Les possibilités et les limites de l`hypnose dans l`approche de la

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Revue Médicale Suisse
Les possibilités et les limites de l’hypnose
dans l’approche de la médecine
psychosomatique
Auteur : A. Forster N. Kooger N. Cuddy
Numéro : 2476
Sujet: Psychiatrie
L’efficacité antalgique de l’hypnose est reconnue en clinique et des études
expérimentales récentes, utilisant des méthodes d’investigations pointues, le
confirment. Elle peut avoir un effet prépondérant dans la prise en charge de la
symptomatologie douloureuse en médecine psychosomatique. L’analgésie
hypnotique est de nature multifactorielle, la relation patient-thérapeute, la
qualité des suggestions, la motivation et les attentes du sujet vont influencer
l’impact de la transe hypnotique sur la modification du symptôme. L’hypnose
doit être utilisée comme adjuvant thérapeutique dans la prise en charge
globale du patient et doit être pratiquée par des thérapeutes formés, car elle
n’est pas dénuée d’effets secondaires ou de complications potentiellement
graves.
Introduction
En hypnose, comme en médecine psychosomatique, le pivot du traitement est le
symptôme. L'objectif de la prise en charge en hypnose est d'obtenir un changement de
la symptomatologie, par une relation «spécifique» entre le patient et le thérapeute.
Dans cette relation particulière, le thérapeute suscite un travail intérieur chez le
patient, lui permettant de développer ses compétences et sa créativité et de modifier
ainsi la manière dont il vit sa maladie.
Comme le disait Epictète : ce ne sont pas tellement les choses qui nous affectent, mais
bien l'opinion que nous en avons. La relation hypnotique permet donc, dans un modèle
constructiviste, de stimuler le patient à changer de réalité.1,2
L'hypnose a souvent été considérée à tort comme une médecine parallèle ou
complémentaire, ou une thérapie mystique empreinte de croyances folkloriques et s'est
ainsi trouvée marginalisée des thérapies de la médecine moderne.
Or, l'hypnose fait bien partie de la médecine moderne. Pratiquée depuis le XVIIIe siècle,
de nombreux articles relatant son efficacité sont publiés chaque année dans des
journaux médicaux, même les plus prestigieux. Dans un éditorial du Lancet de 1999,
Larkin reconnaît la validité médicale de l'hypnose puisqu'elle est admise comme
traitement médical par l'American Medical Association. De ce fait, elle ne peut pas
bénéficier des fonds de recherche pour la médecine alternative.2 Le développement de
l'électrophysiologie et l'avènement du PET permettent de mettre en évidence les
premières bases neurobiologiques de l'hypnose.3,4 Malgré l'absence d'une méthodologie
scientifique exigée (études contrôlées en double aveugle) en raison du caractère
purement subjectif de l'hypnose, sa place est de plus en plus reconnue comme un
traitement adjuvant valable.
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Alors que les indications à l'hypnose sont multiples, le but de ce texte est de se concentrer sur le symptôme douleur, qui est le domaine où l'hypnose a une place
prépondérante.
Définition
Hypnos, dieu du sommeil dans la mythologie grecque et frère de Thanatos, dieu de la
mort, suggère à tort que l'hypnose est associée à une forme de sommeil.
En fait, l'hypnose est une forme de concentration intense induisant un état de
conscience modifié, caractérisé par une réceptivité augmentée à la suggestion.5
La forme que prend la transe, sa profondeur et son impact dépendent de l'interaction
patient-thérapeute, de la qualité des suggestions émises par le thérapeute, de la
motivation et des attentes du sujet, du contexte social et culturel, et peu de son degré
d'hypnotisabilité. L'hypnose est un processus actif : elle peut stimuler le désir et/ou
renforcer la volonté propre du patient mais ne peut jamais aller à l'encontre de celle-ci.
C'est un phénomène naturel qui peut survenir spontanément dans un contexte
particulier (highway hypnosis, ou chez un sportif d'élite en concentration extrême, par
exemple).
L'hypnose n'est pas une thérapie en soi, mais est considérée comme un adjuvant
thérapeutique : la détente musculaire (antagoniste de l'anxiété), la modification des
perceptions, de la notion du temps, l'augmentation de la suggestibilité, la régression ou
la stimulation de l'imaginaire sont des effets reconnus pour une prise en charge globale
du patient.6
L'hypnose et la douleur
L'effet antalgique de l'hypnose est clairement démontré par de nombreuses études tant
expérimentales que cliniques, mais les mécanismes d'action sont peu clairs.
Deux hypothèses principales s'opposent. Pour certains, il s'agit d'un phénomène
purement psychologique (le modèle cognitivo-comportemental), où le patient est tout à
fait compliant à la suggestion du thérapeute, pour d'autres, il s'agit d'un mécanisme
biologique. Ces deux hypothèses n'étant d'ailleurs pas exclusives.7,8
La douleur, perception sensorielle et émotionnelle désagréable, modulée par de
nombreux paramètres cognitifs, socioculturels et environnementaux, nécessite une
prise en charge multidimensionnelle dont l'hypnose fait partie. Price et Barber ont
démontré dans une ancienne étude expérimentale que l'hypno-analgésie diminuait la
composante affective de la douleur («l'émotion désagréable») de 80% et sa composante
sensorielle de 45%.9
Une étude de Kiernan a mis en évidence l'effet inhibiteur descendant du cerveau vers la
moelle épinière par des suggestions hypnotiques : une diminution du réflexe
postsynaptique de RIII, qui est une façon d'objectiver le seuil douloureux, chez des
volontaires soumis à un stimulus douloureux.10 Forster et coll. ont confirmé ces
résultats en démontrant également que c'est la qualité des suggestions qui induisent
l'analgésie chez les sujets et non leur degré d'hypnotisabilité.11
L'imagerie cérébrale fonctionnelle a permis des études expérimentales mettant en
évidence des activations de certaines parties spécifiques du cerveau lors de l'hypnose.
Dans l'étude de Rainville,4 ainsi que dans celle de Faymonville,5 la modulation
hypnotique du désagrément de la douleur chez des volontaires était corrélée à des
modifications de l'activité dans le cortex cingulaire antérieur, sans modification de
l'activité des autres aires corticales qui sont normalement activées lors de stimulations
douloureuses. La signification physiologique de l'activation du cortex cingulaire lors
d'une suggestion hypnotique pendant une stimulation nociceptive n'est pas encore
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élucidée, mais démontre clairement que l'état hypnotique est différent de l'état de
conscience normale. Ces études pourraient suggérer un processus compétitif, entre la
perception de la douleur et une focalisation de l'attention par des suggestions visuelles
et/ou de mémoire obtenue par l'hypnose.
La gestion de la douleur par l'hypnose
La douleur est un phénomène beaucoup plus complexe, que ne le définit l'Association
internationale d'étude de la douleur. En plus des deux composantes, sensorielle et
affective, reconnues officiellement, d'autres dimensions (culturelles, sociales,
psychologiques) devraient être incluses. En effet, la douleur n'est pas seulement un
signal d'alarme révélant une pathologie, mais peut être aussi un moyen de
communication pour exprimer un mal-être, un moyen efficace pour communiquer à son
entourage que «quelque chose ne va pas», comme par exemple un conflit interne ou
externe, une dépression, une angoisse, etc. De plus, une symptomatologie douloureuse
permet, dans un certain nombre de situations, le plus fréquemment de manière
inconsciente, d'obtenir des bénéfices secondaires, comme par exemple, financiers dans
les cas d'une sinistrose, et/ou affectifs lors de difficultés relationnelles.
L'hypnose fait partie du domaine psycho-social de la médecine, son efficacité se base
essentiellement sur la qualité de la relation patient-médecin, et n'utilise pas,
contrairement aux autres thérapies possibles, d'interventions externes (médicaments,
attelles, chirurgie, etc.) pour traiter la douleur. De ce fait, elle aborde le patient
probablement de façon plus globale que les autres « thérapies physiques » de la
douleur, et tient compte davantage du contexte psycho-social, des attentes, des
représentations des patients. Par son approche holistique, l'hypnose peut permettre, en
plus de diminuer la composante sensitive du symptôme, d'augmenter la capacité de
faire face (coping capacity) à la douleur en favorisant une amélioration de l'hygiène de
vie, un sommeil de meilleure qualité, une meilleure alimentation, une meilleure
endurance à l'exercice physique. Elle peut transformer un patient passif se comportant
en victime, en un patient responsabilisé participant activement à sa prise en charge.
Une hypnose formelle nécessite l'intervention d'un thérapeute formé, qui sélectionne
les patients après une anamnèse, un examen approfondi et des examens
complémentaires si nécessaire pour confirmer ou infirmer un diagnostic. Il peut être en
effet dangereux de pratiquer l'hypnose dans les cas où elle occulte des symptômes
pouvant nécessiter un traitement chirurgical (une tumeur cérébrale par exemple) ou
médicamenteux (une céphalée d'une méningite).
Le thérapeute doit aussi sélectionner le patient sur son profil psychologique : l'hypnose
peut être moins ou pas efficace chez un patient qui retire consciemment ou
inconsciemment un bénéfice secondaire de son symptôme douloureux (financier ou
émotionnel), ou si le patient a une attente démesurée de l'intervention hypnotique
(disparition totale d'une douleur chronique par exemple). Afin de contourner ce type de
«résistance», un entretien individualisé peut s'avérer nécessaire pour expliquer le rôle
actif et la responsabilité du patient dans ce type de traitement, où l'objectif est une
amélioration de la qualité de vie sans nécessairement modifier les bénéfices
secondaires.
Une autre cause d'échec est la mauvaise compréhension des besoins du patient par le
thérapeute ; la douleur pouvant être un symptôme écran d'un «mal-être» plus profond
(dépression, conflits, etc.).
Malgré sa nature «non invasive», l'hypnose n'est pas une thérapie douce et nécessite
une sélection rigoureuse des sujets avant toute démarche, parfois même une évaluation
psychiatrique. La précipitation d'une décompensation psychotique à la suite d'une
séance d'hypnose est une des complications les plus redoutées.
Afin de ne pas suggérer des situations angoissantes durant la transe qui pourraient
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aboutir à des abréactions,5,8 il est également important de connaître le vécu émotionnel
du patient, ses souvenirs pénibles et désagréables, ainsi que la présence de phobies ou
d'autres troubles psychologiques.
L'hypnose formelle nécessite une approche explicite avec établissement d'un contrat,
fixant des objectifs précis, permettant un consentement éclairé du patient. Le contrat et
les objectifs seront différents pour chaque situation clinique.
Les patients présentant des douleurs aiguës sont souvent des bons candidats pour une
hypno- analgésie. Par exemple, un jeune brûlé, en raison de l'anxiété générée par la
perspective des douleurs lors des changements de pansements ou du stress face aux
perspectives des séquelles cicatricielles, sera très réceptif notamment aux suggestions
:12
anesthésique, en suggérant par exemple un contact avec de l'eau très froide rendant
insensible la partie à débrider ;
de substitution sensorielle ;
de déplacement de la douleur vers un endroit du corps moins vulnérable ;
d'une dissociation de l'esprit et du corps pendant les soins.
Chacune de ces techniques peut être utilisée individuellement ou se combiner ; la
difficulté principale étant de formuler des suggestions qui, pour être efficaces, doivent
être individualisées pour chaque patient, en fonction du contexte, des antécédents du
patient, de ses représentations et surtout de son vécu émotionnel.
Enfin, l'apprentissage de l'autohypnose doit faire partie du contrat afin de rendre le
patient plus autonome, plus actif, et de le rendre coresponsable dans le contrôle de ses
douleurs.
Dans le contexte de douleurs chroniques, l'approche est différente.
Prenons l'exemple d'un patient très sportif, qui suite à un accident de la voie publique
se trouve paraplégique avec des douleurs neurogènes importantes. Ces patients
souffrent souvent d'un état dépressif et ont une attitude négative envers les résultats
obtenus par toute intervention thérapeutique, y compris l'hypnose. Il est alors
important de définir clairement les objectifs du contrat : l'hypnose doit être un moyen
d'accompagnement dans la prise en charge globale du patient, afin qu'il apprenne à
faire face et à mieux gérer son état douloureux (to cope with).
Les buts de l'hypnose dans cette situation peuvent être :
de gérer la colère, aider à faire le deuil de ses compétences sportives ;
d'augmenter l'endurance, la puissance et la souplesse physique ;
d'améliorer le traitement de la douleur par des techniques de relaxation, de
modification comportementale ;
de diminuer la consommation des médicaments ;
d'améliorer le sommeil ;
d'augmenter sa confiance en lui dans la capacité d'assumer sa situation ;
de favoriser par un recadrage un nouveau système de valorisation et de
reconnaissance ;
de favoriser le retour au travail dans la vie active.
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Dans la douleur chronique, il est primordial de fixer d'abord un objectif concret et
facilement atteignable afin que le patient prenne conscience de l'impact de cette
approche. Par la suite, les objectifs peuvent être élargis et les résultats prolongés par
l'autohypnose.
Conclusion
L'efficacité antalgique de l'hypnose est reconnue depuis de nombreuses années en
clinique et des études expérimentales récentes, utilisant des méthodes d'investigations
pointues, le confirment.
Bien que les mécanismes d'action des effets des suggestions hypnotiques ne soient pas
encore élucidés, il est admis que l'analgésie hypnotique est de nature multifactorielle.
L'hypnose doit être utilisée comme adjuvant thérapeutique dans la prise en charge
globale de la douleur par des thérapeutes formés, car elle n'est pas dénuée d'effets
secondaires ou de complications potentiellement graves.
Dans les situations aiguës, tout intervenant peut se trouver face à un patient qui est
dans un état «d'hypnose spontanée», difficilement reconnaissable. Dans ce contexte, le
thérapeute doit alors être particulièrement attentif au langage utilisé, qui peut alors
être pris au premier degré et induire des réactions négatives, et éviter tout discours
ambigu. Le thérapeute devrait plutôt aider le patient dans cet état par des suggestions
claires et positives.
W
Bibliographie :
1 Melchior T. Créer le réel. In La couleur des idées. Paris : Seuil, 1998. 2 Watzlawick P. La réalité de la réalité. Paris :
Seuil, 1984. 3 Larkin M. Hypnosis makes headway in the clinic. Lancet 1999 ; 353 : 386. 4 Rainville P, Hofbauer RK, Paus T, et al. Cerebral
mechanisms of hypnotic induction and suggestion. J Cogn Neurosci 1999 ; 11 : 110-25. 5 Faymonville ME, Laureys S, Degueldre C, et al.
Neural mechanisms of antinoceptive effects of hypnosis. Anesthesiology 2000 ; 92 : 1257-67. 6 Raz A, Shapiro T. Hypnosis and
Neurodcience. Arch Gen Psychiatry 2002 ; 59 : 85-90. 7 Bourgeois P, Chamaa T, Forster A, Piguet V. La prise en charge de la douleur par
l’hypnose : Expérience du groupe d’hypnose des Hôpitaux universitaires de Genève. Med Hyg 2001 ; 59 : 1583-9. 8 Spanos NP. Hypnotic
behaviour- A social psychological interruption of amnesia, analgesia and «transe logic». Behaviour and Brain Science 1986 ; 9 : 440-9. 9
Price DD, Barber J. A quantitative analysis of factors that contribute to the efficacy of hypnotic analgesia. J Abnormal Psychology 1987 ; 96
: 46-51. 10 Kiernan BD, Dane JR, Philipps LH, Prise DD. Hypnotic analgesia redusces RIII nociceptive reflex : Further evidence concerning
the multifactorial nature of hypnotic analgesia. Pain 1995 ; 6 : 34-42. 11 Forster A. L’hypnose en anesthésie. Dans : Nouvelles techniques
en anesthésie générale, perturbations neuropsychiques périopératoires. JEPU Ed : J. Mantz, B. Riou, Création relation impression 1988 ;
163-70. 12 Forster A, Piguet V, Martensson M, Allaz A-F. Objective assessment of hypnotic suggestions by nociceptive flexion reflex.
Congrès annuel de l’ESA (European Society of Anesthesiologist), Paris, 1995. 13 Barber J. Hypnotic Analgesia : Clinical considerations. In
: Hypnosis and suggestion in the treatment of pain. First Edition. New York : W.W Norton & Company, 1996 ; 85-118.
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