Québec : la loi sur l`aide à mourir en vigueur

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Québec : la loi sur l'aide à mourir en vigueur
Elle a fait couler beaucoup d’encre et suscité une vaste réflexion collective qui a soulevé
beaucoup de controverse pour finalement entrer en vigueur le 10 décembre 2015. La loi
sur "l'aide médicale à mourir" place le Québec à l'avant-garde dans ce domaine en
Amérique du nord : quel est le contenu de cette loi ? Qui peut s’en prévaloir ? Et
comment les médecins réagissent-ils ?
La loi sur l’aide médicale à mourir est l’aboutissement d’une décennie de réflexion et de
discussion au sein de la communauté médicale, bien sûr, mais aussi au sein de la
population québécoise. Et elle est également le fruit d’un certain consensus. « Les
sondages ont démontré qu’au Québec, plus de 70% des médecins sont favorables à
cette loi. Dans le reste du Canada aussi, on parle d’une proportion de 70% de médecins
en sa faveur mais seulement le tiers d’entre eux disent qu’ils accepteraient de faire ce
geste médical pour mettre fin à la vie d’un patient », explique le neurochirurgien Georges
L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la
dignité.
Des conditions très strictes
L’aide médicale à mourir est pour l’instant très restrictive. Pour s’en prévaloir, il faut :
avoir plus de 18 ans, être inscrit au régime d’assurance santé du Québec, être atteint
d’une maladie incurable dont l’issue fatale est imminente, et subir des souffrances
physiques et psychiques insupportables qui ne peuvent être apaisées.
On peut alors, en présence de son médecin ou d’un professionnel de la santé, remplir
un formulaire, produit par le ministère de la Santé du Québec, demandant à recevoir
cette aide médicale. (Voir en encadré ci-contre)
Le médecin traitant doit vérifier que son
patient remplit ces critères d’admissibilité et
son avis doit être entériné par un deuxième
médecin qui est neutre et indépendant.
Le médecin traitant peut alors valider auprès
d’un pharmacien quels médicaments prévoir
pour procéder aux traitements qui
consistent en trois injections : la première
sert à relaxer le patient, la deuxième à le
plonger dans le coma et la troisième va
provoquer l’arrêt cardio-respiratoire fatal.
Le processus dure au total 30 minutes. Le
patient peut être chez lui ou à l’hôpital, selon
son choix ou sa condition. Et bien sûr, même
jusqu’à la toute dernière minute, le patient peut tout arrêter. « Notre problème
actuellement, c’est que la loi n’a pas beaucoup été expliquée à l’ensemble de la
population, précise le docteur Yves Robert, secrétaire général du Collège des Médecins.
Il faut vraiment être en fin de vie pour avoir accès à l’aide médicale à mourir, on parle d’un
laps de temps de quelques semaines, quelques mois mais certainement pas quelques
années ».
Des conditions très strictes donc qui limitent, encadrent et balisent la pratique,
justement pour éviter tout dérapage.
Le droit de refuser
Cette législation n’est en aucun cas contraignante. Un médecin peut, pour des raisons
religieuses ou personnelles qui lui sont propres, refuser de donner l’aide médicale à
mourir à un patient. Il a, par contre, l’obligation de référer son patient à un autre
médecin. Un pharmacien peut lui aussi refuser de préparer les médicaments qui seront
utilisés lors du processus.
Depuis son entrée en vigueur, plusieurs personnes se sont prévalues de l’aide médicale
à mourir. Dans tous les cas, on parle d’un processus qui s’est déroulé dans le respect et
la dignité. L’un des médecins qui a réalisé ce geste a même parlé d’une des
expériences les plus intenses de sa vie.
Un guide à l’usage des médecins
C’est justement pour aider ses membres à faire face à cette nouvelle réalité que le
collège des Médecins du Québec a élaboré un guide à l’usage de ses membres. « Le
guide est là pour expliquer les critères, outiller le médecin pour faire l’évaluation des
demandes et pour prendre sa décision et lui offrir les options médicamenteuses pour
effectuer la procédure », précise le Dr Robert. C’est évident que ce n’est pas un geste
médical comme les autres. Il fait appel à des considérations morales qui sont très
personnelles. Un guide de pratiques et de conseils est donc des plus utiles.
C’est à la médecine aussi de prendre ses responsabilités quand les gens n’ont plus
de qualité de vie selon leurs propres perceptions ou qu’ils n’ont plus de vie du tout.
Docteur Georges L'Espérance.
Pour le neurochirurgien Georges L’Espérance, le médecin a maintenant une sorte de «
devoir moral » qui est d’aider à mourir le patient s'il lui en fait la demande. « La
médecine a fait des progrès fabuleux au cours des dernières décennies, des progrès qui
ont allongé de 10,15, 20 ans l’espérance de vie, explique-t-il, mais parfois dans quelles
conditions de vie ? Ma philosophie, ma conviction profonde, c’est que comme c’est la
médecine qui a amené les gens à ce stade-là, c’est à la médecine aussi de prendre ses
responsabilités quand les gens n’ont plus de qualité de vie selon leurs propres
perceptions ou qu’ils n’ont plus de vie du tout. C’est à la médecine de faire quelque
chose et ne pas les laisser se détériorer dans des mouroirs. C’est à la médecine de
s’occuper de ces gens-là et de les accompagner jusqu’au bout. Et le bout, pour tout le
monde, c’est la mort ».
Une loi sous très haute surveillance
Le Docteur L’Espérance croit également que cette loi, très restrictive, devrait à moyen
terme être élargie à d’autres types de maladie en permettant à une personne qui vient,
par exemple, de se faire diagnostiquer avec une maladie dégénérative et incurable comme l’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou la sclérose en plaque- de demander
l’aide médicale à mourir quand il a encore toutes ses facultés mentales mais d'en faire
la demande des années plus tard, aux termes de critères soigneusement établis. «
S’assurer que dans l’avenir il va y avoir une ouverture dans la loi pour autoriser ces
patients-là à y recourir », précise le neurochirurgien.
Mais on n’en est pas encore là : la loi sur l’aide médicale à mourir est pour l’instant sous
très haute surveillance. Une commission sur les soins de vie, dans laquelle siègent des
médecins, des infirmières et des pharmaciens, analysent chaque cas de personnes qui
a eu recours à la loi. Cette commission pourra, à termes, soumettre des
recommandations au gouvernement pour revoir la loi ou y introduire de nouveaux
critères.
Une porte qui s’ouvre au Canada ?
L’expérience québécoise, unique en Amérique du nord, est également étroitement
surveillée par les autres provinces canadiennes et d’autres pays dans le monde,
intéressés par ce modèle.
« Je pense que ce qui va être intéressant dans la prochaine année, ça va être de voir le
résultat de la réflexion dans le reste du Canada, la réponse des médecins dans chaque
province du pays et de voir comment va se positionner le gouvernement fédéral, et s’il va
y avoir ou non une loi fédérale du même genre », déclare le Docteur Robert.
En janvier dernier, la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays, a donné
au gouvernement canadien quatre mois pour adopter une nouvelle loi qui encadre le
processus de l’aide à mourir. Car jusqu’à maintenant, le code criminel canadien
criminalisait cette pratique. Et la Cour suprême a autorisé le Québec à appliquer sa loi
en l’exemptant, en quelque sorte, de cette disposition du code criminel canadien. Une
décision importante qui ouvre des portes dans les autres provinces canadiennes.
L’Ontario et la Colombie-Britannique seraient sur le point de présenter de nouvelles
législations en la matière. Il y a encore beaucoup de résistance dans les provinces
maritimes et celles du centre du pays, l’Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan.
« On a à peine posé le pied sur un nouveau continent » de mesures, conclut le
Docteur Robert.
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