texte : Premier livre des Rois, 3 / 1-15

publicité
texte : Premier livre des Rois, 3 / 1‐15 premières lectures : Psaume 119 / 121‐136 ; épître aux Romains, 8 / 28‐39 chants : 45‐08 et 36‐29 Sagesse. Salomon est un roi sage, et c’est justement ce texte qui l’expose au lecteur. Qui ne connaît l’histoire des deux prostituées se disputant un bébé ? Cela vient juste après l’extrait que je vous ai lu… Mais au fait, qu’est‐ce que c’est qu’être sage, quand on est un roi ? Sans doute est‐ce de faire ce que fait Salomon au début de cette histoire ! Il s’allie avec le plus puissant voisin, c’est‐à‐dire avec celui avec qui il vaut mieux être en bons termes. Il le fait à la manière des rois, c’est‐à‐dire en épousant une fille de son collègue égyptien, se plaçant ainsi comme un obligé de Pharaon… et en même temps disposant à demeure en quelque sorte d’un otage qui le protège, en attendant que sa capitale soit sécurisée par un palais, un temple et une muraille ! Sagesse toute politique, vous en conviendrez… Autre élément de cette sagesse politique : sacrifier à la même divinité que son peuple, au même endroit, de la même manière, quoique bien sûr en surabondance. Ainsi le roi montre‐t‐il au dieu qu’il lui offre beaucoup – ce qui sous‐
entend qu’il attend beaucoup en retour –, car le roi est aussi à la fois un grand‐prêtre qui agit à l’égard du dieu au nom du peuple, et aussi un ministre, qui reçoit du dieu ce dont il a besoin pour le représenter. Mais ce faisant, le roi montre aussi au peuple à la fois sa richesse, sa générosité, et donc son pouvoir. Un pouvoir qui est, naturellement, à l’écoute des petites gens, car c’est aussi sur elles qu’il s’appuie. Bref, à l’égard des voisins, à l’égard de son peuple, à l’égard de son dieu, Salo‐
mon est un roi sage. Fin de l’histoire ? Non, bien sûr. Car Salomon lui aussi aurait pu dire : « I had a dream… », un rêve qui peut changer l’histoire. Au début, tout semble avoir bien marché : Dieu a sans doute agréé l’offrande géante qui vient de lui être offerte. Mais pour‐
tant, il pose – en rêve – à Salomon une question bien saugrenue : « Demande ce que je te donnerai. » Comme si Dieu ne savait pas ce dont un roi a besoin. Comme si Dieu ne savait pas ce que veut Salomon, ce dont Salomon a besoin… À moins – comme vous le savez vous‐mêmes aussi bien que moi par expérience – à moins que ce ne soit Salomon qui ait besoin de dire, à moins que ce ne soit Salomon qui ait besoin de formuler une prière afin d’être porté par elle. Comme je l’ai lu quelque part, « la prière exauce Dieu », et c’est bien ce à quoi nous avons assisté : Dieu demande une prière. Dieu demande qu’on lui parle. Je suis toujours étonné de ceci, et un peu confus, car bien souvent je ne m’en sou‐
cie guère… Nous sommes sans doute comme Salomon, celui des premiers versets : nous faisons des choses pour Dieu, nous faisons ce qu’il faut, et pour certains sûrement plus, beaucoup plus, que ce qu’il faut. Ceux qui ont les moyens vont peut‐être bien jusqu’à « mille holocaustes » ! Mais il y a aussi des gens qui, tels certains des disciples de Jésus, se disent que c’est bien du gaspillage, et qu’il aurait mieux valu faire de l’argent avec tout ça pour le donner aux pauvres… (Mc. 14 / 3‐5) Mais Dieu « ne prend pas plaisir au sacrifice, [et] n’agrée pas d’holocauste », comme le disait le psalmiste (Ps. 51 / 18). Dieu attend autre chose : il demande qu’on lui parle. Dieu attend qu’on se livre à lui… C’est beaucoup plus difficile… La parole engage. La parole dévoile. On peut faire semblant, en offrant un sacrifice. On ne peut pas, en priant. Est‐ce pour cela que nous ne savons plus faire ?… Salomon va devoir ruser : Dieu est pire que les journalistes, il pèse chaque mot. Salomon va devoir montrer si sa sagesse politique est efficace ! En dire ni trop, ni trop peu… Est‐ce donc cela, la prière ? Sans doute pas. D’ailleurs, Salomon ne va pas y arriver : je vous ai dit qu’on ne pouvait pas faire semblant ! Quand on connaît ce qui est raconté de l’histoire de David et du début de celle de Salomon, il faut bien reconnaître que le roi se livre ici à un exercice de haute voltige… Qui a oublié l’adultère de David et Bethsabée, et ses conséquences ? Qui a oublié la guerre civile et familiale qui a marqué le règne de David après son coup d’État ? Qui ignore combien de ses frères Salomon a‐t‐il dû voir mourir pour être enfin un prétendant légitime à la succession de son père ? Et comment enfin oublier ce qui précède juste ce passage du livre, à savoir l’élimination physique de tout ce qui lui restait d’opposants ?… Certes, Salomon peut reconnaître la « grande bienveillance [de Dieu] à l’égard de [son] serviteur David », bienveil‐
lance d’autant plus grande qu’elle a souvent été imméritée ! Le nouveau roi suivra‐t‐il les traces de son père ? Peut‐être est‐ce un peu de cela qui est en jeu dans cette prière. Le « jeune homme [qui] ne sait pas gouverner » – soi‐disant – juste‐
ment, sait faire ! De quoi a‐t‐il besoin de plus ?… Le début de cette prière n’est peut‐être pas que de la flagornerie. La bienveillance de Dieu n’est pas une réalité creuse : Salomon reconnaît, serait‐ce à mots couverts, que le règne de son père n’aurait pas eu lieu sans cette bienveillance ; que sa propre accession au trône n’aurait pas eu lieu sans elle ; que son propre règne ne pourra pas avoir lieu sans elle. En fait, Salomon reconnaît que la sagesse politique, quel que soit le sens de ce concept, n’est pas la première chose dont il a besoin pour gouverner Israël. Il y a là une singulière humilité dans la prière de ce fils de David, membre d’une famille où « on s’est fait tout seul », comme pourraient le dire les gens. La confession que cette expression est fausse : non, on ne se fait pas tout seul, en tout cas pour un projet de cette sorte. La bienveillance de Dieu y est nécessaire. Pas un « plus », mais une condition sine qua non. C’est la seule chose qui fait de David et de Salomon autre chose que des dictateurs militaro‐religieux : ils sont au bénéfice de la bienveillance de Dieu. Et quand bien même cela ne se verrait pas de dehors, Salomon ici confesse qu’il le sait : sans Dieu, il n’est rien. Et quand bien même Salomon serait ici en situation d’exiger de Dieu que celui‐ci as‐
sume son choix, il confesse par l’humilité de cette prière qu’il sait bien que Dieu n’est obligé en rien. Dieu n’avait‐il pas d’ailleurs abandonné Saül, qu’il avait pourtant choisi et oint ? Non, Dieu n’est pas obligé. Et Salomon n’était pas obligé de le savoir… et pourtant il le sait, il le confesse, il con‐
fesse n’être qu’un serviteur qui reçoit de son maître ce qui est nécessaire à son service. Car ledit service n’est pas anodin : gouverner le peuple de Dieu, gouverner des gens qui ne sont pas moins que lui choisis et aimés de Dieu, avec la charge de leur montrer la route, de dire et de faire régner le droit et la justice. Dieu va prendre Salomon au mot. Il va faire ce que Salomon lui demande, tout en lui montrant qu’il a parfaitement compris ce que Salomon voulait, car la nature humaine est ce qu’elle est ! Alors, oui, Salomon sera riche et puissant aussi, mais surtout, surtout, si Salomon a compris que le principal était ailleurs, alors il sera rendu sage, c’est‐à‐dire qu’il trouvera en Dieu ce dont il a besoin. Chers amis, même si vous n’êtes ni rois, ni présidents d’aucune république, la leçon de tout ceci ne vous aura pas échappé. Les deux points que j’ai développés déjà, à savoir la prière et la nécessité de la bienveillance de Dieu, ces deux points qui sont liés, sont fondamentaux pour tout un chacun dans sa vie de tous les jours. Tout attendre de Dieu, et le lui demander. Il y a des gens qui attendent de Dieu, mais qui ne le lui demandent pas, c’est‐à‐dire qui ne se laissent pas eux‐
mêmes transformer par cette relation, par cette demande : ils ne peuvent évidemment rien recevoir… Et puis il y a des gens qui demandent à Dieu, mais qui ne s’attendent pas à ce qu’il réponde. C’est comme les gens qui sonnent chez vous, et qui sont déjà repartis quand vous ouvrez la porte : jamais ils ne sauront qu’elle s’est ouverte ! Attendez donc de Dieu ce dont vous avez besoin, et demandez‐le lui, dites‐lui que vous comptez sur lui… si c’est vrai… Mais par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que la situation de Salomon est quand même particulière : il est roi du peuple de Dieu. Permettez‐moi de vous rappeler que ceci est aussi votre cas, à vous chrétiens : « vous régnez avec le Christ » (2 Tim. 2 / 12). C’est dire que le cas de figure qui nous est montré dans le livre des Rois est bien le nôtre. Mais c’est dire de plus que nous aussi, nous avons des responsabilités à l’égard de gens qui nous sont confiés. Ce que vous savez bien, la plupart d’entre vous, pour le vivre ou l’avoir vécu. Et c’est pour ces responsabilités‐là que notre humble prière de demande est requise. Comme c’est le cas pour Salomon. Et plus encore. Cette prière nous fera aussi réaliser combien la nature et la grâce sont choses différentes. La na‐
ture, c’est que par génération, par choix, parfois par abus de pouvoir, nous exerçons ces responsabilités. Comme tout le monde. Tout le monde ou presque a ou peut avoir un conjoint, des enfants, des subalternes, etc. Ce que la prière de Sa‐
lomon implique, c’est à la fois de renoncer à cela, de renoncer à l’exercice naturel des responsabilités, et de les recevoir de Dieu, de les recevoir de nouvelle manière. Comme une mission et non comme un dû. Comme une vocation et non comme un héritage. Comme un cadeau et non comme un salaire. Je pense à ce texte connu, du poète libanais Khalil Gibran, dans Le Prophète : « Vos enfants ne sont pas vos enfants… » C’est un peu ça : bien sûr qu’il est naturel d’être parent, mais c’est autre chose de le recevoir de Dieu ; bien sûr qu’il est normal dans notre société d’être décideur, que ce soit dans le monde économique ou social, mais c’est autre chose de le recevoir de Dieu ; etc. Peut‐être le message le plus important de ce texte ce matin se trouve‐t‐il dans cette sorte de conversion. Deman‐
der à Dieu de nous aider à exercer nos responsabilités, c’est plus que lui confier notre mission et ceux au profit de qui elle s’exerce. C’est même plus que les lui confier, eux. C’est les recevoir de lui. C’est abandonner tout droit sur eux, et tout droit sur notre mission. C’est le même renoncement qu’Abraham a dû vivre, un jour, en marchant avec « son fils, son unique, celui qu’il aimait » en montant à la montagne de Moriya (Gn. 22). L’humilité de dire avec Salomon : « qui pourrait gouverner ton peuple ? » Ce que bien évidemment pasteurs et conseillers presbytéraux devraient se dire jour et nuit, et le dire à Dieu ! Mais aussi chacun de vous. Car vos enfants, vos subalternes, mais tout simplement aussi vos conjoints, vos voisins, vos collègues, vous sont confiés par Dieu. À vous maintenant de les recevoir de lui, c’est‐à‐dire de vous défaire d’eux et de vous en remettre à Dieu, non pas pour qu’il se serve de quelqu’un d’autre, ou de quelque autre moyen, quand la situation vous résiste !, mais pour qu’il se serve de vous, qu’il vous donne le nécessaire et le superflu afin que vous puissiez accomplir votre service, tout simple‐
ment répondre à votre vocation. Vivre devant Dieu, c’est accepter d’être changé par lui, et renvoyé différent vers les autres. Sage peut‐être. Vulnérable sûrement. Pacifié, sans aucun doute. Le nom de Salomon n’est‐il pas synonyme de paix ? Amen. Tours ‐ David Mitrani ‐ 27 juillet 2008 
Téléchargement