Le Langage des arbres *

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Docteur Julia BORT
Le Langage des arbres *
* Article publié dans la revue Natura VIII,I (Mai 1938). Traduit de l’allemand par Mireille Delacroix.
« Le médecin doit passer par l’examen de la nature », disait Paracelse à une époque où les
derniers échos de la sagesse des Mystères vivifiaient le savoir et le savoir-faire médical. En
ces temps-là, dans la nature, dans la pierre, la plante ou l’animal, on ne voyait ni ne cherchait
pas encore, comme aujourd’hui, les forces et substances physiques et chimiques pour les
transmettre à l’homme en raison de cette efficacité.
On pénétrait encore dans la vie des éléments, on pressentait et cherchait encore les forces
modelantes, animiques et spirituelles qui agissaient dans les éléments et engendraient le
monde des phénomènes.
Le médecin a affaire à l’être humain. Serait-il par hasard possible de porter un regard plus
profond, plus large sur l’être de l’Homme en passant par l’examen de la Nature ?
Goethe, qui connaissait bien l’homme, s’est souvent vu reprocher que son étude de la
nature était non pas une science, mais un art. Rudolf Steiner, qui se rattachait à Goethe et a
repris son étude de la nature en la menant plus loin, a maintes fois plaidé contre ces reproches ;
il disait : « Et si la Nature créait selon les lois de l’art, ne devrions-nous pas nous-mêmes
devenir des artistes pour surprendre ses secrets, pour rechercher les lois selon lesquelles elle
crée ? Si la Nature est un architecte, un peintre, un sculpteur, ne devrions-nous pas nousmêmes devenir architecte, peintre et sculpteur pour entrer en relation avec elle d’une façon
plus proche, plus amicale ? Ou bien la Nature, et toute créature, est-elle parvenue à son terme ?
Les rythmes et les sons de sa musique sont aujourd’hui devenues pour nous inaudibles. Y a-til peut être en elle les forces sonores, formatrices, d’un Verbe pour lequel nos sens ne sont
plus ou pas encore ouverts ? « En l’origine était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et
le Verbe était Dieu. C’est par lui que tout est advenu, et rien de ce qui existe n’est advenu
sans lui ».
Dans les créatures, le Verbe créateur se tait. Seul l’homme se voit accorder la grâce que le
verbe peut de nouveau résonner dans sa bouche.
En eurythmie, le verbe est devenu un geste muet qui résonne intérieurement. Ce mutisme
extérieur, ce mouvement intérieur, ces forces vivantes qui forment et structurent, c’est aussi
ce qui fait l’être des plantes.
N’y aurait-il pas là un pont permettant de passer de l’homme à la connaissance du monde
végétal ?
Considérons, par exemple, pour commencer, les arbres. Rudolf Steiner nous a donné une clef :
il a montré, comment certains arbres sont en rapport avec les forces cosmiques de planètes.
Quand on nous dit qu’il existe un rapport entre le plomb et Saturne et la voyelle U (prononcée
OU), entre le soleil et l’or et la diphtongue AU (AOU), cela fait référence à une somme de
qualités qui constituent l’essence tant de la planète que du métal et de la sonorité.
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La couleur grise, la pesanteur, la chaleur intérieure, la force des hauteurs et des profondeurs,
la concentration et la faculté de retenir qui, dans le domaine de l’esprit, devient la mémoire,
toutes ces qualités réunies donnent l’image de l’être de Saturne. Une brillance d’or, des forces
rayonnantes qui prodiguent la vie, à mi-chemin entre le mou et le cassant (le cuivre et l’étain),
tout cela compose l’image de l’être du soleil.
Si maintenant nous voulons considérer les arbres pour leur rapport avec les forces cosmiques
de certaines planètes et aussi avec des forces eurythmiques déterminées, l’observation vivante
ne doit pas pour autant se soumettre à une théorie abstraite. Bien au contraire, nous voulons
essayer, avec cette clef en mains, d’accéder a la multiplicité, à la diversité des phénomènes, et
de voir s’il n’y aurait pas une porte qui s’ouvre sur un monde où les phénomènes isolés
s’ordonnent en un ensemble et forment des images caractéristiques.
Toutes les plantes, et donc aussi les arbres, sont des êtres temporels qui demandent à être
étudiés en tant que « devenir » et « devenu » dans le cours du temps. Le devenir, perpétuelle
métamorphose, nous le trouvons dans ce qui, au cours de l’année, se joue au-dessus du sol :
feuilles qui poussent, floraison et fructification, dépérissement de la plante qui se fane et
meurt. Le devenu, ce sont les troncs et les branches, ces monuments qui durent parfois des
siècles. Là, l’être de l’arbre élève la terre informe à la sphère des forces formatrices vivantes ;
là, une forme est modelée, des signes sont gravés dans le tronc et l’écorce. Ces formes, nous
voulons les sentir intérieurement, nous voulons essayer de déchiffrer cette écriture et de nous
rapprocher ainsi des êtres spirituels dont la sphère est celle d’où proviennent les arbres qui
sont donnés à la terre.
LE HETRE.
Jadis on appelait le hêtre « la mère de la forêt », comme le principe masculin-féminin, au sens
qu’il a chez les humains, n’existe pas dans les plantes, on pourrait dire aussi : dans le hêtre,
nous avons devant nous quelque chose comme « l’arbre originel », l’archétype de l’Arbre.
Grand d’une noble simplicité, tel est le geste du hêtre. Il s’élève dans les hauteurs en une
constante verticale et produit un bois qui est lourd, dur et solide et, quand il brûle, donne
beaucoup de chaleur. Au printemps, il offre au soleil (plus tôt que le frêne, le chêne et l’orme),
comme pour chanter sa juvénile joie de vivre, ses feuilles vert clair, toutes simples ; en
automne, il se consume dans une chaude lueur rougeâtre. En octobre, il mûrit ses graines, qui
sont pleines d’une huile nutritive, laquelle a également la propriété de la durée, car elle peut
se conserver dix ans sans rancir. De même que le geste du U (OU) rend l’homme constant, le
faisant pénétrer dans la force des profondeurs de la terre, et que d’autre part il l’anime d’un
feu intérieur et l’élève au-dessus de lui-même à la rencontre de l’esprit, le hêtre est là comme
un être qui relie les hauteurs et les profondeurs. La lumière et la chaleur, les éléments d’e haut,
s’unissent à la force et à la pesanteur de la terre. Mais ces éléments d’en haut et d’en bas se
mêlent en un calme harmonieux, si bien que le hêtre a un aspect où ne se lit aucun combat ni
aucun drame.
Sa silhouette est simple et repose en elle-même, son écorce est lisse. La constance et le calme
qui traduisent une harmonisation intérieure de tous les contraires, tel est le geste du hêtre. Il
porte ses faines jusqu’à la fin de l’automne ; et pendant tout l’hiver, et encore au printemps,
d’innombrables cupules restent attachées aux arbres nus ou verdissant de frais. Une forêt de
hêtre offre ainsi au printemps un spectacle étonnant. Là-haut, les jeunes feuilles vertes ; à coté,
d’innombrables vieux restes de l’an passé, d’apparence fantomatique, des sortes de souvenirs
matérialisés. Le sol est couvert de cotylédons des nouveaux rejetons de hêtres qui tous,
comme de petits nains coiffés d’un bonnet, portent encore sur la tête l’enveloppe de leur
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graine, semblable, elle aussi, à un vieux souvenir qui voudrait retenir la jeune vie. Devant ce
tableau, on pense à cette parole de Goethe : « la nature a besoin de beaucoup de mort pour
avoir beaucoup de vie ». En haut, vieux souvenirs arrachés à la vie, les coques du passé ; en
bas, une profusion de vie nouvelle qui s’éveille et s’affirme.
On sait que dans la force saturnienne du son U (OU) agissent à la fois les forces de retenue, de
mort, et celles de résurrection, le feu et la pesanteur terrestre. Ici dans le hêtre, nous les
retrouvons. Mais toutes deux –sa vie qui engendre, sa mort qui nourrit et se consume dans la
chaleur- elles viennent encore, pour ainsi dire, de l’origine commune où vie et mort ne sont
pas encore des forces opposées. L’écorce et le bois du hêtre ont peu de dessins, et très simples,
et sont de couleur grise, si tant est que le gris soit une couleur. Peut être faut il dire que le gris
existait avant que la lumière ne fût, avant que la lumière et les ténèbres n’eussent engagé le
combat d’où naquit la couleur. Les poètes parlent de la « nuit des temps » pour évoquer les
origines du monde. Il est significatif que le génie de la langue ait mis le son OU dans le
mot « source », pour montrer tout ce qui est origine des êtres et des choses (1)
Saturne est la force planétaire originelle où a commencé toute notre évolution terrestre. (2)
Et tous les phénomènes et qualités que nous venons de décrire font qu’il peut paraître justifié
d’appeler le hêtre l’Arbre originel, l’arbre de Saturne.
(1) En allemand, le préfixe Ur (prononcer OUR) indique l’origine : Ur-sprung
(2) Rudolf Steiner La science de l’occulte (éditions Triades)
LE FRÊNE.
Le frêne est né de l’élément eau. Par ailleurs, son tronc svelte s’élance tout droit, à la verticale,
de bas en haut. L’écorce des jeunes frênes a des reflets d’une chaude couleur « fleur de
pêcher » rougeâtre, qui se recouvre de taches noires vers le haut, comme si un feu l’avait brûlé
à certains endroits. L’écorce des vieux frênes présente un dessin qui fait penser au
ruissellement de petits filets d’eau entrelacés. Il rappelle un peu l’image histologique des
fibres musculaires anastomosées du cœur. Chez le frêne, ces lignes fluent nettement de bas en
haut. Les branches et rameaux –on peut notamment l’observer en hiver et au début du
printemps sur de beaux arbres qui poussent au bord des ruisseaux et des étangs- sont comme
des ondes mouvantes devenues matière.
Qu’ils sont étranges et typiques, ces gros bourgeons noirs, comme carbonisés, au bout de ces
rameaux qui ondulent ! C’est d’eux qu’au printemps jailliront les petites fleurs rouges qui,
elles aussi, paraissent brûlées et qui tomberont bientôt. Mais ensuite sourdra, comme un jet
d’eau, des bourgeons qui ont l’air carbonisés, une aigrette de feuilles pennées. Les grands
bouquets pendants de samares toujours verts semblent un amas de gouttes d’eau qui perlent et,
pesantes, s’étirent vers le bas.
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Vitalité, jaillissante, vie bouillonnante, dynamisme s’élançant de bas en haut, tel est le geste
du frêne. Dans l’ensemble, il offre l’image d’une grâce élastique ; mais si l’on prend un
rameau et qu’on l’examine en détail, on est étonné de voir que les éléments particuliers sont
peu structurés, ont des formes plutôt grossières. C’est une grâce naturelle, robuste et rustique
qui habite le frêne. Il nous fait penser à ces héros préchrétiens en qui l’élément solaire se
manifestait encore tout entier dans la vitalité d’une force juvénile. C’est dans le bois du frêne
qu’on tallait jadis les javelots.
Dans le frêne, le feu et l’eau conjuguent leur action. Mais le feu qui dessèche les bourgeons,
les fleurs, le tronc, est bientôt éteint et maîtrisé par la force jaillissante de l’élément liquide, et
le feu se fait élasticité, dureté, élan dynamique. C’est avec le soleil et le son AU (AOU) que
nous devons mettre en relation le frêne. Dans le A, nous plongeons dans le courant de vie
jaillissante qui monte de la terre ; dans le son U (OU), nous avons un feu qui s’élance vers le
haut ; la conjugaison des deux donne l’unité supérieure du AU, qui forme pour ainsi dire le
cœur de l’antique syllabe sacrée AUM. Nous ne sommes pas étonnés de trouver, dans le frêne
aussi, une dualité qui s’unit pour former une unité supérieure. La pousse de frêne a ceci de
particulier qu’elle s’élève d’abord tout droit au-dessus du sol pour ensuite se diviser en deux
troncs qui, tous deux, dans une égalité, une harmonie solaires, s’élancent vers les hauteurs
l’un à côté de l’autre. La couleur du frêne est le vert. C’est dans ce vert, dans cette couleur où
la lumière et ténèbres ont fait la paix entre elles et sont parvenues au calme intérieur, que le
frêne exprime tout son être. Il est l’image de la vie et ne veut pour ainsi dire rien savoir de la
mort. En automne, quand nous traversons une forêt où les hêtres et les érables accompagnent
leur mort d’une symphonie de tons rouges et jaunes, nous apercevons là, au milieu, un îlot du
vert le plus clair, quasi printanier. C’est à coup sûr un frêne, qui garde vertes ses feuilles
jusqu’à ce qu’elles toment. Il ignore tout de la mort, donc aussi des couleurs qui
n’apparaissent que là où la mort touche la vie.
LE CERISIER.
Dans un bois de feuillus, nous trouvons aussi le merisier qui, avec sa couronne de fleurs
blanches, prête au vert clair d’une forêt printanière un charme tout particulier. Comme le
cerisier cultivé possède toutes les propriétés du cerisier sauvage, et même encore plus
marquées, c’est lui que nous allons prendre pour objet de notre étude.
Observons la croissance de son tronc et le dessin de son écorce : ici, nous avons une tout autre
direction des forces. L’écorce presque noire est comme fissurée par une dynamique interne
centrifuge et se détache en petites bandes circulaires. Le courant de bas en haut, qui est encore
si net dans l’écorce du frêne, doit pour ainsi dire céder devant cette dynamique centrifuge qui
s’étend en largeur. La force ascendante de l’arbre est arrêtée et orientée dans une autre
direction. Le bois du cerisier devient résistant, mais il présente des formes molles et fondues,
comme si les ondes de lumière et d’obscurité entremêlaient leur flux. Cela donne un brun qui
est traversé de lignes horizontales, avec sur le tout des reflets violets. L’image de l’écorce qui
apparaît ainsi se retrouve dans une expérience chimique bien déterminée qu’on fait avec une
solution d’argent. On laisse tomber une goutte d’un sel de chrome sur une plaque de verre
couverte de nitrate d’argent. La réaction entre le chromate et l’argent se propage en ondes
rythmées. Cela donne un dessin en forme de cercles concentriques se propageant comme des
ondes. C’est le jaillissement de la force centrifuge de l’argent qui se manifeste dans cette
expérience.
L’être du cerisier se révèle dans la floraison et la fructification. Dans la prime lumière du
printemps, alors qu’il fait encore très froid et qu’il y a encore de la neige dans l’air, le cerisier
est déjà revêtu de toute sa parure de fleurs ; c’est un tableau unique : les troncs presque noirs,
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comme lacérés, et la profusion de fleurs, ces étoiles blanches comme neige. On se rappelle ces
paroles du poète (Eichendorf) auxquelles on prête souvent une coloration sentimentale
qu’elles n’ont pas : « on dirait que le Cil à la Terre a donné un baiser silencieux… »Le ciel et
la terre, la lumière et les ténèbres se rencontrent comme s’ils s’effleuraient d’une caresse
légère avant de se quitter de nouveau.
Il faut comparer le cerisier aux forces de la lune. L’expression eurythmique en est le EI
(prononcé AÏ) où l’on fait une caresse légère : on s’incline avec amour et l’on se retire. Dans
ces paroles du poète se révèle la nature profonde du EI. C’est une sonorité qui fait infiniment
du bien aux enfants, dont l’âme est encore toute entière tournée vers le ciel, dont le corps fait
déjà partie de la terre. Le EI est un geste léger qui fuit la pesanteur. En lui aussi vit une
dualité. Mais tandis que le AU a une immense étendue qui embrasse les hauteurs et les
profondeurs, le EI distingue un élément supérieur, cosmique et léger, d’un élément inférieur,
dense et terrestre-lunaire, qu’il ne fait que toucher sans l’embrasser ni le pénétrer.
Le cerisier ne se conçoit pas sans fruit. Il faut être un enfant ou se rappeler le temps où, encore
enfant, on découvrait les premières cerises de l’année, en petit bouquet, allant toujours deux
par deux, qu’on pouvait si bien se mettre en boucles d’oreilles ! Ce n’est qu’ensuite qu’on les
mangeait. Et seul le goût non dépravé d’un enfant innocent peut vraiment apprécier la fraîche
et pure douceur cosmique de la cerise. Pour mieux comprendre ce que nous voulons dire par
là, comparons le cerisier avec la vigne. Le raisin, qui pousse près du sol, doit baigner dans la
chaleur estivale qui descend du soleil et celle, réverbérée par la terre, qui monte du sol
jusqu’en automne, pour développer la douceur de ses fruits mûris par la terre. La cerise,
élevée par l’arbre très loin au-dessus du sol, mûrit dès les premières chaleurs du printemps
avant même que le soleil n’ait atteint son apogée à la saint-Jean.
Ainsi le cerisier nous apparaît-il comme un arbre où s’opposent encore, en de grandes
polarités, légèreté et pesanteur, lumière et ténèbres. Ce double caractère prénatal, céleste, et
sombre, durci, en fait l’expression des forces cosmiques de la lune ; il est donc permis de
considérer le cerisier comme un reflet de cette sphère.
A présent, l’être spirituel qui agit dans les arbres se trouve pour ainsi dire dans une
alternative. Deux solutions s’offrent à lui : ou bien retourner dans les hauteurs cosmiques ;
mais alors la partie inférieure, sous l’influence exclusive des forces terrestres lunaires,
tomberait dans le durcissement et le desséchement ; ou bien continuer à s’enfoncer dans la
matière, pour la pénétrer, la transformer, l’attendrir et la délivrer.
Des mystiques ont abordé ce problème, disant que toute la création a partagé avec l’humanité
sa Chute et attend d’elle sa délivrance. C’est ce que le poète Albert Steffen exprime en termes
appropriés à la mentalité moderne :
Aimons toujours les arbres,
Les arbres font du bien.
Dedans leurs vertes branches
S’élève un sang divin.
Un jour, le bois voulut durcir
Le Christ s’y suspendit.
Pour mieux nous en nourrir,
Un grand printemps fleurit.
(adaptation de J.L Gaensburger)
On a là une allusion au grand tournant que fut pour l’humanité et pour toute la création
l’événement du Golgotha. Ce qui jadis agissait de l’extérieur, la force cosmique du soleil,
créant et vivifiant, a maintenant pénétré dans la terre, pour agir de l’intérieur vers l’extérieur,
apportant forces et guérison.
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En eurythmie, E et I sont les sonorités qui rassemblent les forces cosmiques extérieures en un
centre pour, de là, rayonner puissamment de l’intérieur vers l’extérieur. Comme un germe
caché en une graine, dans la sonorité lunaire EI se cachent les deux sons terrestres E et I (la
force de Mars et celle de Mercure qui sont celles de la terre).
LE CHENE.
Le chêne est un arbre solitaire, qui repose sur lui-même. Sa silhouette et son geste expriment :
force contenue, concentrée, résistance, affirmation de soi. Son tronc est ramassé, comme s’il
était né d’un effort toujours recommencé, d’une lutte par à coups pour s’élever de bas en haut.
Un vieux chêne fait penser à un géant courbé par l’âge. Les branches et les rameaux sont
noueux et tordus ; en bas, il y en a beaucoup qui, aux extrémités, sont morts, brisés, sans
feuilles. Le tronc présent, chez les vieux arbres, des protubérances noueuses de la grosseur
d’un poing ; le dessin n’a plus rien d’un ruissellement d’eau vive, tout est arrêté, avec des
formes accusées.
Caractéristiques sont, sur les troncs, ces proéminences noueuses d’où sortent à leur tour, un
peu partout, des branchettes et de petites feuilles. L’écorce et les fruits contiennent une
substance amère, le tanin, et sont utilisés comme remèdes, lorsqu’un organisme faible cède à
une tendance oedémateuse ou que les forces vitales intérieures n’opposent pas une résistance
suffisante à l’assaut des forces astrales. Dans les deux cas, l’organisme est fortifié par la
concentration et l’accroissement des forces de vie.
Le feuillage apparaît tard dans le printemps. Il a d’emblée des reflets rouille, expression d’une
défense intérieure contre une agression extérieure. Le feuillage se groupe en bouquets au bout
des branches. Mais tandis que, dans le frêne par exemple, il se déploie avec une force de vie
jaillissante, il pousse ici lentement vers l’extérieur en se serrant en touffes denses. La forme
des feuilles est asymétrique, à découpures arrondies. En observant cette forme on ressent une
dynamique, celle d’un élément intérieur qui s’oppose avec force à la résistance d’un élément
extérieur. Tandis que, chez le hêtre, le haut et le bas, le dehors et le dedans s’interpénètrent en
une harmonie sans combat, tandis que chez le frêne, le courant plein de vie qui monte prend le
dessus, il y a chez le chêne, avant toute autre chose, une lutte entre l’intérieur et l’extérieur.
Cherchons le geste eurythmique correspondant au processus ici décrit : nous trouvons tout
d’abord le E, qui appartient à la sphère de Mars. Des forces affluant de droite et de gauche,
du haut et du bas se rassemblent et se touchent en un point ; elles sont ainsi arrêtées et
fortifiées en elles-mêmes. Dans le geste du E, l’homme se sent à l’intérieur du monde, plein
de forces et reposant sur lui-même. Il perçoit qu’il est enfermé dans une corporéité ; par là, en
tant qu’être terrestre, il prend conscience de soi. Mais il ne peut rester dans cette situation.
Cette concentration de toutes les forces en un point, qui est celle du geste du E, n’est qu’un
moment dans le cours de l’évolution. C’est e moment du retournement. De ce point étroit ou
s’est rassemblé un courant de forces venues de la périphérie, à présent il veut retourner dans
les lointains de l’espace. Seulement les forces sont enchaînées dans la prison du corps : elles
doivent venir à bout de cet obstacle. Un autre geste eurythmique, qui n’est pas du domaine
des voyelles, mais qui, dans sa dynamique interne, établit un pont entre 2 et I, émerge dans
notre sentiment : ce qu’on appelle « tension et détente ». Pour le geste de « tension », nous
faisons le mouvement suivant : les mains et les bras croisés sur la poitrine et bien sérés contre
nous, le dos courbé, nous faisons en avant quelques pas fortement appuyés, comme si une
puissance voulait de l’extérieur nous pousser vers le sol et que nous luttions contre elle dans
un effort concentré. Cette lutte fait croître notre force intérieure, nous nous arrêtons, nous
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nous redressons et, dans un mouvement qui rayonnant de l’intérieur du cœur, s’étend peu à
pu, en les réchauffant, aux bras, aux avant bras et aux mains, l’homme se pénètre d’une force
qui vient du plus intime de son être jusqu’au moment où il se trouve à égalité avec la
puissance du dehors. Alors la force intérieure dépasse l’extérieure et dans le geste de
« détente », l’homme peut avec force et joie porter son être propre dans le monde.
C’est à ce point de l’évolution que nous trouvons le chêne : concentration de toutes les forces
à l’intérieur comme dans le E, poussée de l’intérieur vers l’extérieur comme dans le geste de
« tension » avant que ne soit atteint l’équilibre parfait entre dedans et dehors. Mais le corps,
c'est-à-dire dans ce cas le bois du chêne, est devenu dur et fissuré ; la sève a du mal à pénétrer
partout, jusqu’à l’extrême périphérie ; c’est ainsi que des branches et des rameaux entiers
peuvent se dessécher. (Bien entendu, cela peut être le résultat de causes extérieures, par
exemple atmosphériques. Mais tous les autres arbres sont soumis aux mêmes influences et ce
n’est que le chêne, en raison justement de sa prédisposition interne, qui présente ce
phénomène caractéristique). La force qui, là, est entrée à l’intérieur devrait briser et faire
sauter cette vieille enveloppe dure pour s’épanouir pleinement. Mais c’est une force qui
transforme, dissout, délivre, qui, pour parler comme Novalis, « avec une douce violence va
tout attendrir et pénètre ». C’est la force cosmique de guérison, la force de l’amour qui, à
présent, fait passer la terre de sa période Mars à sa période Mercure.
L’ORME.
Les arbres étudiés jusqu’ici montrent, pourrait-on dire, au premier regard leur être particulier
avec ses caractéristiques individuelles. L’orme, lui, est un arbre énigmatique. Nous
approchons de sa nature profonde lorsque nous observons son étrange comportement au cours
de l’année et que nous le comparons à d’autres arbres. Ce n’est que de cette façon qu’on peut
découvrir, chez lui aussi, le geste et la dynamique interne qui ont donné la « gestalt ».
C’est un vrai messager du printemps. Fin mars, lorsque les premières pousses des hêtres et
des bouleaux tissent sur le brun de la forêt un voile d’un vert tendre, les ormes rayonnent déjà
d’un beau vert lumineux, intense, succulent. Ce ne sont pourtant pas encore des feuilles, mais
les innombrables fleurs groupées en bouquets touffus et formant une pluie de gouttelettes
vertes. Puis ce vert disparaît pour un temps et passe à un brun desséché, si bien qu’à présent
l’orme à l’air dépouillé comme en hiver, au milieu des arbres qui rayonnent d’un vert plein de
vitalité. Ce n’est qu’en mai qu’il fera ses feuilles.
Le tronc des vieux ormes présente de grosses protubérances d’où sortent des touffes de rejets.
Au premier abord, on pourrait penser au chêne, en ce sens qu’ici le tronc offre l’image d’une
force retenue, concentrée. Mais vers le haut, l’image change. Alors que le chêne prolonge ce
geste de force contenue jusqu’au bout des feuilles, il en va autrement chez l’orme. Le tronc
s’élève d’abord lentement, tout droit, rigide, vers les hauteurs, mais ensuite, éclatant pour
ainsi dire d’un centre, les branches s’élancent comme des rayons, asymétriques vers les côtés,
dans une explosion de longs rameaux fins et gracieux qui vont toujours en s’amenuisant.
C’est la que poussent les feuilles qui, pas à pas, muant la pesanteur en légèreté, s’avancent n
ordonnant tantôt à droite, tantôt à gauche, vers le haut, vers l’extérieur, sur des rameaux de
plus en plus légers et lumineux. Ils ont des formes asymétriques, mais en face de l’asymétrie
sans ordre du chêne, il règne ici, jusque dans l’asymétrie, une loi évidente : pesanteur et
légèreté, à droite et à gauche, en bas et en haut, se font équilibre. E tandis que ces feuilles
vertes ne sortent que tard dans le mois de mai, la fructification s’amorce déjà et l’orme,
accélérant l’allure, se hâte vers la maturation et la mort. Dès fin mai, début juin, on voit
pendre par milliers des bouquets de samares qui tombent et parsèment le sol de la forêt. La
plupart sont stériles.
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Le bois de l’orme est sombre et dur comme celui du chêne, mais il n’est pas aussi fendillé, il
est un peu plus souple. En revanche, il présente des inclusions de substances saline cristallisée.
A l’intérieur, le dessin à l’air tracé par un très fin ruissellement vibrant et délicat. Par
comparaison avec le chêne, on peut dire : l’élément solide a été excrété comme de la terre ;
par contre, le reste de la substance s’est réintroduit dans un courant qui vivifie, dissout,
ramollit, assoupli.
Le geste de l’orme est donc, d’une part, une force contenue, retenue, pénétrant jusque dans les
profondeurs de l’obscur et de l’élément terre, d’autre part un ruissellement mobile, un
rayonnement radial qui s’élance vers la lumière, un jaillissement de feu, in équilibre actif,
harmonisant des forces opposés.
Dans le geste eurythmique du I, on retrouve cette polarité entre les ténèbres et la lumière, la
pesanteur et la légèreté : il relie, dans le balancement de la marche, la droite et la gauche, le
bas et le haut.
Cette grâce légère, qui chemine, enflammée par une force intérieure, est aussi le propre de
l’orme. Mais alors que le frêne reçoit sa grâce et son élan vers le haut de l’abondance de sa
vitalité jaillissante et bouillonnante, il en va autrement de l’orme. Son être doit surmonter tous
les obstacles, traverser la mort et le durcissement ; c’est ce que montrent son bois et son tronc.
Mais ensuite jaillissant d’une source intérieure secrète, naît une force qui triomphe de
l’étroitesse et la dureté, et l’orme s’élance, rendant la matière toujours plus légère, vers la
lumière des hauteurs. Le frêne peut nous parler des temps anciens où la terre et l’homme
vivaient encore de la plénitude des forces de vie cosmique prodiguées comme une grâce.
L’orme lui, est un arbre du milieu, image de l’homme actuel, qui pourrait se raidir et se durcir
en lui-même, mais qui, accueillant en lui l’impulsion spirituelle dont la source est la force du
Christ, assouplit et pénètre ses enveloppes et peut de nouveau se tourner victorieusement vers
des régions auxquelles appartient son Je supérieur. Une comparaison avec le hêtre nous
révélera la nature de l’orme d’un autre côté encor. Le hêtre avec ses feuilles vertes, est un des
premiers messagers du printemps ; ensuite, pour son processus de vie et de maturation, il tend
son grand arc d’avril à octobre, en prenant son temps, dans un calme tout maternel, pour
mener à maturité et fécondité la profusion de ses graines. En lui, le processus feu baigne
encore dans le courant de vie, et il en naît de l’huile nutritive. L’orme, lui, verdoie et fructifie
dans un bref laps de temps au mois de mai. Lui aussi, il forme une profusion de graines, mais
la plupart son stériles et « mortes ».. Un phénomène singulier. Devons-nous ne voir là qu’un
signe de ce que l’orme se trouve en régression dans ses processus vitaux et tombe pour ainsi
dire en décadence ? Mais peut être ce phénomène nous révèle t-il une loi secrète de la nature.
Le mot de Goethe : »La nature a beaucoup de mort pour avoir beaucoup de vie » cacherait il
encore un autre sens plus profond ? Partout dans la nature, on a une profusion de semences, et
ce qui ne sert pas à nourrir d’autres êtres ou à créer une nouvelle vie de la même espèce à l’air
de se perdre purement et simplement. Une question –ce n’est, bien sûr qu’une question – nous
vient à l’esprit : Serait-ce cette vie apparemment sacrifiée, disparue en pure perte a en elle une
force qui est rendue à la terre, à l’organisme total, pour redonner vie à la terre et la guérir, et
lui permettre ainsi de poursuivre son évolution ? Lui aussi, l’orme engendre un surplus de
semence qui n’est pas destiné, au départ, à créer une nouvelle vie de son espèce. Dans l’orme
vit la force cosmique de Mercure. Et ce qu’il nous révèle dans ce dernier phénomène peut
devenir pour nous l’image terrestre de cette force cosmique de guérison par laquelle la mort
devient le germe d’une vie nouvelle, supérieure, dénuée de tout égoïsme.
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L’ERABLE.
L’érable est un arbre de la lumière et des hauteurs. Le cerisier, le chêne et l’orme avaient un
bois sombre. Le bois de l’érable, lui, est de nouveau blanc et clair et présente une structure
simple, peu marquée. A la différence du bois clair, dorée du frêne, il a des reflets d’une pâleur
froide, marmoréenne. Le sculpteur pourra lui imprimer facilement la forme qu’il voudra, car
son dessin propre n’est pas aussi marqué que celui de l’orme ni sa substance aussi tenace que
celle du chêne.
L’écorce du tronc présente un fin ruissellement qui fait penser au frêne, mais elle est
légèrement noueuse comme celle du chêne et de l’orme.
Dans d’autres variétés d’érables elle s’écaille en plaques en laissant apparaître des tâches
d’un rouge lumineux. Branches et rameaux se déploient dans une belle harmonie, mais ont
souvent quelque chose du frêne, ce qui montre qu’ici aussi, il y a un obstacle à surmonter.
Le geste caractéristique de l’érable se révèle lorsqu’au printemps jaillissent les premières
feuilles. Comme chez le frêne, elles poussent à l’extrême bout des longs rameaux.
Mais quand tout cela fuse comme un jet d’eau, on serait tenté de comparer le feuillage de
l’érable à une sphère d’étoiles portée vers le haut par une force intérieure et offerte à la
lumière. Cette image est encore quand nous regardons d’en haut la couronne épanouie de
l’érable et du frêne : chez le frêne, c’est une mer de gouttes qui perlent ; chez l’érable une
boule formée d’en haut.
Les feuilles sont très découpées avec cinq lobes symétriques. Devant la feuille de chêne, avec
ses découpures arrondies asymétriques, nous ressentions : ici, un élément intérieur veut se
pousser vers l’extérieur, veut être plus fort que l’extérieur. La feuille d’érable, dentée et
pointue, révèle un élément intérieur qui, bien que lui-même plein de force, néanmoins s’offre
à l’extérieur pour en recevoir sa forme.
La couleur de l’érable est, outre le vert, un jaune d’or, un rouge qui se répand partout. Il
apparaît déjà sur les troncs, sur les tiges rouges, mais aussi sur les fleurs jaunes, les fruits d’or
et surtout sur les feuilles d’automne d’un jaune lumineux. L’érable est, en dehors du cerisier,
le premier arbre de cette suite, qui dans ses fleurs jaunes, mène à sa pleine réalisation le
principe stellaire d’en haut. C’est ainsi que nous voyons l’érable s’élever dans les hauteurs,
baigné, traversé de forces de lumière. C’est ainsi que nous le voyons porter son être intérieur
vers le haut pour que l’univers cosmique puisse lui donner ses formes avec les forces de ses
étoiles.
Le frêne et l’érable sont frères : ce que le frêne est encore, l’érable l’est de nouveau : image de
l’harmonie cosmique. Mais le frêne vit à partir du bas, tandis que l’érable meurt vers le haut,
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dans une vie de lumière supérieure. Ce qui chez le frêne jaillit, chez le hêtre s’arrête et chez
l’orme rayonne victorieusement, est chez l’érable élevé, porté vers le haut. Harmonie
cosmique reconquise, accord intérieur, noble calme et dignité, tel est le geste de l’érable.
C’est le geste d’une âme qui sait qu’elle épanouit son être le plus vrai quand il devient image
de l’esprit.
Si nous ressentons « eurythmiquement » le premier vers de poème de Morgenstern :
Demeure sous ce chaume,
Dans cette maison libre,
D’où le vain bruit qui vibre
A fui loin de ce home…
Nous avons là un peu l’attitude intérieure que l’érable peut faire naître en nous. C’est le geste
jupitérien du O que nous retrouvons dans l’érable : l’âme s’élève bien haut, laissant derrière
elle toute la bassesse des attachements terrestres. Elle se fait grande et large et reste cependant
parfaitement close.
La force de lumière intérieure de son propre être est offerte et rendue au cosmos, dans un
amour reconnaissant et conscient de soi. Ce qui a été reçu de l’univers et qui s est enrichi en
passant par l’expérience terrestre est à présent rendu à l’univers.
Le Bouleau.
Le Bouleau est un arbre aimable et très aimé. Il prospère sur les tableaux des peintres et dans
les chants des poètes. Le Kalevala, épopée populaire finlandaise, consacre tout un chant (le
chant XLIV) à décrire comment son bois sert à construire le Kantélé de Vainamoinen, la
cithare aux accords merveilleux. Cet arbre est ainsi baigné d’une aura de couleur, de poésie et
de musique. On appréhende un peu de l’approcher avec des pensées, car les pensées peuvent
assurément saisir le passé ; mais le Bouleau est un rêve de l’avenir. Sa vraie patrie, elle est
dans les pays du nord est de l’Europe, ou une roche granitique, primitive, purifiée par les flots
de la mer, émerge de l’élément de l’eau et où les âmes des peuples elles mêmes rêvent encore
d’un avenir de lumière.
Son tronc est svelte et souple avec une écorce neigeuse qui s’exfolie horizontalement en
feuilles très minces. Son bois est tendre et blanc avec des reflets chauds et des veines molles
et floues qui se fondent. Les branches se divisent en rameaux de plus en plus fins et légers qui
s’inclinent humblement vers la terre ; c’est là que, pendant également vers le sol, poussent les
feuilles triangulaires finement dentées. Dès le tout début du printemps, ces feuilles d’un vert
tendre apparaissent, pleines d’un jus sucré. L’écorce contient une substance résineuse appelée
bétuline qui la rend quasiment imputrescible. Tous deux, le jus des feuilles et l’huile de
l’écorce, sont utilisées comme remèdes. Partout où un vieillissement précoce entraîne
durcissements et dépôts dans l’organisme humain, le bouleau rafraîchit et revivifie, dispensant
et dégageant de la chaleur intérieure. C’est ainsi qu’il aide l’homme à bien vieillir. Le
sentiment que du bouleau émane une force guérissante est profondément enraciné dans le
cœur des hommes. Dans les régions où l’on observe encore d’anciennes coutumes, les
paysans portent des branches de bouleau dans les étables, pour protéger le bétail contre la
maladie et les mauvais esprits.
Le plus délicat de tous les arbres est aussi celui qui peut supporter le plus grand froid et
l’extrême sécheresse. Le bouleau prend racine dans le granit, dans le sable siliceux ou les
tourbières sèches. Dans les Alpes, on le trouve jusqu’à 1800 où 1900 mètres d’altitude. Et
pourtant il arrive à former ce bois tendre avec ce jus vivifiant. Il doit être habité de forces
cosmiques éthériques qui transmuent le froid extérieur en chaleur, la terre sèche en liquide
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rafraîchissant. Or son geste n’a rien de la vitalité jaillissante du frêne ni de l’affirmation de soi
combattante du chêne, lequel est si sensible au gel.
Le geste du bouleau est grâce et humilité, don de soi plein d’amour, légèreté triomphant de la
pesanteur terrestre. Son être intime est lumière et vie purifiée. L’érable, lui aussi, est un arbre
de la lumière. Mais il s’élève, après avoir soutenu des luttes terrestres, pour ne pas vivre sa
pleine union, avec la lumière que dans la mort automnale. Le bouleau lui, est un enfant du
cosmos. En lui, la lumière devient force intérieure de vie. Il apporte la clarté céleste dans le
domaine terrestre, il emplit la matière sombre et morte de vie lumineuse. Cela se voit aussi à
son écorce qui présente une dynamique semblable à celle du cerisier. Mais tandis que l’écorce
du cerisier est presque noire et son bois sombre et dense, le bois du bouleau devient clair et
tendre, et à sa surface apparaît ce blanc qui est une image de l’âme.
Le bouleau est un arbre plein d’âme, et nous pouvons le mettre en rapport avec les forces
cosmiques qui un jour seront celles de notre planète Terre, quand elle atteindra la phase que
la Science de l’occulte appelle Vénus.
Le A eurythmique peut nous donner un sentiment de ces forces vénusiennes de l’avenir. Dans
le A, on se sent « crée à partir de l’univers ». L’homme terrestre n’est plus alors qu’une
grande question pleine d’étonnement, et c’est de l’univers que, dans l’ouverture de tout son
être, il reçoit la réponse : de tout côtés, des forces cosmiques descendent vers lui, le pénétrant
d’âme, de force et de lumière. Une image de l’homme de l’avenir peut émerger, comme en un
rêve prémonitoire, devant nôtre oeil intérieur ; une image de l’homme où la vieillesse et la
mort auront un autre visage qu’aujourd’hui. Alors l’homme aura appris à bien vieillir, c'est-àdire à rajeunir « cosmiquement », alors il sera en mesure de muer le froid physique en chaleur
spirituelle, la vieillesse terrestre en jeunesse cosmique éthérique. Etant une plante, le bouleau
n’a pas conscience de ces forces qu’il porte en lui ; l’homme, lui, doit les développer par un
effort personnel conscient ; il les trouvera le jour où le « Non pas moi, mais le Christ en moi »
sera devenu réalité.
Le bouleau a tellement de grâce qu’on l’appelle souvent un arbre virginal. Mais si l’on
considère les forces intérieures dont nous venons de parler, on pourrait aussi le qualifier de
« jeune vieillard ». Et grâce a la profusion de ses forces cosmiques de jouvence, il guérit et
comble de ses dons une humanité vieillissante, en attendant qu’elle ait appris à développer en
elle-même ses nouvelles forces de vie.
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Saturne
Soleil
Lune
Hêtre
Gris
Frêne
Clair
(reflet
d’or)
Couleur
qui
caractérise
l’être du
bois
Rapports
avec les
éléments
Substance
Rouge
chaud
vert
Cerisier
Brun
rougeâtre
Avec
reflet
violet
Blanc et
noir
Lumière,
Feu
Terre
Huile
Eau
Terrain
Calcaire
(terre)
U (ou)
Couleur
du bois
Voyelle
Jupiter
Vénus
Erable
Blanc
(reflet
marmor.)
Bouleau
Blanc
(reflet d’or)
rouille
Orange et
jaune d’or
Blanc et or
Lumière
Froid,
Lumière
Vie
Jus sucré,
Huile
Feu
Terre
Fruit
sucré
avant St.
Jean
AU
(AOU)
Mars Mercure
Terre
Chêne Orme
Brun
Brun
clair
jaune
EI (AÏ)
Terre
Tanin
amer
E (é)
Jus sucré
I
O
Silice
(cosmos)
A
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Notre chemin nous a menés du hêtre au bouleau, et voici que le cercle se referme : la Nature
a créé un arbre remarquable, le charme. Nous avons qualifié le hêtre d’arbre originel et
l’avons attribué à Saturne. Le charme aussi est surtout formé et régi par les forces de Saturne.
Le tronc dur, gris et toute la dynamique interne de l’arbre le montrent, ainsi que le
comportement des innombrables fruits. Mais là où l’astral cosmique intervient de l’extérieur,
dans les tendres feuilles finement dentées, souvent pendantes, et dans les fleurs, il s’apparente
au bouleau.
Ici, pou tout dire, l’être éthérique des arbres, leur « Mère originelle », cache en lui le hêtre et
le bouleau, son dernier enfant. Ce qui, dans le temps, est séparé par une longue évolution, le
hêtre et le bouleau, se fond en un même être qui est le charme.
Nous avons résumé ce que nous venons de dire ici en un tableau qui n’a rien d’exhaustif ni de
définitif.
Quand nous étudions la nature de cette manière, nous découvrons qu’en chaque arbre une
force cosmique déterminée agit de concert avec la terre et les éléments. Nous voyons
comment tous ensemble, les uns à côté des autres, les uns avec les autres, les arbres forment
un tout harmonieux, comme lorsque les notes de musique d’une gamme ou les différentes
sonorités d’un mot se combinent pour former une unité supérieure.
Revenons à l’homme. Ce qui nous parle, quand nous « passons par l’examen de la Nature »,
peut éveiller en notre âme des résonances profondes, si bien que nous nous disons avec
reconnaissance : les pensées cosmiques et les forces du verbe cosmique agissent dans le
monde végétal ; mais elles agissent aussi en nous, les hommes ; elles sont déposées, comme
des germes, en nos âmes où elles attendent leur épanouissement.
Cela nous rappelle ces vers de Schiller :
L’idéal le plu haut, le plus grand,
La plante peut te l’apprendre :
Ce qu’elle est sans le vouloir,
Sois-le en le voulant –voila tout !
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