Vers une approche non-présuppositionelle de "non plus"

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Vers une approche non-présuppositionelle de "non plus"
Francis Corblin
Université Paris-Sorbonne &
Institut Jean Nicod
Question générale :
•Doit-on intégrer les items comparables à l'anglais too (français aussi, non plus) dans la liste
des déclencheurs de présupposition?
Cf. Kripke, Heim, Soames, Van der Sandt et Geurts, Zeevat
Réponse : oui, mais…
•Programme de recherche : montrer que la réponse est non.
• Méthode : proposer une dérivation compositionelle des interprétations et contraintes
d'emploi qui ne fasse pas appel à la notion de présupposition.
Etape : analyser les expressions pas davantage et non plus.
Terminologie
Phrases elliptiques (VP ellipsis) : Jeanne non plus, Jeanne pas davantage.
Phrases non-elliptiques : Jeanne n'est pas venue non plus, Jeanne n'est pas davantage venue.
1. Deux usages de pas davantage
Comparaison à une quantité :
(1)
Marie a dépensé dix francs, et Jeanne pas davantage.
(2)
Marie a dépensé dix francs, et *Jeanne non plus.
(3)
Marie a dépensé dix francs, et Jeanne pas plus.
non plus
pas plus, pas davantage
Comparaison à une quantité NON
OUI
Jeanne a dépensé dix francs
*Marie non plus
Marie pas davantage/pas plus
Usage "étendu" :
(4)
Marie n'est pas blonde, et Jeanne pas davantage.
(5)
Kubrick n'est pas américain, et Rostropovitch pas davantage.
(6)
Marie est blonde, et *Jeanne pas davantage.
(7)
Cinq n'est pas pair, et neuf non plus.
Emploi étendu
Jeanne n'est pas blonde
non plus
OUI
Marie non plus
pas davantage
OUI
Marie pas davantage/* pas plus
L'emploi étendu : n'est possible qu'avec un antécédent négatif; il ne construit pas une
comparaison à une quantité précise exprimée dans la première phrase; il admet des
antécédents non-gradables.
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2. Emploi étendu en construction comparative.
(8)
Quatre n'est pas plus impair que huit
(9)
*Il est plus français que moi pape
(10) Il n'est pas plus français que moi pape
Comment s'interprète (10)? Il est F. et Je suis pape sont faux.
(11) Rostropovitch n'est pas plus américain que Kubrick.
Mais (12) signifie plutôt que P et Q sont vrais.
(12) Tu n'es pas plus français que moi. Pourquoi aurais-tu ces privilèges?
Gradable et degrés : (voir par exemple Kennedy, 2001).
(13) Pierre est plus grand que Jean
d1 (taille, Pierre) > d2 (taille, Jean).
(14) Pierre est moins grand que Jean
d1 (taille, Pierre) < d2 (taille, Jean
Et les non-gradables?
(15) ? Je suis plus célibataire que toi
(16) Pierre n'est pas plus grand que Jean.
(17) Pierre est aussi (autant) français que toi
(18) Kubrick n'est pas plus américain que Rostropovich
Système d'explication :
A n'est pas plus P que B
Si P est non-gradable, est interprété : (A est P) et (B est P ) ont même valeur de vérité.
On prédit donc dans ce système d'explication que les deux prédications, Kubrick est
américain/Rostropovich est américain, ont la même valeur de vérité.
On ne prédit pas les préférences fortes :
(19) Kubrick n'est pas moins américain que Rostropovich
(20) Il est autant américain que moi
(21) Il est autant pianiste que moi.
La structure supposée est :
K. n'est pas plus américain que R.
(K. est américain)
P
pas plus
que
pas plus
(que P')
Sémantique
P ↔ P'
Préférence
¬ P ∧¬ P'
(R. est américain)
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3. Emplois étendus anaphoriques (parfois traités comme présuppositionnels).
(22)
(23)
Marie n'est pas venue. Jeanne non plus/Jeanne pas davantage.
Marie s'est tue. Jeanne n'a pas bronché non plus.
Considérons que la grammaire doit admettre :
1. L'ellipse verbale
2. Les ellipses comparatives
Alors un lien à une phrase antérieure qui résout les ellipses est prédit.
La dérivation de ces emplois emprunte un schéma nécessaire par ailleurs : les comparatifs
peuvent laisser non-exprimé le second terme d'une comparaison.
Pierre est plus grand.
K. n'est pas davantage américain.
K. n'est pas davantage américain
(violoniste)
= Pierre est plus grand que x mentionné en contexte.
= K. n'est pas plus américain que x est américain
= K. n'est pas davantage américain que K. est y
Cela explique, à première vue, seulement que x doive être fourni par le contexte.
Mais il y a deux contraintes remarquables qui ne semblent pas en découler :
1. L'antécédent des versions à ellipse du verbe doit être une phrase négative, au sens strict,
comportant un marqueur négatif (pas, aucun, etc).
(24) Marie est venue. Pierre non
Marie n'est pas venue. Pierre oui
Marie n'est pas venue. Pierre non plus/pas davantage.
2. Les versions anaphoriques sans ellipse du verbe imposent une contrainte plus faible sur
leur antécédent.
(25) Pierre a refusé. Jean n'a pas davantage accepté/Jean n'a pas non plus accepté.
(26) Pierre avait un pistolet. Jean n'était pas davantage dépourvu d'armes.
(27) Pierre dormait. *Jean n'était pas non plus dépourvu d'armes.
Quelle contrainte ? Admettons la représentation suivante de (25) :
Pa
Pierre a refusé
#
P
Jean a accepté
pas davantage que P'
Pierre a accepté
Hypothèse 1 : la contrainte sur les non-elliptiques se formule comme :
(28)
Pa → ¬ P'
soit dans l'exemple : Pierre a refusé implique que Pierre a accepté est faux.
L'exemple (25) illustre la même contrainte :
Pa
P. avait un pistolet
#
P
J. était dép.d'armes
pas davantage que
P. avait un pistolet
→ ¬ (P. était dépourvu d'armes).
P'
P. était dep. d'armes
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Hypothèse 2 : la contrainte "dure" sur les elliptiques est dérivable de l'hypothèse générale.
Pa
M. n'est pas venue
M. n'est pas venue
*
M. n'est pas venue
#
P
Jeanne
Jeanne (est venue)
pas davantage (que)
Jeanne (est venue)
pas davantage (que)
P'
M. [est venue]
Marie (est venue)
* Point particulier : l'ellipse du GV emprunte le GV antérieur sans sa polarité.
Deux cas (théoriques) pour Pa :
1. Marie –Neg –GV
Jeanne –GV
pas plus que
Marie -GV
2. Marie-GV
Jeanne GV
pas plus que
Marie-GV
Considérant que Pa → ¬ P', une et une seule option peut être choisie, c'est à dire (1).
Ce qui est au cœur de l'analyse, c'est donc la contrainte générale : Pa → ¬ P'
D'où deux questions : Est-elle correcte empiriquement ? Si oui, comment expliquer l'existence de
cette contrainte ?
4. La contrainte Pa → ¬ P'
4.1 Couverture empirique :
La question des "résolutions partielles" (Zeevat) est couverte directement :
Marie ne mangera pas à NY. Pierre ne déjeunera pas à N Y non plus
Marie ne mangera pas à NY → ¬ (Marie déjeunera à NY)
4.2 Effet de cette contrainte :
- "Comparabilité" pour les comparative elliptiques totales (sans que) ?
(29) Marie est française. ?Pierre est plus grand.
(30) Marie est française. Pierre est plus grand qu'elle.
(31) Marie mesure un mètre trente. Pierre est plus grand
Insuffisant car :
(32) Marie est française; *Pierre n'est pas français non plus
En réalité, l'effet de la contrainte est de bloquer le système à la valeur faux.
(33) Marie est espagnole. Pierre n'est pas davantage français *et Marie est française par son
mariage, ….
(34) Pierre est professeur. Jean n'est pas plus professeur que lui. (ambigu)
En dehors de ce cas exceptionnel les deux propositions sont estimées fausses :
(35) Jean n'est pas davantage professeur que moi pape
Contraste :
(36) Jean est riche et Pierre n'est pas davantage professeur que lui
(37) Jean est riche. *Pierre n'est pas davantage professeur
C : deux voies d'explication : - "comparabilité" (nécessaire pour les comparatifs).
- "relation de discours" : la phrase antécédente doit garantir la fausseté.
Zeevat, H. (2002) " Explaining presupposition triggers" in VAN DEEMTER 2002, pp.61-87.
Van der Sandt, R. & Geurts, B. (2001) "Too", Proceedings of the 13th Amsterdam Colloquium.
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