Thomas HOBBES (1588-1679) Philosophe anglais, c’est l'un des premiers penseurs de l'Etat moderne et fondateur de la philosophie civile. Son œuvre majeure, le Léviathan, eut une influence considérable sur la philosophie politique moderne par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, conceptualisation qui fonde les bases de la souveraineté. Quoique souvent accusé de conservatisme excessif (par Arendt par exemple), ayant inspiré des auteurs comme Maistre et Schmitt, le Léviathan eut aussi une influence considérable sur l'émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle, et sur l'étude des relations internationales et de son courant rationaliste dominant : le réalisme. I. Éléments de biographie Né à Westport le 5 avril 1588, il débute comme précepteur de la famille Cavendish, comte de Devonshire, et s'intéresse beaucoup aux mathématiques et à la physique. Il profite de déplacements de son élève sur le continent pour rencontrer des savants comme Galilée et Mersenne en 1610 (année de l’assassinat d’ Henri IV de France). Il découvre Euclide vers 1629-1631, et se prend de passion pour la géométrie. Trois ans plus tard, Hobbes et son élève visitent la France et l’Italie et restent huit mois à Paris, jusqu'à l'automne 1637. Il est alors mis en rapport avec le père Mersenne, qui lui ouvre les portes de la société savante de Paris et l’incite à publier ses ouvrages de psychologie et de physique. Il décrit dans une autobiographie son état de méditation incessante, « en bateau, en voiture, à cheval », et c’est en effet à ce moment de sa vie qu’il conçoit le principe de sa physique, le mouvement, seule réalité génératrice des choses naturelles. Ce principe lui paraît bientôt capable de fonder la psychologie, la morale et la politique. Thomas Hobbes travaille avec le chancelier et philosophe Francis Bacon avec lequel il s'oppose sur le plan des idées. Lors de la révolution anglaise, par prudence, il s'installe à Paris, en 1640, où il fréquente Descartes et Cassendi. Il subit l'influence des libertins et publie Eléments philosophiques du citoyen. Il rentrera en Angleterre en 1651 pour ne pas être contraint de se convertir au catholicisme. Cette attitude reflète moins sa fidélité au protestantisme que son anticléricalisme et ses convictions de la supériorité que doit avoir l'Etat sur l'Eglise. Il publie alors Léviathan, manuscrit écrit en France, qui fait la part entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Cette œuvre et les suivantes (Lettres sur la liberté et la nécessité, Du corps, De l'homme) le fait accuser par le clergé anglais d'antireligiosité. Il est alors contraint de se réfugier à Chatsworth chez le comte de Devonshire. Les guerres de religion en France et les guerres civiles en Angleterre l'amènent à développer une philosophie où il considère que seul l'absolutisme de l'Etat, à qui les hommes confient par contrat le soin de les gouverner, peut maintenir le droit et garantir la paix. Il refuse donc le pouvoir de droit divin. En matière de morale, Hobbes pense que l'homme doit agir selon les lois d'un « égoïsme utilitaire » qui découle de l'instinct de conservation (conatus) et de domination. Sa philosophie naturaliste construite à partir de la sensation, est inséparable de la science, notamment celle du corps humain. Pour lui, l'expérience est la seule base de toute connaissance. Il meurt le 4 décembre 1679 à Hardwick. Quatre ans après sa mort, ses œuvres Du citoyen et Léviathan’ furent condamnés par l'Université d'Oxford et brûlées sur un bûcher. II. Notion clés de l’auteur - L’état de nature Hobbes pose d’abord l’état de nature. L’état de nature ne doit pas être compris comme la description d’une réalité historique, mais comme une fiction théorique. Il est l’état dans lequel se trouvent les hommes, abstraction faite de tout pouvoir, de toute loi. Dans cet état, les hommes sont gouvernés par le seul instinct de conservation que Hobbes appelle conatus, ou désir. Or, à l’état de nature, les hommes sont égaux, ce qui veut dire qu’ils ont les mêmes désirs, les mêmes droits sur toutes choses et les mêmes moyens (par ruse ou par alliance) d’y parvenir. C’est pourquoi cette égalité naturelle se transforme naturellement en rivalité. L’état de nature, c’est l’état de la guerre de tous contre tous. Hobbes dira que « l’homme est un loup pour l’homme ». Doué de raison, c’est-à-dire de la faculté de calculer et d’anticiper, il prévoit le danger et attaque avant d’être attaqué. C’est l’angoisse de la mort qui, par conséquent, est responsable de l’état de guerre et fait peser sur la vie de tous, une menace permanente. On le voit, il y a là une contradiction. Les mêmes raisons qui ont conduit les hommes à l’état de guerre (peur de la mort, calcul) vont donc conduire les hommes à en sortir, c’est-à-dire à quitter l’état de nature. - Le pacte social Sortir de l’état de nature, c’est, pour chacun, renoncer à son droit naturel. Mais quelle sera la contrepartie d’un tel renoncement ? L’ordre et la sécurité, répond Hobbes. Qui en sera le garant ? Le souverain (homme ou assemblée) qui exercera le pouvoir. Par un pacte mutuel, les hommes renoncent à leurs droits, et en confient l’exercice à un tiers. « C’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu autorises toutes ses actions de la même manière », écrit Hobbes (Léviathan, chap. XVII). C’est donc d’un contrat (c’est à dire d’un acte volontaire et juridique) que naît le pouvoir. L’origine du pouvoir n’est ni naturelle ni divine, mais artificielle et humaine. Pour autant, le pouvoir n’est pas arbitraire, ni despotique, bien qu’il doive être, selon Hobbes, absolu. Le gouvernement selon Hobbes doit découler d'un pacte de chacun envers chacun où tous cèdent au souverain leur droit de se gouverner eux-mêmes et leur liberté afin que la volonté du souverain ramène les volontés de tous les individus à une seule et unique volonté. - L’absolutisme Si le pouvoir est absolu, cela tient à la nature même du pacte social qui l’instaure. Le détenteur du pouvoir politique, le souverain, est en dehors du contrat. Son droit naturel et sa puissance sont illimités et se trouvent même augmentés de ceux dont les sujets se dessaisissent à son profit. Dès lors, ce droit n’est-il pas purement et simplement le droit du plus fort ? Pour répondre à l’objection, il convient de remarquer que le caractère absolu du pouvoir est la condition de sa stabilité, mais aussi la garantie de sa légitimité. D’autre part, le pouvoir s’exerce au nom des sujets, qui autorisent son exercice par le pacte social. C’est au souverain, et à nul autre que lui, que le pouvoir a été confié. Mais si le souverain détourne le pouvoir à son profit ? Si, profitant du fait qu’il est absolu, il devient despotique ? Hobbes entend l’objection, mais n’accorde pas pour autant un droit de résistance aux sujets, parce que celui-ci ruinerait par avance toute autorité. Il admet toutefois que, lorsque le souverain menace la vie de ses sujets, ceux-ci puissent recouvrir leur droit naturel de se défendre. Il existe donc un droit inaliénable, imprescriptible, qui est le droit à la vie, auquel nul ne peut être obligé de renoncer, puisque c’est au contraire pour sa sauvegarde que l’État a été instauré. L’absolutisme de Hobbes a été critiqué et sa doctrine interprétée comme préfigurant une forme d’État totalitaire. Pourtant, en donnant à l’État un fondement juridique, Hobbes peut être considéré en réalité comme un précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui l’État de droit. Au cœur de sa réflexion est posée en tout cas cette double question qu’aucune démocratie ne peut éluder : quelle part d’obéissance le pouvoir peut-il légitimement exiger sans outrepasser son droit ? Mais aussi : quelle part de liberté des hommes vivant en communauté peuvent-ils légitimement réclamer, sans menacer la paix civile ? III. Citations Extraites de Léviathan (1651) « Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tient en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre, la guerre de chacun contre chacun ». « Le privilège de l’absurdité est réservé à la seule créature humaine ». « Le désir de connaître le pourquoi et le comment est appelé curiosité ». « Le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n’y a pas de langage, il n’y a ni vérité, ni fausseté ». « L’oisiveté est la mère de la philosophie ». « La valeur ou l’importance d’un homme, c’est comme pour tout autre objet, son prix, c’est-à-dire ce qu’on donnerait pour disposer de son pouvoir ». Citation extraite de « Du citoyen » « L’intérêt et la crainte sont les principes de la société et toute la morale consiste à vivre selon notre bon plaisir ». Texte sur les sensations (extrait du « Léviathan » - Première partie : De l’homme - Chap. I : De la sensation) Je considérerai les pensées de l'homme d'abord séparément, puis dans leur enchaînement, leur dépendance les unes à l'égard des autres. Séparément, elles sont chacune une représentation, une apparition de quelque qualité ou de quelque autre accident en dehors de nous, qui est communément appelé un objet; lequel objet exerce un effet sur les yeux, les oreilles, et les autres parties du corps humain, et par cette diversité d'excitations, produit une diversité d'apparitions. L'origine de toutes nos pensées est ce que nous appelons SENSATION, (car il n'est nulle conception dans l'esprit humain qui n'ait été d'abord, totalement ou par parties, causée au niveau des organes de la sensation). Les autres dérivent de cette origine. Connaître la cause naturelle de la sensation n'est pas vraiment nécessaire au travail que nous entreprenons maintenant, et j'ai amplement écrit ailleurs sur la question. Néanmoins, afin de compléter chaque partie de la présente méthode, j'expliquerai ici brièvement le même point. La cause de la sensation est le corps extérieur, qui presse l'organe propre à chaque sensation, ou immédiatement, comme dans le goût et le toucher, ou médiatement, comme dans la vue, l'ouïe ou l'odorat; laquelle pression, par l'intermédiaire des nerfs et autres fils et membranes du corps, se propage intérieurement jusqu'au cerveau et jusqu'au cœur, et cause là une résistance, une contre-pression, un effort du coeur pour se délivrer; lequel effort, parce qu'extérieur, semble être quelque chose en dehors. Et ce semblant, ce phantasme est ce que les hommes appellent sensation, et il consiste, pour l’œil en une lumière ou une couleur d'une certaine forme, pour l'oreille en un son, pour les narines en une odeur, pour la langue et le palais en une saveur, et pour le reste du corps en chaleur, froid, dureté, mollesse, et de pareilles autres qualités que nous pouvons discerner par le toucher. Toutes ces qualités appelées sensibles ne sont dans l'objet qui les cause que de nombreux mouvements différents de la matière, par lesquels l'objet presse diversement nos organes. En nous, dont les organes sont pressés, il n'y a rien d’autres que différents mouvements (car le mouvement ne produit que du mouvement). Mais leur apparition en nous est phantasme, de la même façon quand nous sommes éveillés que quand nous rêvons. De même que si l'on presse, frotte ou frappe l’œil, cela nous fait imaginer une lumière, de même que si l'on presse l'oreille se produit un vacarme, de même font les corps que nous voyons, qui produisent de façon semblable une action vive, quoique nous ne nous en apercevions pas. Car si ces couleurs et ces sons étaient dans les corps, dans les objets qui les causent, ils ne pourraient pas en être séparés, comme nous voyons qu'ils le sont dans les miroirs et par réflexion dans les échos, où nous savons que la chose que nous voyons est à un endroit, l'apparition à un autre endroit. Et quoiqu'à une certaine distance, l'objet réel, véritable, semble revêtu du phantasme qu'il fait naître en nous, pourtant, toujours, l'objet est une chose, l'image ou phantasme une autre. Ainsi, cette sensation, dans tous les cas, n'est rien d'autre que le phantasme originaire causé (comme je l'ai dit) par la pression, par le mouvement des choses extérieures sur nos yeux, nos oreilles et les autres organes destinés à cela. Mais les écoles philosophiques, dans toutes les universités de la Chrétienté, se fondent sur certains textes d'Aristote et enseignent une autre doctrine. Elles disent, pour la cause de la vision, que la chose vue envoie de toutes parts une espèce visible, en Anglais, une représentation, une apparition, un aspect visibles ou un être vu, dont la réception dans l’œil est la vision. Et, en ce qui concerne la cause de l'audition, que la chose entendue envoie une espèce audible, qui est un aspect audible, un être vu audible qui, entrant dans l'oreille, constitue l'audition. Mieux! Pour la cause de la compréhension, de même, ils disent que la chose entendue envoie une espèce intelligible, qui est un être vu intelligible qui, entrant dans l'entendement, constitue le fait d'entendre. Je ne dis pas cela pour désapprouver l'usage des universités, mais, comme je dois ci-dessous parler de leur fonction dans la République, je dois vous montrer, dans toutes les occasions que nous rencontrons, quelles choses doivent y être amendées, et parmi elles il en est une : la fréquence de paroles sans signification. IV. Sujets possibles - En quoi la démocratie est-elle le meilleur des systèmes politiques ? - Est-ce la loi qui définit ce qui est juste ? - Assurer la sécurité, est-ce le but de la loi ? - Le rôle des lois est-il seulement d'empêcher les hommes de se nuire à eux-mêmes ?