Aux évêques de France OFC 2016, n° 05 Après l’assemblée des primats anglicans L’événement de janvier 2016 a d’autant moins passionné en dehors du monde anglophone que la crise qu’il devait gérer n’a pas abouti à une rupture sensationnelle. Les primats des différentes Églises de la communion anglicane étaient réunis à Cantorbéry, à l’initiative de l’archevêque local qui est leur président. La question était de savoir si l’on continuait à « marcher ensemble » ou si l’on prenait des routes différentes. La pomme de discorde était l’adoption du mariage gay par les « libéraux » (essentiellement nord-américains), les « conservateurs » (principalement africains) s’y opposant farouchement. Ce conflit vient après d’autres depuis plusieurs décennies. L’origine a été l’ordination par les « libéraux » de femmes, puis de personnes ouvertement homosexuelles de l’un ou l’autre sexe comme prêtres et même comme évêques. Ce qui a entraîné des schismes locaux et des émigrations vers le catholicisme romain. L’évolution dans le sens d’une adaptation aux mœurs reçues dans les sociétés développées et sécularisées – ou du moins d’une tolérance inhérente au principe fondateur l’inclusivisme (comprehensiveness) depuis l’ère élisabéthaine (XVIe siècle) – semblait toutefois irrésistible, quand la légalisation du mariage gay en 2013-2014 a porté un coup d’arrêt. Les parlements de Londres et celui de l’Écosse dominé par les indépendantistes l’ont accepté. L’Église d’Écosse (presbytérienne, donc non épiscopale et non anglicane) a suivi, de même que l’Église anglicane d’Irlande du Nord (bien que le parlement local ait refusé), mais l’Église d’Angleterre et du Pays de Galles a calé pour suivre. L’équilibre des forces a du coup basculé en défaveur des « modernistes » : l’Églisemère, gardienne de l’unité, qui venait pourtant d’élever deux femmes à l’épiscopat, se retrouvait du côté des Africains traditionnalistes. Le nouvel archevêque de Cantorbéry, Justin Welby (qui avait pris ses fonctions en 2012 pour dix ans, succédant au théologien Rowan Williams) a jugé préférable de reporter la Conférence (également décennale) de Lambeth qui devait avoir lieu en 2018. Cette espèce de concile général de l’anglicanisme réunit depuis le milieu du XIXe siècle les évêques ou les représentants de tous les diocèses. (Il y en a actuellement 279, avec au total 80 millions de fidèles assidus. Lambeth Palace est depuis le XIIIe siècle, sur la rive sud de la Tamise en face de Westminster, la résidence londonienne de l’archevêque de Cantorbéry, primat de l’Église d’Angleterre et de toute la communion anglicane.) À la place, Justin Welby a convoqué en janvier 2016 une instance plus restreinte et plus souple, qui existe depuis 1979 et est convoquée à peu près tous les deux ans, mais n’avait pas été réunie depuis 2011 : l’assemblée des primats (archevêques du siège le plus ancien) des 38 « provinces » de la communion anglicane, correspondant dans la plupart des cas à un pays donné. Et le divorce immédiat à propos du mariage gay a été évité. L’Église épiscopalienne des États-Unis a été sanctionnée, mais pas exclue. Il a été seulement retenu de suspendre pendant trois ans sa participation aux (rarissimes) prises de position communes et aux contacts Observatoire Foi et Culture - Conférence des évêques de France 58 av de Breteuil 75007 Paris Tel. : 01 72 36 69 64 mail : [email protected] œcuméniques, les autres Églises la considérant comme non représentative de leur communion. En échange, l’homophobie a été fermement réprouvée. La branche américaine de l’anglicanisme est nommée épiscopalienne parce que, dans un environnement protestant antihiérarchique, elle garde des évêques dans ses neuf diocèses. Mais l’un d’eux (Gene Robinson, élu en 2003) vit publiquement avec un homme, ce qui a entraîné la sécession d’une partie des ouailles. Les divisions au sein de cette Église, qui a renoncé à l’appellation « anglicane » quand les États-Unis se sont créés en se séparant de l’Angleterre, remontent en fait à l’ordination de femmes comme prêtres et même évêques. L’une d’elles, Katharine Jefferts Schori, a même été élue primat en 2006. Elle n’a pas été renouvelée en 2015, après avoir suscité de vives controverses en prenant parti non seulement pour le mariage gay, mais encore pour le droit à l’avortement, et en soutenant que ce n’est pas la foi, mais le respect de la diversité qui sauve. S’ajoutant à l’affaire Robinson, tout cela a conduit à un schisme : quatre diocèses plus classiques ont constitué en 2009, avec des Canadiens de même sensibilité, l’Église anglicane d’Amérique du Nord. Ces départs ont bien sûr facilité l’approbation des mariages entre personnes de même sexe au sein de l’épiscopalisme « croupion ». Mais les choses se sont envenimées, car Schori a traîné devant les tribunaux les « déserteurs » (y compris les paroisses des cinq autres diocèses qui voulaient s’affilier à la nouvelle « dénomination »), en revendiquant la propriété de leurs biens immobiliers. Les procédures sont toujours en cours. Et la nouvelle Église anglicane d’Amérique du Nord n’a pas (pas encore ?) été reçue dans la communion anglicane, bien que certaines Églises d’Afrique se soient déclarées en communion avec elle. L’assemblée des primats à Cantorbéry s’est néanmoins achevée sur une note optimiste. Justin Welby a été autorisé à convoquer pour 2020 une Conférence de Lambeth (qui aura peutêtre lieu, plutôt qu’à Londres, à Cantorbéry où le site a davantage de valeur spirituelle). On espère d’ici là un décantage des tensions, avec une foi qui transparaît dans le communiqué final. Les primats ont passé leur première journée ensemble dans le jeûne et la prière, et le document qu’ils ont publié s’achève sur un engagement non sectaire dans l’évangélisation : « Avec toute l’Église anglicane, nous nous consacrons joyeusement à l’annonce incessante et sincère dans le monde entier de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ, et nous invitons tous à accueillir la beauté et la joie de l’Évangile ». Ce dynamisme est encouragé par une remontée (encore modeste mais sensible et notée par les sociologues et même dans la presse) de la pratique religieuse dans les paroisses anglicanes des grandes villes. Ce renouveau n’est dû qu’en partie aux immigrés, car les « jeunes cadres » actuels s’avèrent plus demandeurs que leurs prédécesseurs. Ce qui attire du monde n’est pas uniquement l’exubérance expressionniste de communautés « évangéliques ». C’est aussi les liturgies quasiment romaines de l’« anglo-catholicisme » et un certain besoin identitaire où l’universalisme chrétien aide à se situer dans le cosmopolitisme ambiant sans le rejeter. Du coup semblent s’éloigner les perspectives de « désétablissement » (séparation de l’Église et de l’État), entretenues aussi bien par les « sécularistes » que par les croyants qui préféreraient une marginalité de « minorité créative ». L’anglicanisme pourrait donc survivre aux crises qui menacent son existence même. Un indice de ses ressources est les « parcours Alpha », nés en 1977 dans une paroisse londonienne (la Trinité à Brompton), développés dans les années 1990 et depuis adoptés un peu partout bien au-delà des frontières entre les Églises. Jean Duchesne, O.F.C. 2