“Race” de J. Hiernaux ? HIERNAUX J. “Race” in Dictionnaire de l´ethnologie et de l´anthropologie, Bonte-Izard (Editors), Paris, Puf, 1991. “ Le terme de race a longtemps servi à désigner une subdivision de l’espèce humaine fondée sur des critères biologiques. Apparues au XVIII siècle, les classifications raciales à prétention scientifique ont largement varié en fonction du nombre de races retenues et des caractères jugés propres à définir chacune d’entre elles. Ces variations témoignent de la part d’arbitraire ayant présidé à leur élaboration puisqu’elles sont souvent l’œuvre d’auteurs contemporains qui ont disposé des mêmes observations. Les classifications raciales ont été établies à l’origine et durant une longue période suivant les principes de la classification linéaires des espèces, par agrégation autour de spécimens appelés types. Les types principaux ont été constitués à partir de l’opposition entre, d’une part les populations africaines et extrême-orientales, découvertes lors du dernier grand mouvement d’exploration de la planète, et, d’autre part les peuples européens. Les classifications distinguaient communément trois races majeures dont le contenus exact était variable : la race blanche (ou leucoderme, ou caucasoïde), la race noire (ou mélanoderme, ou négroide) et la race jaune (ou xanthoderme, ou mongoloïde). La démarche typologique a continué d’être appliquée plus tardivement en anthropologie que dans les autres branches de la biologie. Ce n´est que depuis une trentaine d’années qu’une réflexion sur le bien-fondé des classifications raciales s’est fait jour, sur la base des acquis de la taxonomies numérique et de la génétique des populations. Implicitement ou explicitement, la classification 1 raciale prétend ordonner ce que dans la diversité humaine est génétique. Considérer comme race tout ce que est génétiquement différent conduit cependant à faire de chaque être humain, ensemble unique de gènes, une race en soi. La seule démarche justifiable consiste à tenter de classer les populations humaines, définies par la tendance de leurs membres à se marier entre eux, selon une procédure logique de groupement basée sur leur degré de ressemblance génétique. C’est la démarche de la taxonomie numérique, lorsqu’elle part d’une mesure de la différence entre populations (ou «distance biologique») pour un ensemble de caractères dont la variation est totalement ou largement de nature génétique et tente sur cette base de délimiter des «agglomérats» de populations. Encore très lacunaire, son application à l’espèce humaine suggère une dispersion quasi homogène des populations dans l’espace des distances biologiques, configuration qui rend toute classification inopérante. Par une démarche toute différente, des spécialistes de la génétique des populations comme R. Lewontin (1974) sont arrivés à une conclusion semblable : la subdivision en races ne rend compte que d’une part très faible de la diversité génétique propre à l’espèce humaine. Par exemple, la distance génétique entre deux populations françaises n’est en moyenne inférieure que de 15% à la distance entre deux populations prises au hasard dans le monde. Les classifications raciales encore en rigueur sont arbitraires et inopérantes. Aussi un grand nombre d’anthropologues sont-ils actuellement convaincus de l’inapplicabilité du concept de race à l’espèce humaine. D’autres cependant répugnent à renoncer au confort mental d’une logique classificatoire, souvent liée dans leurs esprit à un schéma évolutif qui voit dans les races les rameaux terminaux de branchements successifs au départ d’un tronc représentant la souche humaine primordiale. Cette image est elle-même loin de correspondre à la réalité : du fait de l’intensité du brassage des populations humaines, associée à leur capacité à vivre dans les milieux les plus variés et à leur faible aptitude à s’adapter biologiquement à des milieux contrastés, l’image du réseau représente l’évolution humaine de façon bien plus réaliste que celle de l’arbre. Le recours aux classifications raciales n’est pas prêt néanmoins de disparaître. De la même manière, on continue en certains lieux de faire appel aux typologies raciales, c’est-à-dire de considérer toute population humaine comme constituée de pourcentages différents 2 d’un petit nombre de types raciaux arbitrairement définis (comme les types nordique et méditerranéen), conception dont la génétique a pourtant montré l’absence de fondement scientifique. Quoi qu’il en soit, l’anthropo-biologie se consacre désormais essentiellement à étudier la diversité humaine sans biais classificatoire, et à en rechercher l’explication en termes de génétique des populations et d’influence du milieu sur l’expression des gènes. Avant même que les biologistes aient remis en cause la pertinence de la notion de race, l’anthropologie sociale avait déjà cessé de rechercher des corrélations entre «races» et cultures.” 3