La Crise spirituelle du 20ème siècle

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CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
LA CRISE SPIRITUELLE
DE L’OCCIDENT AU 20ÈME SIÈCLE
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
L’Occident en perte de sens ou en redéfinition du sens ?
Association ALDÉRAN Toulouse
pour la promotion de la Philosophie
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
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conférence N°1600-002
LA CRISE SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT AU 20ÈME SIÈCLE
Le choc de la mort de Dieu
Conférence d’Éric Lowen donnée le 16/04/2005
à la Maison de la philosophie à Toulouse
Entre désacralisation et resacralisation, l’Occident connait depuis le 19ème siècle en matière
religieuse une crise en raison de l’écroulement des réponses chrétiennes traditionnelles qui
structuraient jusqu’alors la société et le sens de la vie des hommes. Quelles sont les raisons
de cette crise “spirituelle” de l’Occident au 20ème siècle ? Quelles en sont les
conséquences ? Est-elle négative ou salutaire ? Au lieu de concevoir cette crise de manière
négative et vouloir revenir à des enchantements religieux habituels (ou se réfugier dans des
sectes), n’est-ce pas l’occasion de redéfinir les postulats spirituels de la civilisation
occidentale en cessant de faire appel à la croyance et aux superstitions ?
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LA CRISE SPIRITUELLE DE L’OCCIDENT AU 20ÈME SIÈCLE
Le choc de la mort de dieu
PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
I
LA CRISE SPIRITUELLE DE L'OCCIDENT AU 20ÈME SIÈCLE
1 - Un constat effectué depuis le milieu du 19ème siècle
2 - Un processus sociologique devenu manifeste depuis la première guerre mondiale
3 - Un phénomène qui est la conséquence de l'évolution culturelle générale de l'Occident
4 - Qui doit aussi être replacé, en amont et en aval, dans l'évolution générale de l'Humanité
II
LES EXPRESSIONS DE CETTE "CRISE SPIRITUELLE"
1 - L’écroulement de la crédibilité rationnelle des religions
2 - Des mutations sociologiques d'une extrême rapidité et radicalité
3 - L'inadéquation des réponses des religions classiques face à ces nouvelles situations culturelles
4 - La montée de la "mécréance", de l'agnosticisme et de l'athéisme
5 - La désaffection des religions classiques
6 - Le recul social des religions classiques, la sécularisation des sociétés
7 - L’émergence de religions concurrentes et de nouvelles aspirations religieuses
8 - Les conflits intra-religieux entre modernistes et conservateurs
9 - L'attraction pour les utopies politiques, nouveaux espoirs de saluts collectifs terrestres
10 - Une situation aggravée par le contre-coup des désillusions idéologiques
III
CRISE D'UNE RELIGION ET NON DES RELIGIONS OU DE L'OCCIDENT
1 - Des analyses souvent simplistes et réductrices
2 - La confusion entre religion et spiritualité, il s'agit d'une crise religieuse et non pas spirituelle
3 - Il s'agit de la crise du judéo-christianisme, la crise d'une foi et non de la foi
4 - Les autres religions ne sont pas touchées, l'occident n'est pas le monde
5 - La recrudescence du phénomène religieux au niveau mondial
6 - Il n'y a donc pas de crises religieuse de l'Humanité
7 - Une situation récurrente dans l'histoire des civilisations et des religions
IV
LES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES DU RECUL DU CHRISTIANISME
1 - L'impression de chaos métaphysique et religieux, la perte de repères "évidents"
2 - Un sentiment de désenchantement et de perte de sens
3 - Une confusion des valeurs, le sentiment de perte des "valeurs"
4 - La fin d'une situation de monopole religieux, le début de la libre concurrence religieuse
5 - La remise en cause de la supériorité spirituelle de l'orient
6 - La réorientation vers d'autres religions et l'attraction vers les sectes
7 - Le retour de la réaction de l'ordre moral, qui cherche à reprendre le contrôle social
V
POUR EN FINIR AVEC LA "CRISE SPIRITUELLE DE L'OCCIDENT"
1 - Il n’y a donc pas de crise spirituelle de l’occident, mais la crise d’une religion occidentale
2 - Une société ni plus ni moins religieuse, mais où la religion s’exprime différemment
3 - Une situation en réalité normale dans la vie des civilisations et des religions
4 - Ce n'est donc pas une absence d'idéaux, mais une pluralité d'idéaux et de valeurs concurrentes
5 - Un conflit entre les forces de progrès et des religions devenant obsolètes et obscurantistes
6 - Sortir de l'interprétation religieuse de cette "crise spirituelle", et si ce n'était pas une crise
mais une chance ?
7 - Une situation de crise nécessaire et positive, la sortie de la dictature judéo-chrétienne
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8 - La possibilité d'affirmer des idéaux spirituels modernes dégagés des religions
9 - Mais la solution de sortie de crise dépendra uniquement des rapports de force sociologiques
VI
CONCLUSION
1 - Positiver cette crise pour en faire une croissance en maturité dans l'aventure humaine
2 - Comprendre cette crise spirituelle pour favoriser sa résolution positivement
ORA ET LABORA
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Document 1 : Représentation des composants structurels d’une civilisation, la religion en constitue une des
données fondamentales. En plus, tous les éléments sont en interactions constantes et non pas isolés. Dés
qu’un élément évolue, l’ensemble de la civilisation concernée est modifié, et oblige les autres éléments à
des évolutions correspondantes pour résoudre les tensions que cela génère.
ART
ECONOMIE
RELIGION
TECHNOSCIENCE
POLITIQUE
Document 2 : Les crises religieuses sont constantes à travers l’histoire, la situation actuelle de l’occident
n’est pas sans rappeler celle de l’empire romain vers la fin de l’antiquité.
Comme dans tous les temps troublés, les religions traditionnelles, sclérosées, ne
suffisaient plus : Isis, Sérapis, Mithra et les empereurs divinisés eux-mêmes devenaient
des Sauveurs dont on espérait le secours. On peut aller rêver dans les ruines des
sanctuaires de Mithra en Angleterre, et trouver des Isis dans le Nord de la France, parmi
les petits bronzes antiques de Bavay. Tout cela a oscillé dans la balance avec le Christ. Il
est venu un jour où le monde s'est trouvé chrétien parce que le christianisme était
devenu officiel, tout-puissant, persécuteur des cultes qui n'étaient pas le sien ; de mode,
si je puis dire, et aussi parce que certains croyaient sincèrement, humblement à Jésus.
Marguerite Yourcenar (1903 - 1987)
Les Yeux ouverts
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Document 3 : Le De revolutionibus orbium coelestium, de Copernic, publié en 1543 à Nuremberg.
Plusieurs siècles seront nécessaires pour que ses idées arrivent à supplanter dans les mentalités la
croyance géocentrique. Le système héliocentrique de Copernic fut un des éléments décisifs de la remise en
cause des conceptions judéo-chrétiennes. Une profonde mutation dans la compréhension cosmologique se
répercute toujours dans la vision spirituelle du cosmos.
Quand je méditai alors sur cette incertitude des mathématiques traditionnelles dans
l'arrangement des mouvements des sphères de l'univers, j'eus la déception de trouver
qu'aucune explication plus certaine du mécanisme de l'Univers, fondée sur notre exposé
par le meilleur et le plus régulier de tous les architectes, n'a été établie par les
philosophes qui ont fouillé avec tant de minutie les autres détails délicats relatifs à
l'univers. C'est pour cela que j'ai pris à tâche de relire les livres de tous les philosophes
que j'ai pu me procurer, examinant si aucun d'eux avait supposé que le mouvement des
sphères du monde était différent de ceux qu'adoptaient les mathématiciens universitaires
[...].
À la suite de cela, je commençai aussi à penser à un mouvement de la terre, et bien que
l'idée parût absurde, pourtant, comme d'autres avant moi avaient eu la possibilité de
supposer certains cercles afin d'expliquer les mouvements des étoiles j'ai cru qu'il me
serait aisément possible de voir si, en admettant un mouvement de la terre, on ne
pourrait trouver de meilleures explications aux révolutions des sphères célestes. Et ainsi,
en assumant les mouvements que, dans l'ouvrage suivant, j'attribue à la terre, j'ai
finalement trouvé, après de longues et soigneuses recherches, que, lorsqu'on rapporte
les mouvements des autres planètes à la circulation de la terre, et qu'on les calcule pour
la révolution de chaque étoile, non seulement les phénomènes s'ensuivent
nécessairement de là, mais encore l'ordre et la grandeur des étoiles et tous leurs orbes et
le ciel lui-même sont si liés ensemble que dans aucune partie on ne peut rien transposer
sans confusion pour le reste et tout l'univers. [...]
C'est pourquoi nous n'avons pas honte de soutenir que tout ce qui est au-dessous de la
lune, avec le centre de la terre, décrit parmi les autres planètes une grande orbite autour
du soleil, qui est le centre du monde ; et que ce qui paraît être un mouvement du soleil
est en réalité un mouvement de la terre ; mais que la dimension du monde est si grande,
que la distance du soleil à la terre, bien qu'appréciable en comparaison des orbites des
autres planètes est comme un rien lorsqu'on la compare à la sphère des étoiles fixes. Et
je prétends qu'il est plus facile d'admettre ceci que de laisser l'esprit être effaré par une
multitude presque infinie de cercles, ce que sont obligés de faire ceux qui retiennent la
terre au centre du monde. La sagesse de la nature est telle qu'elle ne produit rien de
superflu ou d'inutile, mais elle produit souvent des effets multiples à partir d'une seule
cause. Si tout ceci est difficile et presque incompréhensible ou contraire à l'opinion de
bien des gens, nous le rendrons, s'il plaît à Dieu, plus clair que le soleil, au moins pour
ceux qui ont quelque connaissance des mathématiques. Le premier principe reste donc
indiscuté, que la dimension des orbites se mesure par la période de révolution, et l'ordre
des sphères est alors comme suit, en commençant par la plus haute. La première et la
plus haute sphère est celle des étoiles fixes, qui se contient elle-même et tout le reste, et
est par conséquent immobile, étant le lieu de l'univers auquel se rapportent le
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mouvement et les lieux des autres astres. Car, alors que certains pensent qu'elle change
aussi quelque peu, nous attribuerons, en déduisant le mouvement de la terre, une autre
cause à ce phénomène. Vient ensuite la première planète Saturne, qui achève son circuit
en trente ans, puis Jupiter, avec une révolution de douze ans, puis Mars qui fait le tour en
deux ans. La quatrième place dans cet ordre est celle de la révolution annuelle, où nous
avons dit que la terre est contenue, avec l'orbite lunaire comme épicycle. A la cinquième
place, Vénus fait le tour en neuf mois, à la sixième Mercure avec une révolution de
quatre-vingts jours. Mais au milieu de tout cela se tient le soleil. Car qui pourrait, dans ce
temple magnifique, placer cette lampe en un autre ou meilleur endroit qu'en celui d'où en
même temps elle peut illuminer l'ensemble ? Certains l'appellent assez justement la
lumière du monde, d'autres l'âme ou le gouverneur. Trismégiste l'appelle le Dieu visible,
et l'Electre de Sophocle «celui qui voit tout». Ainsi en vérité le soleil, assis sur le trône
royal, dirige la ronde de la famille des astres.
Nicolas Copernic (1473 - 1543)
De Revolutionibus orbium coelestium..., 1543
Document 3 : Une autre évolution décisive fut la reconnaissance du processus évolutif de notre espèce
(anthropogenèse), l’Homme est issu d’espèces animales antérieures et non plus d’une “création de la main
même de Dieu” comme cela était affirmé avant (et comme certains créationnistes continuent à le proclamer
aujourd’hui).
Comment, demandera-t-on encore, les variétés ou espèces naissantes, comme je les
appelle, finissent-elles par se convertir en espèces distinctes qui, dans la plupart des cas,
diffèrent évidemment plus entre elles que ne le font les variétés d'une même espèce ?
Comment surgissent ces groupes d'espèces qui constituent ce que nous nommons des
genres distincts, et qui diffèrent entre eux plus que ne le font les espèces du même
genre ? Tous ces résultats, comme nous le verrons plus amplement dans le prochain
chapitre, sont la conséquence de la lutte pour l'existence. C'est grâce à cette lutte que les
variations, si minimes qu'elles soient d'ailleurs, et quelle qu'en soit la cause déterminante,
tendent à assurer la conservation des individus qui les présentent, et les transmettent à
leurs descendants, pour peu qu'elles soient à quelque degré utiles et avantageuses à ces
membres de l'espèce, dans leurs rapports si complexes avec les autres êtres organisés,
et les conditions physiques dans lesquelles ils se trouvent. Leur descendance aura ainsi
plus de chances de réussite; car, sur la quantité d'individus d'une espèce quelconque qui
naissent périodiquement, il n'en est qu'un petit nombre qui puissent survivre.
J'ai donné à ce principe, en vertu duquel toute variation avantageuse tend à être
conservée, le nom de sélection naturelle, pour indiquer ses rapports avec la sélection
appliquée par l'homme.
Charles Darwin (1809 - 1882)
l'Origine des espèces, 1859
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Document 4 : Au niveau philosophique, il faut citer l’oeuvre majeure (et paradoxale) de Friedrich Nietzsche.
On lui doit, entre autres, le fameux “Dieu est mort” qui fait référence à la conception anthropomorphique et
interventionniste du judéo-christianisme.
Zarathoustra descendit seul des montagnes, et il ne rencontra personne. Mais lorsqu’il
arriva dans les bois, devant lui un vieillard soudain se dressa, qui avait quitté sa sainte
chaumière pour chercher des racines dans la forêt. Et le vieillard parla ainsi à
Zarathoustra :
“Il ne m’est pas inconnu, ce voyageur; voilà bien des années il est passé par ici. Il
s’appelait Zarathoustra, mais il s’est transformé.
Tu portais alors ta cendre à la montagne : veux-tu porter aujourd’hui ton feu dans la
vallée ? Ne crains-tu pas le châtiment promis à l’incendiaire ?
Oui, je reconnais Zarathoustra. Son œil est limpide et sa bouche n’exprime point de
dégoût. Ne marche-t-il pas comme un danseur ?
Il s’est transformé, Zarathoustra. Il s’est fait enfant, il s’est éveillé: que cherches-tu à
présent auprès de ceux qui dorment ?
Tu vivais dans la solitude comme dans la mer, et la mer te portait. Malheur à toi, tu veux
donc atterrir ? Malheur à toi, tu veux de nouveau traîner toi-même ton corps ?”
Zarathoustra répondit : “J’aime les hommes.
- Pourquoi donc, dit le sage, suis-je allé dans la forêt et dans la solitude ? N’était-ce pas
parce que j’aimais trop les hommes ?
“Maintenant j’aime Dieu ; je n’aime pas les hommes. L’homme est à mes yeux une chose
trop imparfaite. L’amour de l’homme me tuerait.”
Zarathoustra répondit : “Qu’ai-je parlé d’amour ! Je vais faire un don aux hommes.
- Ne leur donne rien, dit le saint. Décharge-les plutôt de quelque chose et aide-les à le
porter, rien ne leur vaudra mieux: pourvu que toi aussi, cela te réconforte !
“Et si tu veux donner, ne leur donne pas plus qu’une aumône, et attends qu’ils la
mendient auprès de toi !
- Non, répondit Zarathoustra, je ne fais pas l’aumône. Je ne suis pas assez pauvre pour
cela.”
Le saint se prit à rire de Zarathoustra et parla ainsi : “Tâche donc de leur faire accepter
tes trésors. Ils se méfient des solitaires et ne croient pas que nous venions pour les
combler.
“Nos pas à travers les rues ont pour eux un son trop solitaire. Et de même qu’ils
s’inquiètent lorsque, la nuit, couchés dans leurs lits, ils entendent marcher un homme,
longtemps avant que se lève le soleil, ils se demandent peut-être : “Que cherche ce
voleur ?”
“Ne va pas parmi les hommes, reste dans la forêt ! Va plutôt chez les bêtes ! Pourquoi ne
veux-tu pas être comme moi, un ours parmi les ours, un oiseau parmi les oiseaux ?
- Et que fait le saint dans les bois ?” demanda Zarathoustra.
Le saint répondit : “Je compose des chants et je les chante, et quand je fais des chants,
je ris, je pleure et je grogne : c’est ainsi que je loue Dieu.
“Par des chants, des pleurs, des rires et des grommellements, je rends grâce à Dieu qui
est mon Dieu. Mais quel présent nous apportes-tu ?”
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Lorsque Zarathoustra eut entendu ces paroles, il salua le saint et lui dit : “Que pourrais-je
vous donner ? Laissez-moi seulement repartir en hâte, afin que je ne vous prenne rien !”
Ainsi se séparèrent-ils l’un de l’autre, le vieillard et l’homme, riant tels deux jeunes
garçons.
Mais lorsque Zarathoustra fut seul, il parla ainsi à son cœur : “Serait-ce possible ? Ce
vieux saint dans sa forêt n’a donc pas encore appris que Dieu est mort !”
Friedrich Nietzsche (1844 - 1900)
Ainsi parlait Zarathoustra
Document 5 : Le déclin de la crédibilité de l’idée de dieu entraîna l’exclusion progressive de la religion des
structures politiques (processus de sécularisation et de laïcisation).
N'acceptons pas comme base de l'ordre social, le mysticisme, la croyance religieuse, si
libérée qu'elle puisse paraître.
Il y a en ce moment un grand réveil néochrétien. Souvent, des jeunes gens, des femmes,
sont venus nous trouver et nous ont dit : “ Nous sommes des chrétiens, mais des
chrétiens selon l'Évangile. Nous sommes détestés et traités d'anarchistes par l'Église
régnante, et nous venons à vous à cause de la conformité de votre morale avec la nôtre."
Nous leur répondons " Nous respectons en vous des bonnes volontés sincères, honnêtes
et courageuses. Votre idéal - quoique la croyance apporte une singulière contribution à
cette notion d'autorité et de tradition qui a fait le malheur incalculable du genre humain, et
une résignation foncière qui encourage la funeste indifférence des hommes en matière
sociale - votre idéal s'exprime. Pourtant dans les mêmes termes que le nôtre, puisqu'il n'y
a qu'une seule vérité morale. Les révolutionnaires farouches et purs ressemblent par plus
d'un point aux premiers chrétiens. Il se peut que vous fassiez dans le monde une œuvre
parallèle à la nôtre, que nous travaillions plus où moins longtemps dans le même sens.
Mais nous ne fondrons pas notre effort avec le vôtre, nous ne ferons pas œuvre
commune, parce que nous ne voulons pas introduire dans l'harmonie des idées
rationnelles le principe qui est à la fois trop personnel et trop souverain. Vous amenez
avec la foi un commandement constitutif qui rend inutile la raison, la met hors de
question, s'impose despotiquement par des voies surnaturelles. Il y a antagonisme entre
la foi et la raison et même lorsqu'elles sont d'accord. De plus, la religion, intégrale, ou
dénudée jusqu'à sa formule la plus élémentaire, le simple théisme apparaît à trop
d'hommes comme une touchante fiction. Discutable et discutée, elle n'a comme foyers
que des convictions éparses, vivantes, mortelles, sur lesquelles on ne peut pas fonder
solidement un ordre social renouvelé. “
D'ailleurs, nous voyons le désordre que cette force terrible et mystérieuse a apporté dans
l'histoire des foules, le trop facile abus qu'ont fait les hommes d'une puissance spirituelle
qui n'a point de contrôle fixe ni de critérium sensible, et qui ne ressortit, en définitive, que
de quelques décisions individuelles ; nous voyons le contraste si dramatique qui sépare
aujourd'hui les églises sorties jadis innocemment de l'Évangile, avec l'Évangile lui-même,
le secours formidable accordé sans cesse et partout, en bloc, par l'Église catholique ou
protestante à l'action conservatrice, et le petit nombre même des hommes purs qui voient
distinctement les sources originelles. L'effrayant passé de fanatisme et de corruption
nous défend d'engager l'avenir dans cette voie - qui nous garantit que celui-ci ne répétera
pas celui-là ? nonobstant l'estime due aux âmes exceptionnelles et aux nobles bonnes
volontés. Que les croyants viennent à nous, s'ils veulent, mais que leur croyance
demeure strictement personnelle et intime et n'intervienne jamais à aucun titre dans la
construction objective de la règle commune.
Dès qu'il ne s'agit plus de vie intérieure, d'intimité passionnelle, nous ne voulons nous
appuyer que sur la raison. La raison est inflexible. Elle est commune à tous les hommes.
Elle est une mesure fixe. Elle fait que tous ceux qui s'ignorent et ne se voient pas
peuvent se reconnaître comme des amis perdus. Voilà le seuil net, positif et ferme d'où
nous contemplons du côté de l'inconnu et du soir la réalité face à face. La raison ordonne
par-dessus le chaos agité où se déforme chaque regard particulier, un rite d'une sérénité
et d'une lente majesté démesurées, comme la danse des astres.
Henri Barbusse (1873 - 1935)
ch. La raison non la croyance, in La lueur dans l'abîme
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Document 6 : Cette crise religieuse fut aussi largement influencée par l’incohérence des doctrines
religieuses classiques face aux réalités terrestres individuelles (injustice, misère, violence, pauvreté,
famines, mortalité infantile, etc.) et collectives, notamment avec les deux conflits mondiaux du 20ème siècle.
Le texte suivant de Nikos Kazantzaki raconte la protestation d’un pape contre Dieu (l’histoire se passe en
Grèce après la seconde guerre mondiale, lors de la guerre civile entre les communistes et le gouvernement
militaire) ; il illustre les contradictions entre la réalité sociale (souvent entretenue et justifiée par les religions)
et leurs messages reposant sur des croyances providentialistes, de dieu de justice et de salut post-mortem.
- Regarde, lui disait-il, descends du Ciel, à quoi nous es-tu bon, là-haut ? C'est ici que
nous avons besoin de toi, Seigneur, à Kastellos, regarde ! Pour peu que la guerre
continue, tout le monde va s'entre-dévorer. Il n’y a plus trace en nous d'humanité,
Seigneur : nos visages sont devenus féroces, la guerre a fait de nous des fauves ! Avanthier encore le père Stamatis, le doyen, si paisible, si sage d'habitude, ne s'est-il pas jeté
sur le tisserand Stellianos pour lui dévorer une oreille ? Et le commandant, depuis son
arrivée comme il s'est avili ! Ce n'est plus un homme c'est un tigre altéré de sang !
Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand, Seigneur ? Partout le visage du démon se substitue au
visage de Dieu. Seigneur, dans ce petit village que tu m'as confié, aide-moi à ramener
ton visage !
Il continuait à cheminer, naviguant en esprit sur une mer de ténèbres. “En ce monde,
songeait-il, il faut être agneau ou loup. Les uns sont dévorés, les autres dévorent. N’y a-til pas, mon Dieu, un troisième animal, à la fois meilleur et plus fort ?”
Du fond de lui-même, une voix répondait : “Il existe papa-Yannaros ; prends patience.
Voilà des millénaires qu'il est en route pour devenir un homme ; il n'est pas encore arrivé.
Tu es donc si pressé ? Dieu n'est pas pressé, papa-Yannaros.”
Papa-Yannaros s'arrêta devant la caserne ; ses genoux tremblaient. Une bande de
gosses s'étaient rassemblés autour d'un tas d'ordures et fouillaient les détritus, alléchés
par les restes de nourriture, le ventre gonflé, les jambes aussi grêles que des roseaux,
plusieurs sautillaient sur des béquilles ; d'autres, à huit ou dix ans, avaient déjà de la
barbe.
Papa-Yannaros aurait voulu s'approcher d'eux, mais que leur aurait-il dit ? Ils étaient
devenus de petits sauvages et il n'avait rien à leur donner. Aussi resta-t-il planté là, à les
regarder, sans rien dire.
Tandis qu'il les regardait, les larmes aux yeux, une vieille passa à grandes enjambées,
maigre, pieds nus, échevelée, portant un enfant-mort d'environ trois ans, enveloppé dans
un morceau d'étoffe, elle avait une pioche sur l'épaule et marchait. Les yeux secs
exorbités, en poussant des hurlements hystériques. Papa-Yannaros la connaissait :
c'était la vieille Aréti, la sage-femme, et l'enfant, son petit-fils. En voyant le pope, elle
éclata d'un rire sauvage :
- Il est mort, papa-Yannaros, lui cria-t-elle, il est mort, va le dire à ton Maître ! N'avait-il
pas un seul morceau de pain à lui donner ?
Papa-Yannaros ne répondit pas. Il regardait le petit corps verdâtre, au ventre gonflé
comme un tambour, au torse squelettique, à la tête monstrueuse où ne paraissaient plus
que les os...
La vieille le fixait haineusement, les lèvres tordues, riant comme une folle.
Tout à coup, elle se mit à crier :
- Quel est ce Dieu, dis-moi, papa-Yannaros, qui laisse mourir de faim les petits enfants ?
- Tais-toi Aréti, supplia le vieillard; tais-toi, ne blasphème pas.
- Et pourquoi ne devrais-je pas blasphémer? hurlait la vieille. Qu'ai-je à craindre? Que
peut-il encore me faire ?
Elle montra l'enfant mort :
- Que peut-il encore me faire, ton Dieu ?
Le pope étendit la main sur l'enfant, comme s'il voulait le bénir ; mais la vieille le retira
brusquement.
- Ne le touche pas, cria-t-elle.
- Où l'emportes-tu, Aréti ?
- Je vais l'enterrer dans mon champ; voilà la pioche.
- Sans prières ? Je viens avec toi.
La vieille eut un rictus et l'écume lui vint à la bouche :
- Des prières ? Quelles prières ? Peux-tu le ressusciter ? Tu ne peux pas ? Alors, laissemoi tranquille.
Et serrant son petit-fils dans ses bras, elle prit à grandes enjambées le chemin des
champs.
Papa-Yannaros baissa la tête et serra le calice contre lui : «Qu’as-tu à répondre à cette
vieille, Seigneur ?» fut-il sur le point de demander au calice mais il eut peur et se tut. Tête
basse, il reprit le chemin de l'église, par les ruelles du village.
Nikos Kazantzaki (1883 - 1957)
Les frères ennemis, CH VI
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POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS
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Revue de philosophie “ALDÉRAN”
- N°27 : Dossier spécial : Le plus vaste horizon du monde, par William Ruthenford
- N°29 : Dossier spécial : La seconde mort de dieu, par William Ruthenford
Conférences sur des causes de cette crise spirituelle
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- La révolution copernicienne
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- La révolution chimique, l’exploration de la matière
- La révolution darwinienne
- La révolution einsteinienne
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Conférences sur des réactions à cette situation
- L’Orient des illusions, ou les mirages de l’orientalisme
- Les utopies spirituelles
- L’ère du Verseau, utopie astrologique
- Atlantide, histoire d’un mythe philosophique
- Le New Âge, le temps des confusions
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Conférences sur des notions présentées dans cette conférence
- La naturalité du Cosmos, les illusions du surnaturel
- La réalité du Cosmos
- La place de l’Être Humain dans la nature
- L’Être Humain et le Cosmos, vers une nouvelle alliance
- Le réenchantement du monde
- Le sens de la vie, de l’universel au particulier
- L’athéisme religieux, l’athéisme comme alter-religiosité
- L’invention de dieu, création des hommes
- L’obsolescence de dieu
- De l’irreligiosité des religions, les religions sont-elles vraiment religieuses ?
- Les religions sont-elles ennemies de la vérité ?
- Les voies de la Connaissance
- Les sectes, comment les reconnaître ?
- Les raisons du phénomène sectaire moderne
- Les croyances apocalyptiques, des mythes aux superstitions dangereuses
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Quelques livres sur le sujet
- Bref traité du désenchantement, Nicolas Grimaldi, Lgf poche, 2004
- Catholicisme, la fin d'un monde, Danièle Hervieu-Léger, Bayard Culture, 2003
- Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?, Raymond Boudon, PUF, 2002
- La troisième mort de Dieu, André Glucksmann, Nil Éds, 2000
- Lettres aux générations futures, Collectif réuni par Federico Mayor et Roger-Pol Droit, UNESCO, 1999
- Le New Âge, son histoire, ses pratiques, ses arnaques, Renaud Marhic, Emmanuelle Besnier, Éditions du
Castor Astral, 1999
- Sociologie de la sécularisation, Sylvette Denèfle, L'Harmattan, 1997
- Science et religion, Bertrand Russell, Folio Éssais, 1990
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-002 : “La crise spirituelle de lʼOccident“ - 01/07/1998 - page 12
- La longue route, Bernard Moitessier (1970), Arthaud, 1994
- Pilote de guerre, Saint-Exupéry, 1942
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-002 : “La crise spirituelle de lʼOccident“ - 01/07/1998 - page 13
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