Le coureur de marathon: la preuve par lhistoire.

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LE COUREUR
DE MARATHON :
LA PREUVE PAR L’HISTOIRE
Après l’article du Dr. Jean-Pierre de Mondenard « La mort
de Philippides, la preuve par neuf » publisher
ces colonnes (No 257-mars 1989), M. Kléanthis Paléologos
doyen honoraire de I’Académie International Olympique
nous apporte la version historique de cet événement
mémorable. II y apparaît, fait remarqua et curieux à
noter, que le guerrier qui courut annoncer aux Athéniens
leur victoire sur les Perses à la bataille de Marathon, il y a
de cela quelque 2479 ans, n’est pas Philippides, — lequel
d’ailleurs ne s’appelait pas Philippides mais Pheidippidès,
qui courut ailleurs et c’est pourquoi on se souvient de son
nom — mais bien un inconnu... illustre s’il en est.
Et si, après sa course effrénée, mourut ce soldat inconnu,
ce ne peut être que d’enthousiasme débordant devant une
si grande victoire. Preuve immanente de l’histoire qui semble-t-il ramène, on va le voir, toute autre démonstration au
rang d’hypothèse quelque peu sacrilège.
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HISTOIRE
PHEIDIPPIDÈS
I
I existe un certain nombre d’auteurs qui
prétendent à tort que l’estafette diurne,
Pheidippidès — et non Philippidès comme
indiqué dans son article par le Dr de Mondenard — serait le guerrier qui, à l’issue de
la bataille de Marathon (490 av. notre ère),
courut jusqu’à Athènes porter la nouvelle
de la victoire grecque sur les Perses, avant
de s’écrouler et de mourir. Le prestige et la
diffusion mondiale de la Revue Olympique
m’offrent l’occasion de restituer ce haut fait
dans son contexte historique le plus vraisemblable.
Pheidippidès était une estafette diurne
de profession qui, en tant que messager
des cités grecques, acheminait les communications officielles des unes aux autres.
Les Athéniens l’avait envoyé quérir l’aide
de Sparte contre les forces perses qui, sous
le commandement de Datis et d’Arthaphèrne, venaient de débarquer sur la côte
de I’Attique et menaçaient Athènes. Les historiens ne sont pas d’accord sur I’importance des forces en présence, leurs estimations allant de cent à cinq cent mille
hommes.
Pheidippidès courut d’Athènes à Sparte
en deux jours. II convient de préciser qu’à
l’époque les messagers ne se déplaçaient
pas de nuit par crainte des animaux sauvages et des bandits. Comme l’indique leur
titre, ils étaient des estafettes diurnes. Ainsi
Pheidippidès en courrier expérimenté, prenant tous les raccourcis possibles à travers
la plaine et la montagne, réussit-il, comme
je l’ai dit, à couvrir la distance d’environ
1200 stades en deux jours, soit à peu près
220 kilomètres, le stade correspondant
grosso modo à 183 mètres.
Les Spartiates furent sensibles à l’appel
à l’aide mais se devaient d’attendre la nouvelle lune et d’achever au préalable leurs
rites sacrificiels. Et lorsque les deux mille
hommes, qu’ils expédièrent à la suite de
Pheidippidès, arrivèrent à Athènes, après
une marche forcée de trois jours, la bataille
de Marathon était terminée. Miltiade, à la
tête de huit mille Athéniens et d’un corps
auxiliaire de deux mille Platéens, alliés
d’Athènes, avait vaincu les Perses, les
forçant à fuir à bord de leurs navires, non
sans avoir abandonné dans la plaine de
Marathon des milliers de morts et un riche
butin. Dans ce contexte, on ne peut pas ne
pas saluer une fois encore l’exploit presque
incroyable des deux mille guerriers spartiates qui réussirent à couvrir la distance de
220 kilomètres en seulement trois jours.
Par Kléanthis
Paléologos
Voilà ce que l’on peut dire de Pheidippidès mais il convient de ne pas le confondre avec le guerrier, pratiquement inconnu,
qui annonça la victoire aux Athéniens.
Hérodote, l’historien qui, étant né entre
490 et 480 (avant notre ère) vécut assez
près de ce grand événement, raconte de
nombreux détails sur la course de Pheidippidès à Sparte (Livre VI, 105), ne dit rien du
soldat qui courut de Marathon à Athènes.
Pausanias, dans ses Arcadiennes, Livre H
de son Itinéraire de la Grèce, raconte que
Pheidippidès, tandis qu’il escaladait le
mont Parthénon, vit apparaître en face de
lui le dieu Pan. Celui-ci lui commanda de
dire aux Athéniens qu’ils les aiderait à vaincre les Perses. C’est pourquoi, quelque
temps plus tard, s’éleva sur l’Acropole la
statue du dieu aux pieds de bouc, avec
l’inscription de Simonide : « Les Athéniens
et Miltiade m’ont érigé, moi, Pan d’Arcadie
aux pieds de bouc, en reconnaissance de
leur victoire sur les Perses ».
LE COUREUR INCONNU
DE MARATHON
Voyons maintenant de quelles informations
historiquement prouvées nous disposons
en ce qui concerne le soldat qui, au sacrifice de sa vie, porta le message de joie,
celui de la victoire, à Athènes. L’historien
Plutarque, de beaucoup postérieur à Hérodote, puisque né entre 47 et 50 de notre
ère, et donc très éloigné de l’époque de la
bataille, mentionne deux noms de messagers. Le premier Thersippos Ereous et le
second Euclès Thersippou avaient été
repris d’Héraclide du Pont, contemporain
de Platon. Le passage où les deux noms
sont mentionnés (Ethiques, Livre B 347
C.D., Leipzig 1888) a la teneur suivante :
« Cette bataille de Marathon, ainsi que le
relate Héraclide du Pont, fut annoncée par
Thersippos I’Eroeus. Nombreux furent ceux
qui croient que ce fut Euclès qui courut en
armes, encore chaud de la bataille et qui,
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HISTOIRE
ayant atteint Athènes, tomba devant la première porte ayant juste le temps de dire :
« Réjouissez-vous », avant que de mourir,
son âme le quittant dans la joie »,
poussa à se lancer sur la route d’Athènes,
du bonheur anticipé d’être le premier à
annoncer la victoire de soulager l’anxiété
de son peuple.
II existe une autre version, légèrement
différente de ce même texte. En d’autres
termes : « Euclès courut de Marathon,
armé, chaud de la bataille pour annoncer
la victoire aux anciens de la cité qui attendaient assis, anxieux, l’issue de la bataille.
Réjouissez-vous, nous vainquons. Sur ce, il
mourut et dans la joie son âme le quitta ».
Je suis persuadé que les causes de sa
mort s’expliquent par les conditions de sa
course : la fatigue due à la bataille, la longue distance entre Marathon et Athènes
(42 km), la chaleur brûlante du soleil, I’impatience d’arriver à Athènes aussi vite que
possible et, enfin, la difficulté extraordinaire que représente — pour n’importe
quel soldat — l’obligation de courir une
telle distance dans les conditions que je
viens de mentionner.
En tant que fait historique, nous savons
ainsi qu’un soldat pratiquement inconnu
encore chaud de la bataille, encore en
armes, courut tout au long du chemin
jusqu’à Athènes porter le message de joie
de cette grande victoire.
Comment pourrions-nous aujourd’hui
2479 années plus tard mépriser cette décision d’incommensurable grandeur, prise
par un simple guerrier de courir ainsi porter l’heureuse nouvelle de la victoire au
peuple apeuré d’Athènes? Comment pouvons-nous aujourd’hui nous méprendre sur
cet acte de haute moralité et nous interroger pour savoir si ce soldat de I’Antiquité
n’aurait pas été dopé ? Je considère cette
pensée à tout le moins comme un manque
de respect à l’égard de cet événement historique et comme un manque de respect
envers l’histoire elle-même. Car devant
l’enthousiasme sans limite de cette grande
victoire contre un ennemi supérieur en
nombre, le désir ardent d’un soldat
inconnu d’en faire l’annonce à son peuple
angoissé, la haute moralité d’un soldat qui
ne songe pas un seul instant à la fatigue ou
à l’épuisement, d’aucuns sont prêts à traduire ou à interprêter abusivement la force
morale de l’antique coureur de Marathon
en tirant un parallèle avec la situation
actuelle de dopage, alors peut-être est-il
temps de leur dire de quelles substances se
composait le dopage du coureur historique
de 490 avant notre ère : d’enthousiasme
débordant devant cette grande victoire, de
joie et de fierté d’avoir combattu dans
cette bataille victorieuse, de la conscience
d’avoir accompli son devoir en défendant
sa patrie, de cette grandeur d’âme qui le
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Le brave guerrier de cette bataille de
l’an 490 est devenu le messager héroïque
de Marathon qui apporta l’heureuse nouvelle de la grande victoire à Athènes. Si
l’histoire n’a pas retenu son nom, elle se
souvient de son acte qui ne devrait pas être
dénigré.
K. P.
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