Article original MOBILISATIONS VERTEBRALES ET DYNAMIQUE DES RACINES SPINAL MANIPULATIVE TREATMENTS AND CAUDA EQUINA FILAMENTS’ ANSWERS F. Le Corre*, E. Rageot**, C. Garreau de Loubresse*** * 13, avenue Duquesne, 75007 Paris, ** 43, avenue George V, 75008 Paris, *** Service du Professeur Th. Judet, Hopital R. Poincaré, Garches. Resume Summary e nombreux auteurs se sont intéressés à la biomécanique du rachis et à son influence sur les structures nerveuses et méningées rachidiennes. Aucun par contre à notre connaissance n'a étudié l'action des manœuvres manipulatives sur ces structures. Cet article a pour but de rappeler comment ces diverses structures sont affectées par ces manœuvres et par les mouvements quotidiens. D any authors have studied the motions of the spine and especially that of the intraspinal structures. Among these researches, none to our knowledge have studied the consequences of S.M.Ts (Spinal Manipulative Treatment) and their sideeffects on spinal medulla and cauda equina filaments. This paper intends to lay out some questions regarding SMTs including thrust techniques and the clinical facts observed. M Mots-clefs : Manipulations vertébrales - Racines nerveuses - Queue de cheval. Key-words : Spine - Manipulative treatment - Cauda equina filaments. RACHIS - Vol. 14, n°1, Mars 2002. 21 F. Le Corre, E. Rageot, C. Garreau de Loubresse armi les nombreuses hypothèses émises pour expliquer l'action bénéfique des manipulations vertébrales, celle d'une éventuelle mobilisation des radicelles intra-durales lors de l'impulsion manipulative semble n'avoir jamais fait l'objet d'une étude spécifique. Ce travail a donc eu pour but de voir comment ces radicelles réagissaient au cours de ces manoeuvres et pourquoi une traction brusque sur les membres inférieurs était la plupart du temps indolore en présence d’une sciatique même hyperalgique contrairement à la traction exercée sur les bras. Il s'est également intéressé aux conséquences de la manoeuvre de Lasègue sur ces dernières, et sur un autre plan aux articulaires postérieures lors des manoeuvres d’hyper-extension sé en flexion et en extension pour analyser le mouvement des articulaires postérieures. Puis une fois la laminectomie effectuée, après l’avoir placé en décubitus latéral, des manoeuvres de mobilisation en cyphose et en lordose furent pratiquées successivement, ainsi qu’une flexion du membre inférieur tendu sur le bassin afin de voir les conséquences de ce test employé lors du Lasègue, isolément ou avec flexion antérieure forcée du cou. Les répercussions créées par la position assise furent également étudiées dans trois cas. P Resultats L’impact résultant des manoeuvres manipulatives employées classiquement au niveau lombaire a été apprécié sur : Materiel et methode L’étude a porté sur cinq cadavres frais et s’est déroulée dans le Département d’Anatomie du Professeur LASSAU, Université PARIS VI, entre Décembre 1995 et Mars 1996. L’équipe de recherche était composée d’un chirurgien du rachis et des deux autres auteurs ayant de leur côté une grande habitude des techniques manipulatives vertébrales. 1) l’état de prétension relative des radicelles en position neutre lors du décubitus latéral confirmant les travaux antérieurs mentionnés au cours de cet article. 2) l’importance du débattement axial parcouru par les racines entre le positionnement en cyphose et celui en lordose, et l'absence de déplacement longitudinal des radicelles L5 et S1 au cours de ces mobilisations. En cyphose les radicelles se tendent nettement et se rapprochent des parois latérales du canal rachidien. En lordose, elles se détendent complètement et prennent un aspect sinueux. Préparation des sujets Après les avoir placés en décubitus ventral, une incision médiane postérieure allant de T10 à S3 fut pratiquée pour exciser le tissu cellulo-graisseux et les masses musculaires paravertébrales postérieures afin d’avoir un abord dégagé de la charnière dorso-lombaire, du rachis lombaire et de la face postérieure du sacrum. Cette préparation fut suivie d’une laminectomie postérieure étendue allant de T11 à S3 en respectant soigneusement les massifs articulaires postérieurs de chaque côté, sur lesquels furent fixés des index colorés sur les berges adjacentes de L5-S1, L4-L5, L3-L4, dans un sens sagittal prolongeant l’orientation des surfaces articulaires. Puis ce fut l’ouverture du sac dural entre T11 et S2. Des repères en fil de soie neurologique noire furent placés sur deux radicelles contiguës à 5 mm d’intervalle, au voisinage de leur pénétration dans leur recéssus respectif, sur L5 et S1 ou bien sur S1 et S2. 3) l’impossibilité d’obtenir la détente des radicelles en asseyant le cadavre. Cette tension résultait de la bascule antérieure du bassin qui maintenait la charnière lombo-sacrée en cyphose importante, et il aurait fallu un aide supplémentaire pour asseoir correctement le sujet. 4) Au cours de cette étude, la mobilité des articulaires postérieures a fait l’objet d’une analyse soigneuse, lors de la flexion extension en décubitus ventral et latéral. Celle-ci s’est toujours effectuée dans un plan sagital strict. Aucun mouvement d’écartement ou de rapprochement transversal des index n’est apparu lors des manoeuvres. En lordose, les articulaires postérieures se sont constamment verrouillées complètement et aucun mouvement n’a été perceptible sur les berges mitoyennes respectives. Protocole suivi Au cours de cette étude, avant la laminectomie, alors qu'il était en décubitus ventral chaque sujet fut mobiliRACHIS - Vol. 14, n°1, Mars 2002. 22 Mobilisations vertebrales et dynamique des racines 5) Enfin la flexion antérieure du membre inférieur tendu sur le bassin, situé du côté libre, pratiquée dans le but de reproduire la manoeuvre de Lasègue, entrainait une tension des radicelles à partir de 80° par suite de la cyphose lombaire en résultant, analogue à celle observée lors des manoeuvres en cyphose décrites plus haut. La flexion forcée du cou en avant renforçait cette tension. Par contre ceci n’a eu aucune conséquence sur les repères de soie noire posés sur les radicelles L5, S1 et S2 qui sont restés fixes les uns par rapport aux autres longitudinalement. du sac dural et de la moelle épinière et le faible retentissement des mouvements extrêmes sur les différentes structures nerveuses intrarachidiennes grâce à l’élasticité du sac dural, à la présence du LCR, et au contenu péridural (tissu aréolaire, plexus veineux). En 1963 après avoir comparé leurs recherches anatomiques et 102 myélographies prescrites lors de sciatiques, Breig et Marions arrivèrent à la conclusion que si le sac dural et les racines nerveuses étaient mobilisés seulement dans un cas sur deux lors des mouvements de flexion-extension, 1 fois sur 7 elles paraissaient non affectées. En 1976, en visionnant des films cinématographiques pris au cours de myélographies Rageot et Bernageau ont observé l’existence d’une ascension du cul de sac dural et des racines pendant la flexion du cou en avant. En 1981, à l’occasion d’une étude portant sur 40 myélographies lombaires de profil, effectuées en position assise, en flexion et en extension, Penning et Wilmink ont constaté une variation de longueur du sac dural moyenne de 7,8 mm au niveau sacré (entre 2 mm et 28 mm), contrastant nettement avec celle de 16,8 mm notée au niveau de la face postérieure du canal rachidien entre L3 et S1. Ces observations cliniques ont eu l’avantage de prouver qu’in vivo la mobilité axiale du sac dural était 2 fois plus importante que celle que Breig avait trouvé sur les cadavres. Au cours de leur étude, Penning et Wilmink ont également constaté que le sac dural occupait une position différente dans l’espace et que sa forme se modifiait. Discussion Les observations faites au cours de cette étude éclairent sous un angle nouveau les répercussions induites sur les structures nerveuses intra-canalaires par les manœuvres manipulatives vertébrales, et viennent compléter les connaissances acquises au fil des travaux sur la biomécanique vertébrale. Au niveau du canal rachidien Les modifications constatées entre la flexion et l’extension sont loin d’être négligeables, puisque pour l’ensemble du rachis, après étude de 24 cadavres, Louis a conclu à une différence de longueur de 6 cm (3 cm pour le cou, 3 mm pour le dos, 3 cm pour les lombes). Au niveau de la moelle épinière et des enveloppes méningées, les travaux ont mis en évidence la persistance d'une légère tension en position neutre au niveau RACHIS - Vol. 14, n°1, Mars 2002. 23 F. Le Corre, E. Rageot, C. Garreau de Loubresse Le retentissement sur les racines nerveuses a fait aussi l’objet d’études sur les conséquences entraînées par la flexion, l’extension et la flexion latérale. Sur le cadavre, la flexion complète retentit très faiblement sur la racine L4, alors que pendant ce temps-là il existe une variation de 2 à 5 mm pour les racines L1 et L2. En 1981, Louis a signalé de son côté que les racines de la queue de cheval se déplaçaient axialement et que leur direction se modifiait lors de la flexion totale de la colonne vertébrale, la racine L3 gardant la même longueur. Les répercussions de la flexion latérale ont fait l’objet de moins d’investigations. En 1978, Breig les a étudiées minutieusement sur des cadavres. En décubitus latéral, il a remarqué notamment que tout dépendait de la position du cou et du tronc. Si le tronc était fléchi vers la gauche, la moelle épinière avait tendance à aller vers la table, entraînant de ce fait une tension des racines sus-jacentes (opposées au plan de la table), et un relâchement des racines situées du côté de la table. Les racines de la queue de cheval situées du côté de la table étaient détendues. L’inverse survenait en cas de flexion du tronc vers le droite. dernières au cours des manœuvres les plus fréquemment employées au niveau du rachis lombaire, en thérapie manuelle vertébrale. Elle a permis également de constater l’impaction et le verrouillage absolu des articulaires postérieures en hyperlordose, l’absence de mobilité longitudinale des radicelles lors de la flexion antérieure du membre inférieur tendu sur le bassin, la tension des radicelles lors de la position assise en cyphose. Elle nous amène dans notre domaine à formuler quelques réflexions. 1) La première reflexion concerne le verrouillage absolu des articulaires postérieures rapidement obenu lors de la mise en position d’hyperlordose, renforçant l’idée que le bruit sourd accompagnant généralement la manipulation dans cette position est d’origine sacroiliaque. En 1963, c’était d’ailleurs son but, et elle était répertoriée comme telle dans les milieux ostéopathiques. 2) La deuxième réflexion concerne la tension des radicelles lombaires observée lorsque le bassin a basculé en avant, apportant une explication plausible aux douleurs dont nous font part nos patients en position assise, et confirmant l’interêt de se tenir assis bien droit légèrement cambré. 3) La troisième remarque est liée à l’absence visible de tout déplacement longitudinal des dernières radicelles lombaires lors de la manoeuvre effectuée en décubitus latéral ou en amenant le membre inférieur en avant comme celle pratiquée lors du Lasègue, en raison des adhérences existants au niveau de l’orifice intracanalaire de chaque foramen. ■ Conclusion Même en ne méconnaissant pas les même modifications apportées par la laminectomie, et en sachant que la dynamique des structures nerveuses intracanalaires est deux fois plus importante chez le vivant comme les travaux de Pennick et Wilmink cités plus haut l’ont montré, l’intérêt de cette étude réside surtout dans l'observation des répercussions engendrées sur ces Bibliographie Breig A., Marions O. Biomechanics of the lumbosacral nerve roots. Acta Radiologica, 1963, 1, 6. Breig A., Troup J.D.G. Biomechanical considerations in the straight-leg-raising test. Spine, 1979, 6, 3. Grieve G.P. Common vertebral joint problems. 2nd ed. Churchill Livingstone, 1988. Le Corre F., Rageot E., Garreau de Loubresse C. Dynamique des racines et manipulations vertébrales in : RACHIS - Vol. 14, n°1, Mars 2002. Huguenin F. Acquisitions récentes en Médecine Manuelle. Masson, Paris 1996. Penning L., Wilmink J.T. Biomechanics of lumbosacral dural sac. Spine, 1981, 6. Reid J.D. Effects of flexion-extension movements of the head and spine upon the spinal cord and nerve roots. J. Neurol. Neurosurg. Psychiat., 1960, 23, 214224. 24