12-Les plantes exotiques envahissantes

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CHAPITRE
12
LES PLANTES EXOTIQUES
ENVAHISSANTES
Christophe Lavergne
A
Page de droite :
Le longose, Hedychium
gardnerianum, envahit particulièrement les sous-bois,
ici celui de la laurisylve, aux
Açores. Cette herbe se propage
à la fois par la croissance de
ses rhizomes au sol et par la
dispersion de ses graines par
les oiseaux.
vec la banalisation des transports internationaux, les importations
volontaires et involontaires de végétaux, les boisements artificiels
d’essences exotiques, nous assistons à des intrusions intempestives
d’espèces et à des extensions rapides et imprévues de plus en plus nombreuses. Elles peuvent prendre une allure de catastrophe écologique
quand les nouveaux venus, trouvant dans le pays d’accueil un territoire
favorable où aucun facteur ne limite leur expansion, se font envahissants au point d’éliminer parfois la flore indigène.
Pourquoi une espèce végétale non envahissante dans son milieu
d’origine, où elle vit en équilibre dans la végétation naturelle, est-elle
capable de devenir une «peste» si elle est introduite dans un site étranger?
Cette transformation est-elle due à des aptitudes architecturales, à des
traits d’histoire de vie ou à l’absence de parasites et de prédateurs naturels?
Implique-t-elle des changements dans le génome de la plante ?
Bien que les invasions concernent divers groupes taxonomiques, nous
n’aborderons ici que le problème des plantes vasculaires envahissant les
milieux naturels et semi-naturels ; les mauvaises herbes et les plantes
adventices des cultures seront exclues. Nous entendons par plantes exo-
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volontairement ou non, sur un territoire où elles n’existaient pas, produisant souvent de nombreux descendants fertiles pouvant être dispersés à des distances considérables des pieds mères, avec la capacité de
recouvrir de grandes surfaces et de menacer les plantes indigènes et leurs
habitats (Richardson et al., 2000).
Nous discuterons ici les activités humaines à l’origine de l’introduction de plantes dans de nombreux pays, puis les mécanismes aboutissant
à une invasion. Nous verrons ensuite les conséquences de cette dernière
sur la biodiversité, et enfin les moyens de lutte et les frontières de la
connaissance en écologie des invasions.
Histoire des invasions
et mondialisation
« The history of weed is
the history of man. »
Anderson (1952)
La dérive des continents et les
barrières géographiques – océans,
lacs, montagnes, déserts, îles –
ont permis, au cours de l’évolution, l’apparition et la diversification des espèces. La mondialisation actuelle, avec les échanges
internationaux et les introductions
multiples de plantes, entraîne une
sorte d’évolution inversée ou de
dérive des continents à rebours.
Des espèces éloignées les unes
des autres pendant des millions
d’années se trouvent à nouveau
réunies. Ces rapprochements
subits des flores ne sont pas sans
conséquences : les barrières étant
rompues, les espèces les plus
compétitives déploient leurs stratégies d’établissement et colonisent,
avec l’aide de l’homme, de nouveaux territoires. Pour survivre, de
nombreuses espèces indigènes se
réfugient dans des sanctuaires de
végétation originelle ou, ne pouvant résister à l’envahisseur, elles
disparaissent.
Au cours de l’évolution, « toutes
les espèces sont ou ont été des
envahisseurs à un moment de leur
histoire » (Gouyon et al., 1989).
Nous connaissons mal les paléoinvasions, mais il est certain que
les invasions biologiques sont
naturelles et ont toujours existé. Si
le tamarin des Hauts, Acacia heterophylla, est endémique de la
Réunion, son ancêtre est arrivé
sur l’île depuis l’Australie, sous la
forme de graines transportées par
un cyclone ou bien par des courants marins ; sur les hauteurs de
l’île, les graines ont pu germer,
puis se différencier en une
nouvelle espèce. Comme de nombreux acacias, il a probablement
colonisé d’importants espaces
vierges avant de trouver un
équilibre entre 1 200 et 2 300 m
d’altitude, où il forme actuellement une forêt indigène typique.
À l’heure actuelle, le rythme des
migrations de plantes assistées par
l’homme s’accélère et celui des
invasions aussi. À la Réunion,
avant l’arrivée de l’homme il y a
300 ans, un genre s’installait tous
les 5 000 à 6 000 ans, et la radiation évolutive des genres a produit
833 espèces indigènes. Le taux
d’introduction actuel est 50 000 à
60 000 fois plus rapide.
COMMENT UNE PLANTE EST-ELLE INTRODUITE?
Les activités humaines jouent un rôle crucial dans l’introduction et la
dispersion des plantes. Les introductions sont pour la plupart volontaires, mais certaines espèces franchissent clandestinement les frontières
et empruntent des chemins insoupçonnés. Selon son intérêt, ornemental,
médicinal ou agricole, une plante va être propagée plus ou moins rapidement, l’homme étant le vecteur le plus efficace pour rompre l’isolement
géographique.
Les plantes ornementales, beautés fatales
Le marché des plantes ornementales est actuellement la source la plus
importante d’introduction de belles créatures parfois envahissantes.
L’industrie végétale, aujourd’hui en pleine expansion, propose à travers
les hypermarchés, les jardineries et les pépinières un choix considérable
d’espèces, variétés ou cultivars, sans se soucier du potentiel invasif que
présentent certaines d’entre elles. Ce commerce vert entraîne des flux de
plantes venant des quatre coins du monde ; des milliers d’espèces, avec
ou sans fleurs, sont introduites officiellement, en vertu d’un fâcheux
libre-échange dicté par l’Organisation mondiale du commerce. Il est facile
de commander et de recevoir par Internet des graines en provenance du
Japon, d’Australie, d’Amérique ou d’Afrique. En Europe, aucune loi n’empêche la circulation de graines par colis postal. Peut-être avez-vous déjà
ramené de vos voyages, pour votre jardin, des fruits, des graines ou des
boutures ? Chez combien de passionnés de plantes succulentes, palmiers,
bambous ou orchidées, ce geste est-il devenu une obsession ? Mimosa,
buddleia, berce du Caucase, herbe de la pampa, rhododendron, griffe de
sorcière en Europe, Cryptostegia, Thunbergia, tamaris ou troène en
Australie, chèvrefeuille, clématite vigne blanche, genêt à balai ou passiflore-banane en Nouvelle-Zélande, lantana, jacinthe d’eau, tulipier du
Gabon, longose dans les régions tropicales : toutes ces espèces sont devenues des « beautés fatales » dans leur pays d’introduction.
L’agriculture, source d’introductions
La diversification agricole a entraîné la culture à grande échelle de
nombreuses plantes introduites à valeur économique ; débarrassées de
leurs ennemis naturels, elles fournissent des récoltes rentables. Certaines
d’entre elles, devenant prolifiques, échappent à la domestication, envahissent les espaces naturels et menacent la survie des plantes indigènes.
Les Légumineuses fourragères ou antiérosives détiennent le record du
nombre d’espèces envahissantes. Des paysages évoquant la Bretagne,
dominés par l’ajonc d’Europe, Ulex europaeus, sont apparus en Amérique,
en Afrique, à la Réunion, en Asie, en Indonésie, en Australie, en
Nouvelle-Zélande et au Japon. Dans les années 1930, le service américain
de protection des sols a multiplié et vendu aux agriculteurs des millions
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de kudzus, Pueraria montana var. lobata, une liane d’Asie, afin de prévenir l’érosion des sols arables. Aujourd’hui, le kudzu a transformé les paysages, recouvrant tout sur son passage, en Floride, à Hawaii et dans le
Transvaal, en Afrique du Sud. Recommandé pour le reboisement et
comme plante fourragère, le petit arbre Leucaena leucocephala forme
actuellement d’immenses fourrés impénétrables dans toutes les îles indopacifiques où il a été introduit. Quant à Prosopis juliflora, il a colonisé des
millions d’hectares dans le Queensland australien.
Des plantes introduites pour l’aménagement du territoire
Pour végétaliser les bords de route, voies ferrées et espaces publics,
les paysagistes choisissent leurs plantes selon des critères esthétiques et
économiques, leur type biologique, leur forme, le volume final occupé,
la commodité de culture et d’entretien ; leur potentiel envahissant n’est
pas pris en compte, négligence très onéreuse quand il s’agit de contrôler
l’herbe de la pampa, Cortaderia selloana, en Aquitaine, aux abords des
autoroutes transformées en prairies argentines, ou dans le Midi, en
Camargue en particulier.
Certaines espèces exotiques sont utilisées pour lutter contre l’érosion
des sols ou pour stabiliser les dunes : le genêt à balai, Cytisus scoparius,
d’Europe atlantique et centrale, a été volontairement propagé en
Amérique du Nord, où il a recouvert plus de 800 000 ha de prairies et de
forêts. Les genêts étant très inflammables, l’intensité et la fréquence des
incendies ont augmenté. Des bactéries fixant l’azote atmosphérique
vivent en symbiose dans leurs racines, d’où un enrichissement du sol en
azote qui exclut diverses espèces indigènes ne pouvant tolérer ce processus.
Des ligneux exotiques pour la sylviculture
La surconsommation de bois a entraîné l’introduction de centaines
d’espèces ligneuses exotiques. Des milliers d’hectares d’essences à croissance rapide, demandant peu d’entretien, assurent une production rentable. Les programmes d’aide aux pays en voie de développement font la
promotion de pins et d’eucalyptus. Binggeli et al. (1998) estiment que
235 espèces d’arbres et d’arbustes introduits se sont établies et propagées
dans les milieux naturels à travers le monde. En Afrique du Sud, les
plantations d’acacias, d’eucalyptus et de pins ont conduit à l’épuisement
des ressources en eau et à l’envahissement du fynbos, l’un des milieux
naturels les plus riches du monde.
La responsabilité des botanistes et des industriels
Introduit comme plante
fourragère, Leucaena leucocephala (ici en fleur) est
devenu très envahissant dans
les îles indo-pacifiques. Il est
extrêmement difficile de l’éliminer car ses graines peuvent
persister dans le sol pendant
des dizaines d’années.
Les jardins botaniques sont la porte d’entrée de nombreuses plantes
envahissantes. Certains, comme le jardin de Pamplemousse à l’île
Maurice (1729), celui de Jamaïque (1774) ou celui de Peradeniya au Sri
Lanka (1821), ont été les lieux privilégiés d’introductions à des fins
économiques, médicinales ou ornementales. Un réseau d’échanges entre
jardins botaniques existait à l’époque coloniale, dirigé depuis la ville
de Kew.
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La liane papillon Hiptage
benghalensis est capable
d’étrangler littéralement son
support – ici le tronc et les
branches du bois d’ortie
(Obetia ficifolia), une espèce
endémique menacée aux
Mascareignes.
Hiptage benghalensis agit
comme un véritable « cancer
végétal » pour les restes de
forêt indigène : elle recouvre la
végétation en formant un
matelas au-dessus de la
canopée et étouffe les arbres,
qui disparaissent écrasés sous
son poids.
Il est impossible d’empêcher le vent
d’emporter des graines, un oiseau de
consommer des fruits ou un visiteur de
prélever des graines ou une bouture. C’est
ainsi que les samares de la liane papillon,
Hiptage benghalensis, se sont envolées du
jardin de Pamplemousse pour coloniser
toutes les reliques de forêts sèches. Le laurier de Victoria, Pittosporum undulatum, originaire d’Australie et introduit en Jamaïque
en 1883, s’est échappé du Cinchona Botanic
Garden, envahissant plus de 1 300 hectares
de forêts primaires (Goodland et Healey,
1996).
En 1990, au cours d’un programme de
diversification des fruits tropicaux, le
département des productions fruitières et
horticoles du CIRAD a introduit à la
Réunion la grenadine-banane, Passiflora tripartita var. mollissima, une passiflore très
envahissante en Nouvelle-Zélande et à
Hawaii ; cette liane connaît un certain succès et commence à se naturaliser. De même,
l’icaquier, Chrysobalanus icaco, a été officiellement introduit sur l’île alors
qu’il était connu pour être invasif aux Seychelles et en Polynésie française. Cette introduction volontaire à la Réunion montre à quel point
est faible la prise de conscience des risques d’invasion.
Les voies d’introductions involontaires ou accidentelles
Des graines d’espèces envahissantes sont parfois introduites accidentellement, mélangées à des semences importées. Des akènes de
Parthenium hysterophorus, une mauvaise herbe d’Amérique subtropicale,
ont ainsi été introduits involontairement avec des céréales importées
pour venir en aide à l’Éthiopie touchée par la famine dans les années
1980. Depuis, le Parthenium ne cesse de s’y propager, créant de graves
problèmes agricoles, d’environnement et de santé humaine – intoxications dues à sa tisane, plante et pollen allergènes.
Certaines pestes végétales ont fait gratuitement le tour du monde
dans des conteneurs de marchandises, des sacs de terre ou des pots de
fleurs. Des graines font de l’« auto-stop », collées aux vêtements, aux
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L’arbuste Chrysobalanus
icaco a été introduit autrefois pour lutter contre l’érosion des sols. Mais qui aurait
prévu qu’il formerait des fourrés impénétrables aux
Seychelles, à Madagascar et
en Polynésie française ?
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chaussures, aux poils du bétail, aux machines ou aux roues des véhicules.
Des graines de Miconia calvescens ont été introduites en provenance de
Tahiti dans les îles éloignées des Marquises sur les roues et les chenilles
d’engins et de bulldozers sales, ou avec des graviers ou du sol contaminés.
Le séneçon du Cap, Senecio inaequidens, a été introduit involontairement
en Europe par l’industrie lainière avec des matières utilisées dans les tanneries à la fin du XIXe siècle. Sa très forte expansion dans le sud et l’ouest
de l’Europe s’explique par une dispersion efficace des graines, empruntant
toutes les voies de communication possibles : l’eau, le vent, les animaux,
les véhicules (Muller et al., 2004).
LES MÉCANISMES DE L’INVASION
Par quel mécanisme une espèce introduite devient-elle envahissante ?
Comment une espèce naturalisée qui ne posait initialement aucun problème peut-elle ensuite occuper à ce point l’espace environnant ? Chaque
espèce envahissante a-t-elle des capacités à envahir qui lui sont propres ?
Sont-elles inscrites dans le génome ? L’aptitude à envahir est-elle liée à la
vulnérabilité du milieu ou à des éléments extérieurs facilitateurs ? Est-ce
encore une histoire de temps ? L’écologie des invasions est en plein essor
depuis les années 1980 et, malgré des questions non résolues, elle
apporte quelques réponses.
Parmi les espèces introduites, combien deviennent envahissantes ?
Les introductions de plantes sont nombreuses sur tous les continents,
mais très peu d’espèces se comportent en envahisseurs. La règle des trois
10 nous donne une estimation de la proportion d’espèces introduites
devenues envahissantes (Williamson et Brown, 1986). Seulement 10 %
des espèces introduites s’acclimatent à leur nouveau milieu ; 10 % de ces
espèces acclimatées s’établiront durablement en se naturalisant, et 10 %
de ces espèces naturalisées deviendront envahissantes. Cet ordre de grandeur, établi pour la flore européenne, reste valable pour d’autres régions
et pour divers groupes taxonomiques.
Comment une plante introduite devient-elle envahissante ?
Chaque plante introduite, soumise à un parcours du combattant,
devra franchir des barrières physiques, climatiques, biologiques, temporelles et aléatoires. Dans son nouvel environnement, elle devra s’adapter
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Nombre d’espèces végétales introduites, naturalisées et envahissantes
dans différentes régions insulaires ou continentales
Îles/pays
Nombre
d’espèces
introduites
Nombre
d’espèces
naturalisées
Nombre
d’espèces
envahissantes
Sources
France
> 1 100
479
61
Weber (1997),
Aboucaya (1999),
MNHN (2003-2006)
Afrique
du Sud
> 9 000
> 1 000
160
Henderson (1998),
Nel et al. (2004)
NouvelleCalédonie
> 1 400
360
64
Meyer et al. (2006)
NouvelleZélande
> 20 000
2 319
217
Owen (1997),
Randall (2002)
Hawaii
> 10 000
1 270
469
Staples et Cowie
(2001), Eldredge
(2006)
Polynésie
française
> 1 800
> 590
> 70
Meyer, données
non publiées
Réunion
> 3 000
850
> 50
Lavergne, données
non publiées
aux sols, aux climats, aux perturbations, aux pathogènes, aux insectes et
mammifères herbivores. Il lui faudra ensuite se reproduire et établir des
populations stables. Les espèces cultivées, spontanées ou adventices des
cultures n’atteignent ce stade que si elles sont maintenues par l’homme ;
puis elles doivent s’échapper du champ, du jardin ou du bord de route.
Elles passent la barrière qui les empêchait de redevenir sauvages : elles se
naturalisent. Elles doivent alors sauter la dernière barrière, c’est-à-dire
exploiter les conditions favorables de l’habitat d’accueil, une perturbation
par exemple : elles sont devenues envahissantes.
Une importante notion explique pourquoi une espèce naturalisée
peut devenir envahissante : c’est la phase de latence précédant l’invasion,
entre la date d’introduction et le début de la phase de croissance exponentielle de cette invasion (Kowarik, 1995). La période de latence peut
atteindre une centaine d’années. Trois catégories de facteurs marquent la
fin de cette phase de latence et déclenchent l’invasion (Crooks et Soulé, 1999):
• l’augmentation du taux de croissance de la population et l’expansion
de l’aire de distribution, dépassant un seuil critique ;
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• le changement d’un facteur environnemental : introduction d’un
herbivore, pollinisateur ou disséminateur, incendies, cyclones, sécheresse, inondations, eutrophisation, déforestation, etc. ;
• une adaptation génétique : hybridation, recombinaison, mutation ou
introgression.
Le filao, Casuarina equisetifolia, est devenu envahissant en Floride
soixante-cinq ans après son introduction, à la suite du passage de deux
cyclones. Le banian de Malaisie, Ficus microcarpa, a envahi la Floride
quarante-cinq ans après l’introduction de l’hyménoptère pollinisateur
Eupristina (Parapristina) verticillata.
Comment s’explique le succès d’une invasion ?
La réussite d’une invasion est due à la combinaison de caractères
propres à la fois à l’espèce envahissante et à l’environnement colonisé. Il
est impossible de dresser le portrait type de l’envahisseur idéal, la nature
aléatoire des processus d’invasion rendant difficile l’interprétation de
leur déterminisme. Cependant, certains traits communs dominants peuvent être soulignés.
Au départ, un facteur va conditionner la réussite de l’invasion, c’est
la pression de propagules, c’est-à-dire le nombre de fois où l’espèce est
introduite et le nombre d’unités reproductrices arrivant en même temps :
rhizomes, boutures, graines… Avec une forte pression de propagules,
les populations de plantes envahissantes croissent rapidement. Divers
facteurs aléatoires, comme la taille de l’inoculum initial, le temps de résidence, ou temps depuis l’introduction, et d’autres événements accidentels, sont aussi importants. Le risque qu’une espèce envahisse ou qu’un
écosystème soit envahi augmente avec le temps de résidence. L’absence
d’ennemis naturels dans le pays d’introduction explique en partie l’invasion par une plante exotique qui se trouve libérée de tout contrôle biologique.
Les invasions peuvent se faciliter les unes les autres et les espèces
envahissantes agissent alors en synergie. C’est le cas de la centaurée du
solstice, Centaurea solstitialis, du Moyen-Orient et d’Europe méridionale,
qui a couvert 10 millions d’hectares en Californie. Cette petite herbe
exotique a enfoncé la porte de l’écosystème initial, permettant à beaucoup d’autres plantes envahissantes de s’établir (Morghan et Rice, 2005).
À la Réunion, l’arbrisseau Clidemia hirta s’est propagé principalement
grâce au bulbul orphée, Pycnonotus jocosus, un oiseau disséminateur
devenu lui-même très envahissant (Mandon-Dalger et al., 2004). En
Méditerranée, l’invasion par les griffes de sorcière a été facilitée par les
rats et les lapins, vertébrés par ailleurs très prolifiques (Bourgeois et al.,
2005).
Comment fonctionne une plante envahissante ?
Chaque plante envahissante possède une stratégie d’invasion modulable, les traits biologiques de l’espèce s’adaptant ingénieusement au
contexte de l’aire d’introduction. Beaucoup d’envahissantes sont des
plantes pionnières de zones ouvertes dotées de ce que l’on appelle en écologie une « stratégie r » : croissance et reproduction rapide, durée de vie
courte, graines à faible longévité, germination rapide.
Certaines aptitudes architecturales peuvent être avantageuses
Clidemia hirta est un
envahisseur redoutable des
lisières et trouées
forestières, des sous-bois de
forêts ouvertes, mais aussi de
cultures en région tropicale.
Selon une étude récente, son
aptitude à envahir semble liée
à l’absence d’ennemis naturels
dans l’aire d’introduction.
Une espèce qui, du fait de la disposition de ses axes, est capable d’occuper l’espace et ainsi de s’approprier l’énergie lumineuse sera plus compétitive. La ronce asiatique Rubus alceifolius, mi-buisson, mi-liane,
grimpe aux arbres et les étouffe. Le longose, Hedychium gardnerianum,
colonise les sous-bois forestiers grâce à la croissance sympodiale de ses
rhizomes rampants et à la production de tiges feuillées dressées. Larges
et disposées horizontalement, les feuilles absorbent plus de 90 % du flux
lumineux, ce qui a pour conséquence d’assombrir le sous-bois et d’empêcher la régénération des autres espèces.
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La reproduction est généralement importante et précoce
Importé comme ornemental,
Miconia calvescens occupe
maintenant les deux tiers de
Tahiti. Il mobilise de nombreux efforts de lutte à
Hawaii, où il s’est établi. Son
arrivée dans d’autres îles tropicales doit faire l’objet d’une
haute surveillance.
À Tahiti, un Miconia calvescens à peine âgé de quatre ans produit
200 000 graines par an, et un arbre plus vieux en produit 10 à 20 millions
(Meyer et Florence, 1996). Le résultat est là : « Vue d’avion, [la plante]
forme une moquette émeraude sans accroc sur les deux tiers des pentes
volcaniques de Tahiti. Impeccable : pas la moindre cime feuillue différente ne dépasse. Et le sous-bois dénudé ressemble à celui d’une sapinière
artificielle. […] Miconia calvescens est la peste absolue des îles du
Pacifique » (Le Monde, 12 décembre 1997).
Une sexualité efficace est utile mais non obligatoire, certaines espèces
envahissantes ne se multipliant que de façon végétative. Dans les
Mascareignes, le choca, Furcraea foetida, ne peut se reproduire sexuellement puisque son pollinisateur spécifique, peut-être une chauve-souris
d’Amérique tropicale, n’a pas été introduit. Il se multiplie végétativement grâce aux milliers de bulbilles qui naissent sur des inflorescences
dépassant trois mètres de haut : tous les individus ayant envahi l’archipel
forment un clone.
Les capacités de dispersion sont très efficaces
Les plantes capables de disperser leurs diaspores (fruits, semences,
fragments de rhizome…) à la fois sur de courtes et de longues distances
peuvent être des envahisseurs redoutables. La dispersion à courte distance est assurée par simple gravité (barochorie) ; à longue distance, elle
nécessite des agents disséminateurs, vent, eau ou animaux. Certaines
espèces jouent sur plusieurs moyens de dispersion, comme le noyer
(Juglans regia), qui est disséminé à la fois par gravité, par des oiseaux ou
des mammifères (zoochorie). Coloniser de nouveaux sites, c’est constituer d’autres foyers d’invasion. Certaines graines peuvent résister aux
incendies et en ont même besoin pour germer ou être dispersées par
ouverture des fruits, comme celles de Melaleuca quinquenervia et de Pinus
radiata. À l’échelle paysagère, les réseaux fluviaux ou routiers sont des
voies privilégiées de propagation des invasions végétales. Pour les plantes
rudérales, ornementales et alimentaires, l’homme est le principal moteur
de dispersion au niveau mondial.
Certaines aptitudes génétiques peuvent jouer un rôle important
Les plantes dotées d’une grande variabilité génétique et les polyploïdes sont de bons candidats à l’invasion. La polyploïdie maintient une
diversité génétique élevée, augmente la compétitivité et l’adaptabilité de
l’espèce. Une plante introduite peut également devenir envahissante en
ajustant son phénotype aux nouvelles conditions d’habitat (plasticité
phénotypique) ou en créant des écotypes par adaptation génétique.
Deux espèces de Cortaderia en Californie illustrent l’influence des
gènes sur le comportement invasif. Cortaderia jubata produit des graines
viables sans fécondation (apomixie). Les individus forment des clones
avec peu de variation génétique ; cette espèce n’envahit que les littoraux
abandonnés par l’homme. À l’inverse, C. selloana, qui se reproduit par
graines issues de fécondation croisée, montre donc une diversité génétique considérable et peut aussi envahir des habitats naturels à l’intérieur des terres (Lambrinos, 2002).
Les hybrides sont également d’excellents envahisseurs, comme en
témoigne en Europe la vigueur hybride de la renouée de Bohême,
Fallopia x bohemica (syn. Reynoutria x bohemica), beaucoup plus envahissante que ses plus proches parents, Fallopia japonica et F. sachalinensis,
qui, restant généralement stériles, se multiplient végétativement (Pysek
et al., 2003).
La flexibilité du système de reproduction associée à des remaniements
génétiques peut être la clé du succès d’une invasion : en Méditerranée, les
envahissantes griffes de sorcière, Carpobrotus edulis, devenues autofertiles
^
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et supportant bien la « consanguinité », ont la capacité de se reproduire
sans partenaires sexués ni pollinisateurs (Suehs, 2005).
Pourquoi et comment certains habitats sont-ils envahis ?
Tous les écosystèmes peuvent être envahis, mais certains ont plus de
chances de l’être que d’autres, surtout s’ils sont perturbés et riches en éléments nutritifs. La résistance de certains habitats aux invasions reste
encore énigmatique. On peut définir l’invasibilité d’un habitat par sa vulnérabilité aux invasions.
Les îles sont bien plus vulnérables que les continents. La vulnérabilité accrue des habitats urbains et agricoles tempérés ou des forêts des
bords de fleuve n’est plus à démontrer. Le Nouveau Monde est aussi plus
sensible que l’Ancien. Les environnements extrêmes – zones alpines,
forêts équatoriales, marécages, déserts ou plages sableuses – sont peu
sensibles aux invasions, jusqu’au jour où une espèce « préadaptée » à
l’habitat arrive et envahit tout.
Les perturbations du milieu, naturelles ou anthropiques, jouent un
rôle déterminant dans le déclenchement des invasions : sur les coulées
volcaniques récentes d’Hawaii et de la Réunion, les plantes introduites
empêchent le retour à la forêt d’origine, car la recolonisation par les
plantes indigènes est beaucoup plus lente.
On pense habituellement qu’une espèce est peu capable d’envahir un
habitat indigène non perturbé, mais de nombreux cas montrent que cette
résistance aux invasions n’est qu’un mythe, au moins dans les îles. Le
miconia à Tahiti ou le troène de Ceylan à la Réunion continuent d’envahir des forêts indigènes (Meyer, 1994 ; Lavergne et al., 1999).
L’invasibilité varie aussi selon la structure de la communauté végétale
résidente (Rejmánek et al., 2005) : une friche dominée par des
Légumineuses est plus vulnérable aux envahissantes nitrophiles (PrieurRichard et al., 2002) ; les prairies sont plus résistantes aux invasions en
Europe, alors qu’elles sont très sensibles ailleurs (Pysek et al., 2002).
Un autre facteur favorisant l’invasion est la disponibilité des ressources et de l’espace, qui augmente en cas de perturbations. Les espèces
envahissantes prospèrent mieux quand les ressources en eau, en éléments nutritifs et en lumière sont abondantes ; en revanche, dans les
milieux pauvres, elles ont plus de mal à concurrencer les espèces indigènes, adaptées à leurs habitats depuis des millénaires. Cependant, Funk
et Vitousek (2007) ont montré que certaines espèces exotiques peuvent
envahir des milieux pauvres en utilisant efficacement les ressources disponibles.
Pourquoi les îles
océaniques sont-elles
plus envahies que les
continents ?
Comme certains espaces continentaux isolés (lacs, marais, montagnes et vallées enclavées), les
îles océaniques sont particulièrement sensibles aux invasions. Une
montagne peut être considérée
comme une île au milieu de
zones plus basses. Plusieurs hypothèses ont été avancées.
Du fait qu’elles sont isolées et
géologiquement jeunes (à cause
de leur origine volcanique), les
îles océaniques sont caractérisées
par une richesse spécifique relativement faible, un fort taux d’endémisme et surtout un déséquilibre taxonomique appelé dysharmonie – absence de certains
groupes comme les amphibiens
ou les mammifères carnivores et
herbivores. Ainsi, la pauvreté en
espèces, la structure simple des
communautés et la rareté des
interactions entre espèces rendent
les écosystèmes insulaires plus
invasibles, puisqu’elles en font
des écosystèmes simples pouvant
fournir des niches écologiques
vacantes aux nouveaux venus
(D’Antonio et Dudley, 1995).
Les échanges limités avec les
populations d’origine peuvent
aussi entraîner des problèmes
génétiques, comme la « consanguinité », qui fragilise les populations (Kaneshiro, 1995).
Les moteurs de la sélection naturelle sur les continents sont les
prédateurs et les parasites, les épidémies dévastatrices, les pâturages, le piétinement des herbivores et le passage fréquent des
feux ; en l’absence de ces pressions de sélection, les espèces
insulaires sont moins compétitives
que les espèces continentales
introduites.
Mais la cause majeure des invasions massives dans les îles est
certainement le bouleversement
lié aux activités humaines,
comme la déforestation et les
extinctions massives et rapides
des espèces indigènes. Dans les
îles très peuplées, l’homme a
introduit un nombre d’espèces
végétales et animales considérable par rapport à celui des
espèces autochtones et aux surfaces disponibles.
Les îles volcaniques – la Réunion,
la Polynésie française, Hawaii, les
îles Galápagos ou Juan Fernández
(voir le chapitre 20, deuxième
partie) – détiennent des records
en matière de diversité d’habitats
au kilomètre carré, et les distances entre zones anthropisées et
zones naturelles sont courtes ; par
conséquent, une espèce introduite
peut atteindre très rapidement
tous les milieux qui lui sont favorables (Cronk et Fuller, 1995).
Quels dégâts les plantes envahissantes provoquent-elles ?
Les invasions sont reconnues comme la seconde cause d’érosion de la
biodiversité mondiale, après la destruction et la fragmentation des habitats (Millennium Ecosystem Assessment, 2005), les îles océaniques et
leurs écosystèmes originaux étant particulièrement touchés. Il est illusoire de considérer que certains écosystèmes demeurent des coffres-forts
inaliénables ; même les secteurs montagneux ou polaires ne sont pas à
l’abri des invasions. Les impacts directs ou indirects des pestes végétales
sont complexes, imprévisibles et difficiles à mesurer.
Le pire impact est certainement l’extinction d’une espèce indigène,
mais il a rarement été démontré que les invasions par des plantes pouvaient être responsables d’extinctions. La disparition des espèces est principalement due à la dégradation ou à la perte de leurs habitats. En
revanche, les plantes envahissantes peuvent empêcher la régénération
des plantes indigènes en inhibant leur croissance et leur reproduction
avec des composés toxiques (allélopathie) ou en accaparant toutes les
ressources du sol. L’invasion est davantage le symptôme de modifica-
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^
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Les plantes exotiques envahissantes
tions de l’environnement induites par l’homme que la cause de ces changements.
Les plantes exotiques envahissantes produisent de sérieux effets sur
la composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes en
modifiant leurs conditions : lumière, hydrologie, cycles de décomposition
de la litière, biochimie du sol, processus géomorphologiques, régime des
perturbations, interactions plantes-animaux, réseaux trophiques entre
communautés, etc. Une seule espèce peut altérer le fonctionnement de
tout un écosystème : la recolonisation naturelle des coulées volcaniques
est bloquée par le filao, Casuarina equisetifolia, à la Réunion et par Myrica
faya à Hawaii, deux espèces fixatrices d’azote atmosphérique. Ces arbres
capables de changer profondément un milieu sont qualifiés de « transformateurs » (Richardson et al., 2000).
Un autre impact est l’homogénéisation des paysages, des habitats et
des flores, certaines espèces pouvant former des couverts denses monospécifiques. Le goyavier-fraise, Psidium cattleianum, a remplacé des milliers d’hectares de forêt primitive à l’île Maurice, à Hawaii, à Norfolk et
en Polynésie française.
L’évaluation des impacts socio-économiques des invasions est malaisée.
Le coût de la lutte, les pertes de productions agricoles, les dépenses de
santé publique ou les conséquences d’une catastrophe écologique sont les
retombées les plus faciles à chiffrer : pour les États-Unis, les dégâts environnementaux dus aux plantes envahissantes sont estimés à 123 milliards de dollars par an (Pimentel, 2005). Le coût de la disparition d’un
habitat ou d’une espèce endémique rare est plus difficile à estimer. Ces
pertes sont énormes en termes financiers, si l’on considère les retombées économiques du tourisme vert ou encore la valeur d’une espèce
végétale en médecine ou en agriculture (McNeely, 1988).
PEUT-ON GÉRER LES INVASIONS ?
Si les pestes végétales majeures retiennent l’attention des autorités
locales, en phase initiale d’invasion la menace, plus difficile à détecter, est
rarement prise en compte. Les moyens sont souvent mobilisés trop tard,
quand l’invasion concerne déjà un grand territoire et que la lutte, devenue trop coûteuse, n’a que peu de chances de réussir. Les opérations
hâtives menées au coup par coup, sans véritable suivi, sont généralement vouées à l’échec. Le meilleur moment pour lutter contre une plante
envahissante est la phase de latence, la prévention étant beaucoup moins
onéreuse et plus facile à mettre en œuvre que la lutte curative.
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Page de gauche :
À la Réunion, le filao,
Casuarina equisetifolia,
parvient à bloquer la recolonisation naturelle des coulées
volcaniques en formant une
forêt monospécifique très
sensible aux incendies et sous
laquelle rien ne pousse.
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Les différents moyens de lutte
L’objectif est de prévenir les invasions ou de les contrôler, dans le
temps et dans l’espace. Les méthodes de lutte classiques commencent,
avant même que l’on se lance dans la lutte proprement dite, par l’élaboration d’une stratégie qui se résume ainsi : surveiller, détecter, éradiquer,
contenir, contrôler ou « vivre avec ».
réduites. Elle nécessite d’importants moyens en produits phytocides, en
appareillages et en main-d’œuvre. Non sélective, elle peut être dangereuse pour les milieux aquatiques et les nappes phréatiques. À Hawaii,
on contrôle les longoses en injectant du metsulfuron méthyle dans les
rhizomes à l’aide d’une seringue. Les arbres envahissants sont traités par
application d’un herbicide directement sur les souches coupées.
La lutte biologique
La lutte manuelle ou mécanique
Elle consiste à arracher, débroussailler ou couper les plantes envahissantes. Cette technique, très pratiquée même si son efficacité est limitée
sur des invasions occupant de grandes surfaces, ne permet pas d’éradiquer une espèce, à moins que l’invasion ne soit traitée de manière précoce. La lutte manuelle s’avère très coûteuse à long terme, la régénération
de l’espèce envahissante nécessitant le renouvellement fréquent de l’opération. À la Réunion, l’élimination de 70 tonnes de longoses sur un hectare de forêt indigène envahie coûte environ 24 000 € (Lavergne, 2005).
Adopter une stratégie
de lutte efficace
Pour faire face aux invasions, la
stratégie est d’intervenir de façon
coordonnée dans tous les
domaines concernés en impliquant
l’ensemble des acteurs : décideurs,
chercheurs, gestionnaires et usagers.
Cette stratégie se fonde sur
8 points (Genovesi et Shine,
2003 ; Muller et al., 2004) :
• bien connaître les espèces
envahissantes, leur distribution,
leur biologie, leur écologie, leur
dynamique sur le territoire
envahi : la recherche et la coopération internationale jouent un
rôle essentiel ;
• prévenir les risques d’invasion :
réglementer les activités favorisant
la dispersion, limiter les introductions accidentelles, protéger les
écosystèmes isolés ;
• informer et sensibiliser le
public et les professionnels sur la
menace des invasions ;
• collecter, gérer et partager
avec les techniciens et les gestionnaires l’information concernant
les moyens de contrôle, les inventaires d’espèces, la recherche et la
surveillance ;
• intervenir le plus tôt possible
en adaptant la lutte aux espèces
préoccupantes et au contexte
régional : surveillance, détection
précoce et réaction rapide ;
• atténuer l’impact et restaurer
la biodiversité indigène par éradication, confinement et lutte ;
• renforcer les cadres politiques,
administratifs et juridiques : direction et coordination, analyse et
développement, outils et
approches, plans d’action, respect
et application des dispositions ;
• créer une structure de coordination des actions contre les
espèces envahissantes au niveau
national avec des relais
régionaux : un observatoire des
invasions coordonnera les actions
ainsi que les ressources humaines
et financières afin de renforcer les
capacités de lutte, de recherche et
de prévention.
La lutte chimique à l’aide d’herbicides
Cette forme de lutte est souvent associée à la lutte manuelle ou mécanique. Elle ne fonctionne que si elle est utilisée de manière chirurgicale,
mais son efficacité est temporaire et ne peut concerner que des surfaces
C’est une stratégie de lutte en voie de développement. Dans son pays
d’origine, chaque espèce est contrôlée par des pathogènes, parasites et
herbivores. Le principe est de rechercher les ennemis naturels de l’espèce
dans l’aire d’origine, de les introduire dans la région envahie pour contenir les populations envahissantes, et d’établir un nouvel équilibre écologique entre les ravageurs et la plante cible à contrôler. Le but poursuivi
est, en diminuant la densité de cette espèce cible, d’atténuer la compétition avec les espèces indigènes, mais cela ne permet pas l’élimination
totale de l’espèce envahissante.
Il faut compter plus de dix ans d’étude pour mettre au point la lutte
biologique. Il est difficile de prévoir son niveau d’impact et, généralement, elle ne produit que 50 % de réussite. Cependant, elle fait ses
preuves depuis une cinquantaine d’années et ses effets sont durables :
une fois établis, les agents de lutte pullulent et se propagent naturellement. De plus, cette méthode est sélective vis-à-vis des autres espèces et
donc sans danger pour l’environnement, comme le montre le contrôle
biologique du cactus Opuntia stricta en Australie par les larves du
papillon Cactoblastis cactorum.
La lutte écologique
Elle tient compte des points faibles de la plante envahissante, de la
vulnérabilité de l’écosystème, des techniques disponibles et des
contraintes socio-économiques. Contrôler les facteurs de propagation,
limiter les perturbations liées aux activités humaines, maintenir les
milieux naturels ou les restaurer sont des moyens écologiques pour limiter
l’intrusion et la prolifération des plantes envahissantes. L’adaptation des
pratiques agricoles, le feu, le pâturage ou encore l’enrichissement du sol
en carbone constituent d’autres formes de lutte écologique. On peut aussi
reconstituer un couvert végétal à l’aide d’un arbuste envahissant à courte
durée de vie, comme Solanum mauritianum, facilitant l’implantation d’espèces indigènes. À l’échelle régionale, en combinant plusieurs techniques, la lutte s’intègre à l’aménagement du territoire.
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La prévention
Cette dernière stratégie de lutte vise à éviter l’introduction de nouvelles espèces envahissantes, à empêcher la propagation de plantes
potentiellement envahissantes et à limiter l’extension d’invasions localisées. En ce qui concerne le premier objectif, on adapte la réglementation
aux importations végétales : le Weed Risk Assessment australien évalue
le risque d’invasion avant l’introduction d’une espèce. Chaque espèce
reçoit une note, basée sur son histoire comme envahissante dans d’autres
régions du monde, ses exigences climatiques et ses traits biologiques.
Pour atteindre le deuxième objectif, il faut surveiller et intervenir
rapidement avant le début d’une invasion : ce système d’alerte est calqué
sur les modèles de détection précoce et d’intervention rapide en cas de
départ d’incendies ou d’apparition d’épidémies. La prévention nécessite
aussi l’éducation, la sensibilisation et l’information des acteurs de tous les
niveaux, ainsi que l’organisation d’un réseau d’échanges améliorant l’accès
à l’information et sa diffusion.
Les conflits d’intérêts
Aux frontières de notre connaissance des invasions
Le domaine de l’écologie des invasions reste peu exploré. Depuis les
années 1980, d’énormes progrès ont été réalisés en matière de concep-
tualisation, d’étude et de contrôle de cas précis d’invasion et d’habitats
envahis.
De nouveaux concepts permettent des généralisations plus solides
(Richardson et Pysek, 2006). De nombreux efforts ont porté sur le pouvoir envahissant des espèces, ainsi que sur l’invasibilité et la résistance
biotique des habitats. Il est encore difficile de généraliser le fait que les
communautés les plus diversifiées soient les moins invasibles : nous
l’avons vu, le niveau de résistance ou de vulnérabilité d’un habitat, riche
ou pauvre en espèces, dépend des perturbations, des ressources disponibles, du climat, des facteurs liés à l’insularité, de la pression de propagules, de l’échelle et du contexte de l’observation.
Pour comprendre les invasions et limiter leur impact, plusieurs pistes
sont à l’étude : on tente ainsi de définir les traits de l’envahisseur type en
relation avec les caractéristiques de chaque habitat. Les critères identifiant les espèces à fort potentiel envahissant sont utilisés pour prévenir
des invasions futures. Des listes d’espèces envahissantes pour chaque
région du monde se constituent, mais le manque de définitions standar^
Le goyavier-fraise, Psidium cattleianum, est l’exemple d’une plante
envahissante entraînant des conflits d’intérêts. Importante source de
revenus à la Réunion, où ses fruits, très appréciés, sont l’objet d’une fête
annuelle ancrée dans les traditions, cet « or rouge » se développe, et des
chercheurs travaillent à l’amélioration variétale et à l’optimisation de la
production. Pourtant, cet arbuste est mondialement connu pour être
envahissant et son impact sur les écosystèmes insulaires est incontestable.
Les points de vue sont très divergents dans l’île, mais aussi dans d’autres
territoires: à Hawaii, il a été envisagé de le contrôler par la lutte biologique.
Le monde de l’horticulture est loin d’imaginer que ces belles plantes,
multipliées par les jardiniers, peuvent devenir un cauchemar pour la
nature. Il est difficile de faire admettre aux horticulteurs, paysagistes et
responsables de l’aménagement du territoire que le tulipier du Gabon,
Spathodea campanulata, est un arbre potentiellement envahissant qu’il
ne faudrait plus planter au bord des routes. À la Réunion, plus de
130 tulipiers ont été plantés sur la piste d’une réserve naturelle, alors qu’à
Tahiti des tulipiers colorent en rouge orangé des vallées entières.
Le tulipier du Gabon,
Spathodea campanulata,
est un arbre majestueux. Mais
sa plantation en ornement a
entraîné l’invasion de vallées
entières sur les îles d’O’ahu et
de Maui (Hawaii) ainsi qu’à
Tahiti (Polynésie française),
comme on le voit ici.
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disées entraîne des confusions entre espèces naturalisées et espèces envahissantes.
La recherche actuelle s’oriente vers l’étude des interactions entre les
espèces envahissantes et entre elles d’autres espèces, comme les associations mutualistes ou hôte-pathogènes, et vers la capacité de ces dernières
à résister aux invasions ou à les faciliter.
Une recherche en cours vise à comprendre le déterminisme des
rapides changements évolutifs – micro-évolution, coévolution, spéciation, polyploïdie – qui se produisent au sein des espèces envahissantes
(Olden et al., 2004).
La détection et l’évaluation des impacts sur les écosystèmes ne sont
pas encore au point ; c’est une étape cruciale pour identifier les plantes
envahissantes et orienter les efforts de lutte.
Les sciences de la conservation se concentrent actuellement sur la
gestion des invasions et la restauration des écosystèmes indigènes (voir
le chapitre 12 du volume II). Le rapprochement de l’écologie et des
sciences humaines, économiques et sociales pourrait fournir une nouvelle approche.
La multiplication des études d’invasions à l’échelle planétaire devrait
rendre plus robustes les essais de généralisation et de prévision, améliorant notre compréhension du phénomène et notre capacité à le gérer. Le
suivi de l’invasibilité des écosystèmes et du comportement invasif des
espèces selon les gradients climatiques serait essentiel pour comprendre
ces changements globaux.
UN BILAN EST-IL ENVISAGEABLE ?
Les processus d’invasion, d’une grande complexité, sont un enjeu
majeur pour la conservation de la nature. Les invasions ont toujours
existé, mais leur rythme s’est accéléré avec celui des activités humaines :
généralement silencieuses et invisibles, elles constituent aux yeux de la
société un phénomène récent, dont le public commence tout juste à
mesurer l’ampleur. La mise en œuvre d’une politique forte de sensibilisation et d’éducation est urgente.
L’homme, le pire des envahisseurs, accélère les déplacements d’espèces, transforme les milieux et les rend plus invasibles.
Un aspect préoccupant des changements climatiques et environnementaux est le risque qu’ils augmentent l’instabilité des écosystèmes,
permettant à des plantes introduites, inoffensives pour l’instant, de se
faire invasives. Les plantes exotiques envahissantes s’adaptent rapide-
ment aux variations environnementales ; avec les changements globaux,
elles prendront une place considérable dans les écosystèmes (Thuiller et
al., 2007). L’invasion de la Méditerranée par l’algue tropicale Caulerpa
taxifolia pourrait s’étendre au nord de l’Atlantique du fait du réchauffement de l’océan. En Antarctique, l’augmentation des températures et la
diminution des précipitations entraînent la prolifération du pissenlit et
des Graminées introduites, au détriment d’espèces autochtones telles
que l’azorelle et le chou de Kerguelen.
L’impact global des invasions est inquiétant, car nous ne connaissons
pas l’issue du phénomène, son ampleur ni ses effets sur l’équilibre planétaire. Un nouvel équilibre sera-t-il atteint un jour ? Une chose est certaine : une redistribution des espèces et une restructuration des habitats
s’opèrent sous nos yeux, et elles semblent irréversibles. La société
actuelle accepte mal ce remaniement de la nature, même si elle en est à
l’origine.
Face à la mondialisation, aux changements climatiques globaux, à la
crise de la biodiversité et à l’ampleur des invasions, l’homme est-il prêt
à changer son comportement ? Les activités humaines, qu’il s’agisse des
déplacements, des importations et des exportations de marchandises ou
des activités de loisir, peuvent difficilement s’interrompre.
Le défi à relever est immense : pour maintenir la biodiversité des écosystèmes et les services qu’elle nous rend à l’échelle mondiale, l’homme
doit lutter contre ou vivre avec les plantes envahissantes, tout en renforçant les capacités de défense des habitats indigènes par une gestion
adaptée.
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