Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013 23 AEDES ALBOPICTUS, le moustique tigre Aedes albopictus se caractérise par sa livrée zébrée noire et blanche qui lui vaut son nom commun de moustique tigre. Classé parmi les dix espèces les plus invasives au monde, il peut être source de très fortes nuisances. Une synthèse de Charles Jeannin de l'EID Méditerranée et Frédéric Jourdain, Yvon Perrin, Didier Fontenille du Centre National d’Expertise sur les Vecteurs. Crédit : EID Méditerranée Echelle : un adulte Aedes albopictus et 1 cent d'euro L es moustiques sont des diptères de la famille des Culicidæ. On compte de nombreuses espèces présentes dans les régions tempérées et tropicales du monde, ainsi qu’au-delà du cercle polaire arctique. Taxonomie et morphologie Environ 3500 espèces, réparties dans trois sousfamilles (les Toxorhynchitinæ, les Anophelinæ et les Culicinæ), ont été décrites. Le développement se compose de 4 stades larvaires et d’un stade nymphal, aquatiques, d’où émerge l’adulte ailé. Les larves se distinguent d’autres insectes aquatiques par l’absence de pattes, la présence de brosses buccales proéminentes, d'antennes, d’un thorax en forme de bulbe plus large que la tête et l'abdomen, de papilles anales postérieures et d’une paire d'ouvertures respiratoires (sous-famille Anophelinæ) ou d’un siphon allongé (sous-famille Culicinæ) à l'extrémité de l'abdomen. Les moustiques adultes ont un corps effilé, de longues pattes et sont facilement reconnaissables par leur longue trompe (proboscis) et la présence d'écailles sur la plupart des parties du corps. Après l’accouplement, les femelles recherchent un TA XO N O M I E Embranchement : Arthropodes Classe : Insectes Ordre : Diptères Famille : Culicidés Genre : Aedes Espèce : albopictus > 24 SCIENCES l LE MOUSTIQUE TIGRE > repas de sang afin de développer leurs œufs grâce aux protéines trouvées dans celui-ci. Les œufs seront ensuite pondus sur l’eau ou sur un substrat exondé (mis en eau par la suite). Les mâles se nourrissent de jus sucré et de nectar. Aedes albopictus est une espèce qui se caractérise par sa couleur zébrée noire et blanche responsable du nom commun moustique tigre. Les principaux caractères d’identification sont la présence de fines bandes basales blanches élargies latéralement sur l’abdomen, d’une bande centrale sur le thorax et d’anneaux blancs situés sur les pattes après les articulations. Sa taille, relativement modeste pour un moustique, varie de 5 à 10 millimètres. Larves Aedes albopictus Son aire de répartition en France Détectée en Italie dans les années 90, l’espèce est surveillée en France métropolitaine depuis les années 2000 avec pour principal outil de surveillance entomologique le piège pondoir. Ce piège constitué d’un seau noir contenant de l’eau (attractif) et d’un morceau de polystyrène flottant (support de ponte) permet de proposer un site de ponte attractif pour l’espèce. Un larvicide est également ajouté pour éviter toute production de moustiques. Cette surveillance est principalement mise en place dans les grandes agglomérations et le long des axes de communication car les œufs et adultes peuvent être déplacés passivement par l’homme. Initialement, les zones surveillées étaient des sociétés importatrices de pneus usagés depuis des zones où Ae. albopictus était présent, ainsi que la frontière franco-italienne. Parallèlement à des introductions, détectées puis contrôlées, chez certains importateurs de pneus dans le nord de la France, l’implantation d’une population d’Ae albopictus a été mise en évidence dans le Sud-Est de la France en 2004 à Menton. La surveillance s’est ensuite amplifiée (13 pièges pondoirs en 2002, 2 600 pièges en 2012) et a permis de suivre sa progression. Aujourd’hui, l’espèce a colonisé la quasi-totalité des départements des Alpes-Maritimes, du Var, des Bouches-du-Rhône, de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud. L’espèce est également implantée dans quelques communes des Alpes-de-Haute-Provence, du Vaucluse, de l’Hérault du Gard, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, de le Haute-Garonne, du Lot-et-Garonne, de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère et du Rhône. Des interceptions (identification de la présence et contrôle) sont également régulièrement réalisées à d’autres points du territoire. Biologie et écologie Crédit : IRD l'Ae. albopictus est classé parmi les dix espèces les plus invasives au Monde. Originaire des forêts tropicales d’Asie du sud-est, sa grande plasticité écologique lui a permis de s’adapter à divers environnements, et notamment au milieu urbain, en colonisant une multitude de récipients d’origine anhropiques (vase, fût, pneu…) dans lesquels il pond ses œufs. Grâce au commerce international et notamment à celui des pneus usagés, Ae.albopictus a progressivement été introduit sur les cinq continents ces trente dernières années. Cette capacité à être transporté et à coloniser des zones tempérées est due à une plasticité physiologique également importante. D’une part, les œufs d’Ae.albopictus ont comme particularité de résister à la dessiccation, ce qui favorise leur transport et augmente leur durée de vie. D’autre part sa capacité de diapause lui permet de survivre durant l’hiver sous forme d’œufs en dormance (« hibernation ») dans les régions tempérées. Suite à ces introductions, l’espèce est aujourd’hui implantée dans plus de 80 pays situés en Asie, dans l’océan Indien, dans le Pacifique, en Afrique, dans le bassin méditerranéen et dans les Amériques. Cette expansion fulgurante lui vaut d’être classé parmi les dix espèces les plus invasives au monde. Sa forte plasticité écologique lui a permis une adaptation rapide dans un très large éventail d'habitats. Ae. albopictus est adapté à l'environnement humain et se développe préférentiellement dans des environnements péri-urbains, ainsi que dans des zones urbaines très denses. Les gîtes larvaires originels d’Ae.albopictus étant de petits gîtes formés par des plantes retenant de l’eau (souche de bambou, broméliacées ou trous d’arbres), celui-ci a colonisé toutes sortes de récipients et réservoirs artificiels ainsi que d’éléments du bâti disponibles en milieu urbain (vases, pots, fûts, bidons, bondes, rigoles, avaloirs pluviaux, gouttières, terrasses sur plots…). Ae. albopictus est un moustique principalement diurne et exophage, préférant piquer en début de matinée et fin d’après-midi en extérieur. Les femelles piquent préférentiellement les mammifères, en particulier l’homme, cependant elles peuvent se nourrir sur la plupart des groupes de vertébrés à sang chaud et froid, tel que les reptiles, les oiseaux et les amphibiens. Son habitat étant à proximité de l’homme, il peut être source de très fortes nuisances notamment dans les quartiers résidentiels où les gîtes larvaires sont nombreux. Dans le sud-est de la France, son activité saisonnière s’étend du mois d’avril au mois d'octobre. Moyens de lutte et de protection En matière de lutte, le mot d’ordre doit être la réduction à la source : c'est-à-dire la suppression des lieux de ponte. De par la nature, la multitude et la diversité des gîtes larvaires disponibles à cette espèce en milieu urbain, la lutte anti-larvaire est difficile à mettre en œuvre. Les gîtes de production d’Ae. albopictus se trouvent souvent au sein des domiciles privés (cours, jardins…) ou sur le domaine public. Il est impossible de tous les recenser, d’autant que beaucoup sont temporaires, aléatoires et difficiles d’accès. La façon la plus efficace et radicale de se protéger des nuisances d’Ae. albopictus est de supprimer physiquement ces gîtes. Ceci implique donc une participation communautaire qui doit être initiée et entretenue par la sensibilisation, l’éducation et la mobilisation de l’ensemble de la population. Le recours à des larvicides peut être envisagé pour des gîtes de volume important, non suppressibles, tels que des réservoirs ou des bouches d’égout. Enfin, la lutte contre les moustiques adultes est délicate notamment du fait de la non-sélectivité des substances actives disponibles envers les insectes. Une telle lutte ne reste pas ailleurs que temporaire. La lutte adulticide est nécessaire en cas de circulation virale, car elle permet de diminuer la densité vectorielle et la longévité des adultes afin de limiter la transmission du virus. Elle peut également être envisagée en cas de très forte nuisance mais toujours 25 Crédit : EID Méditerranée Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013 accompagnée d’une recherche et d’une suppression des gîtes larvaires. De nos jours, des méthodes de lutte alternative sont étudiées telle que la technique de l’insecte stérile. Cette technique consiste à produire en très grand nombre des mâles stérilisés (en les exposant par exemple à de faibles doses de radiations ou par manipulations génétiques) et de les lâcher au sein d’une population naturelle afin de la réduire. Ces différentes méthodes permettent de diminuer les populations de moustiques, mais en aucun cas de les éliminer totalement. La prévention passe également par la protection contre les piqûres de moustiques. Plusieurs méthodes sont possibles : port de vêtements longs et amples, aménagement de l’habitat (moustiquaires aux fenêtres…), utilisation de produits répulsifs. Ae. albopictus ayant une activité diurne, l’utilisation de répulsifs cutanés reste l’option la plus efficace. Parmi les différents produits proposés sur le marché, tous ne sont pas d’une efficacité optimale. Une expertise récente fait le point sur le sujet (voir liens dans l'encadré p. 26). Gîtes larvaires La dispersion de mâles stérilisés : une méthode de lutte alternative à l'étude... Rôle vectoriel du moustique tigre Ae. albopictus est capable de transmettre à l’homme différents virus dont ceux de la dengue et du chikungunya. Bien que ces maladies sévissent principalement en zones tropicales, la survenue de cas autochtones (contractés sans voyage) en France métropolitaine représente un risque bien réel. Ainsi, en 2010, deux cas autochtones de dengue et deux cas autochtones de chikungunya ont été détectés respectivement à Nice et à Fréjus. Pour qu’une transmission de ces virus (dengue et chikungunya) ait lieu en France métropolitaine, > 26 SCIENCES l LE MOUSTIQUE TIGRE > Un dispositif national face aux risques épidémiologiques plusieurs conditions sont nécessaires : • la présence du vecteur, • l’exposition du moustique au virus de la dengue ou du chikungunya, • une « naïveté » immunologique de la population humaine à ce virus, ce qui est le cas des métropolitains, très peu confrontés à ces virus. L’exposition des moustiques Ae. albopictus présents en France aux virus de la dengue et du chikungunya est notamment possible lorsque des voyageurs, de retour de pays où ces maladies sont présentes (Antilles, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est, Océan Indien) reviennent infectés, introduisent ces virus en France métropolitaine et se font piquer par des Ae. albopictus locaux. Après quelques jours, ces moustiques seront capables de transmettre à leur tour, sur le territoire métropolitain, le virus à une personne qui n’a pas voyagé. Mesures de gestion mises en place Brochure d'informations gratuite à télécharger (voir encadré ci-contre) Ces moustiques constituent une nuisance importante mais peuvent également être à l’origine de risques d’ordre sanitaire. Face à ce constat, un dispositif national a été mis en place en France métropolitaine sous l’impulsion du ministère chargé de la santé (on parle du plan anti-dissémination de la dengue et du chikungunya en France métropolitaine). Ce plan, qui est décliné au niveau local sous l’égide des préfets de département, implique un grand nombre d’acteurs : Agences régionales de Santé, Opérateurs publics de démoustication, collectivités locales (mairies, Conseils Généraux), professionnels de santé. Il vise ainsi à coordonner l’ensemble des actions dans un souci d’optimisation de la réponse et s’articule selon trois axes : • une surveillance entomologique, qui vise à connaître aussi précisément que possible l’aire d’implantation d’Ae. albopictus, • une surveillance humaine ou épidémiologique, permettant d’identifier les personnes potentiellement porteuses des virus de la dengue et du chikungunya dans les zones de présence d'Ae. albopictus, • une gestion des situations à risque par la mise en œuvre de manière rapide et coordonnée des mesures proportionnées de contrôle du vecteur et de protection des personnes. L’action du public reste cependant essentielle, au vu de la capacité d'Ae. albopictus à coloniser de petites collections d’eau à proximité directe des habitations Nuisibles & parasites information 80 l mai-juin 2013 (soucoupes, récipients divers, gouttières…). Dans un souci de prévention et de réduction des populations de moustiques à la source, il est ainsi primordial de sensibiliser les personnes résidant dans les zones où la présence du moustique est avérée, à détruire tous ces gîtes potentiels de développement des moustiques. Le rôle prépondérant des PCO Les professionnels de la désinsectisation ont un rôle prépondérant à jouer dans la lutte contre Ae. albopictus, non seulement en termes de lutte mais aussi en tant que relais d’information et de sensibilisation de la population. En effet, la grande majorité des gîtes larvaires se situant sur le domaine privé, de nombreux particuliers vont ou auront recours à des sociétés 3D pour des traitements contre cette espèce. Il est donc nécessaire que chaque acteur s’inscrive dans une stratégie de lutte globale afin d’assurer l’efficacité des actions de lutte, de préserver la sensibilité des moustiques aux insecticides et de limiter les impacts sur l’environnement. Une telle démarche passe par le conseil en matière d’aménagement de l’habitat (rectification des pentes des gouttières, protection par moustiquaire des dispositifs de collecte d’eau pluviale, empoissonnement des bassins, entretien des pièges à sable…), l’information et la sensibilisation à la lutte contre les eaux stagnantes, ainisi que le recours à des traitements larvicides pour des gîtes non suppressibles. Il est important de souligner qu’en matière de lutte contre les moustiques le recours aux adulticides doit être très limité et, idéalement, réservé à des contextes sanitaires (épidémies). Charles JEANNIN Entente Interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen Frédéric JOURDAIN, Yvon PERRIN, Didier FONTENILLE Institut de Recherche pour le Développement , Centre National d’Expertise sur les Vecteurs Quelques règles simples... Recommandations de bonne pratique sur la Protection personnelle antivectorielle (PPAV). Groupe de travail piloté par la Société de Médecine des Voyages et la Société Française de Parasitologie. Texte court http://www.medecine-voyages.fr/publications/ppavtextecourt. pdf Affichette http://www.medecine-voyages.fr/publications/flyerppav.pdf