhier), il ne l!est jamais pour Gabriel
Marcel ; il serait plutôt pathétique et touchant. Et la pièce tient, un peu à la façon du Dom
Juan de Molière, de l!investigation psychologique où le choix des personnages et la suite des
scènes servent à éclairer la personnalité du protagoniste. Le quincaillier Ledadu – caricature
possible du poujadiste de province – et Bélazor, et à moindre titre le docteur, sont des
comparses, des esquisses de personnages destinés à nourrir la satire, comme David
Edward Mendigalès dans lequel Anouilh a réuni tout ce qu!il déteste : fortune douteuse,
arrogance, désinvolture, inculture, etc. Dans cette galerie de personnages, une exception :
Aglaé, l!un des plus délicats portraits de femme de ce théâtre, figure idéale qui conjoint la
délicatesse, la tendresse et la sincérité et fait contrepoint à celle du général, même si Robert
Kemp évoque à son sujet Emma Bovary et Elvire du Lys dans la vallée.
La composition dramatique est fort simple, voire linéaire, entre le pauvre complot
politique et l!enquête pour savoir qui a pris la main d!Aglaé un soir : « voulant réformer le
monde, [le général] s!aperçoit qu!il ne peut même pas faire régner l!ordre dans sa propre
famille », déclare Jean Anouilh dans Les nouvelles littéraires du 5 février 1959. C!est là
l!occasion de scènes brillantes dont la critique s!est accordée à souligner la verve et la
virtuosité. Les quatre actes s!organisent en deux ensembles : les deux premiers montrent le
réactionnaire dans son milieu, scandés de scènes parodiques avec les enfants qui prennent
figure d!intermèdes ; les deux derniers oublient la vie pour le théâtre, antithèse aussi du
passé et du présent. La pièce, écrit Jacques Noël en 1987, est une sorte de double complot,
complot organisé par le général qui se méfie et complot contre le général.
Michel Fresnay, responsable des costumes en 1987, cherchera à traduire cette
dualité :
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« D!un côté, il y a les personnages qui font partie de la conspiration et de
l!intimité du général […]. Ils sont d!une époque indéfinie, d!une génération
d!avant, un peu démodés, ou plutôt, en dehors des modes. Leurs costumes
doivent traduire le respect d!une tradition. Le temps a passé, les temps sont
changés, mais eux, ils veulent maintenir cette tradition. Le général est encore
plus passéiste que les autres. Il fait partie de la maison, comme le mobilier. / À
l!opposé, de l!autre côté de l!éventail, il y a le jeune David Edward, qui, lui,
représente l!avant-garde puante de snobisme, une véritable gravure de mode
insupportable. La jeune Sophie essaye d!être à la mode en jouant plus ou moins
les Brigitte Bardot de province en robe corolle et jupon à volants, mais elle n!a
rien du snobisme de Mendigalès. / Le docteur serait plutôt du côté du général,
mais il essaie de s!en sortir en étant plus élégant, plus à la mode. Aglaé est au
centre, l!idéal, la mesure, ni mode, ni passé […]. / Le décor de la seconde partie
s!en va complètement vers l!aspect irrationnel et onirique du théâtre […]. Les
costumes sont ceux que les personnages imaginent dans leurs rêves : brillants,
satinés, idéals. Les plus chatoyants possible pour jouer leur rôle dans une vie
imaginaire. Sans aucune logique […]. Jacques Noël a imaginé un fond de miroirs
rongés par le temps, des ruines amorcées, des nuages de tulle. »
Extrait de Jean Anouilh, Théâtre T. 2, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2007.
Prolongements….
Les Hurluberlus parallèles
(…) Anouilh est notre Molière. En rapprochant ces deux noms, on comprend bien que
je ne prétends pas mettre deux génies en parallèle : ce sera pour plus tard. Je constate
cependant, chez l!un comme chez l!autre, le même don, cette même maîtrise spécifique,
cette grâce d!état, cette sorte d!infaillibilité qui les rend, l!un comme l!autre, incapables de
« rater » une pièce. (…)
(…) avec L!Hurluberlu (ou le réactionnaire amoureux), nous allons voir que c!est à la
fois le Misanthrope et L!Ecole des femmes (…)
Misanthrope d!abord ! L!Hurluberlu est l!histoire d!un général bien de chez nous, et
bien de ce temps, qui conspire contre la République. Ce qui lui a valu, après quelques mois
de forteresse (sous la Quatrième), d!être mis « en disponibilité » à trente-huit ans : le plus
jeune limogé de France ! Il s!est donc retiré dans sa gentilhommière – un endroit écarté où
d!être homme d!honneur il eut la liberté – et là, pour tuer le temps et soulager sa bile, il
conspire de plus belle. Que vouliez-vous qu!il fit ? Il avait bien pensé à écrire ses Mémoires
comme tous les généraux en retraite, mais justement son tort a été d!y penser un peu avant
de s!y mettre : le temps de s!apercevoir qu!il n!avait, strictement, rien à dire. Plutôt sauver la
France menacée, envahie déjà par la « vermine ». Comment ? En lui rendant « le goût de la
rigueur, de l!austérité et du travail ». Ce n!est pas très original ? Tant mieux. « Le monde
sera sauvé par des imbéciles », proclame-t-il. – « Présent, mon général ! » Il a déjà recruté
trois, quatre conjurés pour la bonne cause ; les masses suivront plus tard ; ce sont toujours
les minorités agissantes qui déclenchent les grands mouvements sauveurs. En attendant,
l!Hurluberlu s!en donne à cœur joie, déclamant à longueur de journée, « crachant le mépris »
partout, furieux en permanence et ravi de l!être – avec une verve, un humour, une chaleur,
une manière de cordialité proprement irrésistibles.
Ce serait une erreur, je crois, de voir dans L!Hurluberlu une pièce politique – à moins
qu!il ne s!agisse, précisément, d!une politique hurluberlue. Certes, il y a des « mots » qui
partent, et qui portent, mais un peu dans toutes les directions, comme des pétards : sur la
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démocratie, la loi du nombre souverain ; sur les faux « résistants » (et même un peu les
vrais), sur le « progressisme » de l!Express ; mais aussi bien sur le « conformisme » du
Figaro, la collaboration dorée des ci-devant constructeurs du mur de l!Atlantique, etc. Feu
d!artifice plutôt que feu de salve. Il y en a de toutes les couleurs, et pour tous les grades.
C!est le jeu de massacre, et pan sur le général ! et pan sur le communiste ! pan sur Monsieur
le curé ! pan sur Beckett et le théâtre d!avant-garde ! et pan sur la littérature de patronage !
Un coup à droite, un coup à gauche ; si les deux camps comptaient les points, je suis sûr
qu!en fin de partie, ils se trouveraient ex aequo. Match nul ! Notons d!ailleurs que la
« conspiration » du général sombre, finalement, dans le ridicule. Tout le monde lâche : l!un
c!est parce qu!il a peur des coups ; l!autre, le baron Belazor, parce qu!il compte sur le
conseiller général du coin pour faire monter l!eau, l!électricité, la force jusqu!à son château ;
le troisième, un médecin, parce qu!il ne veut pas aller « contre le fil de l!histoire ». Il n!y a que
le quincaillier, ancien croix-de-feu et adjudant de réserve, qui restera fidèle à son « chef »
jusqu!au bout, garde à vous : « J!aime la France, mais je suis connard – entre militaires, mon
général. – Repos ! »
Le vrai sujet est ailleurs, comme l!indique le sous-titre. L!Hurluberlu est l!histoire d!un
« réactionnaire », sans doute, mais « amoureux ». Amoureux à cinquante-quatre ans. There
is the rub, voilà le hic. La politique, ici, n!est que pour la farce ; le drame est, comme il sied, à
l!intérieur, en plein intime, au plus secret de ce cœur d!hurluberlu gonflé de tendresse – et
surchargé de famille. Il a chez lui, entre autres, une sœur à moitié folle, une Bélise, qui croit
que tout le monde en veut à ses charmes quadragénaires et toujours vierges, deux filles,
d!un premier mariage (malheureux) : l!une, Sophie, qui lui présente tous les trois mois un
nouveau « fiancé » à part entière, en qui elle voit régulièrement « l!homme de sa vie » ; la
seconde, une gamine de quatorze ans qui se fait déjà pincer les fesses par le fils du laitier…
Il a surtout sa femme, Aglaé, qu!il adore, et qui n!a pas trente ans. Quand ils se sont mariés,
elle l!aimait sincèrement, elle l!admirait malgré – ou pour – « ses colères, ses indignations,
son humeur grondeuse ». Imaginons, si vous voulez, Agnès amoureuse d!un Alceste qui
aurait l!âge d!Arnolphe. Mais dix ans sont passés depuis, et il en a toujours vingt-cinq de plus
qu!elle ; mais elle est encore jeune, alors qu!il ne l!est plus. Et elle commence à s!ennuyer
(dès le premier acte). Et, comme elle est la franchise, la sincérité mêmes – un vrai « petit
cristal » – elle le lui dit, tout tranquillement, en arrangeant des fleurs dans un vase.
Comment notre général ne serait-il pas « réactionnaire » ? Il l!est deux fois pour une.
Comme Alceste, d!abord, et par tempérament : il est réactionnaire parce qu!il aime réagir
(« Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ? »). Mais il l!est également comme
Arnolphe. Quand il dit : « Je n!aime pas le neuf », je pense au cri du Don Juan de
Montherlant : « Mort aux jeunes ! » L!Hurluberlu croit peut-être exprimer une « idée »
politique ; ce n!est, en réalité, qu!un soupir amoureux qu!il exhale. « Je ne veux pas que rien
change, jamais ». Mais tout change, toujours. O temps, suspends ton vol ! ou, mieux, fais
marche arrière, recule, rétrograde ! Backwards ! Zurück ! C!est vers le paradis perdu de sa
jeunesse qu!il voudrait remonter avec son cher amour. Mais on ne remonte pas le temps. Il
n!y a rien à faire ; tout se défait, au contraire. La révolte, sur ce plan aussi, est inutile. Ce
n!est pas la France, c!est Aglaé qui s!ennuie – qui s!ennuie avec lui. En vain, il essaiera de
distraire la jeune femme, en faisant jouer à ses hôtes et en jouant avec elle Les Amours de
dona Ardèle et de Rosario dans leur jardin : ce n!est pas lui qui tiendra le rôle de l!amoureux.
En vain, il réclamera une « explication », tour à tour tempêtant, déchaîné, menaçant, puis
effondré, suppliant, s!humiliant, se roulant à ses pieds. Elle le regarde froidement : « Je ne
vous tromperai pas, lui dit-elle, parce que je l!ai juré. Mais si j!aime un autre homme (on sent
que c!est imminent), je vous le dirai avant qu!il ne me touche. Et je partirai le lendemain ». Le
cristal coupe… (…)
Extrait de Claude Jamet Les hurluberlus parallèles. L!Ecole des femmes de Molière.
L!Hurlubertlu de Jean Anouilh. Ecrits de Paris, mars 1959.
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Un général dont on se moque ? Rapprochement avec Don Quichotte
Chose terrible que la moquerie! On dit que par moquerie, mon Don Quichotte, fut
écrite ton histoire, pour nous guérir de la folie de l!héroïsme; et on ajoute que la raillerie
atteignit son but. Ton nom est devenu pour beaucoup le résumé de toutes les moqueries et
sert à exorciser les héroïsmes et à rabaisser les grandeurs. Et nous ne retrouverons plus
notre valeur d!autrefois tant que nous ne changerons pas en réalité la moquerie et ne ferons
pas les Quichottes très sérieux…
La plupart de ceux qui lisent ton histoire, fou sublime, n!y trouvent qu!à rire; ils ne
pourront profiter de sa moelle spirituelle tant qu!ils ne la pleureront pas. Malheureux celui à
qui ton histoire, ingénieux hidalgo, n!arrache pas des larmes, des larmes du cœur, non
seulement des yeux!
En une œuvre de moquerie se condensa le fruit de notre héroïsme; en une œuvre de
moquerie s!éternisa la passagère grandeur de notre Espagne; en une œuvre de moquerie se
résume notre philosophie espagnole, la seule vraie et profondément telle; avec une œuvre
de moquerie arriva l!âme de notre peuple, incarnée en un homme, aux abîmes du mystère
de la vie. Et cette œuvre de moquerie est la plus triste histoire qui ait été écrite jamais; la
plus triste, oui, mais la plus consolante aussi pour tous ceux qui savent goûter dans les
larmes du rire la rédemption de la misérable sagesse à laquelle nous condamne l!esclavage
de la vie présente.
Miguel de Unamuno in La Renaissance latine, année 4, tome 2, no 5, 15 mai 1905, p. 177-199
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III. La création et l!accueil de la critique en 1959
Le texte a été monté pour la première fois le 5 février 1959 à la Comédie des
Champs-Elysées, dans une mise en scène de Roland Piétri. Les décors et les
costumes étaient signés de Jean-Denis Malclès.
Anouilh appréciait particulièrement les décors de la création : « Je veux vous dire que
la maquette du théâtre de Verdure est admirable. C!est le plus beau décor que j!aurais
jamais eu : la femme dansant et le théâtre à travers lequel on voit les arbres de la vie, c!est
le symbole même de la pièce, le symbole de tout mon théâtre et de la Vie. Merci. »
In Jean-Denis Malclès, Théâtres, 1989, p. 60.
Un rare plaisir - Jean-Jacques Gautier du Figaro
L!impression d!ensemble demeure extrêmement satisfaisante et l!on passe à la
Comédie des Champs-Elysées une soirée qui procure un rare plaisir.
D!abord l!homme qui a écrit L!Hurluberlu révèle à cent reprises cette habileté
confondante qu!Anouilh étale dans ses meilleurs ouvrages.
Toute la comédie est troussée par un virtuose. Elle est d!une richesse et d!une variété
de ton qui vous enchanteront. Les traits les plus ordinaires sont enchâssés dans une
monture qui ferait l!admiration de l!orfèvre le plus difficile en matière de joaillerie. (Et cette
étourdissante façon d!utiliser tout Molière tout au long de la pièce!) Les passages mordants
succèdent aux morceaux de confiance. Bien des vérités nous soulagent. Et la santé comique
fait avaler quelques petites purgations assez bien administrées.
Alceste et Don Quichotte - André Alter de Témoignage Chrétien
Alceste et Don Quichotte se reconnaîtraient dans ce portrait où, tout en soulignant les
ridicules de son héros, plus que Molière ou Cervantès, Jean Anouilh a accumulé les traits
plaisants qui éveillent la sympathie.
C!est le portrait d!un homme qui attire sur lui toutes les catastrophes. Catastrophes
domestiques, mais qui n!en sont que plus cruelles. Plus riches d!enseignements aussi, peutêtre. Du moins pour notre homme étoilé qui reçoit des leçons au moment où il croyait en
donner. Et de la part des gens que rien n!avait préparés à ce genre d!exercice, le Curé
excepté, dont les petits travers n!estompent ni la bonté ni la vraie connaissance du cœur
humain. Anouilh a tracé les silhouettes de tous ces gens avec verve et couleur. Avec
tendresse aussi ; ce qui est moins nouveau qu!on peut le croire ou qu!on veut l!affirmer. La
nouveauté, c!est que le trait le plus cruel n!est jamais méchant et qu!il ne porte pas contre ce
qu!il peut y avoir de bon dans l!être le plus médiocre et même le plus taré.
Courez vite le voir - Paul Morelle de Libération
Ce thème de l!amour impossible, parce que trop pur, vulnérable parce que trop fort,
c!est ce qui assure le lien, la continuité entre l!Anouilh intemporel d!il y a vingt ans et l!Anouilh
séculier d!aujourd!hui.
Un mot maintenant – mais il m!en faudrait cent, il m!en faudrait mille – pour dire
combien Paul Meurisse colle au personnage du général, lui imprime sa marque. On se
demande ce que serait le rôle, sans lui. Il est, en tous point, remarquable.
Ah! Courez vite le voir avant que Paris ne s!y précipite. A ses côtés, Marcel Pérès,
Jean Claudio, Camille Guérini, Roland Pietri (qui a assuré la mise en scène), Edith Scob et
Marie Leduc font feu de tout leur esprit de drôlerie. Et Marie-José Martel, une découverte que
nous avions remarquée dans Mantilles et Mystère, brille de tout l!éclat doux d!un diamant
noir.
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IV. Une œuvre tendre, généreuse et humaine
En 1959, Roland Laudenbach présente la pièce aux lecteurs de l!hebdomadaire
Arts, à la veille de la Générale.
Le 5 février, le rideau se lèvera à la Comédie des Champs-Elysées sur la pièce qui
apparaîtra peut-être comme la plus scandaleuse de la saison.
Jean Anouilh qui, avec Pauvre Bitos, avait déjà provoqué une véritable polémique,
suscitera sans aucun doute avec L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux une émotion, qui
ne sera pas purement théâtrale. Sa nouvelle comédie en trois actes et douze personnages
apparaîtra en effet comme une satire aiguë et certains ne pourront s!empêcher de mettre des
noms d!actualité sur les héros de cette pièce. On se souvient d!ailleurs que L!Hurluberlu
devait être présenté au public en mai dernier mais que la date de la générale avait été
reportée pour des raisons d!opportunité.
Les trois actes se déroulent dans la propriété privée d!un général mis prématurément
à la retraite. L!ancien héros de la Résistance vit dans un petit village de France avec sa
famille composée de sa seconde femme, Aglaé, de sa sœur, de ses filles, Sophie, dix-huit
ans, Marie-Christine, huit ans et de son fils Toto.
Au cours de la première scène, le général, qui se fait ausculter par le docteur du
village, raconte en monologuant sa carrière brisée et révèle ses ambitions politiques. Il veut
sauver la France.
Son mot d!ordre : « Luttons contre le ver », résume son programme contre la
corruption. Il tente de gagner le docteur à sa cause pour rétablir la France éternelle dans sa
grandeur.
Entre le curé, qui vient donner au général sa leçon de latin, car l!ancien homme de
guerre veut être capable d!enseigner les déclinaisons à son fils. Mais leur conversation
s!achève en discours électoral. Nous apprenons également qu!en premières noces, le
général avait épousé une comédienne de mœurs légères qui l!avait vite trompé avec un
garçon d!ascenseur à figure d!ange, pour s!enfuir finalement avec le premier rôle de la
troupe. Le général en a conservé une grande amertume de cette aventure et une grande
méfiance à l!égard de Sophie née de ce premier mariage. Justement sa fille lui annonce
l!arrivée de son fiancé, David-Edouard Mendigalès, qu!elle veut présenter à son père.
Nous faisons ensuite connaissance avec la douce et secrète Aglaé qui vient avouer
au général qu!elle s!ennuie de vivre à ses côtés en l!écoutant raconter les hauts faits de
campagne de 1940. Elle lui révèle qu!au cours d!une réception, alors que le général évoquait
une fois de plus ses exploits et qu!elle était rêveuse et lointaine, un homme sensible et fin lui
a tendrement caressé la main en signe de compréhension. Le général ne semble pas
comprendre qu!Aglaé lui confie ainsi ses scrupules et ses inquiétudes, mais il veut connaître
le nom de l!audacieux qui a osé témoigner une telle sympathie à sa femme. Aglaé n!avoue
rien et quitte la pièce.
Cependant David-Edouard Mendigalès introduit dans la maison du général un rythme
inhabituel; son charme conquiert toute la famille et il décide de monter une pièce dans le
théâtre de verdure du parc.
Au deuxième acte, dans le plus grand secret, le général met au point un programme
politique entouré de quelques fidèles – le quincaillier, le curé, deux voisins – cependant que
commencent les répétitions de la nouvelle pièce que veut monter Mendigalès. Dans cette
ambiance un peu comique se déroule la réunion des conjurés qui permet à Jean Anouilh de
développer une satire des opinions politiques réactionnaires et de montrer le ridicule des
mots d!ordre et des engagements.
Le général lui-même est écoeuré par la médiocrité de ses militants. D!ailleurs
préoccupé par la révélation que lui a faite Aglaé, il confond littéralement « le ver » politique
qu!il veut chasser et le doute qui le ronge. Il interroge fébrilement chacun de ses amis pour
savoir si l!un d!eux n!a pas témoigné de sa tendresse envers Aglaé. Puis, excédé, il met fin à
la réunion.
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Le général a une grande explication avec sa femme. Il veut savoir si elle a été
troublée et qui est son séducteur. Elle lui répond que ce minime instant de faiblesse n!a pas
eu de suite : « c!est ma seule faille et je m!en repens ». Elle a choisi le général comme mari
et ne faillira pas à son serment. Mais le général exige l!amour et non seulement le respect de
la parole donnée. C!est trop demander sans doute et Aglaé lui explique qu!elle a changé
comme la nature, comme le monde. « Les moulins tournent, la France et moi, nous
changeons ». Et on ne peut rien contre cette évolution des choses et des sentiments. Le
général est désemparé en constatant que l!idée qu!il avait des sentiments, des êtres, de la
grandeur n!est qu!une théorie, un absolu sans réalité profonde.
Sophie entre bouleversée. Elle vient de lire dans Le Figaro l!annonce des fiançailles
de David-Edouard Mendigalès avec une autre jeune personne. Elle voudrait trouver un
refuge auprès de son père, mais le général reste indifférent à cette nouvelle. Sophie lui
reproche alors son égoïsme, son orgueil, sa méconnaissance des êtres; elle l!accuse même
de rendre sa belle-mère malheureuse. Sophie lui avoue qu!elle a d!ailleurs cédé à
Mendigalès qui justement apparaît côté cour.
Le général veut le provoquer en duel parce qu!il a compromis l!honneur de sa famille.
Mais le représentant de la jeune génération ne s!en laisse pas conter.
C!est au troisième acte que l!on apprend que c!est M. le Curé qui, ayant deviné la
profonde solitude d!Aglaé, lui a, en signe de sympathie, amicalement pris la main. Les
alarmes du général étaient donc sans objet. Mais il est trop tard, le général a découvert « le
ver » qui était dans sa vie : Aglaé n!est pas le personnage absolu qu!il avait rêvé; Sophie (qui
est partie après la scène violente avec son père rejoindre sa mère) montre la faillite de son
exemple. Il lui reste un seul espoir : son fils Toto qui lui ressemble et qu!il va tenter d!élever à
son image.
Mais ne va-t-il pas commettre, encore une fois, la plus tragique des erreurs en
enseignant des idées de grandeur et d!absolu qui n!ont plus cours? Le rideau tombe sur ce
pauvre homme malheureux et isolé dans sa tour d!orgueil.
Jean Anouilh nous montre ici les deux visages pathétiques et dérisoires de la rigueur
impuissante opposée à la réalité cynique. L!Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux nous
expose comment une trop grande intransigeance corrode les sentiments les plus généreux
et transforme en égoïsme les plus nobles ambitions.
On ne peut s!empêcher de penser que la moralité de l!Hurluberlu est : « Restez donc
amoraux, vous serez tellement plus aimables et plus aimés, et aussi plus efficaces. »
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V. Note d!intention du spectacle
Dans un monde qui décline à mesure que le progrès des techniques croît
irrésistiblement, Le Coq combattant de Jean Anouilh apparaît comme une œuvre d!une
grande lucidité. Le personnage principal du Général se trouve, en effet, coincé entre un
idéal de pureté dépassé et une volonté de combattre l!esprit de consommation de tout
ordre, rongeant les consciences et prenant le pas sur l!engagement (patriotique ou affectif),
l!honnêteté, la sincérité et l!amour avec un grand A.
Suspendu à ses illusions, ne parvenant pas à maintenir l!harmonie au sein de sa
propre famille, le projet du Général de remettre de l!ordre dans le pays s!avère dès lors
totalement ridicule. Sa chute s!annonce inévitable et très douloureuse.
Au-delà, dans le contexte politique du moment, la pièce résonne avec fracas. Le
grand guignol des « conspirateurs » n!est pas sans faire penser aux querelles internes des
gouvernements et des ministres. Comme dirait le docteur, il semble dérisoire de vouloir
modifier l!état actuel du pays, en « n!étant même pas d!accord sur les moyens d!y porter
remède ».
Enfin, quelle occasion de remettre à l!honneur ce fantastique auteur : Jean Anouilh
s!inscrit directement dans la lignée de Molière. A l!instar de ce dernier, il fait preuve d!une
grande connaissance de l!homme, « l!humain parfait »… tout en compassion pour ses
faiblesses. Les attitudes du Général nous font fortement penser à Alceste, « le misanthrope
atrabilaire amoureux », et sa femme, Aglaé, a bien souvent les accents de Célimène.
Nombre de répliques et de situations écrites par Anouilh sont volontairement teintées de
l!humeur et de la bile moliéresques.
C!est donc à la représentation d!une comédie affectueuse, fraternelle et grotesque
que le public est convié avec ce Coq combattant : un moment de franche rigolade mâtiné de
réflexion sérieuse sur l!évolution des mentalités et sur les thèmes éternels de l!amour, de la
famille et de nos relations sociales.
Mélodie Axel
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VI. L!équipe du spectacle
Armand Delcampe, metteur en scène et rôle du général
Né à Anderlues (dans le Hainaut). Docteur en droit. Fondateur du
Théâtre Universitaire de Louvain. Directeur-fondateur de l!Atelier théâtral
de Louvain-la-Neuve, comédien, metteur en scène, directeur de la revue
Cahiers théâtre Louvain.
Armand Delcampe a joué ou mis en scène plus de 100 pièces en 40 ans... Il travaille
comme comédien sous la direction d!artistes qu!il a fait découvrir au public belge, comme
Otomar Krejca, dans Les Trois Sœurs de Tchekhov, ou Ariane Mnouchkine : il joue le père
de Jean-Baptiste Poquelin dans son film Molière. Au théâtre, il interprète des personnages
aussi différents que Thomas Pollock dans L!Echange de Claudel, Figaro dans Le Mariage de
Figaro de Beaumarchais, Argan dans Le Malade imaginaire de Molière ou Isidore Lechat
dans Les Affaires sont les affaires d!Octave Mirbeau…
Il a monté les plus grands auteurs du répertoire, de Molière à Goldoni, de Claudel à
Schnitzler, de Pierre Rey à Jean Louvet, de Beckett à Pirandello ; il reçoit d!ailleurs du
« Centro Nazionale Studi Pirandelliani » en Italie, en 1989, le prix « Pirandello » pour sa mise
en scène d!Henri IV. Il a mis en scène de grands acteurs tels Michel Bouquet, Pierre Dux,
Laurent Terzieff (en France) ; Giorgio Albertazzi (en Italie).
Homme de théâtre, Armand Delcampe a travaillé huit ans avec Paul Puaux pour le
Festival d!Avignon et a publié chez Gallimard les textes de Jean Vilar. Il a fondé et dirigé
pendant vingt ans les Cahiers théâtre Louvain et a édité Mon Chemin de Théâtre tout en
participant à des dizaines d!autres publications.
En 1999, il se voit confier la direction générale du Festival de Théâtre de Spa et en
partage actuellement la direction avec Cécile Van Snick.
Officier des Arts et des Lettres de France, il est désigné en 1986 « Personnalité de
l!Année » (en France) pour le Théâtre, au titre international. En 1999, il reçoit le premier Pôle
d!or décerné par la ville d!Ottignies – Louvain-la-Neuve et fait partie des personnalités à qui
la Province du Brabant wallon a choisi de rendre hommage.
Dernièrement, vous avez pu le voir dans L!Habilleur de Ronald Harwood qu!il a mis
en scène en 2004 au Théâtre Jean Vilar. Le spectacle a été repris à Louvain-la-Neuve et en
tournée la saison suivante. En 2005-2006, il a mis en scène Demain, c!est le printemps
d!Eve Calingaert et Peines d!amour perdues de William Shakespeare. Le spectacle tourne
l!année suivante en Belgique (Spa, Dinant, Arlon, Mons, Huy) et en France (Compiègne, La
Rochelle, Fontainebleau, Maisons-Alfort). En 2006-2007, il met encore en scène
Dramuscules de Thomas Bernhard et en 2007-2008 Honor de Joanna Murray-Smith. Honor
sera repris au Théâtre Blocry en février 2009 après Bruxelles (Comédie Claude Volter), Huy,
Waterloo, Ciney, Herve et Bertrix.
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