3-Le délit de représentation ou l`écriture comme blasphème?

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LE DÉLIT DE REPRÉSENTATION OU L‟ÉCRITURE COMME BLASPHÈME ? LE CAS DE SALMAN RUSHDIE
Hassan BEN DEGGOUN
Si la religion chrétienne abonde d‟une iconographie extrêmement riche donnant au culte de la représentation par l‟image
une part importante, il n‟en est pas de même pour la dernière des religions monothéistes, en l'occurrence l‟Islam. Très tôt la
révélation interdit formellement toute représentation figurative. Il faut dire que le passage d‟un paganisme ancestral à une foi basée
sur l‟unicité d‟un Dieu invisible et qui de surcroît n‟a d‟autres manifestations que par Sa parole et Ses différentes créatures,
constituait un changement brutal dans la perception et la représentation de la réalité.
Il fallait pourtant que la coupure soit nette entre le polythéisme Qurashite1 et la toute nouvelle religion, mais aussi et surtout
pour se démarquer des autres religions 'du Livre' à cet égard, en particulier du christianisme, en évitant toute confusion et imitation
aveugle d‟une foi considérée comme déviée de son objectif premier 2, le monothéisme. Ainsi la représentation devient un péché
répréhensible, car il signifie d'une certaine manière un retour à la Jahilia3 ou la période de „l‟ignorance‟ anté-islamique où chaque
tribu avait son panthéon4.
Une étude préalable de certains fondements de la théorie de la représentation dans la pensée arabo-musulmane pourrait
nous aider à mieux comprendre certains textes souvent soumis à des modes d‟appréciation et d'interprétation qui ne font l‟unanimité
qu‟au sein d‟un système de pensée bien particulier. Différence de vision critique, décalage de repères éthiques et disparité dans
l‟héritage socioculturel conditionnent à coup sûr la réception de l‟œuvre qui va jusqu‟à la condamnation à mort de l‟artiste.
Aussi, nous nous proposons d‟éclaircir certains points d‟ombre concernant le système de la représentation dans la pensée
islamique vis-à-vis des choses visibles et lisibles à travers deux exemples: l‟évolution de l‟art de la figuration dans l‟école persane 5
en particulier, et le très controversé roman de Salman Rushdie, Les Versets sataniques.
FIGURATION DE L‟ABSENCE OU ABSENCE DE FIGURE
Dès le début de la révélation, l‟Islam—on l‟aura compris—est très hostile à tout type de représentation, d‟abord de Dieu,
rejetant ainsi l‟idée d‟une intermédiation, puis de toute figure humaine. Il condamne par là même toute notion de double, d‟artefact,
du semblant et du faux semblant contraire à son message foncièrement monothéiste. Dieu en tant que Présence n‟a point besoin
1
Grande tribu bédouine de l‟Arabie du Vème siècle ; elle donna le premier prophète arabe, Mohammed. Vivant du
commerce avec le Yémen et la Mésopotamie et des rentes du sanctuaire appelé la ka’ba, elle développait une vision austère de la vie.
Le paganisme qu‟elle connut, lui était importé de Syrie et d‟Irak où le zoroastrisme était de rigueur. Voir Le génie de l’Islamisme de
Roger CARATINI, Paris: Michel Lafon, 1992, p. 69-81.
2
L‟Islam considère le concept de la Trinité, le célibat des prêtres, la création de l‟homme à l„image de Dieu, et le rapport de
paternité entre Jésus et Dieu comme de pures inventions de l‟homme. Ainsi le message monothéiste se voit corrompu et les chrétiens
qui y adhèrent sont qualifiés par le Coran de gens 'égarés du droit chemin‟.
3
Salman Rushdie intitule justement un des chapitres des Versets sataniques „return to Jahilia‟, pour bien marquer la
possibilité d'un déplacement entre deux périodes perçues par l'Islam comme caractéristiques du passage de l'ignorance et de
l'égarement à 'la lumière divine'.
4
La Ka’ba (la première maison de Dieu bâtie—selon le Coran—par le prophète Abraham et son fils Ismaël) comptait plus
de trois cent soixante idoles dont les plus célèbres furent Al’Lat, Al’Uzza et Manat. Ces trois divinités étaient à l‟origine de l‟Affaire
des Versets sataniques, explicitée par le Coran dans la Sourate l’Etoile n° 53. Voir la traduction du Coran de Jacques BERQUES,
Paris: Albin Michel, 1995.
5
Voir "De Bagdad à Ispahan", exposition au Petit Palais à Paris du 14 octobre au 8 janvier 1994
1
d‟être re-présenté même s'Il en a le pouvoir. Il n‟a de manifestation 'directe' qu‟à travers Sa Créature qui lui sert de miroir. Mais qui
dit miroir dit représentation! Sauf que la chose reflétée ne sert qu'à confirmer la Présence et la toute Puissance de Dieu.
Penser à représenter Dieu, c‟est à coup sûr aller dans le sens d‟une substitution de l‟Absolu qui, par définition, transcende
l‟espace-temps6. Le même problème s‟était posé auparavant au christianisme, l‟artiste trouvant dans le mystère de l‟incarnation la
réponse à son désir de représenter l‟invisible fait homme. L‟image s‟apparente alors à l‟icône qui conduit à l'adoration de l‟original
dont elle réfléchit le regard et la splendeur. L‟Islam de son côté avait étouffé l‟iconographie avant même qu‟elle ne puisse s‟imposer.
Nous voilà déjà mal partis. Les mains de l‟artiste sont donc bien liées devant le royaume de 'inimitable'. Il ne s‟agit point
seulement d‟une impossibilité fonctionnelle, mais d‟une véritable condamnation de l‟acte de représentation. Très vite cette
condamnation prend de plus en plus d‟ampleur ; même la simple tentation de se laisser 'corrompre' par son imagination est
totalement bannie. Le Coran, soucieux de cette réalité, relate l‟histoire du Prophète Moïse qui eut un jour le désir de contempler Son
Seigneur.
Or quand Moïse vint à Notre assignation, et que son Seigneur lui parla, il dit: "Mon Seigneur, laisse-moi te voir
que je Te contemple". Dieu dit: "Tu ne Me verras pas, mais regarde la montagne, si elle restait ferme à sa place,
alors tu me verrais". Or quand Son Seigneur eut éclaté sur la montagne, Il la pulvérisa et Moïse tomba
foudroyé. Puis revenant à lui, il dit "O Transcendance! Je me repens à Toi. Je suis le premier des croyants" 7.
Le regard du croyant est donc détourné de l‟objet de son désir, Dieu. Celui-ci, de par Sa Puissance et Sa Majesté, demeure
inaccessible à l'homme dans Son immédiateté, mais Il reste extrêmement proche de Sa Créature à travers Son Omniprésence.
S'agissant toujours de regard, un hadith8 cité par Ibn Maja dans ses Sunan, nous rappelle cette toute Puissance de Dieu caractérisée
par la fulgurance de Sa Lumière: "Dieu a soixante-dix voiles de lumière et de ténèbres; s'Il les enlevait, les gloires fulgurantes de Sa
Face consumeraient quiconque serait atteint par Son Regard". Pourtant, le Coran promet dans un verset toutefois controversé, que
Dieu se dévoilera à Ses Créatures le jour du jugement dernier, en guise de rétribution.
En ce qui concerne le Prophète Mohammed, à la différence de Jésus, il n‟existe de lui aucun portrait ni sculpture officielle
à tel point que les quelques enluminures persanes représentant le Prophète et ses compagnons créent chez les croyants une
réprobation sans appel. tant un être exceptionnel, mais surtout de peur que la copie fasse oublier le 'prototype' ou se substitue à Dieu,
jamais représentation sous quelque forme que ce soit ne peut lui être consacrée. Quand le cinéma par exemple s‟est intéressé au
discours religieux, le tabou s‟est installé d‟entrée de jeu, au moins dans les réalisations sous contrôle direct des instances religieuses.
La présence du Prophète n‟est alors que suggérée soit par une forte lumière soit par une caméra subjective, ou encore par une voix
off qui, on l‟aura deviné, ne fait que rapporter les paroles dudit Prophète. Ce qui est plutôt curieux à noter, c'est que, plus la
personnalité—surtout religieuse—est vénérée, moins elle est représentée.
6
Nous vous renvoyons au livre de Luis Marin, Des pouvoir de l’image où il est dit “ qu‟est-ce que représenter, sinon
présenter à nouveau (dans la modalité du temps) ou à la place de …(dans celle de l‟espace) ” Paris : Seuil, 1993, p 10.
7
Sourate VII, versets 143.
8
Paroles et actes du Prophète décrits par les compagnons et les épouses de celui-ci et transmis de génération en génération
sous forme de grands recueils dont celui de Ibn Maja, mais surtout les deux plus grandes compilations ayant autorité dans ce
domaine, celles de Al'Boukhari (810-870) et de Muslim (817-875).
2
Représenter Dieu ou son Prophète devient alors un péché répréhensible. Assimilé à un acte profane, la représentation du
sacré frise parfois l‟apostasie, car l‟artiste se pose comme créateur, donc rival de Dieu qui, parmi ses quatre-vingt-dix-neuf attributs9,
possède ceux de Al’Mussawwir  le formateur, le peintre et de Al’Muhyi,  celui qui donne la vie.
Le nom Al’Mussawwir dérive du mot Sura qui veut dire image, mais aussi du verbe Sawwara qui signifie dessiner,
peindre, figurer. Dieu est le seul à détenir le pouvoir de créer et de donner la vie, l‟artiste ne peut imiter ce pouvoir divin même en
donnant la simple illusion de la vie, il ne peut que reproduire 10. On retrouve ici le mythe de Pygmalion, au moins selon Ovide, qui
montre bien—alors que les grecs définissaient l‟art comme l‟imitation de la nature—les limites de l‟acte créateur qui a besoin de la
touche divine, du pouvoir de Venus à transformer le marbre glacé en un corps vivant.
Il faut distinguer plusieurs niveaux dans la condamnation de la représentation. D‟abord le Coran et la tradition prophétique,
la Sunna11  rejettent toute représentation du divin qui aurait comme but l‟association à Dieu d‟une autre divinité : ainsi le
paganisme est-il voué à disparaître à jamais. Il faut reconnaître que les contextes historiques et religieux de l‟Arabie du VII ème siècle,
que décrit Salman Rushdie dans les Versets sataniques, imposaient une éradication totale des pratiques païennes pour laisser place à
la nouvelle religion.
Ensuite la condamnation touche la figuration : il est donc interdit de représenter des êtres vivants12 sous forme de sculpture,
de peinture ou de tout autre moyen. Cette condamnation n‟apparaît que dans la Sunna. Parmi les Ahadiths  qui appuient
cette position, citons notamment Ibn Abbass qui rapporte les propos du Prophète : “ celui qui dessine des figures vivantes dans la vie
ici-bas, Dieu exigera de lui de souffler la vie dans sa créature, il en sera incapable ”. Il y a aussi cet autre hadith peu connu selon
lequel l‟Ange Gabriel (Gibreel ) qui voulait rendre visite au Prophète dut rebrousser chemin car il y avait dans la maison une
tenture sur laquelle était dessinée l‟image d‟un homme. “ Coupe donc la tête de l‟image, dit l‟ange Gabriel, de façon à ce qu‟elle
prenne l‟aspect d‟un arbre”.
Image mutilée, violentée, décapitée pour qu‟elle perde sa valeur évocatrice. Qu‟est-ce que la Méduse sans sa tête ? Même
quand celle-ci est tranchée, elle garde toujours son pouvoir pétrifiant. L‟homme décapité, l‟homme arbuste n‟est-il pas une nouvelle
représentation vivante de par sa présence? La dégradation de la chose représentée est ici préméditée et la disparité de nature qui
maintient l‟image à distance de l‟original ne rend plus l‟imitation suspecte de déformation ou de trahison, mais bien au contraire elle
9
Voir à ce sujet FAKHR AD-DÎN AR-RÂZÎ, Traité sur les noms divins, Paris: Dervy Livres: 1988, traduit de l'arabe par
Maurice Gloton.
10
De là est née l'insatisfaction de l'artiste à l'égard de sa création: "les peintres, disait Lucien Freud, tombent souvent dans le
désespoir…quand ils s'aperçoivent que leur peintures manquent du galbe et de la vie des objets aperçus dans un miroir…mais jamais
une peinture n'aura le galbe de l'image dans le miroir…sauf quand on les regarde, l'une et l'autre, avec un œil fermé" cité dans
GOMBRICH E.H. L'art et l'illusion, psychologie de la représentation picturale. Traduit de l'anglais par Guy Durand, Paris:
Gallimard, 1987, p. 131.
11
La Sunna signifie la tradition prophétique: tous les actes et paroles du Prophète Mohammed que chaque musulman se
doit de respecter et de suivre. C'est de ce mot que vient le terme Sunnisme, l'une des deux conceptions historiques de l'Islam avec le
Chi'isme. Celui-ci ne représente que vingt pour cent des musulmans dans le monde.
12
'Les êtres vivants' ici réfèrent essentiellement à l'être humain et aux animaux. Par conséquent la représentation de la
nature est parfaitement acceptable. Les savants musulmans sont divisés sur la portée de la condamnation. En dehors de la
représentation de Dieu, de son Prophète Mohammed et des grandes figures de l'Islam, qui par définition, est frappée d'interdit quel
que soit le moyen d'expression, une grande partie de ces savants, selon le principe de l'Ijtihad (l'effort d'interprétation personnelle) et
avec l'évolution des mœurs, ne rejette que l'art de la sculpture qui donne aux figures une ombre, alors que les photographies et les
peintures sont tolérées sous certaines conditions.
3
renforce cette déformation jusqu‟à l‟effacement total. Le peintre n‟est plus accusé de mensonge ni de sorcellerie car il cherche moins
l‟imitation que l‟absence d‟imitation.
Avec la multiplication des conquêtes, l‟immensité territoriale de l‟empire arabo-musulman eut raison de l‟interdiction de la
figuration qui perdait de plus en plus d‟importance: ainsi des écoles de miniatures font leur apparition dans la Perse sassanide, la
Mésopotamie byzantine et l‟Inde, régions à forte tradition figurative. Le tabou eut du mal à s‟imposer au début mais la figure finit
par faire son entrée dans les palais des souverains, orner les étoffes, les céramiques, et illustrer les manuscrits (traités d'astronomie,
de médecine, de botanique, contes populaires dont le plus célèbre était Le Livre des Séances “ Kitab Al‟Maqamat ” d‟Al‟Hariri,
recueils de poèmes…), à l‟exception bien entendu du Livre Saint et des recueils d‟exégèse desquels l‟image était et reste
définitivement exclue.
L‟image est donc traquée, chassée des objets sacraux, lesquels n‟admettent point de se voir doubler, donc de se désacraliser.
C‟est seulement là qu‟on mesure la vraie puissance de l‟image qui est mise hors cadre, „décadrée‟ de peur qu'elle ne s'impose. Seul
le Verbe doit prévaloir et à fortiori quelques ornementations sous forme d‟arabesques. Elle est aussi expulsée des mosquées,
domaine essentiellement réservé à la calligraphie qui connut par là même un essor extraordinaire puisqu‟elle devint une science à
part entière enseignée dans les grandes écoles au même titre que la médecine, l‟astronomie ou la jurisprudence…
Les miniaturistes extrême-orientaux, conscients de l‟interdiction qui frappait la figuration, cherchèrent une manière subtile
de contourner l‟interdit en adoptant le cas échéant des conventions graphiques comme par exemple tracer un trait à la hauteur du cou
des personnages pour signifier qu‟ils ne sont plus des êtres vivants (voir illustration). L‟ombre de l‟homme arbuste n‟est pas loin.
Avec la révolution du livre, l‟illustration gagne de plus en plus de terrain et des centres de production fleurissent en Iran et
en Inde qui donnent leurs titres de noblesse à la peinture musulmane, faisant souvent fi de l‟interdit mais sans oser pour autant
envahir la sphère du sacré. Avec l‟avènement de l‟ cole de Bagdad au XIIIème siècle, et la rupture avec l‟héritage byzantin,
l‟esthétique musulmane, consciente du poids de l‟interdiction de la figuration, refuse l‟illusion référentielle et entame dans ce sens
un processus d‟effacement de l‟œuvre : platitude de l‟image, absence d‟ombre 13 , silhouettes dépourvues de leur plénitude
charnelle...etc. D‟une absence de figures, l‟œuvre devient une figuration de l‟absence, absence non d‟une maîtrise des règles de l‟art
mais du désir de reproduire le réel dans sa puissance et sa splendeur. Les détails sont donc réduits au minimum : les vêtements des
personnages sont trop amples pour ne pas épouser leur corps et l‟absence de l‟illusion de profondeur et de l‟artifice de la perspective
donne l‟impression d‟un espace homogène.
Il est curieux de noter qu‟on est devant le processus inverse de l‟imitation. Déjà à cette époque (Moyen Age) l‟artiste s'était
affranchi des exigences de la vraisemblance, conscient des limites esthétiques mais aussi éthiques de son art. Une chose est sûre: si
la figuration en soi est bannie du texte sacré et plus au moins tolérée dans les résiliations profanes avec l‟évolution des mentalités et
des influences socioculturelles, elle ne peut en aucun cas se permettre d‟être obscène ou encore blasphématoire.
Dans Shame14 Bilquis Hyder, soucieuse de préserver la mémoire tant individuelle que collective, transpose le récit en
ouvrage de broderie qu‟elle appelle “ The eighteen shawls of memory ”. Elle brode des figures monstrueuses, des êtres venant d‟un
monde imaginaire :"The bodies sprawled across the shawl, the men without genitals, the sundered legs, the intestines in place of
faces… "(Shame, p. 195)
13
On retrouve ici ce même souci de faire disparaître l'ombre des figures en peinture également pour la simple et bonne
raison que Dieu a crée l'ombre pour montrer à l'homme, par la raison, que chaque phénomène a son explication. L'ombre n'étant
finalement que la preuve de l'existence du soleil, comme l'univers dans sa complexité mystérieuse est la preuve de l'existence d'une
force suprême, Dieu.
14
S. Rushdie, Shame, Picador, 1984.
4
Et quand elle réalise son propre portrait, elle l‟intitule “ the portrait of an artist as an old crone 15”. Cette volonté de
corrompre le prototype, de le parodier s‟inscrit pourtant moins dans un refus de la figuration que dans le désir de fuir une réalité un
peu trop honteuse.
Dans The Moor’s Last Sigh16 dernier roman en date de S. Rushdie, où la figure du Moor rappelle celle du migrant en quête
perpétuelle d‟une origine partagée, il est question du récit fait image à travers les productions picturales de la mère du narrateur
Moor, Aurora Da Gama. Le texte subit alors une double représentation. Aurora peint des tableaux dont la plus célèbre série s‟intitule
“ Moor Sequence ”. Il s‟agit en fait d‟une œuvre inachevée car il lui manque la pièce maîtresse qui donne son nom au roman „The
Moor's Last Sigh‟. Un roman qui constitue par ailleurs la première tentative de S. Rushdie à s'intéresser de près à la peinture, une
manière de rapprocher celle-ci de la création romanesque. Les peintures d‟Aurora dénotent un amour fou pour son art et son fils qui
finissent par se superposer. Gardons bien présent à l'esprit cette notion de superposition. Après la mort de l‟artiste, s‟engage de la
part du fils une quête du portrait volé. Celui-ci se révèle être un montage „palimpsestueux’, comme peut l‟être l‟écriture.
Une fois retrouvé, s'engage alors un travail d'exhumation de l'œuvre 'sédimentaire': "to exhume the buried painting by
removing the top layer" (M.L.S. p. 420). C'est ainsi que la première violence que subit l'œuvre est celle du scalpel: "engaged on the
destruction, rather than the preservation of a work of art" (M.L.S. p. 420). Mais c'est une violence qui la débarrasse des différentes
couches de peinture qui cachent sa vraie identité en vue de sa restauration.
Ce qui nous importe le plus ici c‟est la scène du dernier chapitre où le portrait d‟Aurora Da Gama est violenté, mis à
l‟épreuve du feu. Un trou17, comme celui qui apparut dans le corps de Adam Aziz dans M.C après qu'il perdit la foi, apparaît dans le
cœur de l‟artiste disparue qui, par là même, meurt une seconde fois. Le trou ici n'est—à notre avis—qu'une autre manifestation des
fameux traits qui coupent les têtes des figures dont il était question auparavant.
There was a moment when her [Aoi Aë] upper half was hidden by the painting. Vasco fired once. A hole
appeared in the canvas over Aurora‟s heart ; but it was Aoï Uë‟s breast that had been pierced. She fall heavily
against the easel, clutching at it, and for an instant—picture this—her blood pumped through the wound in my
mother‟s chest. Then the portrait fell forwards ; its top right hand corner hitting the floor and somersaulted to
lie face upwards, stained with Aoi‟s blood, Aoi Aë, however, lay face downwards, and was still. (M.L.S, p.
432)
On assiste non seulement à une seconde mise à mort de l'artiste, mais à une scène macabre, un crime gratuit où la victime,
Aoi Aë, se confond avec l'œuvre d'art qui semble prendre vie: "her blood pumped through the wound in my mother's chest", avant
que les deux personnages se retrouvent par terre l'un sur l'autre. Mieux encore, quand Vasco Miranda meurt mystérieusement: "then
he simply burst" (M.L.S. p. 432), il se couche sur le portrait d'Aurora Da Gama: "when he died he lay upon his portrait of my mother,
and the last of his lifeblood darkened the canvas" (M.L.S. p. 432). Ultime mise à mort du tableau et ultime fusion tragique qui fait de
la peinture comme de l'écriture un art d'une complexité multiple.
Si pour les raisons que nous avons invoquées l'Islam condamne la figuration et à plus forte raison l'icône, il semble mieux
accepter l'image faite récit et les descriptions, mais sans pour autant déroger à un certain nombre de règles de l'éthique musulmane.
15
Au lieu de A Portrait of an Artist As a Young Man, roman de James Joyce.
16
S. Rushdie, The Moor's Last Sigh, London: QPD, 1995.
17
La figure du 'trou' (hole) est essentielle chez Rushdie. Elle accompagne tantôt l'absence de la foi, tantôt celle de la
mémoire ou de l'héritage; dans tous les cas la vulnérabilité du corps qui se laisse infiltrer par tout ce qui se trame autour de lui jusqu'à
ne devenir qu'un ensemble de fragments.
5
Tout d‟abord le lisible, à la différence du visible, est vénéré et les premiers versets de la révélation du point de vue chronologique
exigent du prophète de lire la parole de Dieu :
Lis ! au nom de ton seigneur qui créa
Créa l‟homme d‟un accrochement…
Lis ! de par ton seigneur Tout générosité
Lui qui enseigna par le calame
Enseigna à l‟homme ce que l‟homme ne savait pas
(Versets 1-5, Sourate XCVI/97)
La création, qui est du domaine du divin, est compensée chez l‟homme par le don de la parole qui appelle l‟écriture: "Lui
qui enseigna par le calame" (=roseau taillé utilisé pour écrire). Ainsi l‟Islam reste une civilisation de l‟écrit 18 . Celui-ci doit être
orienté vers un seul objectif: l‟adoration de Dieu. L‟écrivain n‟est pas mieux loti que le peintre. La tradition raconte que le Prophète,
exacerbé par les poèmes calomnieux d‟un certain Kaab Ibn Al‟Achraf, un juif de Médine, dut envoyer un groupe parmi ses fidèles
compagnons pour le mettre hors d'état de nuire. Le poète Baal—qui est sans doute l‟équivalent de Kaab—dans les Versets
sataniques s‟est vu lui aussi condamné par le Prophète Mahound pour avoir chanté la gloire de ses femmes présentées comme des
prostituées.
L‟image du Prophète et de ses relations avec ses épouses a suscité la curiosité de bien des penseurs. Tantôt elle évoque la
sincérité et le dévouement d‟un Prophète fondateur d'une religion et né orphelin, tantôt l‟aversion et la haine de l‟autre, un homme
aux multiples épouses qui écrase tout sur son passage.
L‟Islam dérange par son message qui se veut universel, son code éthique trop strict, sa prétention détenir la Vérité absolue,
ses multiples interdits, son obsession de contrôler tous les actes de la vie au quotidien, chose que condamne par ailleurs Salman le
persan, l‟homonyme de Salman Rushdie avec qui il partage le statut de Mohajir  ou migrant dans les V.S :"Salman said, rules
about every damn thing, if a man farts let him turn his face to the wind, a rule about which hand to use for the purpose of cleaning
one‟s behind…" (S.V, p. 363)
L‟artiste sent alors un besoin urgent de se libérer des carcans de la religion au risque de blasphémer au nom d‟un idéal
foncièrement provocateur. L‟incompréhension de l‟œuvre de Salman Rushdie vient d‟abord de ce désir de liberté, mais également
de l‟obsession du discours religieux à tracer des frontières limpides entre sacré et profane, fiction et réalité. C‟est ainsi que l‟art du
roman, qui constitue une victoire formidable pour la pensée occidentale, a eu du mal à s‟imposer dans le monde arabo-musulman,
orienté plutôt vers la poésie et le conte populaire. Ce dernier dépeint souvent des mondes merveilleux loin de la réalité quotidienne
des croyants mais garde pourtant son côté moralisant.
Comment et à partir de quel moment une œuvre de fiction devient un corps du délit ? Peut-on évoquer le péché de
blasphème en parlant d'une telle réalisation artistique? Qui, au sein de l'Islam contemporain dépourvu d'une instance judiciaire
compétente et reconnue comme telle par tous, a le pouvoir de juger un sujet Britannique qui se déclare des origines musulmanes? Où
doit se tenir le procès, si procès il y a ? Quelle sera la nature de la condamnation?…
18
Il faut rappeler que la vie des bédouins arabes avant l'avènement de l'Islam était essentiellement basée sur la tradition
orale; ils n'utilisaient l'écriture que rarement (écriture des odes, 'Al'Moallakat', en lettres d'or qu'ils accrochaient sur les parois de la
Ka'ba, lettres importantes…). L'Islam vint insister sur le rôle éminent de l'écrit pour la transmission de la religion et de la civilisation.
On peut lire dans le Coran des serments divins à la gloire de l'écriture du genre: "Nun. Par le calame et ce qu'on met en ligne…"
Sourate LXVIII, verset 1.
6
Autant de questions qui ne trouvent pas de réponses. Il ne s‟agit pas ici de tenter d'y répondre, mais de tenter de démontrer
comment une représentation imaginaire, en l'occurrence le roman de S. Rushdie les Versets sataniques peut être qualifiée d‟œuvre
blasphématoire au point de faire condamner l'écrivain à mort.
DE L‟ CRITURE AU BLASPH ME :
Your Blasphemy Salman can’t be forgiven. Did you think I wouldn’t work it out ? to set your words against the words of God.(c'est nous
qui soulignons)
The Satanic Verses19, p. 374.
On avait cru être débarrassé de l‟inquisition et de la censure ecclésiale, mais nous revoilà confrontés à nouveau au dilemme
que crée d'un côté un art qui se veut désacralisant et parodique et de l'autre le retour du sacré. La question du blasphème qui avait
presque disparu du discours historique tente de se faire à nouveau une place dans le giron du littéraire!
Il faut savoir d'abord que le roman, S.V., a été considéré non pas dans sa totalité mais selon une pratique du fragment qui
consiste à prélever les moments phares de l‟œuvre comme hérésie. Seuls deux chapitres sur neuf sont montrés du doigt. Dans
Midnight’s Children, le narrateur Saleem Sinai reconnaît ne pas faire de différence entre le licite et l‟illicite quand il s‟agit de
raconter le passé qu‟il compare à un aliment, un aliment qu‟on doit consommer tel qu‟il est, dans son état brut, sans se référer à
aucune loi.
Family history, of course, has its proper dietary laws. One is supposed to swallow and digest only the permitted
part of it, the halal portions of the past, drained of their redness, their blood. Unfortunately, this makes the
stories less juicy; so I am about to become the first and only member of my family to flout the laws of halal,
letting no escape from the body of the tale, I arrive at the unspeakable part; and, undaunted, press on. (M.C.
p.59)
On veut exorciser ce qu‟il y a dans l‟image de plus déconcertant, expurger ce corps du délit, le purifier par le feu. On se
souvient des scènes de liesse à Londres où des exemplaires des V.S furent brûlés. La presse britannique s‟est empressée alors de
comparer le fanatisme Islamique au Nazisme qui préfère brûler des livres au lieu de les lire.
Avec les V.S, S. Rushdie s‟attaque à la représentation du sacré. Si l‟Islam est hostile à la figuration qu‟il assimile à un
péché, comment peut-il alors concevoir une représentation qui se veut parodique, fut-elle en mode fictionnel. Les avis diffèrent entre
défenseurs de la liberté d‟expression et du droit au blasphème (représentés par une bonne partie de l‟intelligentsia arabe) et ceux qui
réfutent la prétention de la fiction à remettre en question la transcendance et l‟inviolabilité du discours religieux.
Yet the novel does contain doubts, uncertainties, even shocks that may well not be to the liking of the devout.
Such methods have, however, long been a legitimate part even of Islamic literature20.
En effet, et contrairement à ce qu‟on peut croire, S. Rushdie est moins préoccupé par la foi que par la perte de la foi et le
doute. Il ne fait que réclamer le droit 'légitime' à faire valoir ses propres incertitudes vis-à-vis de la chose sacrée.
Question : what is the opposite of faith ?
Not disbelief. Too final, certain, close.
19
Salman Rushdie, The Satanic Verses, London : Viking, 1989.
20
S. Rushdie, Imaginary Homelands, London: Granta Books, 1991, p. 396.
7
Itself a kind of disbelief.
Doubt (S.V. p. 92)
Les personnages de Rushdie connaissent des crises d‟identité qui les transforment en des êtres hybrides doutant de tout
jusqu‟à commettre l‟impensable. La perte de la foi laisse chez Adam Aziz, que nous avons cité auparavent, un „trou‟ synonyme
d‟absence, ce qui le rend vulnérable à l‟histoire, et donc incapable de contrôler ses pulsions et ses désirs:
He resolved never again to kiss earth for any god or man. This decision, however, made a hole in him, a
vacancy in a vital inner chamber, leaving him vulnerable to women and history (M.C p. 10)
On retrouve donc le même symbole du „trou‟ qu‟on avait laissé sur le portrait d‟Aurora Da Gama. L‟artiste ou le croyant
sombre dans un scepticisme plus problématique que l‟incrédulité ou l‟athéisme. Dans cet état intermédiaire et instable, les frontières
entre sacré et profane s'effacent de plus en plus.
Gibreel Farishta, superstar du cinéma indien, et Saladin Chamcha qui double les voix dans des films publicitaires (“ he was
the Man of a Thounsand Voice an Voice ” dit le texte), appartiennent au monde de l‟artifice et à la fascination de l‟illusion. Ce sont
des êtres sujets à métamorphose. Saladin se transforme alors en bouc puant comme un certain Samsa de Frantz Kafka dont il tire le
nom, Chamcha. Ce sont des individus vagabonds, déracinés, victimes d‟hallucinations et de folie. Une folie désacralisante et
destructrice. Gibreel rêve, et à travers ses rêves se profile le regard d‟un personnage contemporain qui a perdu foi en toute chose.
Gibreel's most painful dreams, the ones at the centre of the controversy, depict the birth and the growth of a
religion something like Islam, in a magical city of sand named Jahilia (that is 'ignorance', the name given by
Arabs to the period before Islam). Almost all the alleged 'insults and abuse' are taken from these dream
sequence.21
Ainsi on a souvent confondu le point de vue du narrateur, qui n‟est qu‟une entité textuelle, et celui de l‟écrivain. C‟est là, à
mon avis, que réside une des clefs de la condamnation de Rushdie.
Les passages incriminés concernent au moins trois aspects de la religion Islamique qui semblent avoir été tournés en
dérision par une représentation fictive. D‟abord la Révélation. Celle-ci constitue en Islam le fondement de toute chose. Ainsi le Livre
Sacré révélé par Dieu à son Prophète Mohammed par l‟intermédiaire de l‟Archange Gabriel ou 'Gibreel' en arabe, est la Parole de
Dieu inaltérable et inaltérée. Douter de sa consistance et de sa véracité, c‟est renier sa foi et tomber dans l‟apostasie. A ce stade, les
choses vont très vite car le Prophète dit : “ tuez celui qui révoque sa religion ”. Mais ce jugement sans appel provoque plus de
questionnements que de réponses, car il ne précise ni les circonstances, ni les responsabilités, ni le degré de l‟offense. Plus encore, ce
hadith n'est applicable que si la loi Islamique la Chari'a est en vigueur dans un pays islamique souverain et que le délit d'apostasie
constitue un danger éminent pour la pérennité de la Umma, la nation musulmane. Chose qui ne semble pas s'appliquer à S. Rushdie.
Bien des lecteurs arabo-musulmans se plaisent à dévoiler les inexactitudes et les limites du texte (apprendre que Salman le
persan était le scribe du Prophète et non Oussama Ibn Zayd, que le Prophète dut accepter le culte des déesses païennes…). Ils exigent
ainsi que la vérité éclate au grand jour pour faire disparaître le „mensonge‟ véhiculé par une œuvre considérée à tort comme un livre
d‟histoire.
Au centre du roman se situe la vraie affaire des versets sataniques selon laquelle Satan aurait interféré entre Gibreel et
Mohammed pour faire glisser dans la révélation des versets contraires à l‟esprit du message monothéiste. Il s‟agit là d‟un épisode
très contesté car, dit-on, le Prophète aurait été capable de débusquer l‟énormité de la contradiction.
21
Idem, p. 398.
8
Le texte de Rushdie s‟approprie cette incident controversé pour démontrer que même un discours supposé incarner la
transcendance peut se révéler du même ordre qu‟un discours de fiction, ce que la tradition musulmane a toujours fortement récusé.
Have you thought upon Lat and Uzza, Manat, the third , the other ? […] they are the exalted birds, and their
intercession is desired indeed (V.S p. 114)
Dieu, l‟unique, devient quadruple, voilà un sacrilège qui dénote la volonté du texte à assimiler la révélation à une
fabrication poétique humaine, à une représentation imparfaite. Même si le texte semble se conformer au système de “ l‟Abrogeant et
de l‟Abrogé ”22 en citant les versets orthodoxes qui ont remplacé les versets sataniques, il ne dément en rien l'exploitation fictive du
Livre Saint.
„Shall He have daughters and you sons ?‟Mahound recites. „That would be a fine division !
„These are but names you have dreamed of, you and your fathers. Allah tests no authority in them‟ (S.V. p. 124)
“ (le) 'Récit unique‟, dit Marc Porée, 'est devenu un récit multiple ; un récit confisqué, un récit ouvert à tous' ”23 Suivant le
même raisonnement, le Prophète ne serait qu‟un poète, c‟est d'ailleurs l‟accusation que lui portaient ses rivaux, pire le diable en
personne, Mahound, terme d‟opprobre utilisé par les chrétiens au Moyen Age pour peindre une image diabolique du Prophète de
l‟Islam. Le portrait que dresse le narrateur dans S.V. du Prophète de l‟Islam n‟est point flatteur : businessman cynique et profiteur,
mais surtout incapable s‟assumer le message divin puisqu‟il ne peut discerner les vrais des faux versets coraniques. Cette fois-ci, il
ne s‟agit plus d‟une tentation satanique mais de la manipulation des versets par le scribe Salman le persan :
When he sat at the Prophet‟s feet, writing down rules rules rules, he began, surreptitiously, to change things.
„Little things at first. If Mahound recited a verse in which God was described as all-hearing, all-knowing, I
would write all-knowing, all-wise. Here is the point : Mahound did not notice the alterations. So there I was,
actually writing the Book, or rewriting, anyway, polluting the word of God with my own profane language.
But, good heavens, if my poor words could not be distinguished from the Revelation by God‟s own Messenger,
then what did that mean ? What did that say about the quality of the divine poetry ? Look, I swear, I was shaken
to the soul (S.V. p. 367)
Le troisième aspect de la condamnation du texte de Rushdie pour blasphème concerne l‟assimilation des épouses du
Prophète à des prostituées. A vrai dire le roman dans son ensemble interroge les possibilités de fusion des individus et des cultures.
Fusion charnelle entre des êtres si différents, si inégaux et presque incompatibles. L‟union entre Allie Cone, la juive alpiniste et
Gibreel Farishta implique un amour qui triomphe des frontières entre réalité et désir. Presque le même schéma se répète avec les
épouses du Prophète dont le respect qu‟elles inspirent n‟est pas à démontrer car elles sont considérées comme „les mères des
croyants‟ (Umahat Al’Mu’minine).
Chercher à confronter davantage récit historique et fiction ne peut que cristalliser le débat et prolonger à jamais un dialogue
de sourds. Dans son essai In Good Faith24, Rushdie résume bien sa position vis-à-vis de l'affaire des Versets sataniques et pointe du
22
A’Nassikh wa Al’Manssoukh : Système selon lequel Dieu peut décider qu‟un ou plusieurs versets soient remplacés par
d‟autres selon l‟évolution historique de la révélation. Il ne s'agit pas de remettre en cause la parole de Dieu qui est par définition
inaltérable, mais seulement d'attirer l'attention sur un phénomène qui divisa pendant longtemps les théologiens musulmans.
23
Marc Porée, Salman Rushdie, Paris : Seuil, 1996, p. 120.
24
S. Rushdie in Imaginary Homelands, op. cité, p. 393-414.
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doigt les principales 'blessures' ressenties par les musulmans. Il déplore surtout que les fragments les plus contestés de son roman
soient considérés comme des vérités à part entière et non le produit de l'imagination d'un artiste.
What they have trouble with are statement like these: 'Rushdie calls the Prophet Muhammad a homosexual'.
'Rushdie says the Prophet Muhammad asked God for permission to fornicate with every woman in the world'.
'Rushdie says the Prophet's wives are whores'. 'Rushdie calls the Prophet by a devil's name'. 'Rushdie calls the
Companions of the Prophet scums and bums'. 'Rushdie says the whole Qur'an was the Devil's work'. And So
forth.
It has been bewildering to watch the proliferation of such statements, and to watch them acquire the authority
of truth by virtue of repetition25.
Face aux défenseurs du culte il y a donc les défenseurs du roman. Mais l‟enjeu principal de celui-ci, et de la représentation
fictive en général, n‟est pas de décider s'il y a eu blasphème ou pas, mais de repenser le problème en des termes culturels,
sociologiques et politiques. Ainsi, plus que jamais, il est question d‟un conflit insurmontable dans la perception et la conception de la
représentation entre un occident qui s‟appuie sur les acquis intellectuels précieux de liberté d‟expression et de droit de l‟homme et un
orient musulman qui exprime un attachement fervent à la religion qui conditionne tous les aspects de son existence. On ne peut par
conséquent renfermer toutes les cultures dans un seul modèle de représentation historique et artistique fut-il occidental.
Réagir seulement en invoquant Voltaire, Rousseau, les droits de l‟homme, la liberté de l‟artiste et de l‟écrivain,
insiste Mohamed Arkoun, c‟est se référer à des thèmes connus des conquêtes de l‟esprit précieuses pour tous
les hommes, mais vous ne pouvez pas demander à toutes les cultures de suivre la trajectoire tracée depuis deux
siècles par la France et l‟Europe26
L‟Affaire Rushdie, si elle a ébranlé bien des consciences de part et d‟autre, a au moins le mérite de nous avoir poussé à
reconsidérer nos systèmes de pensée dans la perspective d‟une meilleure compréhension de l‟Autre.
25
Idem p. 397.
26
ARKOUN Mohamed, "la conception occidentale des droits de l'homme renforce le malentendu avec l'Islam" Le Monde
du 15/03/1989
10
BIBLIOGRAPHIE
ARKOUN Mohamed
"la conception occidentale des droits de l'homme renforce le malentendu avec l'Islam" Le Monde,
15/03/1989.
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EXPOSITION
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____Imaginary Homelands, London: Granta Books, 1991.
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