EDITORIAL Le virus H1N1 et le chirurgien ous savons tous que la saison de la grippe est à nos portes, mais personne ne sait quelle en sera la gravité. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déjà déclaré une pandémie et s’attend à ce que le nombre de morts grimpe en flèche partout dans le monde. La presse grand public révèle une préoccupation généralisée. Une recherche dans Google des mots «grippe porcine» et «grippe H1N1», en anglais et en français, donne environ 215 millions de résultats en tout. PubMed et d’autres bases de données d’intérêt strictement médical recensent plus de 800 références publiées cette année. En fait, Google a établi un partenariat avec la Public Library of Science américaine pour lancer un nouveau site web qui permettra aux chercheurs de partager sur-le-champ les résultats de leurs recherches et leurs idées sur le virus H1N1 avec l’ensemble de la communauté scientifique. Chaque matin, je lis au petit-déjeuner un article sur le virus H1N1 dans le journal. La semaine dernière, c’est avec grand intérêt que j’ai lu un article dans lequel le ministre de la Santé de ma province a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter des risques pour la santé et que les mesures actuellement en place étaient plus que suffisantes pour faire face à la nouvelle saison de la grippe. Cela m’a inquiété à la fois comme médecin et comme patient éventuel parce que je savais qu’au cours de l’année, le Québec était en fait devenu à un certain moment la deuxième région la plus dangereuse du monde où l’on risquait de contracter le virus H1N1. Son taux de mortalité était au deuxième rang, après le Mexique. Notre ministre de la Santé n’est pas le seul ministre qui, devant une éventuelle pandémie, a du mal à préparer la population et à assurer la prestation des soins de santé. Aucun ministre de la Santé au Canada n’a encore servi un mandat complet, et celui qui a le plus d’expérience à son poste l’occupe depuis seulement 3 ans. La ministre fédérale de la Santé est également relativement inexpérimentée. En quoi cela touchera-t-il les chirurgiens? Apparemment, cela nous touchera à bien des égards, en particulier si la nouvelle saison voit l’émergence d’une souche plus virulente, comme le prévoit l’OMS. Actuellement, les taux de réplication virale et le nombre de décès sont plus bas qu’au cours de la grippe espagnole de 1918. Nous ne savons pas cependant quels effets les modifications du virus auront sur son comportement au cours de la prochaine année. La saison de grippe sera difficile si la capacité du virus à infecter ou à tuer augmente, même légèrement. Les ressources des chirurgiens seront limitées pour plusieurs raisons. Les lits aux soins intensifs seront occupés par les victimes de la grippe. Les respirateurs se feront rares, car on s’attend à ce que les nouvelles souches s’attaquent N © 2009 Canadian Medical Association principalement au système respiratoire des jeunes patients. Certaines provinces tentent d’établir des critères de sélection pour déterminer qui pourra être branché ou demeurer branché à un respirateur si nous devons faire une place pour les victimes de la grippe. Normalement, ce type de prise de décision éthique, à savoir qui vit et qui meurt, devrait s’étendre sur des mois voire des années. Or, nous sommes contraints à résoudre la question dans les pro chaines semaines. Avec l’engorgement des services d’urgence, on pourrait connaître une pénurie de personnel hospitalier, y compris de médecins et de personnel infirmier. Je présume que la plupart des médecins ayant de jeunes enfants à la maison n’iront pas au travail sans s’être d’abord posé de sérieuses questions. Mais une autre question d’une importance égale pour le soin des patients est celle du personnel auxiliaire de l’hôpital. Les administrations des hôpitaux auront peu de moyens à leur disposition pour forcer les employés à rester au travail. L’absentéisme dans l’ensemble du secteur des soins de santé sera difficile à freiner. Nous allons perdre non seulement les personnes qui s’inquiètent pour leur famille, mais aussi toutes celles qui seront infectées ou devront prendre soin d’un proche. Les ministres provinciaux ont proposé des méthodes pour assurer le soin des patients. Certains ont suggéré des forfaits de remboursement jusqu’à concurrence de 500 $ de l’heure, tandis que d’autres envisagent d’adopter une loi qui ressemblerait à la conscription. Tous ces facteurs mettront évidemment les interventions chirurgicales électives en veilleuse pendant un certain nombre de mois jusqu’à ce que les programmes d’immunisation soient en place. Il va sans dire que les chirurgiens seront durement touchés financièrement s’ils ne pratiquent pas d’interventions chirurgicales. Cependant, le besoin d’effectuer des interventions chirurgicales demeurera. Il y aura les cas chirurgicaux obligatoires qui sont toujours présents : traumatismes, cancers, infections, abdomens aigus et ainsi de suite. Qu’ont prévu les bonzes provinciaux pour s’assurer que ces patients continuent de recevoir les soins nécessaires? Il ne semble pas y avoir de plan en place pour réserver des hôpitaux aux soins chirurgicaux urgents afin de s’assurer que les patients atteints de la grippe n’entraveront pas le traitement des autres patients. D’ici le moment où nous mettrons sous presse, j’espère que les ministres provinciaux m’auront prouvé le contraire. Edward J. Harvey, MD Co-rédacteur, Journal canadien de chirurgie Intérêts concurrents: aucuns déclarés. Can J Surg, Vol. 52, No. 5, October 2009 373