Leçon 1 : Eléments de la théorie des probabilités Partie 1 : Probabilités et Hasard ➧ La théorie des probabilités permet de quantifier le hasard. Elle ne cherche pas à définir ce hasard. Ses fondements reposent sur des idées de simple bon sens, communément admises. On commence par l’exemple du dé, où l’intuition fonctionne facilement. Exemple : Le jeu de dé • Si on utilise un dé, à moins de vouloir tricher, on souhaite qu’il soit tel que chacun des nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6 ait la même chance de sortir. • Le modèle idéal du dé honnête confère donc à chaque face du dé une probabilité 1/6 • Un dé réel n’est jamais équilibré, ne serait-ce que parce que chaque face porte un nombre différent de trous, chaque trou correspondant à la perte d’un peu de matière • Le modèle du dé réel confère à chaque face du dé sa propre probabilité p1, p2,…, p6. Ces nombres sont ∈ [0, 1], a priori inconnus et tels que p1 + p2 +…+ p6 = 1 L5–1 Gilles DUCHARME (2012) ➧ L’idée d’additivité est basique en théorie des probabilités • Quand on jette un dé honnête, on conçoit que la probabilité de voir apparaître un nombre pair 2, 4 ou 6 est égale à la probabilité de voir apparaître un nombre impair 1, 3 ou 5. Chacune des deux réalisations a donc une probabilité 1/2. • Or 1/2 est aussi la somme des probabilités individuelles de chaque face : Pr{ 2, 4 ou 6 } = 1/2 = Pr{ 2} + Pr{ 4} + Pr{ 6} = 1/6 + 1/6 + 1/6 • Si on applique les mêmes idées au dé réel, la probabilité d’un nombre pair est Pr{ 2, 4 ou 6 } = p2 + p4 + p6 et la probabilité d’un nombre impair est Pr{ 1, 3 ou 5 } = p1 + p3 + p5. • Selon les mêmes idées, la probabilité de voir apparaître un multiple de trois est Pr{ 3 ou 6 } = p3 + p6 L5–2 (= 1/3 si le dé est honnête) Gilles DUCHARME (2012) Partie 2 : Indépendance ➧ L’idée d’indépendance est très importante dans les applications. Cette notion intuitive peut s’exprimer en termes de probabilités. On la comprend plus facilement à l’aide de l’exemple d’un jeu de cartes. Exemple : Jeu de 52 cartes • On choisit une carte au hasard dans un jeu de 52 cartes et on demande à un candidat de deviner si cette carte est un ♠, un ♥, un ♦ ou un ♣ • À moins de disposer d’un don, le candidat répond « au hasard » et il a, par conséquent, une chance sur quatre (13/52 = 1/4) de donner la bonne réponse • Supposons qu’on donne au candidat un indice : on lui dit que la carte est Valet… • Le candidat sait maintenant que la carte choisie est le V♠, V♥, V♦ ou le V♣ • Mais ceci ne résout pas son problème : le candidat doit toujours dire si la carte est un ♠, un ♥, un ♦ ou un ♣ !! L5–3 Gilles DUCHARME (2012) • Il a toujours une chance sur quatre (1/4) de bien répondre puisque qu’il y a un Valet de chaque couleur. • Les mêmes conclusions suivraient si on lui avait dit que la carte choisie était un « As », ou n’importe quelle autre valeur. ➧ Ici, l’information concernant la valeur de la carte n’apporte aucune information concernant sa couleur. ➧ On dit que la « valeur » de la carte est indépendante de sa « couleur» : toute réalisation concernant uniquement la valeur de la carte est indépendante de toute réalisation concernant uniquement la couleur de la carte. ➧ Comment cela se traduit-il en termes de probabilités ? L5–4 Gilles DUCHARME (2012) • La probabilité que la carte choisie soit d’une couleur donnée (♠, ♥, ♦, ♣) est p ♠ = p♥ = p♦ = p♣ = 1 (= 4 13 52 ) • La probabilité que la carte choisie soit d’une valeur donnée (A, R, D, V, 10,…, 2) est p A = pR = … = p 2 = 1 13 (= 4 52 ) • La probabilité d’une réalisation « valeur , couleur » comme par exemple V♥, est de 1 52 puisqu’il n’y a qu’un seul V♥ (idem pour les autres réalisations : R♠, A♦ etc..) • Or pV♥ = 1 52 = 1 13 x 1 4 = pV x p♥ ➧ Cette propriété caractérise l’indépendance des réalisations « la valeur de la carte est x » et « la couleur de la carte est y ». La probabilité de leur concomitance pxy est le produit des probabilités de chacune d’entre elles: pxy = px x py L5–5 Gilles DUCHARME (2012) On applique cette propriété au jeu de dés. Exemple : On jette deux fois de suite le même dé et on observe le résultat de chacun des lancers qu’on regroupe dans un couple (1er lancer, 2ième lancer) = (x, y) • Il est naturel de penser que les résultats des deux jets sont indépendants (le dé n’a pas de mémoire…). Ainsi, toute réalisation concernant uniquement le 1er lancer est indépendante de toute réalisation concernant uniquement le 2ième lancer. • On peut utiliser cette propriété d’indépendance pour calculer la probabilité de tirer successivement deux nombres donnés: p(3,6) = p3 x p6 (= 1 p(4,1) = p4 x p1 (= 1 p(2,2) = p2 x p2 = p22 L5–6 6 × 1 6 = 36 1 36 si le dé est honnête) si le dé est honnête) (= 1 36 si le dé est honnête) Gilles DUCHARME (2012) • De la même façon, Pr{Pair au 1er lancer et Impair au 2ième lancer} = Pr{(x = 2, 4 ou 6) et (y = 1, 3 ou 5)} = Pr{x = 2, 4 ou 6} x Pr{y = 1, 3 ou 5} = (p2 + p4 + p6) x (p1 + p3 + p5) Par commutativité du produit, c’est aussi la probabilité de tirer un nombre Impair suivi d’un nombre Pair • Pr{Multiple de trois au 1er lancer et Pair au 2ième lancer} = Pr{(x = 3 ou 6) et (y = 2, 4 ou 6)} = Pr{ 3 ou 6} x Pr{ 2, 4 ou 6} = (p3 + p6) x (p2 + p4 + p6) ( = L5–7 2 6 × 12 = 1 6 si le dé est honnête) Gilles DUCHARME (2012) Partie 3 : Formalisation ➧ On a besoin d’une formalisation de ces idées qui dépasse le cadre des jeux de hasard et qui soit utilisable dans toutes les circonstances où le hasard intervient. ➧ Une expérience aléatoire est une expérience dont on ne peut prédire à l’avance le résultat précis. On connaît cependant l’ensemble des réalisations élémentaires possibles de cette expérience aléatoire. On le note Ω. Exemples : (d’expériences aléatoires et de Ω) • Lancer d’un dé : Ω = {1, 2, 3,…, 6} • Lancer de 2 dés : Ω = {(1, 1), (1, 2),…, (1, 6), (2, 1),…, (6, 5), (6, 6)} • Choix d’une carte au hasard et examen de sa couleur : Ω = {♠, ♥, ♦ ou ♣} • Choix d’une carte au hasard et examen de sa valeur : Ω = {2, …, 10, V, D, R, As} ➧ Un événement (= une réalisation se rapportant à cette expérience aléatoire) est un sous-ensemble de Ω. Si ce sous-ensemble = Ω on l’appelle événement certain. L5–8 Gilles DUCHARME (2012) Exemple : Lancer d’un dé : Ω = {1, 2, 3,…, 6} • L’événement « résultat pair » = {2, 4, 6} • L’événement « résultat impair » = {1, 3, 5} • L’événement « résultat multiple de trois » = {3, 6} • L’événement « résultat supérieur à 4 » = {5, 6} Exemple : Lancer de 2 dés : Ω = {(1, 1), (1, 2),…, (1, 6), (2, 1),…, (6, 5), (6, 6)} • L’événement « le 2ième lancer est un multiple de 3 » = {(1, 3), (2, 3),…, (6, 3), (1, 6),.., (6, 6)} • L’événement « le 2ième lancer est le double du 1er » = {(1, 2), (2, 4), (3, 6)} ➧ L’ensemble vide ∅ est appelé l’événement impossible Exemple : L’événement « le résultat du 1er dé divisé par celui du 2ième est < 0» = ∅ L5–9 Gilles DUCHARME (2012) Partie 4 : Opérations sur les événements ➧ Les événements (= sous-ensembles) sont représentés par des majuscules E, F… En faisant des réunions (∪) ou des intersections (∩) de sous-ensembles, on fabrique d’autres événements : • E ∪ F est un événement qui est réalisé si E ou F sont réalisés Note : E ou F veut dire : E s’est réalisé ou F s’est réalisé ou les 2 se sont réalisés. • E ∩ F est un événement qui est réalisé si E et F sont réalisés Note : Si E ⊆ F on dit que l’événement E implique l’événement F. En particulier E ∩ F implique (⊆) E ∪ F • Si E ∩ F = ∅ on dit que les événements E et F sont incompatibles • E = Ω – E est le complémentaire (ou contraire) de E • F – E = F ∩ E = F – F ∩ E se réalise quand F est réalisé sans que E le soit. L5–10 Gilles DUCHARME (2012) Exemple : Représentation des opérations sur les événements • En jaune ou en vert, E • En bleu ou en vert, F • En vert, E ∩ F • En bleu, F – E = F – E ∩ F • En jaune, E – F • En jaune, bleu ou vert, E ∪ F • En blanc, (E ∪ F) L5–11 Gilles DUCHARME (2012) Exemple : Représentation des opérations sur les événements (cas E ⊆ F) Contour de E Contour de F F– E en jaune F–E=F∩ E =F–E∩F Ω L5–12 Gilles DUCHARME (2012) Partie 5 : Opérations sur les probabilités des événements ➧ On attribue la probabilité maximale à l’événement certain : Pr{Ω} = 1 ➧ Les probabilités des événements satisfont la propriété d’additivité : si E et F sont incompatibles ( E ∩ F = ∅) alors Pr{ E ∪ F } = Pr{E} + Pr{F} Cette propriété s’étend à un nombre quelconque d’événements 2 à 2 incompatibles : par exemple, si E ∩ F = ∅, E∩G=∅ et F ∩ G = ∅ alors Pr{ E ∪ F ∪ G } = Pr{E} + Pr{F} + Pr{G} L5–13 Gilles DUCHARME (2012) ➧ Comme E ∩ E = ∅ (incompatible) et E ∪ E = Ω, on a par additivité Pr{Ω} = Pr{E ∪ E } = 1 = Pr{E} + Pr{ E } d’où Pr{ E } = 1 – Pr{E} ➧ Aussi, en posant E = Ω et E = Ω = ∅, on déduit : Pr{∅} = 0 ➧ E ∩ F ⊆ F, et donc F = (E ∩ F)∪(F – E ∩ F). Aussi (E ∩ F)∩(F – E ∩ F) = ∅, d’où Pr{F} = Pr{E ∩ F} + Pr{F – E ∩ F } (additivité) ou encore Pr{F – E} = Pr{F – E ∩ F} = Pr{F} – Pr{E ∩ F } (5.1) ➧ En se reportant aux l’exemples, on voit aussi que E ∪ F est la réunion des événements 2 à 2 incompatibles E – F, F – E et E ∩ F Par additivité toujours, on obtient la formule de Poincaré (voir TD 5): Pr{ E ∪ F } = Pr{E} + Pr{F} – Pr{ E ∩ F } L5–14 Gilles DUCHARME (2012) Partie 6 : Probabilités et Indépendance ➧ Selon la définition mathématique, deux événements E et F sont indépendants si Pr{ E ∩ F } = Pr{E} x Pr{F} C’est ce qu’on appelle l’indépendance au sens mathématique ➧ La plupart du temps, la nature d’une expérience aléatoire permet de déclarer que deux événements sont indépendants. C’est ce qu’on appelle l’indépendance par nature. Dans ce cas, la définition mathématique est une propriété qui facilite le calcul de probabilités des événements. L5–15 Gilles DUCHARME (2012) Exemple : Considérons les événements • E concernant la valeur d’une carte et F sa couleur, • E et F concernant 2 jets différents du même dé, • E et F concernant chacun un jet de 2 dés différents, • E et F concernant la survie à un horizon de vingt ans de 2 personnes prises au hasard dans une population. • Par nature, ces événements sont indépendants. On peut donc calculer Pr{E ∩ F} par la formule : Pr{E ∩ F} = Pr{E} x Pr{F} On a vu par exemple : pV♥ = pV x p♥ ➧ Parfois cependant, la nature d’une expérience aléatoire ne permet pas de déclarer que deux événements sont indépendants. Il faut alors appliquer la définition mathématique. L5–16 Gilles DUCHARME (2012) Exemple : On considère l’expérience aléatoire consistant à choisir une personne au hasard dans une population et à observer si les événements suivants se réalisent (ou non) 1) E : elle est licenciée à une fédération sportive 2) F : elle fume • A priori, il n’est pas évident de déterminer si ces 2 événements sont indépendants. Cependant, supposons que l’on puisse calculer par d’autres chemins que Pr{ E ∩ F } = Pr{E} = 1 Pr{F} = 1 1 16 2 8 • Puisque Pr{E ∩ F} = Pr{E} x Pr{F}, on peut alors conclure à l’indépendance entre ces événements. C’est ce qu’on appelle l’indépendance mise en évidence L5–17 Gilles DUCHARME (2012)