Le patient et le médecin Pierre Biron Professeur honoraire de pharmacologie, Université de Montréal biron.pierre @videotron.ca Mots clés : relations médecin-malade [Physician-Patient Relations] Q. – Vous semblez vouloir régler vos comptes avec la hiérarchie hospitalo-universitaire française ; que lui reprochez-vous en particulier ? R. – Une structure et une mentalité désastreuses, surtout dans les plus grandes villes. Au lieu de former des professionnels qui savent écouter et entendre la patientèle, des généralistes dédiés à rendre un service médical, les hôpitaux universitaires sont en grande majorité les fiefs des praticiens spécialisés. On y trouve plus de « docteurs » que de soignants, des chefs de service qui se croient maîtres après Dieu, des gens en quête de statut, de promotion, de réputation, de fonds de recherche et de CV en n’en plus finir. La hiérarchie règne toute-puissante dans la fac et en bas de la pyramide on retrouve à différents niveaux les généralistes, les externes, les internes, les femmes, les immigrants, le personnel infirmier, les sagesfemmes et les patients. Le carriérisme, et la servilité face aux industries de la santé à la générosité infinie, l’emportent trop souvent sur la rigueur scientifique et la probité morale. Un grand nombre de mandarins ne sont pas devenus médecins principalement pour aider les malades mais pour bénéficier du statut et des privilèges parfois considérables que confère la profession. Il est temps de repenser totalement les critères de recrutement des étudiants en médecine. Q. – Ce n’est pas une spécificité française, les autres pays développés sont pleins de meneurs d’opinion intouchables. Mais, dites-moi, quels sont les principes fondamentaux de la bioéthique ? R. – L’autonomie du patient, dont on doit respecter les préférences concernant sa santé après l’avoir informé du pour et du contre dans sa situation clinique. Les décisions doivent être partagées. Un consentement non informé n’en est pas un. La bienfaisance exige que le médecin priorise les intérêts du patient et ne se place pas en conflit d’intérêts (personnels ou avec collègues, pharmaciens, laboratoires ou industries de produits de santé). La non-malfaisance, énoncée par Hippocrate il y a 2 400 ans, Primum non nocere. Il faut toujours se mettre à jour sur les risques des interventions diagnostiques et thérapeutiques et les avoir à l’esprit quand on prescrit. La justice, qui requiert qu’on prodigue équitablement les soins à tous les patients. Enfin, la confidentialité et la loyauté. Q. – La compétence peut-elle se passer de la relation de soin ? R. – Non, non et non. Il n’y a pas de véritable compétence médicale sans qualités relationnelles et pas de qualités relationnelles sans empathie. 1. Marc Zaffran. Le patient et le médecin. Montréal : Presses de l’Université de Montréal ; 2014. DOI : 10.1684/med.2015.1223 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. La recension de cet ouvrage de Marc Zaffran1 est présentée sous forme d’interview fictive où j’imagine comment l’auteur aurait répondu à certaines questions. Ce livre porte sur la relation patient-médecin. L’auteur, médecin de famille (1983-2008), écrivain, bloguiste en santé des femmes (Martin Winkler), n’a pas besoin de présentation en France. Dans cet ouvrage destiné à la patientèle et aux médecins qui acceptent de se faire dire leurs quatre vérités, il plaide en faveur de la priorité absolue d’une relation de soin dont il décrit les conditions pour qu’elle soit conforme à la bioéthique et sans lesquelles le « docteur » ne mérite pas ce titre quand il ne se comporte qu’en ingénieur du corps humain ou en vétérinaire sans prendre en compte et respecter le discours, les valeurs, les souhaits, la liberté, le vécu, la souffrance et la dignité de sa patientèle. VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels MÉDECINE mai 2015 227 VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Q. – Vous distinguez donc nettement la maltraitance de l’incompétence. Et la définissez comme le fait de « mal traiter » les patients et notamment les patientes, par des comportements inappropriés. Que comprend la maltraitance ? R. – Ne pas vous écouter, dénigrer votre point de vue, vous humilier, ne pas vous informer de votre dossier, ne pas répondre à vos questions, ne pas vous regarder, vous réprimander de ne pas lui obéir, reprocher vos remises en cause de ses prescriptions, s’opposer à un second avis, menacer de ne plus vous soigner si vous refusez une intervention, prescrire une intervention majeure sans consentement éclairé ou sans laisser le temps d’y penser, vous rendre mal à l’aise durant l’examen, vous culpabiliser à propos de vos comportements sanitaires, charger des honoraires imprévus, etc. Q. – Doit-on toujours refuser la « maltraitance » que vous décrivez ? R. – Exception faite des urgences majeures et, dans la mesure du possible, oui. Aucun diplôme, aucun statut, aucun titre ne peut justifier un comportement maltraitant. Il faut s’extraire de la situation, briser le silence. Q. – Que pensez-vous des infirmières ? R. – Beaucoup de bien. Les infirmières chevronnées en savent beaucoup plus que les jeunes médecins qu’elles forment et même que certains vieux médecins. La différence entre les deux professions ne tient pas tant aux compétences comme soignants que de leur statut, c’est une différence de classe. Q. – Que pensez-vous des sages-femmes ? R. – Beaucoup de bien. Souvent, elles en savent plus que les obstétriciens. Elles font tout ce qu’il fait ou devrait faire, sans avoir le même statut ni le même revenu. Q. – Qu’avez-vous appris de votre collaboration dans les années 1983-1989 à la revue Prescrire ? R. – L’omniprésence de l’industrie dans le paysage médical. Première revue française indépendante consacrée au médicament, totalement financée par les abonnements et sans interférence industrielle ou gouvernementale, Prescrire (et sa version anglaise Prescrire International) est un chef de file mondial des bulletins thérapeutiques indépendants. Près de 35 ans après la fondation de la revue, les mondiales du médicament continuent d’influencer la profession et ses meneurs d’opinion hospitalo-universitaires qui, impunément et sans aucune honte, se placent en conflits d’intérêts. Q. – Comme vous avez préfacé l’ouvrage Le grand mythe du cholestérol par Sinatra et Bowden, 2014, je me permets de vous questionner sur la statinisation à tout va qui sévit un peu partout. R. – Les normes physiologiques du cholestérol sanguin ont été fixées par des experts étroitement liés aux fabricants et 228 MÉDECINE mai 2015 l’utilisation phénoménale des statines est sans commune mesure avec les besoins réels de la population. Les médecins soigneusement désinformés prescrivent, y compris aux patients qui n’ont rien demandé, par bienveillance naïve ou conscience professionnelle mal avisée, des médicaments inutiles et dangereux à des personnes qui n’en ont pas besoin. Paternalistes, ils sont persuadés que forcer les patients à accepter leurs ordonnances est moralement justifié, ce qui inclut celles des statines. Q. – Vous avez eu une enrichissante expérience comme soignant auprès des femmes. Quels genres de maltraitances y avez-vous observés ? R. – Ne pas laisser le choix d’une méthode contraceptive, ne pas informer impartialement des avantages et inconvénients de chacune. Dénigrer le comportement sexuel ou son orientation. Culpabiliser ou banaliser l’avortement, ne pas respecter cette décision. Dénuder inutilement ou humilier durant l’examen gynécologique, ou le faire annuellement en routine. Manquer de respect durant l’accouchement, ne pas partager la décision des interventions qui l’entourent. La santé des femmes passe par l’autonomie, le droit de disposer de son corps concernant les dépistages, la fertilité, la grossesse, l’accouchement, la ménopause. Les sages-femmes méritent un statut de soignantes à part entière. Q. – Comme Québécois d’adoption depuis 2009, vous avez pu constater que trois médecins y occupent les fonctions les plus hautes après une élection tenue en 2014 (un neurochirurgien à la Chefferie, un radiologue à la Santé, un généraliste à l’Éducation). Ils sont déjà accusés de « dérapages éthiques », de « comportements d’enfants-rois » et de « promotion à leur niveau d’incompétence, selon le principe de Peter », alors doit-on s’interroger sur l’impartialité d’un médecin en politique ? R. – Le métier de médecin et la fonction d’élu sont incompatibles. Lorsqu’un médecin devient député ou ministre de la Santé, peut-il toujours mener une politique de santé équitable en suivant la ligne du parti qui lui a confié ce poste ? Mis en situation de pouvoir, personne n’est à l’abri de la corruption, les médecins pas plus que les autres. Les individus plus intéressés par le pouvoir que par le soin devraient s’engager d’emblée dans une autre carrière. Q. – Quel est le meilleur indice d’un soignant véritable ? R. – C’est quand on se sent systématiquement mieux en sortant de la rencontre qu’en y entrant. Q. – Vous proposez pour la sélection des étudiants en médecine une méthode quasi révolutionnaire. Pouvez-vous nous en parler ? R. – Il faudra lire le livre. Q. – Merci Dr Zaffran.