ÉDITORIAL La médecine narrative, retour vers le futur ? Narrative medicine, back to the future? E C. Le Jeunne C. Le Jeunne, F. Goupy Faculté de médecine, université Paris-Descartes ; Hôtel-Dieu de Paris, AP-HP. n Amérique du Nord, s’appuyant sur une tradition de séminaires de literature and medicine et de patient-centered care, la narrative medicine a depuis 10 ans fait son apparition dans les facultés de médecine (1, 2) et, depuis l’année 2009, l’université Columbia de New York propose un Narrative Medicine Master of Science Program pour former des enseignants (3). La médecine narrative se définit comme une compétence qui permet de “reconnaître, absorber, interpréter et être ému” par les “stories of illness” (illness and not disease), et qui emprunte aux spécialistes de la littérature les techniques d’analyse structurelle d’un texte littéraire pour décoder le récit d’un patient. L’humanisme et l’empathie ont toujours été reconnus comme nécessaires pour établir une relation médecin-malade de qualité, et l’écoute attentive du patient est enseignée comme la première étape qui permet l’analyse séméiologique et la compréhension du sujet dans son univers. Les facultés de médecine enseignent selon différentes modalités la psychologie médicale, ou la communication médicale ou encore l’éthique médicale, mais la majorité des responsables de l’enseignement universitaire considère que le compagnonnage est la technique pédagogique la plus efficace pour former “au lit du malade” les futurs médecins à la relation médecin-malade. L’introduction de la médecine narrative dans les cursus universitaires correspond-elle à l’émergence d’une technique pour apprendre aux étudiants à mieux écouter leurs patients et à mieux gérer leurs émotions dans leur confrontation quotidienne avec la maladie et avec la mort ou n’est-elle que la réunion de techniques pédagogiques existantes simplement renommées pour répondre à la mode du storytelling ? La nouveauté de la médecine narrative est de rapprocher la clinique et la narratologie, ce qu’exprime Rita Charon, interniste new-yorkaise (militante de la première heure en faveur de la médecine narrative), en disant que la médecine narrative est le cousin clinique de l’approche littérature et médecine, et le cousin littéraire de la médecine centrée sur le patient. De la même manière qu’une grille séméiologique systématisée guide le clinicien dans la lecture d’une image radiologique (pour ne pas risquer d’ignorer une lésion non recherchée), une grille d’analyse de la structure d’un texte le guide dans l’écoute du récit de son patient (4) : l’analyse séméiologique est enrichie, mais de surcroît, la confiance accordée à son médecin par le patient est toujours renforcée, parce qu’il se sent reconnu par l’attention que son médecin porte à son histoire. La particularité de la médecine narrative est de s’adresser à tous les étudiants dès leur premier contact avec les malades, sans se limiter à quelques disciplines privilégiées (psychiatrie, gérontologie ou soins palliatifs), et d’affirmer que la Narrative Based-Medicine devrait être avec l’Evidence Based-Medicine l’un des 2 piliers 4 | La Lettre du Rhumatologue • No 397 - décembre 2013 ÉDITORIAL de la formation initiale des médecins (5) et pourrait être une réponse aux insuffisances d’un système de santé qui laisse quelquefois des patients ignorés dans leur souffrance et des médecins isolés dans leur pratique. Enfin, la médecine narrative et la médecine fondée sur les preuves donnent une formulation nouvelle à la reconnaissance millénaire que la médecine est un art et une science. Dans les 2 cas, la nouveauté réside dans l’appropriation par les cliniciens de spécialisations qu’ils ne maîtrisaient pas au départ : les cliniciens devraient dans les prochaines années s’approprier la narratologie, la psychologie médicale et l’éthique médicale, comme ils se sont récemment approprié les biostatistiques, l’épidémiologie et l’économie de la santé. 1. Charon R. Narrative medicine: a model for empathy, reflection, profession, and trust. JAMA 2001;286:1897-902. 2. Charon R. Narrative and medicine. N Engl J Med 2004;350: 862-4. 3. Gina Kolata. Learning to listen. The New York Times, January 3, 2010. 4. Charon R. Narrative medicine: honoring the stories of illness. New York: Oxford University Press, 2006. 5. Charon R, Wyer P ; NEBM Working Group. Narrative evidence-based medicine. Lancet 2008;371:296-7. 6. Goupy F, Abgrall-Barbry G, Le Jeunne C. Enseigner la médecine narrative. Pratiques 2011; 55:74-5. 7. Goupy F, Abgrall-Barbry G, Aslangul E et al. L’enseignement de la médecine narrative peut-il être une réponse à l’attente de formation des étudiants à la relation médecin-malade ? Presse Med 2013;42:e1-e8. Pendant l’année 2009-2010, l’université Paris-Descartes a proposé pour la première fois, à 40 étudiants de médecine de quatrième année (DCEM 2), un module optionnel de médecine narrative (6). Cet enseignement comporte 6 séances de 3 heures débutant par un enseignement théorique suivi d’un enseignement dirigé qui repose sur des travaux d’écriture en groupes de 6 à 8 étudiants. Cette première expérience pédagogique a montré son utilité pour apprendre aux étudiants à écouter un patient et pour les faire réfléchir personnellement sur leur futur métier de médecin (7), ainsi que l’a exprimé une étudiante : “On vit parfois des situations difficiles dont nous n’avons pas trop les clés. C’est très intéressant d’en discuter, et écrire dessus nous aide à faire le point”. Aujourd’hui, cette expérience se prolonge par une étude d’intervention pédagogique de médecine narrative proposée aux 400 étudiants de DCEM 2 chez lesquels l’empathie est mesurée avant et après l’intervention. Enfin, une formation à la médecine narrative est désormais proposée depuis l’année 2012 aux praticiens de l’Assistance PubliqueHôpitaux de Paris, par le département de formation médicale continue. Remerciements à : • Gaëlle Abgrall-Barbry, Élisabeth Aslangul, Nora Bouaziz, Anne Chahwakilian, Annick Courtay, Philippe Dailland, Didier Delaitre, Nathalie Dzierzynski, Annie Felten, Christophe Frot, Thomas Girard, Jean-Michel Lassaunière, Gérard Nguyen, Nicolas Roche et Tali Anne Szwebel, qui ont animé les enseignements dirigés ; • Cédric Lemogne, Nicolas Dantchev, Philippe Lejeune, Dennis Linder et Patrick Triadou, pour leurs contributions aux cours et à l’animation pédagogique. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent,dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. Notre publication répond aux critères d’exigence de la presse : · accréditation par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) réservée aux revues sur abonnements, · adhésion au SPEPS (Syndicat de la presse et de l’édition des professions de santé), · indexation dans la base de données INIST-CNRS, partenariat avec le GRIO (Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses) et lien privilégié avec le CRI (Club Rhumatismes et Inflammation), · déclaration publique de liens d’intérêts demandée à nos auteurs, · identification claire et transparente des espaces publicitaires et des publirédactionnels en marge des articles scientifiques. La Lettre du Rhumatologue • No 397 - décembre 2013 | 5