Premier Millénaire

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L'HISTOIRE ET L'ARCHITECTURE DES ÉDIFICES DE CETTE PÉRIODE
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Autre exemple de contre-histoire : la Croisade des Albigeois en 1209
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Légende :
Sac de Béziers en 1209.
Sur un croquis très schématisé extrait du manuscrit de la Chanson de la Croisade, on identifie au fond le toit
de la cathédrale de Béziers devant une haute tour qui s’est effondrée plus tard, en 1345.
La partie du texte de la Chanson relatant le sac de Béziers débute juste en dessous du dessin.
Le dessin et le texte concordent. Le dessin apparaît donc comme un « instantané » pris sur le vif au moment du
sac de Béziers.
Le texte ci-dessous constitue la seconde partie d’une conférence présentée devant la Société Archéologique
de Béziers en 2014. Cette conférence était ainsi intitulée :
Contre-enquête sur deux événements : le meurtre de Trencavel en 1167 et le sac de Béziers en 1209
Passons maintenant à la contre-enquête sur le sac de Béziers de 1209. Il faut comprendre que nos
connaissances sur cette Croisade ont été très déformées par les points de vue de ceux qui se sont engagés dans
un combat du coté occitan contre le centralisme parisien ou le catholicisme romain. Mais l’outrance de ce
combat a pu provoquer des réactions, tout aussi outrancières, dans l’autre sens. En conséquence, et
aujourd’hui encore, en dépit de toute l’objectivité dont se prévalent nos historiens, les points de vue peuvent
diverger fortement. Un exemple : combien de biterrois sont morts lors du sac de Béziers? les nombres oscillent
entre 100 000 et quelques dizaines. Je vais essayer de répondre à un seul de ces points.
Il s’agit du nombre de croisés présents à Béziers. En 2009 il y a eu commémoration du 800ème anniversaire du sac de Béziers. A cette occasion certaines initiatives ont
été lancées. Ainsi le père Georges Passerat à la fois historien, auteur d’un livre sur la croisade des enfants, prêtre et féru d’occitanisme est venu présenter le point de vue
de l’Église Catholique. Les Archives Départementales de l’Hérault ont publié sur Internet la traduction en français de tous les textes concernant le sac de Béziers. Et
enfin il y a eu parution d’un livre intitulé « En Languedoc au XIIIème siècle. Le temps du sac de Béziers ». C’était l’œuvre d’un collectif d’historiens sous la direction de
Monique Bourin.
Cependant, la plus importante des sources dont j’ai disposé n’est autre que ce livre intitulé « La Chanson de la Croisade Albigeoise ». Si cette histoire vous intéresse, je
vous en conseille la lecture. Il y a le texte original en un occitan ancien et sa traduction. Une traduction parfois très éloignée du texte initial. Mais l’existence de celui-ci
permet de corriger d’éventuelles erreurs. L’intérêt de ce texte réside aussi dans le fait que le premier de ses deux auteurs successifs, Guillaume de Tudèle, était
probablement présent lors du sac de Béziers. Et de plus, il s’avère le plus objectif Je vais donc aborder le problème du nombre de croisés.
Combien y avait-il de croisés lors du sac de Béziers ? En lisant l’étude faite par Martin Albera Cabrer, extraite du livre « Le temps du sac de Béziers » j’ai découvert que
Guillaume de Tudèle affirmait que le nombre de croisés installés à Beaucaire était de 220 000 : 20000 chevaliers et 200000 hommes de troupe. Or Martin Albera Cabrer
estimait, lui, que le nombre total ne pouvait dépasser les 30 000. Nombre qu’il estimait déjà très important pour l’époque. Selon lui, Guillaume de Tudèle, qui n’était
pas un homme de guerre et n’avait jamais vu d’armée en ordre de bataille ne pouvait estimer le nombre de soldats. Je dois dire que j’ai mal accepté que l’on puisse
remettre en cause les écrits de Guillaume de Tudèle, auteur dont j’avais apprécié la grande sagacité. J’ai donc cherché à évaluer le nombre de croisés. En voilà le résultat
: Le pont vieux date du Moyen-Âge. S’il y a un pont, c’est qu’il y avait à cette époque une route allant de Montpellier à Narbonne. La largeur du tablier de ce pont est
de 4,5 mètres entre les parapets et de 5,5mètres sans parapet. Les parapets n’existant probablement pas au Moyen-Âge deux charrettes pouvaient se croiser sur le pont. Il
faut de plus ajouter que, même à l’heure actuelle tout pont est un aménagement coûteux qui entraîne un rétrécissement de la chaussée. Ce qui devait être le cas au
Moyen-Âge. On peut penser que, hors du pont Vieux , la chaussée faisait au moins 6 m de large.
De plus il devait y avoir des fossés pour l’écoulement des eaux et un sentier pour les piétons. Soit, en tout, une bande routière de 7 mètres de large au minimum.
Par ailleurs la Chanson de la Croisade nous apprend qu’il y a eu un débat au sein de la population de Béziers pour savoir s’il fallait se rendre ou résister. Mais c’est un
chevalier qui a fini par persuader ses concitoyens de résister. Il avait appris que la troupe des croisés avait envahi tous les chemins et se répandait « sur une grande lieue
». En conséquence cette troupe, trop nombreuse, serait vite affamée.
Par contre, Béziers, protégée par ses puissantes murailles et bien approvisionnée pouvait tenir un siège de longue durée. Et les assaillants finiraient pas se retirer, de
guerre lasse. Ces choses étant dites, poursuivons notre calcul. Une lieue correspond à la distance faite par un marcheur en une heure. Soit environ 4km. Une petite
lieue correspond à 3km. Et une grande lieue, 5 km. La colonne des croisés avait une longueur de 5000 mètres. 5000 mètres fois 7 mètres font 35 000 m². Donc les croisés
occupaient au minimum une superficie de 35 000 m². Les italiens ont une bonne méthode pour mesurer le nombre de participants à une manifestation : 2 à 4 au m² ; En
choisissant le nombre minimum qui est 2 on obtient le nombre de 70 000 hommes ! Il s’agit bien là d’un nombre minimum et non d’une estimation moyenne du nombre
des croisés. En effet le nombre maximum est beaucoup plus difficile à évaluer. Car s’il y a un ralentissement ou un encombrement de la chaussée, les piétons essaient de
contourner l’obstacle en envahissant les champs avoisinant la route. Le flot continu de ces piétons peut donc être beaucoup plus large que les 7 mètres initiaux.
Par ailleurs il existait sans doute des routes venant de la direction de Montpellier autres que la Voie Domitienne. Ainsi la route située à l’emplacement de l’actuelle RN
113, venant de Pézenas. Enfin il a pu y avoir, parallèlement à la Voie Domitienne des chemins de traverse qui auraient été empruntés par des piétons. Si de plus on
estime à 3 le nombre d’hommes au m², on voit que le nombre de 220 000 croisés est loin d’être fantaisiste.
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Détail de l’image précédente : les « arlots » entrent dans Béziers.
Prenons maintenant le problème sous un angle différent. Imaginons que nous allions voir un inspecteur des Renseignements Généraux en lui disant ceci : « J’ai appris
que le 20 mai prochain il allait y avoir une manifestation nationale de la CGT. D’après vous combien y aura-t-il de manifestants ? ». Sa réponse sera la suivante : « Mais
Monsieur je ne peux rien vous dire. Il est très difficile d’évaluer par avance les mouvements de foule.
En temps normal une manifestation de la CGT mobilise 30 000 personnes au plus. Mais, en fonction des circonstances le nombre peut être de 10 000 ou de 300 000.
Supposez par exemple que la CGT réalise une manifestation unitaire c’est-à-dire qu’elle mobilise autour d’elle tous les autres syndicats, alors le nombre peut passer de
30 000 à 100 000. Si de plus le déplacement est gratuit. Si la plupart des municipalités amnistient les participants à cette manifestation pour les petits délits commis dans
l’année. Et si, en plus encore, on organise une gigantesque tombola permettant à chaque participant d’obtenir, sans mise de fond initiale, des cadeaux somptueux.
Alors soyez certains que le nombre de 300 000 sera largement dépassé ! ». Mais, me direz-vous une telle manifestation ne peut avoir lieu ! ». "Eh bien non ! c’est vous qui
vous trompez ! cette manifestation a déjà eu lieu. C’est la Croisade des Albigeois.
C’était d’abord une manifestation unitaire ! tous les princes qui auparavant combattaient entre eux s’étaient unis pour l’occasion. Les transports ont été gratuits. Dans
les précédentes croisades il fallait franchir la Méditerranée ce qui n’était pas donné. Il y a eu ensuite une promesse d’amnistie ou de pardon pour les petits délits. Et
enfin il y a eu une tombola gigantesque avec promesse de gains exceptionnels. Les premiers qui arrivaient chez un hérétique pouvaient emporter son argenterie. Toutes
les conditions étaient donc réunies pour que la Croisade contre les Albigeois mobilise un très grand nombre de participants.
Dernière remarque : Mr Martin Albera Cabrer nous dit que Guillaume de Tudèle n’ayant jamais vu une armée au Moyen-Âge ne pouvait effectuer une évaluation
correcte. J’avoue que c’est aussi mon cas : je n’ai jamais vu de déplacement d’armée du Moyen-Âge. Il me semble pourtant que, si j’avais été à la place de Guillaume de
Tudèle, accompagnant une armée susceptible de mener un combat, et d’un naturel craintif, j’aurais posé deux questions : « Combien on est ? » et « Combien sont nos
ennemis ? ». Durant tout le trajet entre Toulouse et Beaucaire, j’aurais vérifié le nombre de mes compagnons. Et à l’arrivée à Beaucaire je les aurai accompagné à
l’emplacement qui leur était attribué. Et j’aurais compté le nombre d’emplacements de même superficie attribués à la totalité de l’armée des croisés.
Une simple multiplication m’aurait permis de trouver le nombre de croisés. Je ne crois pas être un génie pour avoir inventé ce mode de calcul. Il me semble que
beaucoup d’autres que moi sont capables de la même démarche. Et, à coup sûr, Guillaume de Tudèle, qui était très intelligent, l’a fait. Ces trois études permettent
d’estimer que l’évaluation de Guillaume de Tudéle est cohérente et que le nombre de 220 000 croisés n’est pas du tout exagéré comme je l’avais cru auparavant. Il est
même possible que le nombre de croisés soit passé de 220 000 à Beaucaire à 300 000 à Béziers, gonflé par l’apport de nouveaux arrivants. Mais alors cette estimation
remet en question une foule d’idées.
La première d’entre elles c’est que les gens de Béziers n’ont pas été, contrairement à ce qu’on dit, fous et inconséquents. Ils n’avaient tout simplement pas imaginé une
telle foule contre laquelle ils ne pouvaient rien faire. Le nombre d’assaillants était au moins 30 fois plus grand que le leur. La deuxième des idées c’est que Arnaud
Amaury lui-même ainsi que les principaux chefs croisés ont dû être dépassés par les événements. Les combats ont été déclenchés sans qu’ils en aient donné l’ordre. De
même ils ne sont sans doute pas à l’origine de l’incendie qui a détruit la cathédrale. Cependant, étant les chefs, ils devaient en assumer la responsabilité. Loin d’être un
succès le sac de Béziers a dû être vécu comme un échec par la plupart des croisés qui y ont participé. Echec parce que de nombreux trésors convoités ont disparu dans
les flammes. Echec aussi parce que la cathédrale que l’on prétendait défendre a été détruite pas ceux-là même qui voulaient la défendre. Le lien entre les deux
événements Existe-t-il un lien entre les deux événements: la mort de Trencavel et le sac de Béziers ? A priori non.
Pourtant si on regarde de près, certains arguments permettent d’imaginer qu’un tel lien pourrait être effectué. Tout d’abord le fait maintenant établi que le meurtre de
Trencavel n’a pas été isolé dans le temps. Il a laissé des traces et l’acte de 1185, solennellement repris en 1194 montre que 27 ans après la mort de Trencavel, on en discute
encore. Mais il y a plus ! En 1205, l’évêque Guillaume de Rocosels, meurt. Son épitaphe annonce qu’il était « quasi-martyr ». Ceci montre qu’il y avait des problèmes à
l’évêché de Béziers. Et quatre ans plus tard c’est la Croisade. On voit donc qu’il existe une continuité des événements. Il y aurait aussi un autre lien : c’est Sainte
Madeleine ; En effet tous les textes parlant du sac de Béziers mentionnent Sainte Madeleine.
Le plus intéressant est celui de la Chanson de la Croisade : « So fo a una festa con di la Magdalena » « Ce fut à une fête qu’on dit la Madeleine » Il semblerait que
Guillaume de Tudèle ignorait jusqu’alors que le 22 juillet était la fête de Sainte Madeleine. Par la suite de nombreux auteurs entendent montrer que ce massacre a eu
lieu par une sorte de vengeance de Sainte Madeleine dont le temple avait été profané et contre laquelle les hérétiques avaient dit beaucoup de méchancetés. En gros, les
croisés ont effectué une sorte de transfert qui le dédouanait de toute responsabilité : « Ce n’est pas notre faute. C’est celle de Sainte Madeleine ».
Une idée se fait jour : avant même le déclenchement de la croisade les événements de 1167 devaient être bien connus du coté de Rome. Et Il devait y avoir un lourd
contentieux entre la papauté et la ville de Béziers. Si on résume ce qui s’est passé : après 1167 , la ville de Béziers a été excommuniée par le pape sur demande de l’évêque
Bernard. Il est probable que le pape, mal informé par l’évêque, a très mal compris l’attitude des habitants de Béziers. Ceux-ci, sûrs de leur bon droit – et nous avons à
présent des raisons de penser qu’ils avaient raison - ont dû se montrer très indépendants par rapport aux décisions du pape, s’en remettant à Dieu pour un jugement
meilleur. La ville de Béziers devait donc être considérée comme séditieuse et, par là, hérétique.
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Autre détail: les chevaliers partent à l’assaut après l’engagement des « arlots » .
Cette analyse remet en question tout ce qu’on savait sur la Croisade. Quel a été son véritable but ? Chasser l’hérésie ou mettre au pas des villes ou des pays rétifs à
l’autorité pontificale ? très certainement un peu des deux. Les hérésies qui se développaient dans le midi de la France mais aussi un peu partout dans la chrétienté ont
peut être été un alibi pour intervenir afin de mettre au pas des évêques, des religieux ou des laïcs rebelles à l’autorité papale. Une telle question doit être posée. Le fait
est que les textes mentionnant la présence d’hérétiques à Béziers sont succincts et peu convaincants Tout compte fait : Ces deux événements ont-ils eu de l’importance
? La réponse est oui! Pour le réaliser j’ai consulté diverses chroniques trouvées dans l’Histoire Générale du Languedoc. Ces chroniques n’offrent en général que peu
d’intérêt car elles sont très succinctes. Mais elles nous apprennent quels sont les événements qui paraissaient importants aux gens de l’époque.
Et on peut dire que pour les languedociens de l’époque la bataille de Bouvines n’a pas du tout eu l’importance qu’on lui attache maintenant. Aucun texte ne la
mentionne. Par contre l’assassinat de Trencavel , les prises de Béziers et de Carcassonne ont été très importantes. Plus même que la bataille de Muret. Mais il me semble
que l’affaire du sac de Béziers a revêtu une importance beaucoup plus grande au niveau de la hiérarchie catholique. On n’a pas de témoignage de ce qui s’est dit, par la
suite, entre évêques. Malgré ce on est obligé de constater que la Croisade des Albigeois a été la seule croisade qui s’est déroulée sur le continent européen. La papauté a
voulu tenter l’expérience d’une croisade sur son terrain. Et ça a mal marché. Ou plutôt ça a trop bien marché. Les organisateurs voulaient sans doute restaurer l’esprit
de Croisade qui devait commencer à s’essouffler en Orient. Ils espéraient pouvoir mobiliser une armée de 30 000 hommes, supérieure à celle du comte de Toulouse. Ils
en ont eu dix fois plus. Mais ces hommes ne s’étaient mobilisés que pour l’appât du gain.
La stratégie de Arnaud Amaury consistant à écraser Béziers de façon à obtenir la reddition immédiate des autres villes n’a été efficace qu’à moitié. Carcassonne et
Toulouse ne se sont pas rendues immédiatement. Très rapidement les chefs des Croisés se sont retirés de la Croisade refusant d’en assurer le commandement. Celui-ci
a été donné à un certain Simon de Montfort, après la prise de Carcassonne. « coms de Guinsestre so la gesta ne ment » le traducteur a donné le mot « Leicestre » et ajouté
en marge « en Angleterre » C'est-à-dire Leister; Je trouve quand même bizarre qu’un homme issu du centre de la France ait un comté en Angleterre. A mon idée Simon
de Montfort n’était comte de rien du tout ! De nombreux hommes d’église ont aussi refusé de devenir les évêques d’évêchés devenus vacants . Quant aux Croisades
l’église n’en a plus organisées sur le sol européen.
Donc, après 1209, l’église catholique aurait abandonné l’idée de régler, elle-même, par les armes, les problèmes de religion. Que ce soient des problèmes d’hérésie ou des
problèmes avec des puissances laïques. Par contre au même moment l’église a confié à des congrégations religieuses le soin d’instruire les affaires concernant les
hérésies, en laissant au pouvoir temporel le soin d’exécuter les sentences. C’est ce qu’on a appelé l’Inquisition » Voilà donc le texte présenté lors de cette conférence. Il
n’était pas question, dans un site traitant du premier millénaire (en fait de l’an 1 jusqu’à l’an 1100), de traiter des événements postérieurs à cette période. Ce texte a été
seulement inséré afin de servir d’exemple. Exemple d’une méthode d’approche en trois temps qui peut se résumer ainsi : Premier temps : Sensibilité et attention
particulière apportée aux incohérences ou aux détails qui clochent. Deuxième temps : Tentative d’apporter un raisonnement logique permettant d’expliquer ou de
corriger les incohérences. Troisième temps : Une fois le raisonnement logique trouvé, le poursuivre pour en déduire les conséquences. Cette méthode d’approche, on
la retrouve aussi bien dans la première partie de la conférence que dans la seconde partie.
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