Les toitures végétalisées des cantons de Bâle et de Zurich se visitent et elles valent le détour ! Un exemple à suivre en matière de biodiversité urbaine. Un grand merci à Stephen Brenneisen et à Dusty Gedge pour leurs partages d’expérience passionnés et passionnants. Pour toute visite : [email protected] Pour en savoir plus sur les expériences anglaises : www.livingroofs.org Ont participé à ces visites pour Entrelianes : Daniel Truy, Vincent Delplanque, Elodie Watel et Hélène Allée. Rédaction du document : H.Allée et R.Pattyn – Iconographie : Entrelianes. Avec le soutien Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 1 De quoi parle-t-on ? Les toitures terrasses végétalisées ne sont pas une invention récente. Déjà Nabuchodonosor aurait créé les jardins suspendus de Babylone, classés comme la 2ème merveille du monde, capables d'accueillir arbres, fruitiers et fleurs. Plus près de nous, des projets architecturaux de prestige ont développé des terrasses jardins, mais également de vieux garages ou des cabanes de jardin nous offrent quelques fois un couvert végétal inattendu, tout à fait poétique et qui s’est installé spontanément grâce à la réunion improbable de certaines conditions d’accueil. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, le Canada, la Grande-Bretagne, la Suisse, dès les années 80, des mesures financières et règlementaires incitatives ont permis l’essor de ces aménagements. Il s’est agi principalement de répondre à des problèmes d’engorgement des réseaux de collecte des eaux de pluies grâce à la capacité de rétention des toitures terrasses végétalisées. Chez nous, ces dernières années, c’est sous l’impulsion des professionnels de l’étanchéité que les toitures terrasses végétalisées (TTV) sont de nouveau envisagées comme une perspective d’aménagement intéressante. Elles se présentent essentiellement sous la forme d’un modèle standardisé de TTV extensives et connaissent un essor relatif qui mérite d’être encouragé. Cependant, si ces TTV constituent des aménagements esthétiques et à l’utilité reconnue unanimement pour la rétention en eau, la protection de l’étanchéité et le confort thermique, elles ont un trop faible intérêt pour la faune locale. Or, avec la raréfaction des espaces de nature en ville (densification des tissus urbains et renouvellement de la ville sur elle-même), les espèces qui s’étaient acclimatées à la vie de nos cités voient leurs habitats disparaître. Il semble nécessaire aujourd’hui, que les bâtiments, comme l’ensemble des parties constitutives de la ville, interrogent leurs capacités d’accueil du vivant au regard de la crise majeure que traverse la biodiversité. Ainsi, les toitures terrasse végétalisées doivent se positionner également en tant qu’espace ressource à la faune urbaine : nourrissage et nidification. Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 2 Le contexte règlementaire de pose de TTV extensive en France En France, les règles professionnelles de la conception et de la pose de toitures terrasses végétalisées, établies par des professionnels de l’étanchéité, du paysage et le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, précisent que les immeubles respectueux des normes de construction en cours sont en capacité d’accueillir une toiture terrasse végétalisée extensive (hauteur de substrat inférieur ou égale à 8 cm, végétation de type sedum) sans nécessité de renforcer leur capacité de portage. Encore faut-il que les capacités de portage initiales ainsi que l’étanchéité soient garanties avant toute intervention (sur bâtiment existant ou neuf) et que cette intervention respecte elle aussi les règles professionnelles à savoir ce qui concerne : les couches filtrantes et drainantes, le substrat (poids à sec, en eau, granulométrie…), les végétaux (taux de couverture et de reprise, résistance…), les règles concernant les reliefs techniques, la pente, les bordures, les futurs passages d’entretien, l’accessibilité technique et enfin les conditions de sécurité de pose . Ainsi, selon cette définition, le complexe de végétalisation extensive comprend l’ensemble des systèmes d’isolation, d’étanchéité et de végétation, et c’est l’étancheur qui, engageant sa garantie décennale, doit être responsable de la pose du système de végétation. Voilà un cadre bien bordé, qui offre toute garantie aux maîtrises d’ouvrage ! Rien n’est imprévu et il est ainsi possible de calculer sans erreur la vitesse d’évacuation de l’eau et l’inertie thermique, de garantir un taux de couverture végétale, de remplacer si nécessaire le substrat par son équivalent, de minimiser l’entretien, de protéger l’étanchéité des rayons solaires… Nous sommes ici dans un monde très rassurant, qui laisse très peu de place à l’improbable, et par là même au vivant : - 1. les sedums utilisés pour la végétalisation extensive ont été sélectionnés pour leur résistance particulière à la sécheresse. Or, chaque région développe d’autres espèces végétales caractéristiques des milieux secs, et les variétés de plantes mises en place sur les TTV ne les incluent pas Exemples de plantes de milieux secs en milieux naturels De plus, en climat tempéré voire méditerranéen, le sedum et les plantes succulentes forment de petites touffes et de petits tapis, ils ne se développent pas de façon continue sur des surfaces aussi importantes. Ils sont mélangés à des vivaces et des annuelles et forment ainsi un milieu plus complexe et plus riche dans lesquels des insectes, des lézards, des oiseaux trouvent ressources. Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 3 2. en milieu naturel, le sol qui accueille ces végétations est irrégulier, avec des zones d’ombre et de soleil, du bois mort, des touffes, des creux, des cailloux de tailles différentes. Ce n’est pas le cas du substrat de toiture terrasse extensive qui doit avoir reçu un Avis technique favorable (produit certifié), être posé de façon homogène et par là même garantir son comportement quelques soient les conditions climatiques. La professionnalisation de la pose de toitures terrasses végétalisées est pour autant une très bonne chose. Les bien-fondés professionnels ne sont pas à démontrer. Il s’agit simplement d’intégrer un nouvel objectif de qualification des TTV qui est celui de l’accueil du vivant et ce, tout en répondant aux contraintes techniques incontournables et nécessaires à la garantie de comportement de ces installations. Il s’agit de trouver une voie du milieu en répondant collectivement, avec des représentants de l’ensemble des parties, aux questions suivantes : 1. quels milieux secs régionaux peuvent inspirer l’aménagement de toitures terrasse végétalisées extensives ? Quelle faune est concernée, en ville, par de tels milieux ? 2. quelles natures de composition de substrats peuvent appuyer la reconstitution de milieux secs régionaux de substitution comme une toiture terrasse végétalisée extensive ? 3. jusqu’à quel pourcentage de surface ou de poids de matériaux, est-il possible d’intégrer à un substrat répondant aux normes, des éléments différenciés qui ne remettraient pas en cause les qualités recherchées de ce substrat ? Quels sont ces éléments ? Quelles conditions de pose et de mise en place doivent-ils respecter ? 4. quelle végétation locale, adaptée aux milieux secs peut être introduite sur des toitures végétalisées extensives ? La réponse à ces questions suppose des croisements de champs de compétences et l’ouverture de dialogues qui n’ont pas encore été initiés en France. Pourtant ce sont des questionnements qui ont déjà trouvé leurs marques dans de nombreux pays ! La Suisse par exemple, nous démontre que faire des TTV favorables à l’accueil faune-flore et également respectueuses des normes de construction, c’est possible !! Alors nous vous invitons à une petite visite des toitures des cantons de Zurich et de Bâle. Suivez le guide ! Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 4 L'exemple suisse de la création de nouveaux espaces de nature en ville Parce que la raréfaction des milieux secs naturels comme des grèves ou prés calcaires et de certains de leurs milieux de substitution urbains comme les friches industrielles, les délaissés de voie ferrées… avait été constatée dans le Canton de Bâle, les autorités ont décidé de trouver de nouveaux espaces pour les reconstituer. Des mesures financières incitatives ont été mises en place pour expérimenter, sur une période de 2 ans, la création de « toits verts » chez les particuliers. En 2002, face au succès du dispositif financier, une législation a instauré l’obligation de végétaliser les toits plats (neufs ou rénovés) afin de fournir des habitats de substitution aux invertébrés, avec l’accompagnement obligatoire d’un écologue, chargé de valider le choix des plantes locales, du substrat et des différentes strates végétales. Grâce à cette initiative, près de 15% des toits plats de Bâle ont ainsi été végétalisés ce qui représente une surface non négligeable de la ville. Ces espaces amènent également de nouvelles capacités écologiques puisqu’il y a même eu expérience de nidification du râle des genets !! Hors de ce cadre légal particulièrement pointu, d’autres expériences ponctuelles, publiques et privées, avaient déjà été menées depuis de nombreuses années en Suisse. On y retrouve des initiatives originales en matière de toitures terrasses extensives, semi-intensives ou intensives. Mises bout à bout, elles constituent aujourd’hui un panorama remarquable dans le domaine des espaces de nature hors sol dont il convient de tirer enseignements et perspectives chez nous aussi. A Bâle, les nouveaux bâtiments Jacob Burckhardt-Haus Cette toiture végétalisée simple a présenté à nos yeux l’intérêt le plus grand parmi l’ensemble des visites que nous avons réalisées, dans la mesure où elle répond, dans sa simplicité même, tant à des contraintes écologiques qu’à des contraintes de construction. Apport de substrat de granulométrie et de poids différents, constitution de buttes et de micro reliefs créant ainsi des profondeurs variées, introduction de zones d’ombre et de lumière différenciées, mise en place de zones différenciées également au regard de l’humidité et du vent, apport de bois morts et autres matériaux naturels… voilà les éléments qui cherchent volontairement à reconstituer des milieux de berges de rivières locales. Cette conception s’est faite en intégrant le toit végétalisé comme une cinquième façade, respectant le guide de conception du canton de Bâle en utilisant notamment du substrat local et en créant des variétés d’habitats. Ces améliorations notables ont ouvert les capacités d’accueil du vivant de cet aménagement, rapidement colonisé par une végétation et une micro faune spontanées. Seul regret, que la diversification végétale (dans des proportions acceptables de mélange avec les sedums) n’ait pas eu lieu au moment de la mise en place. Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 5 Dans le Canton de Zürich, les toits plats de l’usine hydraulique de Wollishofen : un espace naturel protégé En 1914, les 3 ha de toits plats en béton de cette usine de filtration des eaux du lac de Zürich avaient été végétalisés dans la perspective d’assurer une meilleure régulation thermique de l’intérieur du bâtiment. La membrane d’étanchéité avait été recouverte d’une couche drainante de sable et de graviers de 5 cm, puis de 15 à 20 cm de terres arables provenant des terres agricoles alentours. Quelques 90 années plus tard, des relevés ont été effectués sur ce « jardin terrasse d’entreprise ». Ils ont permis d’identifier 175 espèces végétales différentes, dont certaines en danger ou devenues rares, ainsi que l’Orchidée Orchis Morio, considérée comme disparue de la région de Zürich. Ce toit est devenu le témoin « vivant » de la richesse de cette région au siècle dernier. Des travaux de réfection de la bordure de la toiture ont été exécutés mais aucune intervention n’a été nécessaire sur la membrane d’étanchéité elle-même. À retenir en particulier : l’ancienneté de cette expérience qui permet d’analyser l’évolution du milieu et notamment sa colonisation spontanée par des espèces locales disparues alentour et sans doute présentes dans le substrat au moment de l’aménagement de la toiture l’impact positif sur la durée de vie du système d'étanchéité, plus de 5 fois supérieure à la garantie de 15 ans définie par les professionnels la prise d’une mesure de protection cantonale de cet espace du fait des espèces végétales identifiées Les maisons organiques de Lättenstrasse D’abord geste architectural et écologique, ces maisons se fondent parfaitement dans leur environnement. Elles sont formées d’un ensemble de voûtes arrondies, recouvertes de 50 cm à 1 m de terre végétale et verdies. Elles constituent ainsi de petites collines artificielles, percées de fenêtres, quasi identiques aux collines environnantes. L’orientation Nord-Sud des maisons a été étudiée pour favoriser l’apport de chaleur naturelle par rayonnement solaire. Des façades en verre, doublées de coupoles apportent une bonne luminosité intérieure. La récupération des eaux de pluie s’effectue via une mare sur laquelle s’ouvre chaque habitation. Ce plan d’eau présente une large biodiversité : flore des milieux humides, libellules, papillons, batraciens… À retenir en particulier : le rôle d’isolation thermique et de protection contre les intempéries joué par l’épaisse couche végétale au dessus des maisons ; Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 6 L’extension de l’hôpital du Canton de Bâle Avec l’extension de l’hôpital de Bâle, c’est une TTV semi-intensive de 3 000 m2 qui a été constituée en 2003. Elle devait répondre à un double objectif : - améliorer la vue des chambres du bâtiment ancien donnant sur ce toit, - recréer un maximum de milieux pour favoriser la biodiversité végétale comme animale et en particulier le nichage des oiseaux. Trois hauteurs différentes de substrat ont été posées sur le toit, 8, 20 et 30 cm, pour répondre à ce second objectif. Trois mélanges de substrats, tous d’origine régionale, ont également été testés : terre mélangée à de la roche volcanique, graviers et sable. La présence d’insectes xylophages a été encouragée par la dépose de bois mort. La présence de vanneaux huppés a été relevée, ainsi que des criquets, des sauterelles ou des insectes butineurs. À retenir en particulier : l’importance de l’origine du substrat pour favoriser une bonne colonisation végétale spontanée la possibilité de diversifier un aménagement (hauteurs et composition des substrats) sur une surface délimitée Le Hall d'exposition de Bâle : la TTV extensive la plus grande de Suisse et la plus… branchée Avec 16 000 m2 de superficie, cette toiture plane, créée en 1999, est la plus grande TTV extensive de Suisse. Elle est implantée sur un substrat léger (roche volcanique) de 7 cm sur lequel se développent des sédums. Néanmoins, d’autres plantes, comme le thym ou l’herbe à robert, sont venues coloniser spontanément cette toiture. Elle est également couverte de panneaux photovoltaïques qui créent des zones d’ombre favorables à d’autres espèces. Des araignées et des insectes butineurs ont colonisé cet espace. Par ailleurs, il est apparu que la présence de la végétation limitait la réverbération du soleil sur le toit, et, en y réduisant le niveau de température, augmentait le rendement des panneaux solaires. Devra-t-on parler demain de « compagnonnage » entre les systèmes de production d’énergie solaire et le végétal ? À retenir en particulier : l’intérêt particulier de cette « banale » TTV extensive du fait du double aménagement végétal/panneaux solaires l’importance de la surface considérée en secteur urbain dense Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 7 La Gare principale de Zürich : la reconstitution du milieu de rocaille d’un ancien ballast de voie ferrée sur le toit d’un quai ! En 2002, au moment de l’extension de cette infrastructure, des relevés ont amené à classer l’ensemble du site en zone sensible du fait de la présence d’insectes et de reptiles protégés. La loi suisse interdit la destruction de tout biotope qui ne pourrait être remplacé. Il a donc été décidé d’utiliser les toits de futures plateformes comme espaces de substitution. Les terres au sol ont été excavées pour être replacées sur les toits, moyennant quelques prouesses techniques. Les milieux ont été reconstitués, avec des différences de profondeurs, de végétations, de substrats, le substrat de base (graviers) ayant été allégé avec des copeaux de bois. Pour aider au retour des insectes et des reptiles, des piliers entourés de pierres et des clôtures végétalisées sont venus compléter l’aménagement en créant une liaison avec les milieux au sol (connectivité verticale) À retenir en particulier : la reconstitution, en secteur urbain dense, d’un milieu de rocaille en disparition dans cette région le mode de liaison entre les milieux au sol et « en l’air », générant un corridor biologique vertical original et esthétique Pour conclure provisoirement… Le pari de concilier d’une part, l’amélioration de l’accueil du vivant au sein des toitures terrasse végétalisées et d’autre part, le respect des attendus techniques des installations au regard de la réglementation, pourrait sembler impossible s’il n’avait d’ores et déjà été relevé ailleurs avec succès comme en Suisse. D’autres pays sont régulièrement cités en exemple sur ces questions, comme la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Allemagne ou le Canada. Les uns et les autres ont commis des législations incitatives, font évoluer les règlementations et les matériaux, cherchent à minimiser l’empreinte écologique de leurs interventions… Il s’agit tout simplement dans ce domaine quand dans tant d’autres de faire évoluer nos savoirfaire pour intégrer véritablement l’accueil de la biodiversité à l’ensemble de nos champs d’activités, ce qui devient une urgence au regard de sa fragilisation. Association Entrelianes 11 bis, rue de la Garonne 59000 Lille 03 20 22 27 98 www.entrelianes.org Fiche d’expérience TTV Suisses. Association Entrelianes 8