L`invention géographique de la Méditerranée

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L’invention géographique de la Méditerranée : éléments de réflexion
par Florence DEPREST
| Belin | Espace géographique
2002/1 - N° 31
ISSN 0046 2497 | ISBN 270113126X | pages 73 à 92
Pour citer cet article :
— Deprest F., L’invention géographique de la Méditerranée : éléments de réflexion, Espace géographique 2002/1, N°
31, p. 73-92.
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EG
2002-1
p. 73-92
Méditerranée
L’invention géographique
de la Méditerranée :
éléments de réflexion
Florence Deprest
Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, FLLASH
Le Mont Hovy, 59313 Valenciennes
[email protected]
Position
RÉSUMÉ.— L’invention scientifique de la
ABSTRACT.— Notes on the geographical
Méditerranée est examinée à partir des
textes issus des trois premières Géographies
Universelles. Au début du XIXe siècle, les
prémices d’une « aire méditerranéenne » se
mettent en place comme on peut l’observer
dans l’œuvre de Konrad Malte-Brun. Mais
Élisée Reclus lance en 1876 la première
réflexion scientifique sur le rôle
géohistorique de la mer Méditerranée. Dans
l’entre-deux guerres, les vidaliens centrent
leur objet sur l’espace terrestre : cette
représentation servira de base à la thèse de
Fernand Braudel. Cette analyse conduit à
émettre des hypothèses sur une généalogie
des représentations géographiques de la
Méditerranée et invite à interroger notre
héritage conceptuel sur cet objet si évident et
si flou.
invention of the Mediterranean.— Based on a
study of the first three Géographies
Universelles, this paper deals with the
emergence of the Mediterranean area in
scientific research. The notion of a
Mediterranean area began to emerge in the
early 19th century, especially in the works of
K. Malte-Brun. However, it was only in 1876
that E. Reclus adopted a scientific approach
to the geohistorical role of the Mediterranean
Sea. A radical shift in emphasis, focusing on
the hinterland rather than the sea, can be
observed during the interwar years among
the followers of P. Vidal de La Blache,
providing the new paradigm on which
F. Braudel’s thesis was based. This paper will
explore the genealogy of the geographical
representations of the Mediterranean, with
a view to questioning the origins of our
scientific discourse on this subject, at once
so familiar and so elusive.
CONCEPT, ÉPISTÉMOLOGIE,
MÉDITERRANÉE
CONCEPT, EPISTEMOLOGY,
MEDITERRANEAN AREA
@ EG
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En 1995, L’Espace géographique
consacrait une série d’articles au
concept de méditerranée. Il s’agissait d’élaborer les bases d’un chorotype (Dollfus, 1995), voire de
plusieurs (Brunet, 1995). Les géographes par ticipant au débat
s’interrogeaient sur la pertinence
et la définition d’un tel modèle.
Cette démarche tendait à renouer
avec l’origine du mot. Avant d’être
un nom propre, « méditerranée »
fut un nom commun, désignant
une étendue d’eau au milieu des
terres. Parler de « méditerranées »
au pluriel et sans majuscule n’a
donc rien d’un néologisme. Au différend théorique sur la géographie,
s’ajoute une résistance proprement
liée à la Méditerranée elle-même.
En l’espace d’un siècle et demi,
elle est devenue un lieu singulier
dont le nom propre est aujourd’hui
le seul référencé et usité. Avec sa
majuscule, la Méditerranée a pris
ses lettres de noblesse : elle est distinguée et même exceptionnelle. Il
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n’est plus possible de la confondre avec d’autres : « il n’y a qu’une Méditerranée »
(Béthemont, 2000). La question scientifique du chorotype relèverait presque de
l’iconoclasme. En effet, elle implique de se défaire de l’hydre braudélienne, comme
le sous-entend l’exergue d’O. Dollfus (1995) ; ce qui peut passer par de fortes affirmations : la Méditerranée est un mythe, une fiction (Ferras, 1990 ; Kayser, 1996).
Il s’agit là d’une évolution sensible de la problématique, mais le déni de l’objet
ramène à l’objet. Comment construire une nouvelle représentation scientifique de ce
qui continue pour nous à faire objet ? Des historiens s’affrontent aussi à cette question :
dans L’Invention scientifique de la Méditerranée (Bourguet et al., 1998), une équipe pluridisciplinaire fait état de sa recherche sur l’émergence de l’objet scientifique « Méditerranée » dans la première moitié du XIXe siècle. Les auteurs examinent la question à partir
des matériaux issus des trois grandes expéditions scientifiques françaises du pourtour
méditerranéen : en Égypte (1798-1799), en Morée (1829-1831), enfin en Algérie
(1839-1842). À cette époque, la Méditerranée en tant qu’objet scientifique n’a pas de
sens. Les discours savants sur l’unité du bassin restent balbutiants, bien que des bribes
se fassent jour vers les années 1830. Si expéditions militaires et scientifiques apparaissent bien comme des modes complémentaires d’appropriation de l’espace, au moment
où les puissances européennes commencent à dépecer l’Empire Ottoman par ses
marges territoriales, il n’y a pas de rapport de causalité simple entre les préoccupations
territoriales et l’émergence d’un objet scientifique autonome. La notion d’unité méditerranéenne n’est pas conçue pour légitimer une stratégie territoriale ; à l’inverse, le
projet politique n’est pas issu du discours savant. Le seul examen des chronologies suffit à infirmer ces hypothèses simples. Les chercheurs mettent plutôt en évidence « la
dynamique d’une construction réciproque où chacun d’eux sert tour à tour d’appui et
de révélateur à l’autre » (Bourguet et al., 1998, p. 27).
En tant que géographes, cette lecture ne manque pas de nous interpeller. Un de
ses intérêts principaux est de déplacer la problématique de la définition de l’objet, qui
s’englue souvent dans d’indépassables contradictions unité-fracture, mythe-réalité,
singulier-pluriel, vers celle de sa constitution, en démêlant les fils ténus entre idées
scientifiques et stratégies territoriales. Ce travail conduit à interroger notre héritage
scientifique sur ce sujet qui nous semble à la fois si évident et si flou, afin d’être plus
libres de nous en dégager. Il nous invite à réfléchir autrement, à travers l’histoire de ce
qui s’est mis à faire objet pour les scientifiques du XIXe siècle, à ce qui peut faire objet
pour nous aujourd’hui. Suivant cette orientation à la fois théorique et méthodologique,
je me propose ici d’examiner une série de textes issus des trois premières Géographies
Universelles. Leur écriture s’étale du début du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres. C’est
un choix restrictif, déterminé par une hypothèse de périodisation. Dans l’histoire des
représentations scientifiques de la Méditerranée, l’œuvre de Braudel (1949) marquerait
un apogée, auquel les chercheurs actuels seraient encore aujourd’hui confrontés ; la
problématique de la définition de la Méditerranée comme objet s’inscrirait à partir des
années 1950 dans un contexte tant scientifique qu’historique tout à fait différent. En
conséquence, nous avons choisi de porter nos premiers efforts sur une période qui correspondrait à une phase d’émergence de l’idée méditerranéenne dans la pensée
géographique française (Nordman, 1998). Il s’agira de voir comment la Méditerranée
se constitue ou non comme objet géographique pertinent et valide : non pas pour
chercher dans l’histoire une légitimité quelconque, mais pour tenter de participer, en
géographe, à ces nouveaux éclairages.
© L’Espace géographique
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Corpus
Les Géographies Universelles constituent un corpus de textes que l’on pourrait qualifier d’homogène. Il s’agit d’œuvres toutes écrites par des géographes, dans un but
identique : faire le point à un moment donné sur les connaissances géographiques
disponibles sur l’ensemble des régions du monde. Si elles sont produites par des
spécialistes, le public auquel elles sont destinées ne l’est pas nécessairement : elles
s’adressent à tous ceux qui s’intéressent au monde, à sa géographie. Généralistes,
elles n’en constituent pas moins des œuvres dont la construction et le contenu
répondent aux exigences scientifiques de leur époque. Leurs auteurs s’appuient sur
les connaissances scientifiques les plus récentes. De plus, à la suite de Malte-Brun,
l’écriture et les choix, notamment dans la structure des textes, se répondent et parfois s’opposent. Comparer leur structure globale et leur contenu peut donc être
riche d’enseignements et nous permettre de dégager des points d’inflexion dans la
constitution des discours géographiques sur la Méditerranée. Partant de trois
œuvres, nous ne pourrons établir une généalogie des idées telle que T. Fabre (2000)
la tente dans son essai sur les représentations françaises de la Méditerranée en comparant des textes issus de champs intellectuels différents (linguistique, scientifique,
littéraire, politique) : nous nous concentrerons sur la construction de la Méditerranée en tant qu’objet géographique. En revanche, nous pourrons envisager des hypothèses sur les relations entre ces textes et ceux d’autres champs qui leur sont
contemporains.
En effet, ces trois œuvres s’inscrivent à trois moments différents, et qui ne sont
pas indifférents quant à l’histoire de la Méditerranée. La première édition de la Géographie Universelle de K. Malte-Brun (1810-1829) paraît au même moment que les
travaux scientifiques de l’expédition d’Égypte1. La réédition Géographie complète et
universelle, augmentée par son fils V.A. Malte-Brun (1851-1854), est complétée
« d’après les documents scientifiques les plus récents, les derniers ouvrages et les dernières découvertes ». Elle est publiée une quinzaine d’années après les travaux sur la
Morée et à peu près au même moment que ceux sur l’expédition d’Algérie2. Cependant, la comparaison des deux éditions ne révèle pas de changement majeur concernant la Méditerranée3. Aucun chapitre n’y est consacré, mais elle est évoquée à
différentes reprises. La Géographie Universelle d’Élisée Reclus est publiée entre 1876 et
1895 ; le volume sur l’Europe méridionale, dans lequel on trouve un chapitre dédié à
la Méditerranée, est le premier paru en 1876, soit sept ans après l’ouverture du canal
de Suez. Enfin celle qu’a lancée Paul Vidal de La Blache est éditée entre 1927 et
1948. Sous le titre Méditerranée. Péninsules méditerranéennes, le tome VII, rédigé par
Max. Sorre et J. Sion, consacre toute la première partie à la Méditerranée ; il paraît en
1934, quelques années après la célébration du Centenaire de la colonisation française
en Algérie et dans une période d’intense effervescence intellectuelle autour de l’interprétation du projet colonial français.
Il convient de signaler que ces textes sont cités par des commentateurs
actuels, notamment ceux de Malte-Brun et de Reclus déjà évoqués par l’historienne A. Ruel (1992), ou encore celui de Sorre et Sion par T. Fabre (2000).
Mais la perspective qui anime leur analyse n’est pas celle que nous avons définie,
si bien que le contenu proprement géographique de ces textes n’est qu’abordé de
manière superficielle, voire erronée. On se référera plus sûrement aux analyses de
D. Nordman (1998).
75 Florence Deprest
1. La Description de l’Égypte
est publiée à partir de 1809.
2. Dirigées toutes deux par le
botaniste J.-B. Bory de
Saint-Vincent, la Relation de
voyage de la commission
scientifique de Morée dans
le Péloponnèse, les
Cyclades et l’Attique est
éditée à partir de 1836,
L’Exploration scientifique de
l’Algérie de 1844 à 1867.
3. Les citations sont
référencées d’après l’édition
de 1851-1854. La
numérotation en livres étant
le meilleur repère pour
comparer toutes les
éditions, nous indiquons
aussi entre crochets le
numéro du livre
correspondant à l’original.
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Malte-Brun entre héritages encyclopédiques
et découvertes naturalistes
Le plan suivi par Malte-Brun est toujours analytique. L’auteur décrit d’abord la région
par ses limites physiques, puis analyse en détail ses principaux éléments naturels : mers,
bassins hydrographiques, montagnes. Viennent ensuite les descriptions du climat, de la
végétation et de la faune. Enfin, il s’intéresse au peuplement humain, à l’histoire et à la
politique. Malte-Brun n’identifie pas la Méditerranée comme une région géographique :
c’est seulement une mer européenne, traitée dans le premier livre consacré à la géographie physique de l’Europe (L. 132 [114]). En tant qu’étendue maritime, elle est caractérisée par plusieurs bassins, golfes, détroits et îles. Sont décrits la salinité, la profondeur,
les courants marins, les apports en eaux fluviales et océaniques. Sa place n’est pas prééminente par rapport aux autres mers européennes : « Ces mers sont d’une haute importance pour les Européens ; au nord, elles nous séparent des terres glaciales du pôle
arctique ; au midi, elles nous garantissent des chaleurs de l’Afrique : partout elles
ouvrent un accès au commerce, à la navigation » (p. 173). Certes, l’auteur prend soin de
constater que la Méditerranée est une « grande série de mers intérieures, que leur situation, leur caractère physique et leur célébrité historique rendent également intéressantes » (p. 171), mais cet aparté n’est suivi d’aucun développement particulier.
En la décrivant, Malte-Brun affirme à plusieurs reprises sa fonction de séparation :
« Le détroit de Gibraltar, moins large de la moitié que celui de Calais, mais conservant
les caractères d’une rupture qui, séparant l’Europe de l’Afrique, détruisit l’une des plus
grandes Caspiennes qui ait existé sur notre globe, nous conduit dans la Méditerranée »
(p. 171). Cette idée est aussi reprise dans la présentation générale de l’Afrique. Bien
que dans « le voisinage de l’Europe », l’Afrique en est séparée par la Méditerranée : « au
nord, la mer Méditerranée l’isole de l’Europe » (L. 81 [80], p. 75), « au nord-ouest, le
détroit de Gibraltar la détache de l’Europe » (p. 76). L’auteur s’inscrit ici dans une tradition encyclopédique plus que millénaire. Au VIe siècle de notre ère, Isidore de Séville
(560-636) écrivait : « La Grande Mer est celle qui naît de l’océan à l’ouest, est tournée
vers le sud et atteint le nord. On l’appelle Grande Mer car, en comparaison avec elle,
les autres mers sont plus petites. C’est la Méditerranée, parce qu’elle baigne les terres
environnantes jusqu’à l’est, séparant l’Europe, l’Afrique et l’Asie » (cité par Matvejevitch, 1995, p. 174). Isidore accompagne son texte d’une carte « T dans l’O » célèbre
pour avoir été imprimée dès 1472. Reprenant la représentation du monde habité des
Grecs, mais adaptée à la vision chrétienne, la Méditerranée est la limite entre les continents de Sem, Japhet et Cham.
Près de onze siècles plus tard, les dictionnaires et encyclopédies de langue française construisent toujours leur définition sur un paradigme identique. En 1708, le
Dictionnaire universel, géographique et historique de T. Corneille présente la Méditerranée comme la « mer qui commence au détroit de Gibraltar et qui parcourt plus de
mille lieues jusqu’au royaume de Syrie […] On lui a donné le nom de Méditerranée, à
cause qu’étant au milieu de toutes les terres de l’Ancien Monde, elle les divise en trois
parties, qui sont l’Europe, l’Asie, l’Afrique » (cité dans Bourguet et al., 1998, p. 10).
L’Encyclopédie de Diderot (1751-1780), comme bien plus tard le Littré (1872) reprennent
aussi la fonction de séparation des trois continents (Fabre, 2000). La tradition
scientifique est pérenne, et sans doute convient-il de la mettre en relation avec les
représentations négatives de la mer étudiées par A. Corbin (1990, p. 22) : chez les
auteurs classiques tels Horace, Ovide et Sénèque, la mer est détestée et qualifiée de
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dissociabilis, c’est-à-dire qui sépare les hommes. La tradition antique et chrétienne
rapporte plusieurs récits de la formation de la Méditerranée qui sont, en général,
cataclysmiques et fortement empreints d’une image de séparation violente entre des
terres auparavant totalement réunies ou du moins jointives en certains points. L’idée
que la Méditerranée était une Caspienne qui s’est ouverte est déjà la version du
mythe herculéen.
Cette représentation de la division entrave le mouvement pour penser l’unité du
bassin au niveau physique. En effet, cette idée est parfaitement étrangère au paradigme
scientifique du début du XIXe siècle. Ainsi les botanistes qui, en Égypte, remarquent
des similitudes entre la flore de Barbarie, de Syrie et du Midi de la France éprouvent
une déception car ils recherchent des espèces inconnues qui susciteraient de nouveaux
problèmes de classification (Bourguet et al., 1998, p. 19). Ce manque d’intérêt traduit
l’absence d’un projet « méditerranéen » : il n’y a alors pas à cette date d’hypothèse scientifique sur une unité méditerranéenne dont on s’efforcerait de démontrer la validité. Au
début du XIXe siècle, ce qui pourrait être institué comme une preuve de cette unité
n’accède même pas au statut de fait scientifique. À ce sujet, l’analyse des matériaux des
expéditions montre une évolution à partir des années 1830. Or le thème de l’« unité »
naturelle est déjà présent dans la première Géographie Universelle : « De Lisbonne à
Constantinople, une suite de terres hautes présente une grande variété de coupes et de
pentes, les unes exposées au vent froid du Nord, les autres aux tièdes haleines du Sud »
(L. 132 [114], p. 178). Bien qu’« un seul et unique système de terres élevées » soit
reconnu « depuis les colonnes d’Hercule jusqu’au Bosphore », la description se segmente en différents massifs (Alpes, Apennin, Alpes Dinariennes, Pyrénées, Hémus).
Ces remarques précèdent celles du géologue Puillon de Boblaye lors de l’expédition de
Morée (Briffaud in Bourguet et al., 1998, p. 295) : « Tout changerait, au contraire, de
nature et d’aspect, si l’on se dirigeait ou vers le nord ou vers le midi. »
Les développements de Malte-Brun sur le climat et la végétation offrent une
perspective plus novatrice : « Le troisième côté du triangle européen présente généralement aux influences du climat africain une suite de pentes plus ou moins rapides, terminées au nord par des chaînes de montagnes très élevées. La végétation
méditerranéenne, si on peut risquer cette expression, reste donc bornée à une lisière de
côtes, à quelques péninsules avancées du midi et aux îles »4 (L. 133 [115], p. 197).
L’adjectif est en effet un néologisme : il apparaîtra pour la première fois dans le Littré
de 1872 et sera défini comme « ce qui appartient à la Méditerranée ». Jusqu’à cette
date, seul le nom propre avait été répertorié dans les dictionnaires, et l’adjectif « méditerrané » était encore utilisé pour désigner « ce qui est au milieu des terres », dans la
filiation du latin mediterraneus (Fabre, 2000). L’apparition d’un adjectif exclusivement
lié au nom propre inscrit donc l’identité de la Méditerranée dans l’ordre des faits.
Malte-Brun n’invente pourtant pas ce qualificatif. En 1820, le botaniste A. Pyramus
de Candolle publie un article intitulé Géographie Botanique où il définit 20 régions
botaniques à la surface de la terre (Drouin in Bourguet et al., 1998, p. 139-157).
L’une d’entre elles est la région méditerranéenne qui « comprend tout le bassin géographique de la Méditerranée ; savoir la partie d’Afrique en deçà du Sahara, et la partie d’Europe qui est abritée du Nord par une chaîne plus ou moins continue de
montagnes ». Ce texte est une version plus aboutie de réflexions antérieures qui datent
de 1809 dans lequel il constatait : « La région méditerranéenne a reçu ce nom parce
que les mêmes végétaux peu différents entre eux occupent presque toute l’enceinte de
77 Florence Deprest
4. C’est l’auteur qui souligne.
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5. Bien que Malte-Brun ne le
cite pas, Candolle est
l’inventeur de l’expression
région méditerranéenne.
L’intertextualité entre
Candolle et Malte-Brun est
confirmée par une allusion
de ce dernier concernant
l’idée d’établir une typologie
des régions européennes,
« à l’instar des familles
botaniques » (L. 133 [115],
p. 209). Cette incise fait sans
aucun doute référence
à l’article de Candolle.
la Méditerranée […] Dans cette région, et surtout près des côtes, on trouve des végétaux qu’on avait longtemps regardés comme tout à fait propres à la Barbarie ». Les travaux de Candolle sont indépendants des expéditions françaises et s’appuient sur une
étude antérieure de la flore de Barbarie, réalisée par R. Desfontaines entre 1783 et
1785, et publiée en 1800 (Drouin in Bourguet et al., 1998). C’est à cet ouvrage que se
réfère Malte-Brun, y compris dans la seconde édition5.
S’il utilise ce nouvel adjectif, Malte-Brun ne décrit pas pour autant une flore spécifique. Aucune espèce n’est méditerranéenne : elles sont européennes, africaines ou
asiatiques. Le caractère remarquable de la région réside dans le mélange de végétaux
issus de continents différents. Il s’effectue selon un gradient nord-sud : « À mesure que
l’on avance au midi dans les champs de Sicile ou de l’Andalousie, les formes de la
végétation africaine se prononcent davantage » (p. 198). Vers l’est, les essences se
mélangent sans solution de continuité entre les rivages européens et orientaux : « Dans
la Grèce, rafraîchie par les vents qui descendent à la fois de l’Hémus et du Taurus,
c’est plutôt la végétation asiatique, et peut-être particulièrement celle du Caucase qui
modifie le caractère européen » (p. 199). Suivant ces gradients, les végétaux présentent
des caractéristiques différentes de leur région originelle. Parfois simples herbes dans le
Nord, des espèces septentrionales prennent des formes plus généreuses et se développent en petits arbustes comme la vigne. À l’inverse, des plantes de la rive sud apparaissent sous des formes plus chétives comme les palmiers. La région botanique
« méditerranéenne » ne possède donc pas de caractère propre. C’est un espace floristique de transition entre les trois continents.
Qu’il s’agisse de géologie ou de botanique, la division traditionnelle entre les
continents pèse considérablement sur les opérations de mise en regard des faits. La
transition selon un gradient est-ouest s’instaure plus rapidement. Si des botanistes
avaient formulé un rapprochement nord-sud dès le début du XIXe siècle, la diffusion
de cette idée semble comparativement plus lente. On peut faire l’hypothèse que le
contexte philhellène des années 1830 favorise la construction scientifique d’une unité
des rives européennes de la Méditerranée, alors que la rive sud paraît autre. Dans sa
description de l’Afrique du Nord, Malte-Brun nous met en garde : « L’ombre, la fraîcheur, l’éclat de la verdure, la variété des fleurs, le mélange d’odeurs agréables, tout
charme le botaniste, qui oublierait ici sa patrie s’il n’était effrayé par le spectacle de la
barbarie » (L. 88 [85], p. 291). L’autre rive lui semble marquée par l’absence de civilisation : « La fertilité de cette partie de l’Afrique a été célébrée par Strabon et Pline. Ce
dernier en admire les figues, les oliviers, le froment et les bois précieux. […] Les
vignes, dit Strabon, ont quelquefois le tronc assez gros pour que deux hommes puissent à peine l’embrasser ; les grappes sont longues d’une coudée. Une administration
affreuse et l’absence de toute civilisation n’ont pu anéantir tous ces dons de la nature.
La Barbarie et même le Maroc exportent encore de grandes quantités de blé ; l’olivier y
est plus beau qu’en Provence, et, malgré une religion ennemie de Bacchus, les Maures
cultivent sept variétés de vigne » (p. 290). Une frontière passe par la Méditerranée :
c’est une limite entre civilisé et barbare, entre État moderne et régime politique
archaïque, et aussi entre chrétienté et islam. Figure poétique ou condensation inconsciente, la « religion ennemie de Bacchus » est ennemie de Rome.
Cette représentation n’est pas le propre de Malte-Brun. M.-N. Bourguet (1998,
p. 24) l’observe aussi à propos de la troisième expédition : « une sur le plan de la
nature, l’aire méditerranéenne reste, au plan anthropologique, un espace pluriel et
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affronté », tout en constatant l’émergence d’un discours qui construit une unité culturelle reposant sur les fondements de l’histoire antique. Partout, les architectes et les
archéologues exhument les traces gréco-latines, l’architecture musulmane étant occultée. Cet intérêt se manifeste non seulement en Égypte et en Grèce, mais aussi en
Algérie : « officiers et architectes s’intéressent au tracé des routes, à l’emplacement des
ponts, à tous les vestiges qui donnent à voir la façon dont les Romains ont occupé
l’espace, organisé les communications, contrôlé le territoire de leur empire » (p. 25).
Les pages que Malte-Brun consacre à l’Afrique du Nord témoignent déjà de ce fait.
Le texte est émaillé de références grecques (Homère, Hésiode, Hérodote, Polybe,
Strabon, Ptolémée), latines (Virgile, Pline) et même phéniciennes (Hannon, Maxime
de Tyr). Une filiation de l’Antiquité gréco-latine aux Européens est opposée aux
Maures musulmans ; la période musulmane peut être comprise comme une parenthèse de l’histoire, car il y a un précédent glorieux de la présence européenne sur la
rive sud. Ce serait sans doute un contresens d’imaginer que l’auteur pose sciemment
les bases d’un projet colonial : en ce début du XIXe siècle, celui-ci n’est pas encore clairement constitué, notamment vis-à-vis de l’Algérie. En même temps, il est indéniable
que de nouveaux enjeux politiques sont en train de se faire jour : ils interagissent avec
la connaissance de cet espace. Malte-Brun fils indique ainsi que « depuis que la domination française s’est établie en Algérie, on a pu établir avec plus de soin la constitution géognostique de l’Atlas » (L. 88, p. 287).
Si l’on peut lire dans cette première Géographie Universelle, « c’est des rives africaines que jadis les colonies égyptiennes apportèrent dans l’Europe sauvage les premiers germes de la civilisation. Aujourd’hui l’Afrique est la dernière partie de l’ancien
monde qui attend de la main des Européens le joug salutaire de la législation et de la
culture » (L. 81 [80], p. 75), ce mouvement de la pensée qui associe Nord et Sud,
passé, présent et futur, ne fait pas encore objet scientifique. Dans l’œuvre originale de
Malte-Brun et dans son édition augmentée, la Méditerranée n’est pas constituée en
tant que région géographique. Même à l’échelle de la seule rive européenne, MalteBrun ne reconnaît pas encore d’unité : dans la typologie des régions physiques qui
conclut la description naturelle de l’Europe, la combinaison des critères de relief, de
climat et de végétation de l’Europe du Sud ne lui permet pas de définir une région,
mais trois : région des monts Hémus et de l’Archipel, région des monts Apennins,
région de la Péninsule hispanique (L. 133 [115]). En même temps, on distingue
incontestablement des prémices. La mise en place d’un espace transitionnel est un
premier pas pour faire émerger l’idée « méditerranéenne » : elle dépasse la figuration de
la mer comme limite telle qu’elle s’incarnait sur les cartes TO. La structure de la
représentation s’achemine progressivement de la barrière à l’interface, et donc au
zonal, même si celui-ci est encore exclusivement lié à la botanique.
Reclus ou le « saut scientifique »
La Nouvelle Géographie Universelle d’Élisée Reclus présente par rapport à celle de
Malte-Brun une évolution majeure sur le sujet. Elle est même considérée par les historiographes comme une des premières approches de la Méditerranée dans sa forme
scientifique moderne (Ruel, 1992 ; Ilbert, 1992). Le plan général de l’œuvre est justifié par le « point de vue de l’histoire et des progrès de l’homme dans la connaissance
de la terre » (p. 31). Reclus décrit l’extension du monde connu en distinguant les
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centres successifs qui ont animé les explorations. Après la Grèce, « là ou vivaient les
poètes qui chantaient les expéditions des navigateurs errants, les historiens et les
savants qui racontaient les découvertes et classaient tous les faits relatifs aux pays éloignés », l’Italie, « située précisément au milieu de la Méditerranée » fut le « centre du
grand cercle des terres connues » pendant quinze siècles avec Rome, puis Gênes, Venise
et Florence. Enfin Reclus clôt la prééminence historique de la Méditerranée : « Les
peuples gravitèrent autour de la Méditerranée et de l’Italie, jusqu’à ce que les Italiens
eussent eux-mêmes rompu le cercle en découvrant un nouveau monde par de là
l’Océan. Le cycle de l’histoire essentiellement méditerranéenne était désormais fermé »
(p. 31). L’auteur dessine ainsi la mise en place d’un « espace mondial », fondé sur l’élargissement des réseaux du commerce et de la navigation. La Méditerranée y apparaît
comme un lieu primordial non seulement pour l’Europe, mais pour le monde entier en
tant qu’il est marqué par la diffusion de la civilisation européenne. La description du
monde commence donc par l’Europe méridionale, et en son sein par la Méditerranée.
Celle des trois péninsules s’ordonne selon une logique est-ouest qui suit précisément
l’axe de la « marche de la civilisation » (fig. 1). Pour Reclus, il ne s’agit pas de pôles
actuels du monde, mais bien de ses centres historiques : les lieux où l’Europe, telle
qu’elle est aujourd’hui, a pris son origine. De même, il admet que « le mouvement
général de la civilisation n’a plus cette marche uniforme […]; il rayonne plutôt dans
tous les sens » (p. 47). Sa perspective est donc fondamentalement géo-historique.
Un chapitre préliminaire de 14 pages est ainsi consacré à la Méditerranée.
L’objet d’étude en est uniquement la mer. Il n’est pas ici question des terres qui la
bordent car « les flots incertains de la Méditerranée ont eu sur le développement de
l’histoire une importance bien plus considérable que la terre même sur laquelle
l’homme a vécu » (p. 33). Le texte est subdivisé en trois parties. Dans un premier
temps, Reclus envisage l’aspect physique de la mer : sa forme générale et son histoire
géologique, les mesures de sa surface totale et sa subdivision en différents bassins, les
contrastes de profondeurs, les marées et les courants, l’alimentation océanique et fluviale, la salinité des eaux. Dans un deuxième temps, il aborde principalement la faune
et les ressources naturelles marines (poisson, sel) exploitées par les sociétés riveraines.
Mais ces activités liées à la mer ne sont pas celles qu’il considère comme les plus
importantes : « Les avantages que l’homme peut retirer directement de l’exploitation
de la Méditerranée doivent être considérés comme d’une bien faible valeur en comparaison du gain de toute espèce, économique, intellectuel et moral, que la navigation
de la mer Intérieure a valu à l’humanité » (p. 47). Il introduit ainsi sa dernière partie,
où il traite de la mer sous le rapport du commerce et de la navigation.
La mer ne se définit plus seulement comme masse liquide, mais acquiert une
consistance : « il importe de la décrire comme les terres émergées que l’homme habite »
(p. 33). Au sens étymologique, propre et figuré du terme, elle devient une substance.
Ses flots engloutissent moins les navires qu’ils ne les « portent » (p. 33). Le même
champ sémantique est repris plus loin, lorsque Reclus affirme que la mer a été un
véhicule pour les peuples (p. 47), c’est-à-dire étymologiquement « ce qui porte ». La
mer, qui reste encore un objet de description physique, possède surtout une
dimension sociale : elle « met les peuples en rapport les uns avec les autres » (p. 33). À
la différence des textes antérieurs, et notamment celui de Malte-Brun, la Méditerranée ne sépare pas les continents : elle devient « cette mer de jonction entre trois masses
continentales de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, entre les Aryens, les Sémites et les
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Berbères » (p. 33). Elle est « ce grand agent médiateur »
(p. 33), sans lequel « nous tous Occidentaux, nous
serions restés dans la Barbarie primitive » (p. 33). On
passe de la représentation de l’interposition à celle de
la médiation.
I
Reclus met en relation la forme physique du basG
P/E
A
sin et ses caractéristiques naturelles avec les conditions
de navigation : la disposition des terres et de la mer
M
permettant le cabotage, les distances relativement
faibles, la fréquence des sites d’abri, la régularité des
E
vents, l’égalité du climat sur tout le bassin offrent des
EO
atouts dans le cadre de techniques de navigation relatiPériodisation (1) :
vement rudimentaires. Tout cela a « contribué à faire
Haute Antiquité
« Les nations déjà policées
M Mésopotamie
de la Méditerranée le berceau du commerce eurode l’Afrique et de l’Asie »
É
Égypte
péen » (p. 47). La mer, en facilitant le commerce, a
« L’Europe barbare »
Antiquité-Moyen Âge
G Grèce
concouru à l’échange des idées, ce qui a favorisé
« La marche de la civilisation »
I
Italie
P/E Portugal/Espagne
l’émergence et le développement de la civilisation aux
Étape
Moderne
A Amérique
bords de ses rives. Pour l’auteur, la configuration géoLimite entre l’Orient et l’Occident(1)
EO Extrême-Orient
graphique de la mer est donc à l’origine de la densité
(1) Éléments non formulés mais sous-tendus par la structure du texte
historique exceptionnelle de la Méditerranée. Il comFig. 1/ Le mouvement général de la civilisation
pare ainsi l’entrelacs des îles, presqu’îles et péninsules
d’après Élisée Reclus
à « ces replis du cerveau dans lesquels s’élabore la pensée de l’homme » (p. 47). C’est encore la mer et sa
forme allongée qui sont invoquées pour rendre compte du déplacement successif des «
grands foyers de l’intelligence humaine » du sud-est au nord-ouest, de la Phénicie à la
France en passant par la Grèce et l’Italie : « la raison principale de ce phénomène historique se trouve dans la configuration même de la mer qui a servi de véhicule aux
peuples en mouvement » (p. 47). À première vue, on pourrait penser qu’il s’agit d’un
déterminisme de la forme ; mais un argument est sous-jacent à l’ensemble du raisonnement : il s’agit de la question du différentiel des distances-temps selon les moyens
de transport. La Méditerranée est un véhicule puissant comparé à la terre où la lenteur et la difficulté des transports se vérifieront jusqu’à l’époque moderne. L’auteur le
sous-tend en affirmant que la mer « facilite l’accès » des contrées riveraines les unes par
rapport aux autres (p. 33).
Loin du déterminisme physique, Reclus construit son objet comme une application de ce qu’il a formulé en introduction : « il ne faut point oublier que la forme
générale des continents et des mers et tous les traits particuliers de la Terre ont dans
l’histoire de l’humanité une valeur essentiellement changeante, suivant l’état de la
culture auquel en sont arrivés les nations » (p. 7). Il constate ainsi « les alternatives
qui se sont produites dans le rôle historique de la Méditerranée » (p. 48), en analysant l’évolution de sa situation géographique dans les réseaux de communication à
l’échelle du monde. Pour reprendre un vocabulaire contemporain, il définit des
espaces-mondes (Grataloup, 1996, p. 198), dessine le réseau de relations qui les lient
au niveau supérieur, puis étudie la place de la Méditerranée dans le système. Trois
périodes sont distinguées, même si Reclus ne donne pas toujours des marqueurs
chronologiques très précis. Nous avons repris (fig. 2) les structures spatiales formulées dans son texte sous forme graphique.
81 Florence Deprest
Deprest XP 27/04/05 15:46 Page 82
La Méditerranée, déjà comparée dans l’introduction à un cercle, est construite
comme un espace-monde dont les centres vont donner une impulsion aux échanges
avec d’autres régions du globe. L’extension du champ de ces relations va, à terme, la
marginaliser dans la configuration du réseau mondial. L’ouverture du canal de Suez,
« grand événement, que l’on peut qualifier de révolution géologique aussi bien que de
révolution commerciale » (p. 48), marque une nouvelle période. Mais l’analyse des
rapports de force en montre les limites. Reclus observe la domination économique et
politique de l’Angleterre, qui y détient la plus grosse part du commerce et « a même
pris soin de se mettre au nombre des nations riveraines » (p. 50), et les ambitions de la
France, rappelant le présomptueux projet de « lac français, ainsi que la nommait un
souverain visant à l’empire universel » (p. 50). Cependant, il constate la faiblesse du
commerce de l’ensemble du bassin face à celui de l’Angleterre ou de la Belgique. La
Méditerranée est bel et bien une périphérie dominée.
Fidèle à l’enseignement de C. Ritter, Reclus examine aussi les réseaux à l’échelle
régionale. Il dessine la géographie des villes portuaires et leur histoire, s’attache à expliquer leur émergence ou leur déclin. L’argument principal reste l’évolution de la situation géographique dans les réseaux commerciaux : « certaines localités sont des lieux de
passage ou de rendez-vous nécessaires pour les navires et des villes importantes doivent
forcément y surgir » (p. 49). À l’inverse, lorsque le réseau change, certaines localités
disparaissent comme Tyr et Sidon. L’auteur est ainsi particulièrement attentif aux
réseaux modernes (bateaux à vapeur, chemin de fer et télégraphe) et à leurs conséquences. Il observe une réappropriation générale de la mer où se tisse un treillage de
plus en plus dense : « depuis l’extermination des flottes de rapine, le commerce a fait de
la Méditerranée une propriété commune où les mailles du réseau international de navigation se resserrent de plus en plus » (p. 50). Les distances se réduisent et la Méditerranée est comparée à « un sillage permanent où passent et repassent les navires,
semblables aux bacs qui traversent les fleuves ». Ce rapprochement des rives pourrait
inaugurer une nouvelle ère méditerranéenne car il fait « penser les peuples à l’unisson »
(p. 51). Mais Reclus pointe l’inégalité économique comme un handicap majeur : « en
face du vivant organisme des péninsules européennes, la torride Afrique est encore en
grande partie comme une masse inerte ». Cette marginalisation économique est mise en
relation avec une mauvaise intégration au réseau de navigation moderne, notamment
pour les grandes îles de Chypre et de Crète (p. 52). Il est clair que, pour l’auteur, le
développement économique en passera par la connexion.
À propos de ce texte, A. Ruel affirme : « Par cette analyse visionnaire, Élisée
Reclus accomplit un saut scientifique majeur : avec lui, la Méditerranée devient une
valeur » (1992, p. 9). Il est difficile de ne pas être d’accord avec la première partie de
sa proposition, cependant que la seconde paraît être un contresens. D’abord, on peut
douter que transformer son objet en valeur soit vraiment une avancée scientifique.
Surtout, Reclus n’est pas l’inventeur de la Méditerranée comme valeur, le mouvement
philhellène des années 1830 et les saint-simoniens l’ont précédé (Fabre, 2000, p. 2838). Ainsi, parmi une abondante littérature sur le sujet, paraît en 1832 un recueil
d’articles signés par le saint-simonien M. Chevallier, intitulé Système de la Méditerranée. Il y développe un projet politique : « La Méditerranée a été une arène, un champ
clos où, durant trente siècles, l’Orient et l’Occident se sont livrés des batailles. Désormais la Méditerranée doit être comme un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu’ici divisés. La Méditerranée va devenir le lit nuptial de
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Nouveau Monde
l’Orient et de l’Occident » (cité par Fabre,
Le Moyen Âge : « le centre du monde »
2000, p. 29). Selon l’auteur, le développement industriel, en particulier celui des
réseaux modernes de communication (cheEurope
mins de fer, bateaux à vapeur, télégraphe)
Italie
seront les ferments de l’unité. Il présente ce
Asie
Chine
centr.
système de la Méditerranée comme la première étape d’un projet plus vaste : « le premier pas à faire vers l’association
Inde
universelle ». Ce sont là des idées chères à
Reclus ; il n’est pas vraisemblable qu’il ait
XVe -XVIIIe siècle : « le cul-de-sac »
ignoré de tels écrits, même s’il n’en cite
aucun. Ces ouvrages sont plutôt des textes
Europe
d’opinion, leurs auteurs ne s’embarrassent
pas toujours de rigueur scientifique ; les
Asie
Chine
dénominations d’Occident et d’Orient sont
centr.
plus idéologiques que géographiques ou historiques. Quel est cet Occident qui aurait
Inde
livré bataille à l’Orient trente siècles auparavant, si ce n’est la Grèce de L’Iliade ? La
Méditerranée comme valeur précède donc
1869 : « le grand chemin des bateaux à vapeur »
l’œuvre de Reclus de près de 40 ans. S’il s’est
inspiré de M. Chevallier, Reclus en aura renEurope
versé la problématique, appliquant au passé
le principe d’unité que l’auteur dessinait
comme projet d’avenir.
détroit de Suez
Le mouvement de sa pensée est donc
plutôt inverse de celui que décrit A. Ruel.
Inde
Libertaire, il n’est pas dupe des caractéristiques de la civilisation européenne ou, plus
Australie
Ancien Monde
largement occidentale, mais pense que,
Extension européenne
Route caravanière fréquentée
même à travers des phases de régression, de
Gravitation méditerranéenne
Route maritime fréquentée
crises et d’aliénations, elle est aussi porteuse
Centre
d’impulsion
du
commerce
Route
caravanière en déclin
de liberté, d’universalité, de progrès. Reclus
Autre région commerciale
Route maritime en déclin
cherche à comprendre ce qui a rendu possible
Région
en
déclin
Liaison transocéanique
le développement de ces valeurs fondamentales, et s’intéresse aux lieux où elles sont
Fig. 2/ Situation géographique et fonction de la Méditerranée d’après
nées. C’est en voulant expliquer cette origine
Élisée Reclus
qu’il construit la mer Méditerranée comme
objet scientifique. Par là, il réalise un saut : il
passe de la description topographique à l’analyse topologique de la mer. Ce qui fait objet pour Reclus, c’est la Méditerranée en tant
que centre d’un réseau à l’échelle supérieure du monde, et en tant que réseau à
l’échelle régionale. En même temps, il montre que cette fonction de carrefour n’est pas
intrinsèque au lieu : elle évolue, voire disparaît selon les usages de l’espace. Dans certaines conditions, la mer Méditerranée a joué un rôle. Reclus formule ainsi qu’un lieu
peut être acteur de l’histoire (p. 48). On croyait que la Méditerranée, « personnage
83 Florence Deprest
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historique », était une idée fondamentalement braudélienne (Braudel 1985, p. 10-11).
Assurément, elle a un précédent scientifique.
Les vidaliens : le « monde méditerranéen » ou la mer disparue
6. C’est nous qui soulignons.
Dans la Géographie Universelle qui voit le jour après la première guerre mondiale,
la Méditerranée est définitivement consacrée, apparaissant en titre du tome VII.
L’introduction intitulée « Le monde méditerranéen » est rédigée par Max. Sorre. Suit
une partie de 66 pages abordant l’espace méditerranéen du point de vue général. Elle
se subdivise en cinq chapitres. Les trois premiers, qui concernent essentiellement les
aspects physiques et naturels, sont aussi de Max. Sorre. Ils abordent successivement
« l’architecture méditerranéenne », « la mer », « les formes du climat et de la végétation ».
Les deux derniers, rédigés par J. Sion, s’intéressent aux aspects humains, en traitant
tout d’abord « le travail et la vie populaire », puis « la place de la Méditerranée dans
l’humanité ». Ce découpage de la matière semble identique à celui de Reclus, mais le
contenu en diffère radicalement. Dans l’introduction, Sorre applique à la lettre les
principes méthodologiques de Vidal de La Blache : l’analyse du paysage est le point de
départ de toute étude géographique (p. 2). Dans un style assez lyrique, il évoque
l’enchantement des paysages méditerranéens et propose d’en percer le secret. Deux
éléments fondamentaux apparaissent alors : le relief et le climat. C’est sur eux que
repose l’analyse.
L’un des mystères du paysage méditerranéen réside ainsi dans l’alternance particulière et « l’harmonieuse combinaison des lignes horizontales et des lignes verticales »
(p. 2). Mais la mer n’est alors pas montrée comme un élément essentiel : qu’il s’agisse
de la mer du Nord ou de la Méditerranée, elle est toujours cet invariant horizontal. La
variable qui constitue la singularité du paysage est donc la verticalité du relief qui la
borde. De ce premier constat découle le plan de la description physique. Le monde
méditerranéen est appréhendé non pas par la mer, mais par les éléments terrestres
dans lesquels la masse d’eau est logée. Sorre présente avant tout la Méditerranée « en
tant que trait de relief » (p. 1). Il décrit en première instance la topographie des terres
émergées, puis celle des fonds (les « reliefs en creux », p. 9), avant d’analyser les formes
particulières liées au contact entre terre et mer, les « zones littorales » (p. 14). La Méditerranée est donc abordée comme un contenant. On ne manquera pas de faire le lien
avec la carte que F. Braudel place avant sa préface : intitulée « les profondeurs et les
hauteurs de 500 en 500 mètres » (Braudel, 1985, p. 8-9), elle est la parfaite expression
graphique de ce premier chapitre. La mer y a disparu comme l’eau d’une baignoire
dont on a ôté la bonde.
Ensuite, les impressions de «netteté» et de «précision» produites par la contemplation des paysages méditerranéens «tiennent aux contrastes des couleurs, à la franchise des
teintes de la mer et du ciel, et surtout à la qualité de la lumière et la transparence de l’air»6
(p. 2). Contrastes de lumière, couverture végétale dont « le feuillage se détache en
camaïeu sur le ciel» en constituent l’essence. Si la description physique de la mer est envisagée au deuxième chapitre, l’enchaînement des faits est clair: «L’existence d’une surface
d’eau de 2976400 km2 vers 37° Nord conditionne l’extension des types de climat et de
végétation propres aux pays subtropicaux sans influence de mousson. Ces circonstances
se sont montrées favorables à une riche floraison d’humanité» (p. 1). En tant que masse
d’eau, située en bordure subtropicale et entourée de montages, la mer influence le climat.
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Ce n’est pas elle, mais le climat qui est «favorable» au développement de la civilisation.
Cette idée est ensuite reprise par Sion. Il indique que le climat de la région méditerranéenne ressemble assez à celui de l’Afrique du Nord-Est et des steppes asiatiques desquelles sont venus les germes de la civilisation. Ils ont ainsi pu y être adaptés sans
difficultés par les peuples méditerranéens (p. 57).
Malgré le changement d’auteur, les chapitres de géographie humaine s’articulent à
la description physique7. C’est l’homogénéité du relief et du climat sur l’ensemble de
pourtour de la Méditerranée qui constitue la spécificité du milieu et influence le « genre
de vie » de tous les peuples y habitant. Comme l’écrivait Vidal : « La civilisation de la
Méditerranée s’est développée sous l’influence d’un contact étroit entre deux choses qui
nulle part n’engendrent plus de différences sociales, parce que nulle part elles ne sont
plus opposées et plus contiguës, la plaine et la montagne » (cité par Sorre, p. 2). La mer
n’a pas ici sa place. Dans le chapitre IV sur le travail et la vie populaire, plus de trois
pages sont consacrées à l’agriculture. En revanche, les « autres activités » que sont la
pêche, l’industrie et la vie de relations sont développées sur une seule page. Par ailleurs,
s’il montre que l’ouverture de Suez a moins profité aux pays méditerranéens qu’à ceux
de l’Atlantique dont plusieurs dominent largement le trafic (p. 64-65), c’est pour mieux
placer leur avenir dans l’agriculture qui présente, selon lui, « des garanties de stabilité
économique et sociale », et affirmer : « la principale vocation de cette zone paraît être bien
l’extension des cultures maraîchères […] Devenir, plus encore qu’aujourd’hui, le jardin
de l’Europe serait un avenir souhaitable pour ces pays de lumière » (p. 66). Le présent et
l’avenir du monde méditerranéen ne reposent donc pas sur la mer.
Force est de constater que le rôle de la mer dans l’histoire semble aussi accessoire. À ce sujet, le texte prend même le contre-pied systématique de celui de Reclus.
Le relief est le premier des « faits permanents » examinés par Sion, qui évalue son rôle
dans le morcellement politique de la région (p. 54). Pour l’auteur, c’est l’homogénéité
du milieu terrestre qui joue un rôle historique et « explique la diffusion assez rapide
des civilisations antiques dans des régions très éloignées, mais analogues comme sol et
climat » (p. 55). S’il constate que les peuples qui ont compté dans l’histoire du monde
méditerranéen n’étaient pas installés sur les sols les plus riches, et en déduit le rôle
prépondérant du commerce dans leur prospérité, la fin du raisonnement est presque
inattendue : ayant précédemment observé l’uniformité physique et donc celle des productions méditerranéennes, il renvoie le potentiel commercial de la région à l’échelle
géographique supérieure. Ainsi, ce qui fonde la place singulière de ce monde dans
l’humanité est la capacité de ses peuples à faire du commerce avec des contrées environnantes qui sont physiquement différenciées. Après une analyse de ces pays, il
conclut : « C’est encore un fait permanent, malgré les variations de son intensité, que
le trafic sur les routes de terre entre l’Inde, l’Iran, la Mésopotamie et les ports syriens »
(p. 56). Nous voilà donc en présence du seul fait incontournable et permanent que
Sion ne contredit pas aussitôt : la liaison terrestre entre l’Extrême-Orient et les rivages
méditerranéens du Proche-Orient ! Cependant, il minimise l’apport des idées orientales et l’impact des routes commerciales dans leur circulation (p. 56).
Lorsque la mer Méditerranée est traitée, c’est en des termes suspicieux. Face
aux difficultés de la circulation terrestre, Sion affirme tout d’abord son rôle comme
un « fait permanent » : « C’était, et c’est encore, la mer qui les unit » (p. 54). Cependant cette position est rapidement nuancée jusqu’à en douter complètement : « La
mer eut-elle donc l’heureuse influence qu’on lui accorde ? Oui, pour la civilisation, le
85 Florence Deprest
7. Dans le chapitre V, Sion a
la lourde tâche de démêler
les tenants et les
aboutissants de cette
« combinaison
géographique originale
parée de tous les prestiges
de l’histoire » (Sorre, p. 1)
entre la nature et
l’humanité. Divisé en trois
« moments », le texte
aborde les « faits
permanents », le passé,
le présent. Il témoigne des
réticences de Sion vis-à-vis
du déterminisme naturel.
Mais, malgré un art
consommé de la nuance,
de la contradiction et du
non-dit, il recourt en
dernière instance au
possibilisme (par ex. p. 54).
Deprest XP 27/04/05 15:46 Page 86
8. Par exemple les œuvres
de G. Audisio, P. Valéry,
A. Camus.
9. Par exemple les œuvres de
L. Bertrand, F. Mistral, ou
encore Le Voyage d’Athènes
de C. Maurras (1929).
développement économique et la prospérité de ses riverains (sauf pendant les
périodes de piraterie). Beaucoup moins pour la stabilité des États riverains et leur
indépendance » (p. 55). En effet, l’auteur oppose la fragilité des thalassocraties aux
territoires incertains et la stabilité d’États continentaux reposant sur un espace peuplé de laboureurs. Pour lui, l’un des mérites de l’Empire romain est qu’il ne s’est
pas « borné à fonder quelques villes maritimes, comme les colonisations antérieures », mais a aussi pénétré largement l’intérieur des terres vers le nord et l’est de
l’Europe (p. 57). Toutefois cela ne fut pas suffisant : « le centre de l’Empire restait la
mer », et ce point explique en partie son déclin : « En outre, l’Empire reposait sur
une base géographique assez fragile. C’était une thalassocratie » (p. 58). Finalement,
la mer et son rôle positif dans les échanges ne sont évoqués que lorsqu’elle vient à
manquer, c’est-à-dire quand elle n’est plus dominée par les peuples européens.
Ainsi en va-t-il de l’invasion musulmane du VIIe siècle, dont « les flottes interdirent
toute navigation à l’Europe latine ». Mais « les Croisades rouvrirent la mer aux
marines chrétiennes » (p. 58). Puis au XVe siècle « le déclin de l’économie méditerranéenne fut précipité par l’invasion des Turcs », affaiblissant le commerce maritime
par le développement de la piraterie (p. 59). Enfin au XIXe siècle, la Méditerranée
est « bornée au sud et à l’est par des pays barbares » et « se termine en impasse vers
l’Égypte » (p. 61). Ce sont les seuls passages où Sion sous-tend son rôle comme
espace de navigation dans les échanges.
Le monde méditerranéen des vidaliens est un monde terrien. Ils écrivent près de
70 pages sur ce sujet sans parler de la mer ou en la confinant à un plan toujours
secondaire. Cette occultation a trait à la structure épistémologique de la géographie
vidalienne. Comme milieu naturel et espace géographique sont synonymes pour les
vidaliens, on peut faire l’hypothèse que les outils conceptuels de paysage, d’hommehabitant, de genre de vie sont inadéquats pour saisir la dimension sociale et historique
d’un espace maritime. Cette dimension est saisie dans ses aspects les plus anecdotiques voire négatifs : comparée à la terre, la mer est un milieu incertain et mouvant.
Est-ce un hasard si Vidal, pour justifier l’étude de ce qui est fixe et permanent en géographie, forme l’image suivante : « Lorsqu’un coup de vent a violemment agité la surface d’une eau très claire tout vacille et se mêle ; mais, au bout d’un moment, l’image
du fond se dessine à nouveau » ? La mer Méditerranée n’est-elle pas justement une
surface d’eau très claire, trop souvent agitée par les vents violents de la Nature comme
de l’Histoire ? C’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine de la suspicion à son
égard et le centrement du discours sur le monde terrestre.
Cette direction scientifique prend une résonance particulière dans le contexte des
années 1930. Dans l’entre-deux guerres, à la fois dans le cadre de la formulation du projet colonial et de la montée du fascisme, les débats font rage autour de l’interprétation
idéologique de l’histoire méditerranéenne. Pour les uns8, la Méditerranée est le symbole
de la rencontre des civilisations, du métissage des peuples, du renouveau humaniste.
Pour les autres9, elle est identifiée à l’héritage latin, l’œuvre civilisatrice de l’Empire
romain, ou encore l’idéal de pureté grecque qui combat les influences sémites. En 1936,
dans Le Sel de la mer, G. Audisio, qui s’oppose aux visions méditerranéennes des L. Bertrand
et autres C. Maurras, écrit : « Je ne cesserai pas de distinguer la Rome provisoire de
l’éternelle Méditerranée, de dire que Rome ne fut qu’un moment de la Méditerranée,
d’opposer à la piétaille de Rome et son sac au dos les matelots d’Ulysse et leur barda, à
la latinité terrienne, dure et conservatrice, l’universalité mouvante et vivante de la mer »
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86
Deprest XP 27/04/05 15:46 Page 87
(cité par Fabre, 2000, p. 66). Cette lecture ouvre une autre perspective interprétative et
pose à nouveau la question de l’influence des débats idéologiques sur la construction de
l’objet scientifique. Ce point est ici très difficile à démêler, car le chapitre V est le seul
qui ne fait mention d’aucune bibliographie. Par ailleurs, il est à l’évidence traversé par
des représentations issues de discours antagonistes. L’intérêt de Sion pour Rome et son
empire, ne provient-il pas de ce que la France « a repris [en Algérie] l’œuvre de Rome »
(p. 67), rôle que l’Italie lui dispute en Méditerranée (p. 68) ? C’est en effet l’un des
thèmes phares du projet colonialiste français. Au regard de cette compétition, l’avantage
de la « continentalité » du territoire ne devient-il pas un argument géographique dans un
discours sur la légitimation du succès de l’entreprise coloniale française ? En même
temps, il ajoute en note que l’Empire romain marque un moment où la civilisation
méditerranéenne se replie sur elle-même (p. 57). Il s’agit là d’une idée défendue par
G. Audisio puis A. Camus, qui considèrent Rome comme étant ce que la Méditerranée
a produit de moins « méditerranéen » et en réfutent le modèle.
De même, l’influence de l’Orient est présentée en des termes contradictoires. De
l’Orient viennent « les appels du luxe, de la mollesse parfois, des religions orientales,
de ces fécondes et troubles influences asiatiques que le génie méditerranéen sut discipliner au bénéfice de l’Occident » (p. 56), en un florilège de stéréotypes issus tout
droit du XIXe siècle et repris par l’auteur sans l’ombre d’une hésitation. Cependant,
alors qu’il rappelle que « la civilisation grecque représente la fusion des éléments préhelléniques et aryens », il accole à ce dernier mot une note sur l’influence positive de
l’Orient en faisant notamment référence aux sociétés al-Andalus : « Grenade et
Palerme musulmanes » sont évoquées positivement et opposées à la rustrerie des Ottomans du XVe siècle (p. 59). Malgré ces nuances, la représentation de l’islam en Méditerranée est profondément marquée par l’idéologie coloniale, en même temps qu’elle
en est l’objet de l’unique référence scientifique, celle du médiéviste belge H. Pirenne
dans Mahomet et Charlemagne (1922) : l’islam est à l’origine de la fracture de l’unité
antique de la Méditerranée (p. 58). Après avoir décrit avec minutie les rivalités nationales entre l’Angleterre, la France, l’Espagne et l’Italie10, il conclut : « Au milieu de ces
rivalités, peut-on rêver à la reconstitution de l’antique unité méditerranéenne, sous la
forme d’une fédération entre des nations imprégnées de la même culture ? Des chefs
d’États l’ont pensé. Mais l’Islam est venu diviser cette zone en deux types de civilisation tout à fait différents » (p. 68). Ce n’est donc point la domination d’une partie des
peuples de la Méditerranée par des puissances étrangères, ni les risques du fascisme
italien que certains intellectuels dénoncent déjà, qui sont susceptibles d’empêcher une
union politique en Méditerranée, mais l’islam.
Face à l’uniformité nivelante de la société de masse (p. 66) et à l’écrasante modernité du monde industriel (p. 68), Sion espère que les nations de l’Europe du Sud ne se
dénatureront pas (en s’industrialisant trop) et « sauront conserver cet héritage de la civilisation grecque ». La vie moderne appelle donc la désapprobation : elle est opposée à
l’authenticité encore rurale du monde méditerranéen. Ce conservatisme fondé sur des
valeurs terriennes est issu de l’œuvre de Vidal de La Blache. Dans un contexte politique
fort différent, Sion s’en fait le fidèle héritier sans parvenir à développer d’appareil critique. Malgré ses tentatives de résistance, son texte participe de l’idéologie coloniale, et
ne déjoue pas la contamination fasciste de son époque. C’est aussi dans ce cadre que la
place de la Méditerranée dans l’ordre symbolique peut être mise en question. Cette
béance du relief, ce non-lieu suspect, ce déni de la matrice : de quoi ça parle?
87 Florence Deprest
10. Sion consacre un
paragraphe à la politique
italienne où il évoque les
« songes » et « visées » de
conquête et de force, mais
sans jamais que le mot de
fascisme ou le nom de
Mussolini n’apparaissent.
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Perspectives
11. Il cloture la première partie,
« La part du milieu », par la
question de l’unité humaine
de la Méditerranée.
Il n’est pas aisé d’établir une généalogie des représentations géographiques de la Méditerranée. D’une part, plusieurs types de représentations coexistent parfois en s’ignorant
l’un l’autre, voire en se contredisant. En effet, les représentations de la nature ne s’articulent pas nécessairement à celles qui se mettent en place pour l’analyse sociale, culturelle et historique. De plus, le système de références bibliographiques reste longtemps
lacunaire : les filiations sont plus souvent des hypothèses que des liens attestés. Enfin,
des idées parentes peuvent être développées indépendamment. Si F. Braudel suit à la
lettre le paradigme vidalien, il intègre néanmoins la mer comme composante fondamentale de son objet. La dimension topologique apparaît dès le chapitre V de sa
thèse11, intitulé « Routes et villes, villes et routes » : « Passer de la Méditerranée proprement dite, telle que la définit son climat à la Plus Grande Méditerranée sur laquelle elle
rayonne, c’est passer d’une unité physique à cette unité humaine vers laquelle s’oriente
notre livre. […] L’unité humaine, en Méditerranée, c’est à la fois cet espace routier et
cet espace urbain, ces lignes et ces centres de force. […] la ville de Méditerranée est
créatrice de routes et, en même temps, est créée par elles. Vidal de La Blache le dit à
propos de la ville américaine » (Braudel, 1985, p. 253-254). La formulation d’une transition entre topographie et topologie s’apparente donc au travail conceptuel de Reclus.
Cependant il ne s’y réfère pas (Péguy, 1986, p. 78). L’idée originale du chapitre est
attribuée à L. Febvre (Braudel, 1985, p. 253), et secondement à Vidal de La Blache.
La construction braudélienne apparaît ainsi comme un héritage et une innovation par
rapport au discours géographique des vidaliens. Toutefois, on peut faire l’hypothèse
que les idées de Reclus ont transité jusqu’à Braudel, en ayant inspiré d’autres auteurs
auxquels il se réfère. Ainsi, beaucoup de « boîtes noires » subsistent à travers notre tentative de tableau synthétique (fig. 3).
Il est sans doute inhabituel d’associer la représentation ancienne de la Méditerranée à la notion de division. Comme le rappelle Reclus lui-même, Platon écrivait
déjà : « Comme des grenouilles autour d’une mare nous nous sommes tous assis au
bord de la mer ». La meilleure preuve que l’idée de jonction serait consubstantielle de
l’objet est souvent justifiée par l’étymologie : « mer au milieu des terres ». Dans la cartographie ancienne, elle était au centre des représentations, telles les fameuses cartes TO
du Moyen Âge. Mais tout cela relève bien plus de l’interprétation anachronique que
d’une quelconque réalité historique. Comme le remarque l’historien R. Ilbert : « il faut
insister sur le fait que ce sont les Européens modernes qui ont inventé cette conscience
identitaire. Les Grecs nous ont laissé moins de réflexion sur le “génie méditerranéen”
que les philosophes et les historiens d’art allemands du siècle dernier » (1992). La
Méditerranée est d’abord une mer. Le fait que des hommes la traversent depuis des
siècles ne leur a pas ôté la peur ni la répulsion qu’ils éprouvent face à elle. En 1876,
Reclus signale encore les nombreux périls et les naufrages très fréquents malgré les
progrès de la sécurité et les débuts de la navigation à vapeur. Espace liquide et incertain, elle restera, jusqu’à l’époque contemporaine, au mieux une distance à parcourir
au pire un « antimonde » qu’il faut, par la force des choses, traverser pour atteindre
l’autre rive. Si l’on définit relativement un lieu comme une unité spatiale dans laquelle
il n’y a pas d’effet de distance, la mer n’est donc pas un lieu. A fortiori, on voit mal
comment elle pourrait être vue par les sociétés anciennes comme un centre.
C’est toute l’ambiguïté du terme medius terrae. Le milieu est ce qui est entre deux
lieux, à mi-distance. C’est le point intermédiaire, c’est-à-dire aussi qui s’interpose. En
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88
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revanche, le centre est le point autour duquel se distribuent ou se rassemblent les phénomènes. À l’origine, il désignait la branche fixe du compas. D’une certaine manière,
milieu et centre se formulent à l’inverse l’un de l’autre. C’est l’existence des deux points
qui permet celle d’un troisième : le milieu. En revanche, c’est à partir du centre que sont
définis les autres points. Dans les cartes anciennes, la Méditerranée n’est jamais le
centre, place réservée à un lieu politique ou religieux comme Rome, Jérusalem, Bagdad
ou La Mecque. En revanche, elle est souvent au milieu en tant qu’espace qui disjoint et
sépare. Avec R. Ilbert, on peut ainsi douter « que la Mare Nostrum des Romains ait
quelque chose de commun avec notre Méditerranée » (1992). Pour que la Méditerranée
puisse être considérée comme un lieu et un centre au sens moderne, il faut que
l’ensemble des distances séparant ses rives s’annulent, tant dans la pratique que dans les
représentations. On observe ainsi ce changement dans les discours géographiques. Le
passage semble s’effectuer sans solution de continuité pour le modèle physique, à partir
d’une évolution de la représentation de la limite. En revanche, la mer comme médiation
est en rupture avec le principe de division qui dominait la description humaine. L’unité
humaine du bassin n’a ainsi pas les mêmes fondements chez Reclus et chez les vidaliens.
L’analyse des représentations géographiques actuelles et des liens qui les unissent
aux représentations scientifiques passées de la Méditerranée constituerait à elle seule
une autre étape de l’entreprise généalogique. Elle passerait nécessairement par un travail en profondeur sur le creuset braudélien où se sont cristallisées des représentations
qui marquent notre imaginaire scientifique. Ce chantier, déjà commencé (Paris,
1997), sera long et nous conduira peut-être vers des conclusions plus inattendues que
prévues. Toujours convoqué par les auteurs actuels lorsqu’il s’agit d’instituer la singularité irréductible de la Méditerranée, Braudel ne s’est néanmoins pas privé de faire
référence à « ces autres Méditerranées nordiques, Manche, mer du Nord, Baltique.. »
(1985, p. 172 et p. 493), ou de construire des comparaisons troublantes avec l’Asie
contemporaine : « Tunis, au XVIIe siècle […] ce “Chang-Haï” de la Méditerranée »
(p. 432). L’écrasante œuvre est peut-être moins monolithique qu’il n’y paraît.
En attendant d’en savoir plus, on peut d’ores et déjà échafauder quelques hypothèses. De la géographie antique et de l’encyclopédie médiévale, nous avons reçu en héritage la traditionnelle limite entre les trois continents de l’ancien monde. Cet usage
subsiste dans le discours comme simple dénotation géographique, de même que l’expression «méditerranée euro-africaine»12. Avec l’adjectif «euro-arabe», le recouvrement linguistique de la notion géographique d’Afrique du Nord et du Proche-Orient par celle du
monde arabe inscrit délibérément la Méditerranée dans l’histoire des confrontations civilisationnelles et politiques dont H. Pirenne fut l’un des premiers théoriciens. Toutefois,
même les pures conventions géographiques ne sont pas sans conséquences. La mer
Méditerranée, limite continentale de l’Europe, reste une limite géographique discriminante pour l’ouverture des négociations à l’entrée dans l’Union européenne: c’est à ce
titre que la candidature de la Turquie a été retenue alors que celle du Maroc a été refusée. En même temps la mer, considérée comme objet principalement européen, inclut
dans ce domaine presque toutes les îles : ceci rendra possible l’adhésion prochaine de
Chypre et de l’archipel de Malte. Une limite géographique fort ancienne rejoue donc
dans la définition territoriale et identitaire de l’Union européenne. Mais l’usage de
l’adjectif «euro-méditerranéen», depuis la Conférence de Barcelone en 1995 et la formulation d’un projet de zone de libre-échange signalent une nouvelle ligne de clivage: il y a
le territoire de l’Union, avant tout européen même lorsqu’il est du Sud, et le reste.
89 Florence Deprest
12. Dénomination utilisée
lorsqu’il s’agit de la
distinguer des
méditerranées américaine
ou asiatique.
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Description humaine
la mer comme limite naturelle
la mer comme limite humaine
(Japhet)
Europe
chrétienté
océan
Asie
(Sem)
océan Atlantique
Antiquité
Haut Moyen Âge
Description physique
islam
Afrique
(Cham)
1800
région botanique « méditerranéenne »
interface - espace de transition
Europe
1840
Afrique
Asie
océan
Europe
Asie
océan
unité « géognostique » des
péninsules européennes
1820
Afrique
1860
la mer comme jonction
Europe
1900
Asie
océan
1880
Afrique
3
1920
2
le monde méditerranéen
Europe
5
Afrique
Asie
océan
1940
1960
4
1
Principe de division
Autres éléments de la filiation
Principe d’unification humaine
1
Principe d’unification physique
2 Unité morphologique et géologique du bassin
Rupture de « paradigme »
3
Lien probable ou attesté
4 « La Méditerranée et le monde méditerranéen » (Braudel)
Lien hypothétique
5
Division traditionnelle des continents
Unité bioclimatique du bassin
« Mahomet et Charlemagne » (Pirenne)
Fig. 3/Éléments pour une généalogie des représentations géographiques de la Méditerranée
© L’Espace géographique
90
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Au regard du siècle précédent, la décolonisation et les indépendances politiques
de tous les États de la rive orientale et méridionale constituent une modification
majeure depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cela a contribué à changer
l’espace méditerranéen, mais c’est certainement aussi une donnée fondamentale dans
les transformations du regard porté par les scientifiques européens, notamment français. Il s’agit d’une hypothèse de travail difficile à éluder. Rappelons seulement que la
Méditerranée braudélienne, ce monument, a germé de l’expérience d’un jeune
diplômé métropolitain, nommé en Algérie de 1924 à 1932, et qui fréquenta le cercle
intellectuel d’une des plus dynamiques universités françaises de l’époque, celle d’Alger
(Paris, 1997, p. 7-8). Bien sûr, l’homme, ses expériences, et donc l’œuvre, écrite en
captivité entre 1940 et 1945, ne sont pas réductibles à cela. Il s’agit néanmoins d’une
composante qui peut éclairer l’objet. Aujourd’hui, l’unité humaine du monde méditerranéen paraît avoir fait long feu : si tant est qu’elle ait existé, elle ne structure plus nos
cadres de référence. C’est sans doute pourquoi cet objet, qui s’est construit depuis le
XIXe siècle et a trouvé avec la thèse de Braudel son point d’orgue, nous apparaît à présent comme un mythe : « la Méditerranée et son discours sont inséparables » (Kayser,
1996, p. 9). Pour démystifier la Méditerranée unitaire, nous pouvons avec raison lui
opposer un ensemble constitué de faits, qui démontrera l’actuelle fragmentation de cet
espace. Mais placer le raisonnement sur le seul plan des faits objectifs serait oublier ce
que R. Barthes nous a appris : « le mythe est lu comme un système factuel alors qu’il
n’est qu’un système sémiologique » (1970, p. 217). Si l’unité du monde méditerranéen
est un mythe, il nous faudra aussi en comprendre la structure et, à travers elle, la fonction : cette démarche ne conduira pas à rejeter a priori toute idée d’unité, mais bien
plus sûrement à reconsidérer sa place dans nos réflexions, que celles-ci portent sur
l’écosystème, les territoires du tourisme ou encore la définition de chorotypes.
Aujourd’hui, méditerranée et mer intérieure ne sont plus synonymes. Se référer à
un concept de « méditerranée », c’est nécessairement sous-entendre qu’il y a des mers
intérieures qui s’apparentent à la Méditerranée. Réduire le concept de méditerranée
aux seuls bassins maritimes où la mer est un espace de jonction et où les rives opposées sont plus proches entre elles qu’avec les espaces qui forment leur continuité terrestre, c’est s’inscrire dans la problématique braudélienne du « carrefour permanent »,
nourrie par un sentiment irréductible de l’unité. Une telle approche conduit nécessairement à interpréter les ruptures comme des accidents historiques dommageables
pour l’objet, même si elles peuvent avoir des répercussions positives en d’autres lieux.
Par exemple, la rupture de l’islam brise l’unité méditerranéenne, mais elle engendre la
naissance de l’Europe. À l’inverse, poser l’unité comme un mythe, c’est s’interdire de
penser les formations transméditerranéennes et leurs dynamiques. Il conviendrait
peut-être de définir une méditerranée comme un bassin maritime dans lequel se succèdent des périodes de rapprochement et d’éloignement des rives telles que les analyse R. Brunet (1995, 2001). Ce serait donc un concept géo-historique, mais plus du
tout au sens de Braudel, car son fondement résiderait dans les dynamiques. Une mer
intérieure qui n’aurait fonctionné que comme un « chott » ne pourrait ainsi être une
méditerranée. C’est aussi relativement à ces dynamiques, et notamment l’évolution
des usages et des représentations de l’espace, que la question de la forme ou de la
taille pourraient être envisagées. L’histoire de la Méditerranée en tant qu’invention
scientifique ne pourra alors que nous aider à rendre conscients les jeux et rejeux entre
91 Florence Deprest
Deprest XP 27/04/05 15:46 Page 92
Références
l’objet que nous construisons et le désir qui s’y love.
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93 Florence Deprest
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