Jeannin et al NPI - EID Méditerranée

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Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013
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AEDES ALBOPICTUS, le moustique tigre
Aedes albopictus se caractérise par sa livrée zébrée noire et blanche qui lui
vaut son nom commun de moustique tigre. Classé parmi les dix espèces les
plus invasives au monde, il peut être source de très fortes nuisances.
Une synthèse de Charles Jeannin de l'EID Méditerranée et Frédéric Jourdain,
Yvon Perrin, Didier Fontenille du Centre National d’Expertise sur les Vecteurs.
Crédit : EID Méditerranée
Echelle :
un adulte Aedes albopictus
et 1 cent d'euro
L
es moustiques sont des diptères de la
famille des Culicidæ. On compte de
nombreuses espèces présentes dans
les régions tempérées et tropicales du
monde, ainsi qu’au-delà du cercle polaire
arctique.
Taxonomie et morphologie
Environ 3500 espèces, réparties dans trois sousfamilles (les Toxorhynchitinæ, les Anophelinæ et
les Culicinæ), ont été décrites.
Le développement se compose de 4 stades larvaires
et d’un stade nymphal, aquatiques, d’où émerge
l’adulte ailé. Les larves se distinguent d’autres
insectes aquatiques par l’absence de pattes, la présence de brosses buccales proéminentes, d'antennes,
d’un thorax en forme de bulbe plus large que la tête
et l'abdomen, de papilles anales postérieures et
d’une paire d'ouvertures respiratoires (sous-famille
Anophelinæ) ou d’un siphon allongé (sous-famille
Culicinæ) à l'extrémité de l'abdomen. Les moustiques adultes ont un corps effilé, de longues pattes
et sont facilement reconnaissables par leur longue
trompe (proboscis) et la présence d'écailles sur la
plupart des parties du corps.
Après l’accouplement, les femelles recherchent un
TA XO N O M I E
Embranchement :
Arthropodes
Classe :
Insectes
Ordre :
Diptères
Famille :
Culicidés
Genre :
Aedes
Espèce :
albopictus
>
24 SCIENCES l LE MOUSTIQUE TIGRE
>
repas de sang afin de développer leurs œufs grâce
aux protéines trouvées dans celui-ci. Les œufs seront
ensuite pondus sur l’eau ou sur un substrat exondé
(mis en eau par la suite). Les mâles se nourrissent
de jus sucré et de nectar.
Aedes albopictus est une espèce qui se caractérise
par sa couleur zébrée noire et blanche responsable
du nom commun moustique tigre.
Les principaux caractères d’identification sont la présence de fines bandes basales blanches élargies latéralement sur l’abdomen, d’une bande centrale sur le
thorax et d’anneaux blancs situés sur les pattes après
les articulations. Sa taille, relativement modeste pour
un moustique, varie de 5 à 10 millimètres.
Larves Aedes albopictus
Son aire de répartition en France
Détectée en Italie dans les années 90, l’espèce
est surveillée en France métropolitaine depuis les
années 2000 avec pour principal outil de surveillance
entomologique le piège pondoir. Ce piège constitué d’un seau noir contenant de l’eau (attractif) et
d’un morceau de polystyrène flottant (support de
ponte) permet de proposer un site de ponte attractif
pour l’espèce. Un larvicide est également ajouté
pour éviter toute production de moustiques. Cette
surveillance est principalement mise en place dans
les grandes agglomérations et le long des axes de
communication car les œufs et adultes peuvent être
déplacés passivement par l’homme.
Initialement, les zones surveillées étaient des sociétés importatrices de pneus usagés depuis des zones
où Ae. albopictus était présent, ainsi que la frontière
franco-italienne. Parallèlement à des introductions,
détectées puis contrôlées, chez certains importateurs
de pneus dans le nord de la France, l’implantation d’une population d’Ae albopictus a été mise
en évidence dans le Sud-Est de la France en 2004
à Menton. La surveillance s’est ensuite amplifiée
(13 pièges pondoirs en 2002, 2 600 pièges en 2012)
et a permis de suivre sa progression. Aujourd’hui,
l’espèce a colonisé la quasi-totalité des départements
des Alpes-Maritimes, du Var, des Bouches-du-Rhône,
de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud. L’espèce est
également implantée dans quelques communes des
Alpes-de-Haute-Provence, du Vaucluse, de l’Hérault
du Gard, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, de le
Haute-Garonne, du Lot-et-Garonne, de l’Ardèche,
de la Drôme, de l’Isère et du Rhône. Des interceptions (identification de la présence et contrôle) sont
également régulièrement réalisées à d’autres points
du territoire.
Biologie et écologie
Crédit : IRD
l'Ae. albopictus
est classé parmi
les dix espèces
les plus invasives au Monde.
Originaire des forêts tropicales d’Asie du sud-est, sa
grande plasticité écologique lui a permis de s’adapter à divers environnements, et notamment au milieu
urbain, en colonisant une multitude de récipients
d’origine anhropiques (vase, fût, pneu…) dans lesquels il pond ses œufs.
Grâce au commerce international et notamment à
celui des pneus usagés, Ae.albopictus a progressivement été introduit sur les cinq continents ces trente
dernières années.
Cette capacité à être transporté et à coloniser des
zones tempérées est due à une plasticité physiologique également importante. D’une part, les œufs
d’Ae.albopictus ont comme particularité de résister
à la dessiccation, ce qui favorise leur transport et
augmente leur durée de vie. D’autre part sa capacité
de diapause lui permet de survivre durant l’hiver
sous forme d’œufs en dormance (« hibernation »)
dans les régions tempérées. Suite à ces introductions,
l’espèce est aujourd’hui implantée dans plus de 80
pays situés en Asie, dans l’océan Indien, dans le
Pacifique, en Afrique, dans le bassin méditerranéen
et dans les Amériques. Cette expansion fulgurante
lui vaut d’être classé parmi les dix espèces les plus
invasives au monde.
Sa forte plasticité écologique lui a permis une adaptation rapide dans un très large éventail d'habitats.
Ae. albopictus est adapté à l'environnement humain
et se développe préférentiellement dans des environnements péri-urbains, ainsi que dans des zones
urbaines très denses. Les gîtes larvaires originels
d’Ae.albopictus étant de petits gîtes formés par des
plantes retenant de l’eau (souche de bambou, broméliacées ou trous d’arbres), celui-ci a colonisé
toutes sortes de récipients et réservoirs artificiels
ainsi que d’éléments du bâti disponibles en milieu
urbain (vases, pots, fûts, bidons, bondes, rigoles,
avaloirs pluviaux, gouttières, terrasses sur plots…).
Ae. albopictus est un moustique principalement
diurne et exophage, préférant piquer en début de
matinée et fin d’après-midi en extérieur. Les femelles
piquent préférentiellement les mammifères, en particulier l’homme, cependant elles peuvent se nourrir
sur la plupart des groupes de vertébrés à sang chaud
et froid, tel que les reptiles, les oiseaux et les amphibiens. Son habitat étant à proximité de l’homme, il
peut être source de très fortes nuisances notamment
dans les quartiers résidentiels où les gîtes larvaires
sont nombreux. Dans le sud-est de la France, son
activité saisonnière s’étend du mois d’avril au mois
d'octobre.
Moyens de lutte et de protection
En matière de lutte, le mot d’ordre doit être la réduction à la source : c'est-à-dire la suppression des lieux
de ponte. De par la nature, la multitude et la diversité des gîtes larvaires disponibles à cette espèce
en milieu urbain, la lutte anti-larvaire est difficile
à mettre en œuvre. Les gîtes de production d’Ae.
albopictus se trouvent souvent au sein des domiciles
privés (cours, jardins…) ou sur le domaine public.
Il est impossible de tous les recenser, d’autant que
beaucoup sont temporaires, aléatoires et difficiles
d’accès. La façon la plus efficace et radicale de se
protéger des nuisances d’Ae. albopictus est de supprimer physiquement ces gîtes. Ceci implique donc
une participation communautaire qui doit être initiée
et entretenue par la sensibilisation, l’éducation et la
mobilisation de l’ensemble de la population.
Le recours à des larvicides peut être envisagé pour
des gîtes de volume important, non suppressibles,
tels que des réservoirs ou des bouches d’égout.
Enfin, la lutte contre les moustiques adultes est délicate notamment du fait de la non-sélectivité des
substances actives disponibles envers les insectes.
Une telle lutte ne reste pas ailleurs que temporaire.
La lutte adulticide est nécessaire en cas de circulation virale, car elle permet de diminuer la densité
vectorielle et la longévité des adultes afin de limiter
la transmission du virus. Elle peut également être
envisagée en cas de très forte nuisance mais toujours
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Crédit : EID Méditerranée
Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013
accompagnée d’une recherche et d’une suppression
des gîtes larvaires.
De nos jours, des méthodes de lutte alternative sont
étudiées telle que la technique de l’insecte stérile.
Cette technique consiste à produire en très grand
nombre des mâles stérilisés (en les exposant par
exemple à de faibles doses de radiations ou par
manipulations génétiques) et de les lâcher au sein
d’une population naturelle afin de la réduire.
Ces différentes méthodes permettent de diminuer
les populations de moustiques, mais en aucun cas
de les éliminer totalement. La prévention passe
également par la protection contre les piqûres de
moustiques. Plusieurs méthodes sont possibles :
port de vêtements longs et amples, aménagement
de l’habitat (moustiquaires aux fenêtres…), utilisation de produits répulsifs. Ae. albopictus ayant
une activité diurne, l’utilisation de répulsifs cutanés
reste l’option la plus efficace. Parmi les différents
produits proposés sur le marché, tous ne sont pas
d’une efficacité optimale. Une expertise récente fait
le point sur le sujet (voir liens dans l'encadré p. 26).
Gîtes larvaires
La dispersion de
mâles stérilisés :
une méthode de
lutte alternative
à l'étude...
Rôle vectoriel du moustique tigre
Ae. albopictus est capable de transmettre à l’homme
différents virus dont ceux de la dengue et du chikungunya. Bien que ces maladies sévissent principalement en zones tropicales, la survenue de cas
autochtones (contractés sans voyage) en France
métropolitaine représente un risque bien réel. Ainsi,
en 2010, deux cas autochtones de dengue et deux
cas autochtones de chikungunya ont été détectés
respectivement à Nice et à Fréjus.
Pour qu’une transmission de ces virus (dengue et
chikungunya) ait lieu en France métropolitaine,
>
26 SCIENCES l LE MOUSTIQUE TIGRE
>
Un dispositif
national face aux risques épidémiologiques
plusieurs conditions sont nécessaires :
• la présence du vecteur,
• l’exposition du moustique au virus de la dengue
ou du chikungunya,
• une « naïveté » immunologique de la population
humaine à ce virus, ce qui est le cas des métropolitains, très peu confrontés à ces virus.
L’exposition des moustiques Ae. albopictus présents
en France aux virus de la dengue et du chikungunya est notamment possible lorsque des voyageurs,
de retour de pays où ces maladies sont présentes
(Antilles, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est, Océan
Indien) reviennent infectés, introduisent ces virus
en France métropolitaine et se font piquer par des
Ae. albopictus locaux.
Après quelques jours, ces moustiques seront
capables de transmettre à leur tour, sur le territoire
métropolitain, le virus à une personne qui n’a pas
voyagé.
Mesures de gestion mises en place
Brochure
d'informations
gratuite à télécharger
(voir encadré ci-contre)
Ces moustiques constituent une nuisance importante
mais peuvent également être à l’origine de risques
d’ordre sanitaire. Face à ce constat, un dispositif
national a été mis en place en France métropolitaine
sous l’impulsion du ministère chargé de la santé (on
parle du plan anti-dissémination de la dengue et du
chikungunya en France métropolitaine).
Ce plan, qui est décliné au niveau local sous l’égide
des préfets de département, implique un grand
nombre d’acteurs : Agences régionales de Santé,
Opérateurs publics de démoustication, collectivités
locales (mairies, Conseils Généraux), professionnels
de santé. Il vise ainsi à coordonner l’ensemble des
actions dans un souci d’optimisation de la réponse
et s’articule selon trois axes :
• une surveillance entomologique, qui vise à
connaître aussi précisément que possible l’aire d’implantation d’Ae. albopictus,
• une surveillance humaine ou épidémiologique,
permettant d’identifier les personnes potentiellement porteuses des virus de la dengue et du chikungunya dans les zones de présence d'Ae. albopictus,
• une gestion des situations à risque par la mise
en œuvre de manière rapide et coordonnée des
mesures proportionnées de contrôle du vecteur et
de protection des personnes.
L’action du public reste cependant essentielle, au vu
de la capacité d'Ae. albopictus à coloniser de petites
collections d’eau à proximité directe des habitations
Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013
(soucoupes, récipients divers, gouttières…). Dans
un souci de prévention et de réduction des populations de moustiques à la source, il est ainsi primordial de sensibiliser les personnes résidant dans les
zones où la présence du moustique est avérée, à
détruire tous ces gîtes potentiels de développement
des moustiques.
Le rôle prépondérant des PCO
Les professionnels de la désinsectisation ont un rôle
prépondérant à jouer dans la lutte contre Ae. albopictus, non seulement en termes de lutte mais aussi
en tant que relais d’information et de sensibilisation
de la population.
En effet, la grande majorité des gîtes larvaires se
situant sur le domaine privé, de nombreux particuliers vont ou auront recours à des sociétés 3D
pour des traitements contre cette espèce. Il est donc
nécessaire que chaque acteur s’inscrive dans une
stratégie de lutte globale afin d’assurer l’efficacité
des actions de lutte, de préserver la sensibilité des
moustiques aux insecticides et de limiter les impacts
sur l’environnement.
Une telle démarche passe par le conseil en matière
d’aménagement de l’habitat (rectification des pentes
des gouttières, protection par moustiquaire des dispositifs de collecte d’eau pluviale, empoissonnement
des bassins, entretien des pièges à sable…), l’information et la sensibilisation à la lutte contre les eaux
stagnantes, ainisi que le recours à des traitements
larvicides pour des gîtes non suppressibles.
Il est important de souligner qu’en matière de lutte
contre les moustiques le recours aux adulticides
doit être très limité et, idéalement, réservé à des
contextes sanitaires (épidémies).
Charles JEANNIN
Entente Interdépartementale
pour la démoustication du littoral méditerranéen
Frédéric JOURDAIN, Yvon PERRIN, Didier FONTENILLE
Institut de Recherche pour le Développement ,
Centre National d’Expertise sur les Vecteurs
Quelques règles simples... Recommandations de bonne pratique sur la Protection personnelle
antivectorielle (PPAV).
Groupe de travail piloté par la Société de Médecine des Voyages
et la Société Française de Parasitologie.
Texte court
http://www.medecine-voyages.fr/publications/ppavtextecourt.
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Affichette
http://www.medecine-voyages.fr/publications/flyerppav.pdf
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