Aumônerie catholique à l’UCL-Bruxelles « Côté cour, côté jardin » Septembre 2011 Les questions institutionnelles ont un impact sur la vie professionnelle et souvent relationnelle comme rarement elles l’ont eu dans l’histoire. La Nation, l’Université ou l’Eglise se trouvent à tour de rôle théâtralisées par une lame de fond médiatique qui les réduit à leur seule fonction de mise en scène ou à de lourdes machineries. Comment ne pas se laisser envahir ou impressionner ? La vigilance est de rigueur afin que la marge consacrée à l’imagination et à la souplesse soit préservée. En ce début d’année académique, afin de soutenir vos propres engagements, nous aimerions vous détourner vers une autre scène qui nous parait bien plus suggestive : celle du théâtre de la vie qui rythme les engagements personnels, familiaux et professionnels. Le théâtre de la vie met en interaction bien des acteurs et spectateurs qui révèlent toutes leurs compétences et sensibilités. Le théâtre est un lieu de formation magnifique. En effet, le jeu d’acteurs améliore la connaissance de soi et surtout l’estime mutuelle, développant les habiletés interpersonnelles ; de plus, il mène à faire la part des choses. Côté cour, il dérouille l’imaginaire et encourage l’innovation tout en dépendant inévitablement – côté jardin – des contraintes structurelles et économiques. Oui, le jeu d’acteurs participe à cet équilibre délicat, et nous sommes tous des acteurs, donc des interprètes, que nous soyons intermittents ou permanents. Le contexte nous offre un rôle, une place et un masque pour permettre au récit de la vie de continuer à se transmettre. Heureusement, nous ne jouons pas tous au même moment – nous encombrerions la scène ! – chacun s’éclipsant côté cour pour revenir côté jardin. Un texte est transmis, non comme carcan mais comme support. C’est ainsi qu’une vérité se dévoile, progressivement, au fil d’une intrigue qui ne se révélera que par l’entrecroisement des personnages et dans la seule mesure où ceux-ci se frottent les uns aux autres. Sans cela, la vérité n’émerge pas. Le spectateur n’est pas en reste mais bien incité à s’emparer de la pièce grâce aux repères donnés. Par son écoute et son regard, il est autorisé à devenir intimement acteur et à se déployer. Le cadre mis en place devient pour lui le lieu d’expression d’un impossible à dire, en particulier la soif de reconnaissance. Des révolutions sont nées au théâtre, ce dont l’histoire de notre pays offre un bel exemple. Depuis la scène, on a vu la plèbe réagir à une répression et se transformer en peuple : les hommes qui se mettaient au parterre restaient debout pendant tout le spectacle ; ils se bousculaient, bavardaient, regardaient les femmes aux loges. Il semble que cette situation tumultueuse augmentait néanmoins leur attention à ce qui se passait sur la scène et accroissait leurs réactions jusqu’à l’éclatement. Le peuple se donnait ainsi « le droit d’introduire ses doigts dans les rayons de la roue de l’histoire » (Max Weber). Il en est toujours épisodiquement ainsi, les révolutions arabes en étant un signe. Et dans notre propre contexte de vie ? Dans nos conversations, nous ne cessons d’évoquer certains maux d’une époque pressée : addiction à la vitesse des événements plutôt que propension à la prise de recul, vie privée effacée par l’abondance des réunions, multiplication des conseillers pour tenter de maîtriser la complexité des décisions, etc. Tout cela est en soi fragilisant parce qu’on court le risque d’alterner entre saturation de la scène professionnelle – côté cour – et moments plus personnels qui restent difficiles à gérer – côté jardin. Le site universitaire de l’UCL à Woluwe n’est pas sans lien avec notre contexte sociopolitique : d’une part, la tendance à la résignation par rapport aux lois d’airain de la mondialisation s’étend et, d’autre part, les pratiques participatives ne mobilisent plus. Oui, notre site universitaire, dans toutes ses réalités humaines, comporte également son côté cour et son côté jardin. Quel bonheur, heureusement, d’être partenaires de spectateurs / acteurs qui ne se laissent pas séduire par les discours et s’impliquent malgré tout pour la vitalité du site universitaire. Ils maintiennent un regard d’ensemble bienveillant sur les acteurs, l’espace, le jeu, les rituels mais aussi sur les répercussions d’une participation commune. Nous sommes particulièrement éblouis par la présence souvent discrète à leur côté des conjoints, amis et collègues qui rendent ces passages plus doux. Nous désirons être pleinement en cette place. Aux Cliniques, nous restons impressionnés par ces soignants ou membres du personnel que la maladie amène à devenir patients ; par ces cliniciens qui osent montrer leur part fragile aux stagiaires ; par ces patients qui deviennent des enseignants de la vie. Les coulisses du monde hospitalier mènent à rencontrer tel soignant peu sûr de lui, pris entre envie de sauver et consentement à la vulnérabilité ; ou ce patient supposé être fragile et qui manifeste une bouleversante capacité de résistance. En pédiatrie, les clowns ou les ‘Camps Valentine’ offrent aux enfants une transposition de leur univers médicalisé – côté cour – dans le registre symbolique – côté jardin ; ces moments de légèreté et de dégagement par l’imaginaire, véritable détournement fraternel et ludique, les aident à supporter l’hospitalisation. Que de passages et de retournements dont nous sommes les témoins directs ou indirects. Certains sont en cours. Par exemple, il était jadis convenu que les stagiaires médecins revêtent leur tablier blanc pour accueillir un malade invité à un cours clinique, parce que, dans le théâtre de la vie, il est aussi question de choisir son costume. Cette tradition se perdant, qui les aidera à inventer une nouvelle forme de respect envers le patient qui, pour se présenter à eux en auditoire, passe du milieu hospitalier – côté cour – au milieu facultaire – côté jardin ? Personne pour l’instant. Le campus universitaire trouve sa raison d’être de par la présence des étudiants. Ceux-ci y déploient leur expérience de jeunes adultes en équilibrant les engagements académiques et extra-académiques (kots-àprojets, mouvements de jeunesse, cercles, activités culturelles, etc). Vouloir les ramener à leurs seules études relève d’une étroitesse d’esprit dont nous sommes aussi les témoins. Les dimensions spirituelle, religieuse ou culturelle rappellent que nul ne peut être réduit à ce qu’il montre de lui ou à la conformité qu’une institution attend de lui. D’où vient le possible malentendu ? De ne voir en l’engagement extraacadémique – comme dans le théâtre d’ailleurs – qu’un divertissement. Pour nous, il s’agit surtout d’un détournement : détourner d’un rapport purement conformiste à la réalité et faire en sorte qu’elle se mue en une réalité désirée et rêvée. On ne cesse de le souligner : les nouvelles générations surfent sur la révolution numérique, sur les nouvelles technologies de communication. Côté cour, des anciens réagissent en méprisant ce qu’euxmêmes ne maîtrisent pas. S’ils se laissent détourner côté jardin, ils remarqueront plutôt que chacun apporte son message, sa voix, et que la conversation ainsi créée représente une nouvelle forme démocratique en mouvement. Il s’agit, entre autres dans les réseaux sociaux, d’être capable de négocier en permanence pour savoir ce qu’il convient de livrer de soi. Cela ne va pas sans risque d’épuisement. L’identité réduite à quelques critères semble désormais se construire par couches, l’une réelle, l’autre virtuelle, avec des contours imprécis. Ce réductionnisme est indissociable de l’exigence de transparence qui plaît tant à nos contemporains. Face à ces choix permanents, le temps n’est plus à une contre-culture qui supposait le refus des contraintes et des normes dominantes. Nous voyons plutôt émerger chez les jeunes en excès de repères – et non en manque ! – une attente de cadres et de clarté qui leur offriront un lieu de résistance qui les mènera à se situer, à se construire et – qui sait ? – peut-être aussi à se détourner. En ce début d’année académique, nous voudrions vous partager deux souhaits conjoints. Côté cour, clarifions et exprimons notre attente. Côté jardin, témoignons notre reconnaissance. abbé Guibert Terlinden [email protected] abbé Claude Lichtert [email protected] Les lettres collectives des années précédentes sont accessibles à la page www.uclouvain.be/30882