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EN ROUTE
MUSICOTHÉR APEUTE
« La musique est un
médiateur privilégié »
La dynamique musicothérapeute Sandra Lutz
Hochreutener distille des sons qui apportent à ses
patients le soutien et la sécurité nécessaires.
Sandra Lutz Hochreutener est partie étudier
la musicothérapie à Vienne. Elle a ensuite
obtenu son diplôme à l’école de Hambourg.
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Psychoscope 6/2016
Nom : Sandra Lutz Hochreutener
Métier : musicothérapeute, psychothérapeute, enseignante et auteure
Compétences : empathie, estime de
soi, authenticité et plaisir du jeu dans le
contact thérapeutique, flexibilité et créativité, répertoire d’interventions musicothérapeutiques très diversifié et connaissances
en matière de diagnostic
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d’autres façons d’exprimer ses tensions intérieures. Il
prenait plaisir à l’expression musicale et y a trouvé une
façon constructive de gérer ses impulsions. Petit à petit, il a commencé à verbaliser son irritation : « Je suis
en colère ! » ou « C’est injuste ! ». Ses référents savaient
mieux comment gérer ce mode d’expression que les
objets lancés à travers la pièce. Au lieu d’un ordre du
type « Arrête maintenant ! », on lui proposait alors le
dialogue : « Pourquoi es-tu en colère ? ».
JOËL FREI
Lors de sa première séance de musicothérapie, Kevin (prénom d’emprunt, n.d.l.r.) demande de façon
abrupte : « Quel est l’instrument le plus bruyant ? » Il se
dirige alors vers la grosse timbale située dans un coin
de la pièce. « Cette timbale est en effet un instrument
très sonore », répond la musicothérapeute au jeune garçon. « Tu peux battre le rythme dessus pendant notre
premier jeu. » Kevin a été adressé à Sandra Lutz Hochreutener par un psychiatre de l’enfance et de l’adolescence. Il poussait à bout ses enseignants et se montrait
agressif avec ses camarades : il lui serait même arrivé de
lancer des objets à travers la salle de classe pendant une
crise de colère. Ses parents se sentaient dépassés et le
battaient. Sur fond de troubles de la perception, Kevin
avait commancé à développer une angoisse de l’échec
et du contact avec les autres. « Sa stratégie pour y faire
face était de toujours être le plus fort et, dans notre
contexte, le plus bruyant. Cela lui permettait de garder
le contrôle », explique Sandra Lutz Hochreutener.
L’objectif de la thérapie était de l’accompagner
dans le processus de régulation de l’affect et de favoriser des expériences de groupe positives. La pratique
de la musique lui a progressivement appris de façon
ludique à élargir ses stratégies comportementales,
comme prêter la timbale à un autre enfant et jouer en
rythme avec lui. La musicothérapie lui a en outre offert
un cadre structuré pour verbaliser ses émotions. Auparavant, lorsqu’il se mettait en colère, il explosait et
cassait des objets. Lors de la thérapie, il a découvert
Des cours de flûte à la thèse de doctorat
La biographie musicale de Sandra Lutz Hochreutener commence par des cours de flûte à bec au jardin
d’enfants. Plus tard, elle ajoute le piano et le violon à
son arc. Cette jeune fille très vivante aime bouger et
danser sur la musique. Elle prend aussi des cours de
danse classique. Adolescente, elle rejoint les scouts, y
apprend la guitare et différents instruments de percussion. En 1973 et en 1974, pendant une année d’échange
aux États-Unis, elle découvre le mouvement hippie.
Après avoir obtenu sa maturité, elle décide de travailler
dans le domaine de la pédagogie curative. Cette entrée
directe dans la vie active est une alternative bienvenue
au quotidien très cérébral des études. « La génération
d’après 68 ne faisait pas d’études après le diplôme secondaire. On faisait autre chose. » Plus tard, elle décide
d’entamer des études à Rorschach (canton de SaintGall) pour devenir enseignante.
Mais sa passion pour la musique ne la quitte pas.
Après avoir lu un livre sur le sujet, la jeune femme interroge son conseiller en orientation sur les endroits qui
proposent des études de musicothérapie. En Suisse, il
n’en existe pas. Elle part donc pour Vienne. De retour
en Suisse, elle travaille comme musicothérapeute dans
un centre psychiatrique pour enfants et adolescents.
En 1984, avec des collègues, elle entame une formation de musicothérapie en cours d’emploi, intégrée à la
Haute école de musique et de théâtre de Zurich (nouvelle ZHdK). Afin d’approfondir les connaissances cliniques dont elle a besoin pour exercer son activité de
musicothérapeute indépendante à Gais, Sandra Lutz
Hochreutener obtient un diplôme postgrade en psychopathologie à l’Université de Zurich.
Elle ne perd cependant jamais de vue son activité d’enseignante. Aujourd’hui, elle dirige d’ailleurs les
deux formations postgrades en « musicothérapie clinique » et en « musicopsychothérapie » proposées par la
ZHdK. Elle joue un rôle déterminant dans l’élaboration
et le choix du contenu enseigné dans le cadre de ces
cursus. Outre ces activités, elle effectue également des
recherches en musicothérapie et obtient un diplôme
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Psychoscope 6/2016
Sandra Lutz Hochreutener a joué un rôle
déterminant dans l’élaboration du contenu enseigné dans le cadre des formations
postgrades en musicothérapie.
à l’école supérieure de musique et de théâtre de Hambourg (Allemagne). Un lien permanent entre pratique
et recherche scientifique qui porte ses fruits. Sa thèse
présentée en 2009 débouche sur la publication d’un
manuel aujourd’hui considéré comme la référence en
musicothérapie dans les pays germanophones.
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sans chercher à provoquer de réaction. Parfois, elle
décrit la cabane et ce qu’elle y voit. Il se produit alors
la chose suivante : la cabane reste fermée, certes, mais
deux peluches regardent vers l’extérieur par-dessus les
tambours. Au bout de quelque temps, les peluches – un
chien et un ours blanc – sont à l’extérieur de la cabane.
Aimée place même un harmonica dans les pattes du
chien. Un jour, la jeune fille prend une flûte à bec avec
elle dans la cabane et produit quelques sons. La musicothérapeute lui répond en jouant d’autres sons. Des
brèves séquences musicales se mettent ainsi en place,
au cours desquelles retentit la mélodie de la chanson
« I like the flowers », particulièrement appréciée de
l’enfant. À travers la musique, la petite fille trouve un
moyen de communiquer avec la thérapeute.
La musique touche, émeut et crée des liens. Utilisée comme moyen d’aller au fond des choses, elle produit des effets dans un cadre thérapeutique sur le plan
de la perception, de l’expression, de la communication
et du comportement des patients. Parfois, l’apport de la
musique va au-delà de ce qu’il est possible d’obtenir par
une thérapie basée sur la parole. L’une des patientes de
Sandra Lutz Hochreutener est atteinte de mutisme. Elle
a un jour confié à ses parents : « J’aime bien aller chez
la musicothérapeute. Elle me comprend sans que j’aie
besoin de parler. La musique, c’est pour le cœur. » ‹
Quand la peluche joue de l’harmonica
« La musique est un médiateur très privilégié », raconte
Sandra Lutz Hochreutener, dont le visage rayonne
et s’illumine littéralement à la prononciation de ces
mots. Son attachement à la musique se reflète dans
son approche thérapeutique. Le préalable essentiel à
une bonne relation thérapeutique est de créer une atmosphère favorisant un sentiment de sécurité. Comme
support thérapeutique, la musique se prête à créer
ce genre de « refuge », qui offre protection et sécurité.
« Cela s’applique à tous les champs d’application de la
musicothérapie : de la pédagogie curative à la gériatrie,
en passant par la psychothérapie, la médecine et la rééducation », explique Sandra Lutz Hochreutener. Dans
un cadre clairement défini, le patient définit lui-même
les règles de proximité et de distance. Il peut jouer sans
se sentir contrôlé ni critiqué.
Les enfants se créent souvent spontanément ce
genre de possibilités de refuge. Lors de ses séances de
thérapie, la jeune Aimée (prénom d’emprunt, n.d.l.r.),
qui est lourdement traumatisée, se construit ainsi une
cabane avec des chaises, des linges et des coussins de
canapé. Dans cette maison improvisée, elle peut se cacher. Au début de la thérapie, l’entrée de sa cabane est
barricadée avec des coussins et des tambours. La musicothérapeute fredonne ou joue des airs enveloppants,
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SYMPOSIUM DE MUSICOTHÉR APIE
Dissonances
La situation politique mondiale, de même
que les exigences de la société et les attentes
professionnelles à notre égard, évoluent sans
cesse. Ce contexte exige de la flexibilité et
des idées originales. En ces temps marqués
par l’insécurité intérieure et extérieure, les
musicothérapeutes utilisent la musique pour
procurer du soutien et générer un sentiment
de sécurité, mais aussi pour ouvrir de nouveaux espaces de dialogue. Quelle peut être la
contribution des thérapeutes dans le contexte
actuel de tensions ? Quel est le potentiel de la
musicothérapie ? Quels sont les projets novateurs menés en dehors du cadre clinique ?
Date : 28 janvier 2017
Lieu : Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK),
Toni-Areal, Zurich
Programme et inscriptions :
www.zhdk.ch/weiterbildung-musiktherapie
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