Laurick Zerbini Université Lumière Lyon 2 Thématique C

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Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique
Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
LE MUSÉE MISSIONNAIRE ETHNOLOGIQUE DU LATRAN. DE LA COLLECTE À LA
PATRIMONIALISATION DES CULTURES AFRICAINES ET OCÉANIENNES
Laurick Zerbini
Université Lumière Lyon 2
Thématique C : Patrimoine culturel : Enjeux et métamorphoses
Theme C : Cultural Heritage: Issues and Metamorphoses
Atelier 02 : Patrimonialisations coloniales : Approche transversale
Workshop 02 : Colonial heritagisation : A cross disciplinary approach / Creating a
heritage in a colonial context
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4 Congress of the Asia & Pacific Network
th
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 – Laurick Zerbini
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LE MUSÉE MISSIONNAIRE ETHNOLOGIQUE DU LATRAN. DE LA COLLECTE À LA
PATRIMONIALISATION DES CULTURES AFRICAINES ET OCÉANIENNES
Laurick Zerbini
Université Lumière Lyon 2
Le questionnement anthropologique se trouve très tôt au cœur des débats sur
l’évangélisation des populations non chrétiennes. À la fin du XIXe siècle, l’expansion des
missions outre-mer, les difficultés de développement auxquelles la propagation chrétienne
se trouve confrontée, entraînent vers un positionnement plus marqué et vers la nécessité
d’une étude et d’une connaissance plus approfondies des populations et des cultures
matérielles extra-européennes, sous peine de l’échec de l’entreprise d’évangélisation.
Á la clôture de l'Exposition missionnaire vaticane de 1925, Pie XI parle de ce "grand et
immense livre" qui apporta tant d'enseignements et de méthodes aux missionnaires
comme aux fidèles. Cette page, qui vient de se tourner, doit s'ouvrir vers un nouveau
chapitre qui puisse présenter de manière permanente les leçons et les perspectives du
rayonnement offert par cette manifestation. La visite de Pie XI au musée du Latran le
convainc de prolonger les pages de ce Livre par un musée missionnaire ethnologique qui
est organisé dans le berceau même de l'action apostolique. Inauguré le 21 décembre 1927,
le musée devient, pendant plus de quarante ans, le lieu de référence dans la monstration
des cultures outre-mer, un outil pédagogique et éducatif destiné principalement à
l'ensemble des catholiques.
Mais quels sont ces "bibelots que la générosité de tant d'âmes ont accumulés" ?. Pour
comprendre le discours qui s'élabore sur ces deux aires culturelles, il est nécessaire d'en
interroger les conditions de construction, d'examiner le type de classification élaboré par
Wilhelm Schmidt et de questionner la mise en scène, la mise en ordre des objets et leurs
enjeux au sein du vocable musée "missionnaire ethnologique".
I. Faire fructifier l'enseignement de l'exposition de 1925
L'exposition missionnaire de 1925 a été un formidable lieu d'émulation entre les
congrégations qui, pour la première fois, pouvaient s'enrichir de nouvelles expériences,
comparer des idées, développer de nouvelles coopérations afin d'arriver à une
organisation aussi efficace que celle des protestants. Pour la première fois, elle proposa
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Le Musée missionnaire ethnologique du Latran. De la collecte à la patrimonialisation des
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tout un ensemble de supports spirituels, un imposant matériel intellectuel, scientifique,
ethnographique qui n'avait jamais été jusque-là exposé ou regroupé au sein d'un même
espace, et elle recueillit aussi un maximum de documents sur les cultures matérielles
extra-européennes. Mais elle fut surtout un formidable moyen de diffuser les grands
principes sur la doctrine missionnaire que Pie XI formulera dans son encyclique de 1926,
Rerum ecclesiæ, qui constitue la charte des missions.
L'œuvre missionnaire doit désormais dépasser le caractère misérabiliste, voire
passionnée des premiers temps. L'Église doit répondre aux études et analyses des
scientifiques laïques, dominés par la pensée évolutionniste, en donnant aux missionnaires
un arsenal idéologique nécessaire à la compréhension des populations autochtones, seul
moyen de renforcer son rôle et sa place dans le monde. Dès lors, le concept de "devoir
missionnaire" ou de "méthode missionnaire" est au cœur de la nouvelle politique de Pie XI
dont la stratégie est clairement définie par deux axes : méthodologie et adaptation. Il s'agit
en effet d'impulser un double effort de coordination par une union plus étroite et effective
des missionnaires entre eux et avec les centres décisionnels et par la recherche de la
coopération dans tous les champs, y compris ethnologique. Mais la reconnaissance de
l'utilité théorique et pratique de l'ethnologie a-t-elle un lien avec la compréhension des
modes de vie, des coutumes des populations ? En d'autres termes, comment est-il possible
de proposer une approche ethnologique des cultures sans compromettre le discours
missionnaire de l’institution ? Inversement, comment le discours apologétique peut-il
coexister avec une réflexion plus anthropologique des cultures matérielles exposées ?
Dans un discours prononcé en 1925, Pie XI expose clairement la signification
pratique de l'exposition : montrer l'œuvre réalisée, passée et présente, entraîner de
nouvelles vocations et démontrer le zèle des missionnaires. Á la clôture de la manifestation,
le pape termine par l'objectif final, à savoir le musée. Dans aucun de ses deux discours, il
n'évoque l'ethnologie car cette discipline ne peut être qu'une partie du grand projet
pontifical, Exposition et Musée, qui jette les bases d'une ethnologie catholique.
L'exposition, comme le Musée, est un lieu d'enseignement et de mise en valeur
scientifique de l'apostolat où il est possible d'appréhender et mieux connaître les besoins
et les possibilités de développement des missions. C'est à cette seule fin que l'ethnologie
doit et peut être utile. L'ethnologie est donc définie comme un outil au service de la foi dans
une perspective, d'une part, de propagande par la collecte de matériel ethnographique
permettant d'attirer le public mais aussi de construire une image salvatrice des
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populations aidées par les missionnaires, d'autre part, en donnant la possibilités aux
futurs "serviteurs" de la foi de se former et de mieux réaliser leur travail. Il est en effet
impératif pour l'Eglise catholique romaine de questionner les formes apologétiques
traditionnelles qui ne suffisent plus { traiter les questions théoriques telles que l’origine
de l’humanité ou encore la diversité des peuples. Mais il lui est également impératif
d'atteindre à une reconnaissance internationale face à la sécularisation de la société
occidentale et au pouvoir médiatique et économique des missions protestantes.
L'Exposition puis le Musée lui donne l'opportunité de montrer son unité et sa cohésion
parmi les fidèles et les congrégations même s'il ne s'agit que d'une apparence en raison
du pouvoir centralisateur exercé par Rome. "Tous les missionnaires qui visiteront ce musée
[...] y trouveront, en comparant les méthodes employées en divers endroits, des idées pour
faire mieux et pour faire plus grand. Nous pensons que les fidèles ne seront pas moins
touchés par la visite de ce musée que par celle de l'exposition" ("Rerum ecclesiae, 1926 : 45).
Si l'exposition fut un "laboratoire d'idées", le musée missionnaire-ethnologique en est son
prolongement didactique et populaire.
Pie XI avait parfaitement compris l'importance et l'enjeu des sciences dans
l'approche des cultures d'outre-mer et la transformation du travail apostolique.
N'oublions pas qu'il soutient l'initiative lancée par les deux jésuites, les pères Lallemand et
Charles, des Semaines de missiologie de Louvain, dont le premier congrès se tient en
septembre 1923. Aussi, pour mener cette approche entre ethnologie et religion, il est pas
surprenant qu'il confie à l'un des chefs de file de l'école d'ethnologie de Vienne,
l'anthropologue Wilhelm Schmidt (SVD), initiateur en 1912 des Semaines d'ethnologie
religieuse, la direction de l'organisation du Musée. Tout comme à l'exposition de 1925,
dont il avait eu en charge la section ethnologie, Schmidt conçoit le plan et la classification à
partir de la méthode historico-culturelle.
Á l'instar de l'exposition, le premier chapitre s'ouvre sur l'histoire missionnaire et
la terre Sainte, puis les visiteurs accèdent à la galerie du premier étage par le grand
escalier dont les trois côtés abritent dans leurs arcades les périodes caractéristiques des
missions, le quatrième étant occupé par les stands du Proche-Orient. De la galerie, ils
parviennent aux salles consacrées " aux grandes civilisations", Inde, Indochine,
Japon...organisées en 4 sections, vie ordinaire, mobilier, art et religion. La visite se
poursuit avec la grande salle d'honneur et les salles "d'art précieux", puis la salle des
martyrs. Le second étage présente les civilisations dites "primitives", Océanie, Afrique du
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Nord, et subsaharienne, Amérique. Le parcours s'achève par les "salles de synthèse"
consacrées aux études ethnographiques, à l'histoire comparée des religions et à la
préhistoire. Á la présentation d'objets s'accompagne celle de documents, de cartes, de
graphiques permettant de donner au musée un caractère plus attrayant, mais aussi de
montrer le développement des œuvres auxiliaires afin de susciter émotion et grandeur de
l'action accomplie. Et Schmidt l'exprime très clairement, le musée doit être "une école
éloquente et animée pour les jeunes qui s'apprêtent à vulgariser et diffuser l'Évangile
dans les terres païennes". Mais comment s'inscrit la démarche de W. Schmidt dans ce qui
apparaît comme un éventaire ethnologique et missiologique ?
II. Schmidt et la notion de "cercles culturels"
Schmidt est l’une des figures dominantes du courant diffusionniste en Autriche. En
réponse { l’évolutionnisme dominant de l’école anthropologique de la fin du XIXe siècle, il
développe la thèse d’un monothéisme universel dont il cherche les fondements parmi les
peuples primitifs, à savoir les plus anciens.
Sa démarche, qu’il qualifie d’anthropologie historique, s’appuie sur la théorie des «
cercles culturels » - Kulturkreise - de Leo Frobenius et les analyses développées par Fritz
Graebner : elle vise à montrer les similitudes existant au sein de certaines civilisations à
partir de leur organisation sociale et familiale, leur mode de production économique, leurs
formes de croyances et de pratiques religieuses. Différemment de l’école évolutionniste,
pour qui toute société passe inéluctablement par différents stades de développement avant
d’accéder au progrès et { la civilisation, le courant diffusionniste met en avant la notion
d’ensembles culturels et leurs homogénéités ainsi que la notion de contact culturel, { savoir
l’importance des migrations des groupes et des peuples dans les processus historiques et
dans la transmission d’éléments culturels. Dès lors, l’étude de la distribution géographique
des objets est indispensable pour comprendre et rechercher la construction historique des
peuples et des cultures.
Schmidt propose de classer les collections avec ordre afin de présenter un inventaire
précis et systématique s’articulant autour de séries complètes d’objets. Cette démarche
proche des méthodes des sciences de la nature et de l’archéologie est perceptible dans son
article intitulé « L’ethnologie moderne » ( Anthropos, 1906). Il rappelle que cette science ne
peut faire l’économie de la recherche sur l’individu et qu'elle doit examiner
«soigneusement, voire avec le microscope, s’il le faut, et quand on a consigné un grand
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nombre, sinon la totalité des observations particulières, alors on peut avoir une vue
d’ensemble». Il s’agit donc de mettre au jour et d’exposer les caractéristiques d’une culture
à partir de ses productions matérielles. Il fait de la notion de "cercles culturels" l’expression
théorique du mode d’exposition du musée en constituant des ensembles cohérents qui
permettent de former « { l’intérieur des différentes divisions du monde, des grands sousensembles en considérant les rapports nationaux, politiques, culturels, linguistiques et géoéconomiques ». Le système de classification vise à une lecture croisée des champs culturels
et missiologique et accorde la prééminence { la fonction par rapport { la forme de l’objet.
Enfin, Dans la salle dite de "synthèse ethnologique", Schmidt souhaite illustrer certaines
institutions jugées comme importantes et reflétant au mieux les sociétés mises en scènes
dans les deux premiers étage du Musée. Son système de classification souhaite replacer les
religions dans leurs ensembles culturels, en tenant compte de tous les facteurs, y compris
économiques, ainsi que des mélanges et des échanges ou des emprunts.
Mais, il existe un décalage entre ses écrits, ses analyses, le traitement intellectuel
souhaité et la mise en scène opérée au sein des salles. Car pour le Comité d'organisation,
l'articulation entre ethnologie et religion (Missions) vise moins la discipline elle-même que
la reconnaissance du travail missionnaire pour une meilleure évangélisation.
III. De l’agencement des collections
Comment attirer un large public par une mise en exposition qui le séduise, le
captive et lui fasse prendre conscience de la diversité et de la complexité des sociétés
extra-européennes ? L'étude des salles consacrées à l'Afrique et l'Océanie laisse apparaître
plusieurs types de mise en ordre, mise en scène qui concourt à satisfaire autant à la
curiosité des visiteurs qu'à l'intérêt de la culture missionnaire.
La prééminence du mode de construction en panoplie, perceptible dans les vitrines
de l’Afrique des grands lacs s’inscrit parfaitement dans celui proposé, dès la fin du XIXe
siècle, par les musées d’ethnographie, mais également par l’Exposition de 1925. Le
système d’organisation peut aussi privilégier un agencement des pièces qui donne la
primauté à une composition plus "esthétique" au détriment d’une approche culturelle.
L’objet en soi ne possède aucune valeur, il devient un objet-décoration qui structure la
mise en forme et participe à la valorisation de cet ensemble. Les pièces de la vitrine
Océanie sont disposées { partir d’axes horizontaux et verticaux qui encadrent et
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délimitent l’espace de composition et de lecture. Le champ est ainsi focalisé à une vision
d’ensemble qui ne laisse aucune possibilité de saisir l’objet pour lui-même. Le même type
d’arrangement est perceptible dans la vitrine Nouvelle-Calédonie, mais l’accent est ici mis
sur une composition triangulaire des objets. Le changement de statut qui s’opère au
niveau de certains objets est également observable dans la mise en scène : les colliers
disposés comme des pendeloques acquièrent bien un statut d’objets-décoration.
La classification laisse entrevoir la préoccupation de fournir un inventaire
systématique de tous les types d’une classe d’objets donnée. Ce sont des éléments
architecturaux, chambranles de portes, linteaux accompagnés de flèches faîtières que
nous présente la section Nouvelle Guinée. La prééminence accordée à la notion de séries a
pour objectif de faciliter l’observation comparative en plaçant, les uns près des autres, les
objets de même nature, empruntés à plusieurs populations. Mais ne requiert-elle pas un
minimum d'information permettant d'en connaître les modes et moments d'utilisation.
Force est de constater que ce type de renseignement est inexistant tant dans les vitrines
que dans le matériel mis à disposition du public.
Pour les Nouvelles Hébrides et la Nouvelle Calédonie, massues et haches ostensoir
se côtoient dans une mise en ordre qui subordonne la fonction de l'objet aux variables
morphologiques (forme, grandeur). Or, si les massues peuvent avoir une fonction
défensive, les haches ostensoir sont des objets de prestige, en particulier par la présence
du disque de jade. C'est ici la vision d'ensemble qui l'emporte, voire la fonction défensive
qui prime. Mais il est vrai que les protagonistes du Musée souhaite avant tout donner une
vision générale de l'activité humaine qui amène, comme pour l'espace "Nouvelles
Hébrides", à la mise en exposition de massues à têtes bifide de Fidji, de Tonga
accompagnées d'un tapa. Ce choix de présentation donnant la primauté à la forme n'est
pas sans incidence sur la lecture des objets. Si le caractère formel fournit le fil conducteur
de ce type de composition, il permet également de mettre sur le même plan certaines
activités humaines considérées comme identiques chez toutes les populations,
indépendamment des lieux géographiques d’où elles sont originaires. Le classement par
groupe ethnologique fait non seulement abstraction de la pluralité culturelle propre à
chaque groupe mais également de la valeur représentative (fonction) de l’objet.
Qu'en est-il réellement du système de classification scientifique basée sur la nature
et l’utilité de l’objet ? Si Schmidt dénonce dans ses rapports écrits ce parti pris satisfaisant
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la curiosité ethnique au profit de la valeur culturelle de l’objet, les choix opérés révèlent les
dissensions existantes au sein du Comité d’organisation entre les partisans d'une
approche théorique des cultures qui met l'accent sur leur transformation et ceux proches
de l'école historico-culturelle. La scénographie de salle du "Haut Nil à la Sénégambie"
exprime parfaitement les difficultés à faire coexister au sein de la démarche
muséographique les exigences ou les impératifs du fait missionnaire avec l’approche
anthropologique des cultures. Comment ne pas percevoir dans la monstration de la statue
monumentale du cardinal Lavigerie, placée au centre, la carte du continent africain se
déclinant { ses pieds, toute la bienveillance du christianisme { l’égard des populations
africaines. Tenant la croix dans une main, l’Évangile dans l’autre, Lavigerie est regardé, son
action - et celle des missionnaires - est magnifiée par les cultures africaines disposées
dans les vitrines de part et d’autre du planisphère. Cette mise en scène renforce, voire
sublime l’action apostolique; l’objet ethnographique s’efface devant la marche vers
l’apostolat. Et quel que soit le déplacement du visiteur, ce dernier se heurte à ce
monument-propagande.
Tout comme les musées laïcs, au XIXe siècle, ont revendiqué un ancrage local qui
répond à une nécessité politique et idéologique, hautement proclamé par leurs
architectures et leurs décors (Chaumier, 2001 : 103), le musée missionnaire-ethnologique
est pensé comme le produit du développement de l’action apostolique. Il est un lieu par
excellence de l’activité, de la mémoire et de l’identité missionnaire. Á l'instar de
l'Exposition missionnaire, le Musée présente une des collections africaines et
océaniennes les plus importantes de l'époque. Mais l'ambigüité permanente entre fait
missionnaire et fait anthropologique ne permet pas à l'institution de se dégager d'une
approche réellement scientifique des collections et de leur présentation.
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