COMMENT CONTRÔLER L’INFECTION EN RENFORÇANT LE SYSTÈME IMMUNITAIRE ? Vaccination thérapeutique Jean-Daniel Lelièvre Médecin et chercheur au sein du service d’immunologie clinique de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil et au sein du Vaccine Research Institute de l’ANRS et de l’Université Paris-Est, Jean-Daniel lelièvre est membre du Comité scientifique sectoriel 5 « Recherches en santé publique et en sciences de l’homme et de la société ». Nous avions envisagée initialement la vaccination thérapeutique comme des vacances thérapeutiques. Puis, petit à petit, cela a changé. Les perspectives d’utilisation sont aujourd’hui quelque peu différentes. Il est important, en parlant de vaccination thérapeutique, de refaire cette dichotomie importante entre d’un côté une cure stérilisante, donc une guérison, et de l’autre une cure fonctionnelle, que nous appellerons le contrôle. La définition de la guérison, c’est la rémission permanente de la maladie en l’absence de traitement. L’éradication du virus, c’est la stérilisation qui va nécessiter une purge des réservoirs et donc une mobilisation des cellules infectées. La guérison fonctionnelle, c’est un peu plus ce qui a été abordé plus tôt avec les Elites controllers, ou éventuellement avec VISCONTI sur les traitements précoces, c’est à dire contrôler le virus pour un temps donné, qui peut être très long chez les Elite controllers mais qui le sera peut-être moins dans les autres cas. Comparons guérison et rémission. La guérison, c’est ce que l’on voit dans les modèles de maladies infectieuses dont on peut complètement guérir, en dehors des maladies chroniques, cela implique l’élimination de toutes les cellules infectées par le VIH, avec une réplication virale qui se situe à moins de une copie par millilitre de sang et donc une stérilisation de l’infection. Avec la rémission, nous sommes plus dans le modèle du cancer. Il est possible de traiter un cancer et ne plus avoir de signe clinique, mais il peut y avoir une maladie résiduelle, qui va repartir, donner des métastases ou repartir directement sous la même forme lorsqu’il s’agit d’un cancer hématologique notamment et qui va donc nécessiter des traitements complémentaires. Le but c’est d’être plus en vacance thérapeutique en l’absence de 36 traitement antirétroviral, c’est plus de contrôler le virus et de l’amener en dessous de 50 voire de 20 copies par millilitre, donc de diminuer le niveau de la charge virale et non plus de complètement stériliser l’infection. Quel est le rationnel de l’utilisation du vaccin thérapeutique dans la prévention de la progression de la maladie ? C’est vraiment de prévenir les complications sévères de l’infection, en boostant les réponses immunitaires, quand ces réponses immunitaires sont incapables de contrôler l’infection. C’est aussi prévenir les complications finales de l’infection chronique, donc à la fois le déficit immunitaire sévère mais également les coinfections qui peuvent être particulièrement délétères (notamment quand il s’agit des hépatites chroniques) et toutes les maladies associées (notamment les cancers). C’est enfin restaurer une partie de la réponse contre un certain nombre de virus responsables de ces pathologies tumorales. Le virus persiste sous traitement, et dès que nous allons arrêter le traitement antirétroviral, il y aura un rebond viral qui en général se situe au même niveau qu’avant la mise sous traitement. Nous avons donc besoin de trouver des solutions pour contrôler cette réplication virale. Ici, c’est un petit peu la même chose, il existe une réplication résiduelle sous traitement antirétroviral, il n’y a pas d’évolution virale lorsque l’on est en dessous de 50 copies, pas de résistance au traitement sur ces faibles réplications, pas de modification de la virémie à bas niveau, pour l’instant, avec les différentes combinaisons que nous avons pu utiliser, mais il reste encore à démontrer qu’avec les nouvelles combinaisons de traitement nous ne pouvons pas impacter sur cette réplication résiduelle. Il existe une morbidité importante qui persiste sous ARV, avec les différentes pathologies déjà évoquées, qui sont liées notamment à l’inflammation persistante. Mais un certain nombre de ces pathologies sont également liées à l’utilisation des traitements, même si évidemment à l’heure actuellement pour la balance des bénéfices/risques de mettre sous traitement nous sommes très en faveur du bénéfice, il n’en demeure pas moins que les traitements antirétroviraux ont une certaine toxicité qui joue sur la survenue de certaines de ces pathologies. Le vaccin thérapeutique va permettre d’augmenter les défenses immunitaires et se mettre dans une stratégie globale, visant à mobiliser le réservoir et, à terme, à éradiquer peut-être un jour le virus chez un individu. Pour éradiquer ce virus, nous pourrions utiliser des agents immunomodulateurs capables d’impacter ce réservoir, nous pourrions modifier la latence comme nous avions essayé de le faire avec la Depakine®, nous pourrions utiliser de nouveaux antirétroviraux qui seraient plus efficaces et pénètreraient mieux dans les cellules, et donc dans le cas d’une intensification thérapeutique, jouer sur ces réservoirs. Evidemment le traitement antirétroviral précoce est bénéfique pour jouer sur le réservoir. Et enfin, augmenter les réponses immunitaires avec le vaccin thérapeutique. Les challenges et objectifs de cette vaccination sont donc de développer une réponse immunitaire la plus large possible afin d’éviter l’apparition de mutations permettant l’échappement. Mais aussi de booster la qualité de la réponse immunitaire au delà de celles induites par la fiction naturelle. Une réponse immunitaire permet de contrôler la charge virale. Malheureusement, au bout d’un temps, cette réponse immunitaire n’est pas suffisante et conduit à un échappement viral. Nous savons qu’elle existe, il faut probablement la renforcer. Toute la difficulté est de savoir quelle partie de l’immunité il faut renforcer pour impacter la réplication résiduelle et ses conséquences. Les Elite controllers restent le modèle pour le vaccin, notamment pour le vaccin thérapeutique. Ils sont capables de contrôler la réplication virale. Si nous parvenons à mimer ce que font les Elite controllers, nous devrions pouvoir être efficaces avec un vaccin thérapeutique. Les Elite controllers ont une réponse un peu large, c’est- à dire que lorsque nous observons les cellules qui répondent chez les patients qui sont Elite controllers, elles produisent différentes cytokines : de l’interféron, de l’IL-2 ; et lorsque nous observons des patients virémiques, ils ne produisent que l’interféron, mais ils n’ont pas de cellules qui produisent de l’IL-2 ou de l’interféron Gama. Le but avec un vaccin thérapeutique sera d’essayer d’induire des lymphocytes T CD8 qui produisent ces différentes cytokines. Nous apprendrons évidemment beaucoup de choses sur les Elite controllers, sur les mécanismes qui peuvent être mis en place dans la réponse immunitaire de ces sujets et sur le fait qu’ils sont capables d’avoir une charge virale ADN relativement faible. Quels sont, pour l’instant, les résultats ? Les réponses sont actuellement assez modestes ou ont besoin d’être confirmées. Nous pouvons probablement faire mieux que ce qui a été fait dans le passé, en utilisant de meilleurs immunogènes ou de meilleurs adjuvants, en combinant différents types de vaccins, et en les associant à des adjuvants un peu particuliers et à des médicaments capables de contrôler la réponse immunitaire. Beaucoup de stratégies de vaccinations thérapeutiques qui vont être développées par l’ANRS, vont l’être dans le cadre d’un programme, le Vaccine Research Institute, un laboratoire d’excellence qui à été mis en place cette année, qui est dédié à la recherche vaccinale contre le VIH, avec essentiellement une grande part sur la recherche de vaccins prophylactiques, mais également des essais sur la recherche de vaccination thérapeutique, en sachant que les outils sont à peu près les mêmes. Que va t-on développer comme outils dans le cadre de ce VRI ? Nous allons utiliser les cellules dendritiques, qui sont au centre de la réponse immunitaire, qui vont pouvoir éduquer les lymphocytes T CD4 et T CD8, et qui sont utilisés en dehors des stratégies de vaccination contre le VIH notamment pour le cancer. Nous utilisons donc des cellules dendritiques que nous récupérons chez des patients, que nous faisons mâturer et que nous réinjectons. Il y a maintenant des 37 COMMENT CONTRÔLER L’INFECTION EN RENFORÇANT LE SYSTÈME IMMUNITAIRE ? possibilités d’aller cibler ces cellules dendritiques in vivo. Ce sont ces essais qui devraient débuter dans les années à venir. Nous avons des essais qui sont un peu plus classiques, d’utilisation de vaccin thérapeutique qui visent à booster les réponses immunitaires avec des stratégies vaccinales un peu plus anciennes. Et, dans toutes ces stratégies, nous allons regarder évidemment l’augmentation de la réponse immunitaire, mais aussi le réservoir et les études des marqueurs de l’inflammation et de l’activation. Les deux essais qui ont déjà été effectués ou que nous allons débuter rapidement sont des essais qui ont été faits aux Etats-Unis, avec une promotion de l’ANRS. Ils ont été réalisés là-bas parce que l’utilisation de ces cellules dendritiques et la préparation de ces cellules nécessitaient une technologie qui n’avait pas pour l’instant été implantée en France. Dans l’essai DALIA, nous récupérons des cellules dendritiques, que nous appelons des monocytes, à des patients infectés par le VIH. Ces patients ont évidemment des critères extrêmement stricts : ce sont des personnes sous traitement, avec plus de 500 CD4 et il ne faut pas qu’ils aient eu au cours de leur évolution un taux de nadir trop bas ; parce que si nous sélectionnons des patients qui ont eu une forte immunodépression et que nous arrêtons le traitement antirétroviral très rapidement, la charge virale va remonter de manière très importante. Nous avons donc récupéré les monocytes et les macrophages, nous les avons stimulés in vitro pour en faire des cellules dendritiques. Nous avons mis des bouts de virus VIH pour stimuler ces cellules dendritiques et nous les avons réinjectées au patient. Après 24 semaines, nous avons arrêté le traitement antirétroviral et nous avons continué à les suivre encore 24 semaines. Nous avons observé de façon très rapprochée l’évolution en termes de CD4, de charge virale, et de réponse immunitaire. S’il y avait le moindre doute sur une remontée importante de la charge virale, nous remettions en place le traitement antirétroviral. L’ensemble des résultats de cet essai sera présenté à Seattle en 2012, mais nous avons des résultats intéressants en termes de réponses immunitaires dans cet essai. Un autre élément intéressant est l’interleukine-7 (IL-7). Elle peut remonter les 38 lymphocytes T CD4, agir sur les virus qui sont intégrés et agir également sur les réponses immunitaires. Elle est capable de stimuler notamment les réponses immunitaires contre le virus VIH. C’est ce que nous avions montré dans l’essai sur l’utilisation de cette cytokine, qui a été publié il y a deux ans dans le Journal of Clinical Investigation. Ceci a conduit à l’utilisation de ces stratégies dans lesquelles nous utilisons des cellules dendritiques, et de coupler ces stratégies avec de l’IL-7 pour augmenter les réponses immunitaires et pour jouer sur le réservoir. On fait la charnière entre d’un coté, la stimulation de la réponse immunitaire, donc la guérison fonctionnelle, et l’impact sur le réservoir, donc l’éradication. Pour finir, il y a des essais de vaccination thérapeutique un peu plus classiques, qui visent à utiliser des vaccins qui ne sont pas aussi compliqués que les cellules dendritiques, qui pour l’instant sont vraiment à l’état de recherche - Il y a eu très peu d’essais menés qui visaient spécifiquement à impacter ces cellules dendritiques. Nous allons commencer très prochainement un essai de vaccination thérapeutique, l’essai LIGHT, avec 105 patients qui sont tous sous traitement antirétroviral, qui ont plus de 550 CD4 et un nadir de CD4 supérieur à 300. Ces patients vont recevoir soit du placebo, soit deux vaccins différents : un vaccin ADN et un lipopeptide. Nous allons arrêter le traitement antirétroviral et nous allons observer l’évolution des réponses immunitaires 12 semaines après l’arrêt du traitement antirétroviral. Comme dans l’essai DALIA, le but est d’observer l’efficacité donc s’il y a le moindre frémissement important en terme de charge virale ou en terme de T CD4, nous reprendrons le traitement antirétroviral. Il reste encore beaucoup de choses en cours sur le vaccin thérapeutique, qui permettent à la fois de booster les réponses immunitaires et de jouer sur le réservoir viral. Les essais à mettre en place sont compliqués parce qu’il s’agit d’avoir des injections de vaccin, qu’il y a des interruptions thérapeutiques qui peuvent effrayer. Mais tout cela est important pour comprendre comment aller plus loin demain et comment vraiment impacter sur ce réservoir. Et tout cela est évidemment fait dans des conditions de sécurité qui évitent d’avoir des problèmes et la survenue d’évènements indésirables lors de l’arrêt des traitements antirétroviraux. n