1 REFLEXIONS SUR LA REEDUCATION PROPRIOCEPTIVE DE LA CHEVILLE La rééducation proprioceptive de la cheville se propose de remédier empiriquement à la déafférentation proprioceptive de la cheville, déafférentation attribuée aux lésions des récepteurs articulaires et péri-articulaires. Une telle déafférentation aboutirait selon ceux qui en ont lancé l'idée soit à une information proprioceptive faussée soit à une altération des réflexes à point de départ articulaire; soit à l'association de ces deux perturbations. L'activité motrice est intégrée dans un programme de fonctionnement alimenté en permanence par des informations sensitives et sensorielles qui initient et modulent le travail musculaire. Le rôle du système proprioceptif ne se limite donc pas à l'élaboration du sens kinesthésique. Il joue un rôle primordial dans le contrôle de l'activité musculaire. Toute performance motrice efficace et stable impose un sens kinesthésique développé. La sollicitation du circuit sensorimoteur dans sa globalité est leur dénominateur commun. La kinésithérapie agit sur les afférences proprioceptives, labyrinthiques et extéroceptives qui interviennent de façon conjointe dans la programmation motrice. Le terme de reprogrammation sensorimotrice doit remplacer celui de rééducation proprioceptive qui est trop restrictif. En 1965 FREEMAN décrit des programmes d'exercices afin de prévenir et plus tard de traiter l'instabilité fonctionnelle de l'entorse consécutive à une entorse de la cheville. Le but des exercices proposés était d'améliorer la coordination des muscles péri-articulaires en apprenant aux patients à contrôler un plateau instable en appui unipodal. Plus près de nous CASTAING et DELPLACE ont constaté que les seuls exercices d'assouplissements et de musculation n'assuraient pas un résultat parfait. Ils ont donc constaté de même que FREEMAN que la cheville répondait un trouble qui semblait se situer dans l'efficacité de la contraction musculaire non pas en puissance mais par le moment de sa survenue. Chez l'homme normal, l'étirement musculaire brusque entraîne des réponses complexes : une réponse précoce dont la traduction électromyographique IFMK Nancy 2 apparaît 30 à 40 millisecondes après l'étirement et une réponse plus tardive, dont la latence est d'environ 100 millisecondes. La première réponse correspond au réflexe myotatique.La seconde réponse est considérée comme une réponse réflexe qui emprunterait des circuits plus longs. Le rôle de ce réflexe d’étirement fonctionnel dans les ajustements nécessaires au cours du maintien postural, du mouvement volontaire ou de la marche, est très discuté. Le maintien de l'équilibre sur le plateau instable peut être rapproché des travaux et des expériences de NASHNER qui a étudié les réponses développées par les muscles des membres inférieurs en réponse à une déstabilisation brusque d'une plate-forme sur laquelle le sujet est debout. Les groupes musculaires qui répondent sont différents selon que la plate-forme est mobilisé dans son ensemble dans une seule direction ou que les perturbations de sens opposé atteignent chaque pied. L'organisation des réponses est adapté dès les premiers essais, soit au maintien de l'équilibre, soit au développement d'une activité du type locomoteur. Cet auteur avance l'hypothèse que ces réponses musculaires correspondraient à la mise en jeu de circuits médullaires pré-programmés soit pour le maintien de la posture soit pour la marche. Toujours pour citer cette auteur NASHNER lors du déséquilibre d'un sujet qui est induit par la translation du support sur lequel le sujet est positionné, l'ajustement postural s'effectue à partir d'une sélection des informations nécessaires mettant en jeu les circuits neuronaux préétablis. La contraction musculaire peut s'effectuer selon une séquence disto-proximale. C'est à dire les muscles de la cheville, de la jambe puis du tronc, ceci correspondant à une stratégie de la cheville ou à l'inverse dans les situations où la déstabilisation ne peut être corrigée selon ce schéma musculaire c'est à dire sur un support étroit avec une grande amplitude de translation de ce support, une séquence proximo-distale est adoptée correspondant à la stratégie de hanche, avec dans un premier temps flexion ou extension de cette articulation. Donc pour la rééducation il faut en déduire que pour solliciter les muscles de la cheville il est nécessaire d'utiliser des plans instables de grande surface alors que si nous voulions travailler les muscles de la IFMK Nancy 3 hanche il faut adopter des plans instables de petite surface. La reprogrammation à la mobilité et à la stabilité passe par la sollicitation dosée dans ces caractéristiques de résistance et d'allongement élastique dans des conditions mécaniquement non dangereuses bien entendu, puis par le conditionnement face aux situations à risques. Le système proprioceptif: la sensibilité kinésthésique est la perception consciente de la position des différents segments du corps et du mouvement des articulations. La sensibilité proprioceptive souvent appelée sensibilité profonde se distingue de la sensibilité extéroceptive qui participe à l'identification du monde extérieur. Les informations proprioceptives sont détectés par des récepteurs périphériques et transmises aux centres d'intégration par des voies spécifiques, les afférences proprioceptives : les récepteurs de la sensibilité proprioceptive sont situés dans les muscles, les tendons et les articulations. Les mécanorécepteurs articulaires ont une morphologie et un comportement bien définis, classification de WIKE Les informations en provenance des trois types de récepteurs articulaires codent : la position articulaire, la direction, la vitesse et l'amplitude du mouvement articulaire. Le fuseau neuro-musculaire, formation hautement différenciée présent dans les muscles striés est sensible à la composante statique et dynamique de l'allongement et aux vibrations appliquées sur le tendon. Ensuite nous avons les organes tendineux de GOLGI qui captent l'étirement des tendons se sont des structures élastiques qui transmettent la force. Le rôle respectif des récepteurs articulaires et musculaires de la proprioception a fait l'objet de nombreuses controverses. De nombreux arguments expérimentaux sont en faveur d'un rôle finalement minime aux afférences articulaires par rapport à celle de la proprioception musculaire. IFMK Nancy 4 Pour la majorité des récepteurs articulaires l'angle d'activation caractéristique correspond à des positions extrêmes. En effet, après la mise en place d'un prothèse totale de hanche les patients sont encore capables de reconnaître, d'apprécier la position du membre prothésé. Deuxième point, lorsque l'on injecte un produit anesthésique dans l'articulation il y a une diminution partielle de la sensibilité proprioceptive. Par contre, le rôle important des afférences musculaires a été démontré par deux expérimentations lors d'interventions chircurgicales sur le canal carpien avec une anesthésie loco-régional, la traction sur le tendon sans faire bouger l'articulation du sujet donne l'illusion d'un mouvement. Deuxième point, ROLL a montré que l'application de vibrations tendineuses qui excitent électivement les fuseaux neuro-musculaires induit l'illusion de mouvements. Ces résultats expérimentaux montrent que les informations fusoriales sont effectivement véhiculées jusqu'au centre d'intégration supérieur où elles participent à l'élaboration de l'image kinésthésique globale. En fait, pour un kinésithérapeute la proprioception doit être envisagé dans uns sens plus large. D'autres afférences sensitives et sensorielles interviennent dans la programmation neuromotrice. - Les afférences vestibulaires : l'appareil vestibulaire est sensible aux déplacements angulaires de la tête, aux accélérations linéaires provoquées par les mouvements du corps ou aux forces de gravité liés à la position dans l'espace. - Les afférences extéroceptives cutanées : les afférences cutanées sont activées par les mouvements de l'articulation voisine, l'effet sur la proprioception de la suppression des afférences cutanées par anesthésie locale dépend de l'articulation testée, l'anesthésie locale,par exemple, de la plante du pied altère le sens kinésthésique. Les récepteurs cutanés traduisent essentiellement l'appui IFMK Nancy 5 plantaire au sol et les modalités de la prise tant au niveau du pied qu'au niveau de la main. Les afférence visuelles : la vision intervient avant tout dans le programme neuromoteur des membres supérieurs et principalement dans l'organisation des gestes de prévention, mais les afférences visuelles participent aussi à la programmation des activités posturales et cinétiques des membres inférieurs ainsi que de l'axe rachidien. En fait, toutes les informations vont vers le centre nerveux d'intégration permettant la perception du corps dans l'espace. L'analyse des messages proprioceptifs se fait à 2 niveaux, médullaire et centrale. Tout d'abord l'intégration médullaire : la moëlle n'est pas seulement le siège d'activité réflexes....... .Des inter-neurones médullaires intercalés dans les circuits réflexes spinaux sont capables d'intégrer les messages descendants et les informations venues de la périphérie. Ces inter-neurones permettent d'ajuster très rapidement l'activité motrice d'origine centrale aux conditions périphériques. L'intégration centrale : la perception de la position et du mouvement d'une articulation nécessite l'activation simultanée des différents systèmes récepteurs en combinaisons variables et l'intégration centrale de ces informations. L'enregistrement de potentiels évoqués cérébraux démontre l'existence de projections corticales des afférences proprioceptives d'origine musculaire et articulaire. Les fonctions de ces niveaux d'intégration centrale et médullaire sont complémentaires, la boucle segmentaire a un gain faible mais l'avantage d'une mise en jeu rapide, la boucle transcorticale est mise en jeu plus lentement et représente un système à gain très variable. La reprogrammation sensorimotrice. Quel que soit leur principe technique les différentes reprogrammations sensorimotrices se proposent de IFMK Nancy méthodes de réutiliser toutes les 6 informations périphériques intervenant dans la programmation neuromotrice pour obtenir l'activation des programmes moteurs existants et mal utilisés ou pour renforcer un programme moteur de substitution. Toute activité posturale et dynamique de l'appareil locomoteur nécessite l'intégrité anatomique de l’effecteur musculo-articulaire. La kinésithérapie de reprogrammation neuro-motrice ne saurait donc marginaliser les techniques de renforcement musculaire de rééquilibrage des tensions tendineuses, d'entretien et de récupération des amplitudes articulaires. Les différents types d'activités musculaires : dans l'activité gestuelle de l'individu il est possible de distinguer 3 types d'activité musculaire : une activité volontaire consciente, une activité automatique ou semi-automatique et une activité réflexe. Tout d'abord l'activité volontaire, elle est consciente, corticale, c'est le type d'activité demandé au cours d'une rééducation active analytique; Ensuite l'activité automatique ou semi-automatique plus ou moins consciente sous-corticale. Ce type d'activité musculaire n'est pas utilisable comme technique de rééducation mais représente un but à atteindre. Et enfin l'activité réflexe qui est inconsciente sous-corticale, cette activité représente une contraction musculaire en réponse à une information périphérique. Cette activité musculaire réflexe ayant pour but en ce qui nous concerne l'activation de toute une chaîne musculaire, le maintien d'un équilibre postural et la protection articulaire. Plus le stimulus est précis et unique plus la réponse musculaire sera sélective à la limite ne faisant intervenir qu'un seul muscle. A partir de ces différents types d'activité musculaire, une classification fonctionnelle a été élaborée par VIEL et OGISHIMA, permettant de distinguer selon les rapports des fuseaux neuro-musculaires et la nature des fibres qui les composent, des muscles peu volitionnels et automatiques, des muscles peu volitionnels très automatiques et des muscles très volitionnels peu automatiques. IFMK Nancy 7 Bien entendu au niveau de l'articulation qui nous concerne il s'agit de muscles peu volitionnels et automatiques. On distingue au niveau des fibres musculaires différents types. Fibres de type I : les fibres ST "SLOW FIBER". Ce sont des fibres à contractions lentes soutenues, toniques qui sont très résistantes à la fatigue avec un coût énergétique important. Les fibres de type IIA : les fibres FTa "FAST RESISTANT" contractions de type tonico-phasique, résistantes à la fatigue intermédiaire. Fibres de type IIB : les fibres FTb "FAST FATIGABLE" contractions rapides phasiques, résistance faible à la fatigue. En fait, ce sont les fibres IIB qui sont capables de développer des tensions importantes pendant un temps très court mais résistant mal à la fatigue. Ce sont ces fibres qui sont douées d'un métabolisme anaérobie qui vont être sollicitées pour la force maximale rapide. Métabolisme anaérobie-alactique sollicitée lors de la contraction maximale dont les sources énergétiques sont fournies à partir des phosphocréatines. Or, la régénération de ces phosphocréatines nécessitent moins au 2 mn avant d'être restituées à 70%. D'emblée il est donc nécessaire d'attendre au moins 2 mn entre chaque contraction maximale. Si le développement de la force maximale fait appel au métabolisme anaérobie-alactique, l'opposition de résistance sub-maximale va solliciter les métabolismes anaérobie-lactiques et aérobies selon bien entendu l'intensité de ces résistances. La part de ces différents métabolismes dépend de la durée de l'exercice lui-même, la durée étant sous la dépendance de l'intensité de la résistance ce qui est exprimé en pourcentage de la force maximale. HOLLMANN donne au-delà de 50 % de la force maximale une exclusivité du métabolisme anaéoribie. Il semble donc que ces contractions avec 50 % de la force maximale soit l'élément de choix pour la mise en jeu du métabolisme anaérobie-lactique. IFMK Nancy 8 On sait que dans le muscle, triceps sural, la proportion de fibres 2 et 3 est égale avec une majorité pour les fibres I . L'atteinte des récepteurs du fait du traumatisme capsulo-ligamentaire de l'épanchement, de l'immobilisation ou de la chirurgie sont autant d'éléments qui perturbent le système proprioceptif dont la traduction est une instabilité. Tous ces facteurs sont à l'origine d'une sidération des muscles péri-articulaires qui peuvent conduire si cela se prolongeait à une amyotrophie; Pendant la phase de non-utilisation, l'objectif de la rééducation est de maintenir en activité les programmes moteurs nécessaires au fonctionnement normal. Précédemment, j'avais fait référence aux travaux de ROLL et GILHODES et NEIGER sur l'utilisation des vibrations. Ces vibrations sur le tendon induisent une illusion de mouvements. Ces vibrations créent une véritable stimulation proprioceptive et sont à l'origine de véritables copies de messages évoqués lors du mouvement. L'utilisation de ces vibrations permet de raccourcir cette période d'inhibition motrice. En période douloureuse on peut solliciter d'une manière indirecte les muscles par des techniques de facilitation en utilisant les réflexes de coordination ou le phénomène de débordement d'énergie. La plupart de ces exercices dérivés de la méthode de KABAT qui est donc une réalisation des dessins cinétiques qui visent à renforcer donc ces muscles stabilisateurs latéraux essentiellement; ces dessins cinétiques développent des contractions musculaires spécifiques dans des shémas pré-identifiés et à partir d'informations périphériques sur les différents mécano-récepteurs. Il s'agit donc d'une réponse musculaire en feed back inconsciente sous-corticale. L’inhibition motrice est levée, les douleurs se sont estompés, l'objectif est donc d'améliorer la stabilité et la mobilité. Les mécanorécepteurs aponévrotiques, capsulaires et ligamentaires seront stimulés à partir de pressions d'étirements et de mobilisations articulaires d'où l'importance de la main du kinésithérapeute qui, en se déplaçant lors des exercices de stabilisations en charge vont associer à la stimulation proprioceptive, une stimulation extéroceptive. IFMK Nancy 9 A ce moment, afin de faire une sur information nous proposons une série d’exercice de connaissance et de reconnaissance tout d’abord en passif puis en actif. Quand les circuits sensori-moteurs sont suffisamment préparés, les exercices en charge peuvent être progressivement commencés. On débute par des exercices d'équilibration en appui stable, bipodal en faisant varier le polygone de sustentation et en changeant la qualité de l'appui au sol. Le principe rééducatif étant la réaction musculaire spécifique à une poussée déséquilibrante, exercice en général simple à réaliser mais qui demande au kinésithérapeute beaucoup de vigilance et de présence pour éviter les déséquilibres trop importants pouvant dépasser leur but et nuire plus que traiter. Le thérapeute exerçant des poussées déséquilibrantes d'avant en arrière ou inversement et en diagonale avec nécessité pour le patient de maintenir son équilibre sans décollement du pied, favorisant ainsi le travail proprioceptif inconscient. La progression de l'exercice se faisant par le type de poussées : poussées lentes et progressives lorsque l'on désir une réponse ayant valeur de travail statique, poussées plus rapides et brusques lorsque l'on recherche une réponse ayant valeur de travail dynamique. Tous ces exercices de déséquilibre en appui bipodal ne permettent pas de vérifier l'appui du patient sur sa cheville lésée, ainsi nous proposons des exercices, des stimulations du pas permettant ainsi de vérifier la quantité d'appui du patient sur le côté lésé dans la simulation du pas. Sur plan instable les exercices se feront d'abord en bipodal et de nouveau en monopodal. Les exercices précédent pourront être continués mais cette fois sur le plan instable. D'abord les yeux ouverts puis les yeux fermés le sujet doit maintenir l'équilibre une dizaine de seconde,ensuite le kinésithérapeute pouvant induire des poussées latérales internes ou externes auxquelles le patient doit résister en maintenant la planche en équilibre. Les exercices sur plateau instable nécessitent de la part du kinésithérapeute le contrôle du plateau, du déséquilibre du plateau ainsi que du déséquilibre du patient. Les exercices débutent par un plateau unidirectionnel en bipodal puis unipodal. Ensuite sur des plateaux multi-directionnels bipodals monopodals, les yeux ouverts puis les yeux fermés, ces plateaux étant de IFMK Nancy 10 hauteur variable pour permettre une amplitude maximum en flexion dorsale et plantaire en varus et en valgus. Puis les exercices solliciteront les caractéristiques pliométriques des muscles du pied, de la cheville, exercices de sauts, et réception sur trempoline, ensuite sur le sol, la hauteur de réception ne doit pas être plus importante au début qu'une longueur de pied et la réception ne doit jamais se faire sur le talon. Nous pouvons adjoindre des exercices de contrôle de la tibiotarsienne non plus en dynamique automatique mais en dynamique volontaire par un exercice ludique du contrôle de l'orientation du pied avec le jeu du labyrinthe. Les exercices devant être poursuivis en dynamique sur des enchaînement de marche tout d'abord sur un parcours irrégulier ensuite de course sur un parcours irrégulier, enfin de sauts sur des plans instables. L’objectif final de la prise en charge thérapeutique est atteint lorsque la cheville ne sera plus “cachée”,inutilisée; mais pourra tel cet angelot accomplir un éqilibre parfait tant en statique que dynamique. R.DOBUA IFMK Nancy