La Cellule: composante ou substitut de notre corps? Paul Cassar traduit de l’anglais original De quoi sommes-nous faits? Cette question donne certainement à réfléchir; elle peut même provoquer chez certains une réaction défensive. Toutefois, au regard de notre corps, cette question fait l’objet d’une exploration biologique et médicale depuis qu’Hippocrate, le premier à proposer une réponse, a postulé qu’il était constitué de sang, de flegme et de bile. Évidemment, notre perception de ce qui compose le corps humain et constitue un individu évolue constamment au fil de l’avancement des connaissances sur la biologie, la génétique et la médecine qui nous renseignent sur ce sujet. Le vingtième siècle fut marqué par des avancées majeures en biologie cellulaire, en génétique et en médecine moléculaire dont, parmi les réalisations majeures, la découverte par Watson et Crick de la double hélice de l’ADN et le lancement du projet du génome humain. 1, 2 Grâce à ces impressionnants efforts, les projecteurs furent braqués sur l’ADN et les gènes qu’il contient comme déterminants fondamentaux de notre corps. Pourtant, contrairement à la croyance populaire, l’ADN n’est pas l’unité fondamentale du corps. On considère plutôt que l’unité fondamentale du corps humain est la plus petite de ses unités fonctionnelles, soit la cellule – le véhicule de nos biomolécules vitales comme l’ADN, l’ArN, les protéines, les lipides, les glucides, les cations et les anions. La compréhension que le corps – à son niveau le plus fondamental – est une soupe biomoléculaire complexe contenue dans des millions de cellules de différents types explique en partie pourquoi les biologistes, dans le domaine de la génomique appliquée, ont délaissé le séquençage de chaînes de gènes statiques pour plutôt tenter de comprendre comment l’information génomique programme les composants cellulaires à l’œuvre au cours des diverses fonctions cellulaires qui, ultimement, déboucheront sur un individu. De ce fait, l’intérêt du biologiste cellulaire pour le corps portera plus spécifiquement sur les événements moléculaires qui coordonnent les divers processus cellulaires qui régulent la croissance, la division, le métabolisme, la signalisation, la mort et la différenciation de la cellule. Ce dernier phénomène désigne le processus par lequel une cellule non spécialisée (par exemple, les cellules souches) se métamorphose en différents types de cellules tout à fait distinctes les unes des autres en terme de structure et de fonction. Donc, en cette nouvelle ère, l’objectif de comprendre « le corps » passe par le formidable défi de saisir les complexités de son unité fondamentale: la cellule. Malgré les avancées majeures des biologistes dans leur compréhension des fonctions cellulaires, d’importantes questions demeurent sur la manière dont ces processus influencent les fonctions physiologiques. En effet, la préoccupation première dans toute expérience cellulaire est de savoir si les observations faites dans une boîte de Petri correspondent aux véritables réactions cellulaires dans le corps. En d’autres mots, est-ce que les expériences sur les cellules faites en laboratoire fournissent des modèles appropriés de certaines maladies humaines ou plus globalement de la condition humaine? Considérant qu’au cours des dernières décennies les biologistes ont travaillé sur des cellules obtenues d’autres espèces (par exemple, la souris ou le hamster) ou des cellules tumorales modifiées génétiquement, la réponse serait un retentissant « pas vraiment! ». Pour être des modèles pertinents de maladie, les cellules expérimentales mises dans la boîte devraient être comparables aux cellules affectées d’un corps humain. D’où l’intérêt grandissant dans le domaine des cellules souches pour la production de lignées de cellules pertinentes à l’étude de diverses maladies (par exemple, des cellules épithéliales pulmonaires pour étudier des maladies comme la fibrose kystique) 3 à partir de cellules souches générées par le propre patient. Le concept de la génération de cellules souches directement à partir des cellules d’un patient s’appuie sur une méthode nommée reprogrammation cellulaire, mise au point par le prix Nobel de médecine 2012, Shinya Yamanaka.4 Cette méthode consiste à prendre des cellules matures d’un patient (par exemple, des cellules de la peau) pour les mettre en culture dans une boîte de Petri. On y introduit ensuite un ensemble défini de facteurs génétiques qui ramènent ces cellules à l’état de cellules souches de type embryonnaire (aussi appelées cellules pluripotentes induites ou cellules iPS). Ces cellules iPS partagent avec les cellules souches embryonnaires la qualité d’être pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles sont capables de se transformer en l’une ou l’autre des diverses cellules d’un corps humain adulte (par exemple, cellules du cœur, des os, du cerveau ou des poumons). Une fois que les cellules matures du patient ont été reprogrammées en cellules iPS, les biologistes peuvent les faire se différencier pour les transformer en diverses cellules spécifiques, pertinentes à l’étude d’une maladie donnée. De plus, ces cellules dérivant du patient, elles devraient en théorie présenter les mêmes anomalies moléculaires en laboratoire que dans le corps de ce dernier. Cela fournit aux chercheurs une plateforme cellulaire qui leur permet d’observer les mécanismes moléculaires débouchant sur la maladie. En utilisant cette méthode, les biologistes sont maintenant capables de produire des cellules spécifiques à un patient et pertinentes à sa maladie, qui servent de substituts pour mieux comprendre cette maladie et, plus généralement, notre corps. Au-delà de leur utilisation révolutionnaire comme modèles cellulaires, les biologistes espèrent également que les cellules iPS permettront éventuellement d’éviter aux patients la nécessité de participer aux premières phases d’essais cliniques de médicaments. L’idée ici est que « le corps » peut se résumer à une collection de cellules iPS du patient en laboratoire, aux fins d’analyses préliminaires de l’efficacité et de l’innocuité de médicaments (par exemple, des cellules du foie pour vérifier la métabolisation du médicament, des cellules cardiaques pour en évaluer sa cardiotoxicité ou des neurones pour tester des composés neuroactifs).5 Ainsi, dans ces « essais cliniques in vitro », ce sont les cellules différenciées du patient qui servent de déterminants du corps pour, en théorie, prédire l’innocuité d’un nouveau médicament de recherche ou s’il produira les effets thérapeutiques espérés. En conséquence, les résultats de ces essais cliniques in vitro prédisant de façon fiable les réactions du corps à un médicament, de nombreux médicaments de recherche (potentiellement toxiques) pourraient être ainsi testés sur « les patients » sans pénétrer leurs corps. Alors que les biologistes continuent à créer des modèles toujours plus performants pour mieux extrapoler les résultats obtenus des cellules en laboratoire à celles de notre corps, celles-ci semblent être encore considérées comme des outils – des entités animées destinées à la recherche scientifique – et pas nécessairement comme des entités du corps. Cependant, en cette ère de médecine régénératrice, la perception des cellules cultivées en laboratoire évolue vers la notion que ces cellules représentent des composants exogènes de notre corps ou pour le moins des entités thérapeutiques vivantes.6 En effet, dans le domaine de la thérapie cellulaire, la cellule (ou le « produit ») est plus qu’un outil: c’est une partie du corps manufacturée. Comment les avancées de la médecine régénératrice et l’utilisation de la capacité de régénération du corps par la bio-ingénierie changent-elles nos perceptions du corps? Même en ces balbutiements de la médecine régénératrice, notre perception collective de l’utilité de notre corps évolue rapidement. Nos cellules, nos tissus et nos organes peuvent être donnés, génotypés, catalogués, mis en banque, multipliés, greffés, transplantés, modifiés génétiquement et vendus,7 si bien que l’utilité du corps excède de loin la durée de vie d’un individu. Sur ce point d’ailleurs, la société nous demande déjà de prendre des décisions au regard de l’utilité de notre corps (ou ceux de nos enfants) avant la naissance (par exemple, la mise en réserve de sang du cordon ombilical) et après la mort (par exemple, le don d’organes). Au fil des progrès dans ce domaine, nos perceptions des limites de notre corps et de sa constitution continueront d’évoluer. Venter, J.C. 2001. The Sequence of the Human Genome. Science, 291 (5507): 1304–1351. Consortium, I.H.G.S. 2004. «Finishing the euchromatic sequence of the human genome ». Nature, 431(7011): 931–45. 3 Wong, A.P. et coll. 2012. «Directed differentiation of human pluripotent stem cells into mature airway epithelia expressing functional CFTR protein ». Nature Biotechnology, 30(9): 875–881. 4 Takahashi, K., et coll. 2007. «Induction of pluripotent stem cells from adult human fibroblasts by defined factors ». Cell, 131(5): 861–72. 5 Grskovic, M. et coll. 2011. «Induced pluripotent stem cells — opportunities for disease modelling and drug discovery ». Nat Rev Drug Discov: 1–15. 6 Minger, S.L. 2012. «Developing technologies to unlock the therapeutic and research potential of human stem cells ». New BIOTECHNOLOGY: 1–3. 7 Mason, C. et coll. 2011. «Cell therapy industry: billion dollar global business with unlimited potential ». Regen Med, 6(3): 265–272. 1 2