Éditorial Faut-il dire à un épileptique qu’il peut mourir en raison d’une crise ? L a mortalité de l’épileptique est deux à trois fois supérieure à celle de la population générale. L’incidence de la mortalité liée à l’épilepsie est entre 0,6 et 4 pour 100 000 habitants et par an. La mortalité est la plus élevée dans les cas d’épilepsie symptomatique, lorsqu’elle est pharmacorésistante ou qu’elle s’associe à un déficit neurologique. Les raisons du décès sont multiples : la cause de l’épilepsie, les conséquences des crises, la psychopathologie associée. Les suicides et les accidents sont à l’origine de 6 % des décès et l’épilepsie elle-même de 5,5 % des cas de mort. Dans le cadre de l’obligation d’information médicale sur les risques et le pronostic de son affection, doit-on systématiquement parler de ce risque mortel à nos patients épileptiques et à leur entourage ? La réponse à cette question n’est pas facile dans la mesure où l’épilepsie est une affection très hétérogène dont le pronostic est extrêmement différent d’un cas à l’autre et peut aussi ne pas être réellement évaluable. Il faut également considérer l’impact psychologique de l’annonce du risque potentiellement mortel d’une crise d’épilepsie à un patient qui a une affection chronique déjà difficile à accepter et qui est souvent anxieux. Dans un premier temps, il est utile de rappeler les causes de la mortalité chez les épileptiques. Mortalité chez l’épileptique : les causes L’étiologie des crises et de l’épilepsie Les causes de décès sont plus souvent liées à la maladie sous-jacente, en particulier les tumeurs cérébrales et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). La survenue * Pascal Masnou est neurologue, praticien hospitalier dans l’unité de neurophysiologie clinique et épilepsie adultes-enfants au CHU de Bicêtre. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 6, septembre 2003 de crises lors de l’installation d’un AVC multiplie le risque de décès par quatre. Globalement, les causes de décès sont les affections cancéreuses (20 %), cardiaques (19 %) et les AVC (14 %). Les accidents Les crises qui comportent une perte de conscience ou des chutes représentent, par bon sens, un facteur de risque. Nous ne ferons pas ici une liste exhaustive de tous les accidents qui peuvent arriver, en particulier les accidents de la route, mais on peut remarquer qu’ils ne sont pas aussi souvent mortels qu’on pourrait l’imaginer. Les accidents mortels les plus fréquents sont les noyades (plus souvent dans une baignoire que dans une piscine ou dans la mer). La psychopathologie associée à l’épilepsie D’après certaines données de la littérature, 45 % des épileptiques relèveraient d’une prise en charge psychiatrique. Les troubles anxieux sont relativement fréquents et prédominent chez les épileptiques. Il peut s’agir d’une anxiété passagère, n’entrant pas dans le cadre d’un diagnostic psychiatrique, mais expliquée par la crainte de survenue d’une crise, par des contraintes liées à une maladie chronique et à ses traitements. Certains ont une anxiété sévère avec troubles paniques et agoraphobie. Des épisodes dépressifs auraient une prévalence ponctuelle de 15 à 20 % chez les épileptiques, avec une prévalence totale sur la vie proche de 40 %. Une surmortalité suicidaire chez les épileptiques par rapport à la population générale est mentionnée dans toutes les études. Le risque suicidaire est lié à la fréquence des troubles anxio-dépressifs et, en particulier, aux troubles paniques qui donnent souvent lieu à des gestes suicidaires. Les patients ont accès à une thérapeutique qui peut être dangereuse dans le cadre d’un surdosage Éditorial P. Masnou* 147 Éditorial Les états de mal épileptiques La mortalité a été réduite depuis la prise en charge rapide par les divers dispositifs de soins d’urgences. La morbidité est surtout liée à la cause sous-jacente de l’état de mal mais peut être due aux simples effets physiologiques des crises convulsives : troubles hémodynamiques systémiques, hypertension, tachycardie, arythmie cardiaque, hyperthermie. La mortalité globale est de 10 %, mais est plus élevée chez le sujet âgé (jusqu’à 50 %). Chez les épileptiques traités, les causes principales sont les irrégularités de traitement, les modifications thérapeutiques récentes, un sevrage lié à un arrêt brutal du traitement, l’alcoolisme. La mort subite et inexpliquée de l’épileptique La fréquence de la mort subite est évaluée à 1 cas sur 450 à 2 000 épileptiques. La définition actuellement proposée est “mort subite inattendue avec ou sans témoin, non traumatique et en dehors d’une noyade, d’un épileptique ayant présenté ou non une crise à l’exclusion d’un état de mal”. L’autopsie révèle qu’il n’y a aucune lésion anatomique ou toxicologique. L’origine exacte de la mort subite reste inexpliquée. Les données autopsiques ont révélé l’existence d’une augmentation du poids du poumon, du cœur et du foie. Il a été trouvé des aspects de fibrose sousendocardiaque au niveau du cœur et d’œdème pulmonaire au niveau du poumon. Plusieurs possibilités ont été évoquées, dont l’hypothèse cardiogénique et l’hypothèse pulmonaire : – l’hypothèse cardiogénique est suggérée par la possibilité de troubles du rythme, de la conduction, ou de la repolarisation sévères qui ont été constatés au cours de crises enregistrées en EEG-vidéo avec monitoring cardiaque ; – l’hypothèse pulmonaire : une apnée prolongée d’origine centrale est possible en périodes ictale et postictale. Les épileptiques qui paraissent être dans le groupe à risque sont : – les sujets pharmacorésistants ; – les sujets âgés de 15 à 45 ans ; – les sujets chez lesquels ont été préalablement enregistrées des modifications ECG ou de la fréquence respiratoire durant leurs crises. En revanche, le type de médicament antiépileptique antérieurement évoqué ne paraît pas être en cause. Conclusion Un risque mortel est effectivement associé à l’épilepsie, mais celui-ci est faible. Il n’est pas logique de le dire systématiquement à tous les épileptiques qui prennent régulièrement leur traitement. Le risque mortel est clairement inférieur aux risques suicidaires possibles secondaires à l’annonce systématique à tous nos patients qu’ils peuvent mourir à l’occasion d’une crise. Toutefois, concernant le risque mortel, il est impératif d’évoquer les risques de la conduite automobile, de la baignade (la baignoire est en pratique encore plus dangereuse que la piscine) et de certaines activités sportives (plongée sous-marine, télésiège au ski, planche à voile, etc.). En revanche, à ceux qui ne prennent pas régulièrement leur traitement, il est impératif de parler du risque d’état de mal avec coma et séjour en réanimation avec ventilation assistée. Logiquement, cette notion de gravité devient perceptible aux patients sans parler directement de la mort, si on ajoute le fait qu’il existe des complications possibles à la réanimation comme, par exemple, les infections nosocomiales résistantes aux antibiotiques. Il est relativement rare que le patient ou son entourage posent des questions sur le risque mortel. Dans ce cas, il est clair que les données statistiques doivent être indiquées en expliquant les facteurs de risque évoqués ci-dessus. Dans nos dossiers cliniques ou dans les lettres adressées au médecin traitant, il est vivement recommandé de signaler que les risques des crises, des médicaments, de la conduite automobile, de la contraception hormonale et de la grossesse ont été évoqués avec le patient. En effet, cela peut s’avérer très utile si a posteriori nous devons rendre compte de la manière dont nous avons donné les informations médicales “considérées comme obligatoires” à nos malades et/ou à leur famille (pour un mineur). Éditorial ou d’un sevrage volontaire, et faciliter ainsi les passages à l’acte. Peuvent aussi intervenir des phases confusionnelles s’accompagnant d’une désinhibition. 148