720!-CM9-Securite pat-temps:Mise en page 1 - DPC AFML

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SÉCURITÉ DU PATIENT
LE CONCOURS MÉDICAL
Comment gagner des crédits de temps
sans perdre le contrôle des patients
Dr René Amalberti*,
HAS et Prévention médicale
Chaque jour est à la fois une continuité et un nouveau défi, avec
de nouveaux patients et le souci des anciens, une liste de problèmes
que lʼon voudrait arriver à régler, des impondérables, des interruptions.
Cette pression quotidienne de tous les instants use et fragilise votre
efficacité. Pensez chaque jour et pour chaque patient à quelques
réflexes de base pour maintenir une médecine efficace.
L
e Dr Pierre N. est le médecin traitant depuis quatre ans de
Mme Joséphine P., une charmante patiente de 82 ans résidente
d’une maison de retraite, avec laquelle il est conventionné. Il
connaît bien Joséphine, et elle ne lui pose guère de problèmes même
avec ses antécédents plutôt chargés : importante surcharge pondérale
(97 kg pour 1,58 m), diabète non insulinodépendant, hypertension
artérielle sur un terrain ayant accumulé des excès de vie anciens et variés. Elle est stabilisée avec, notamment, Glucophage (2 cp le midi),
Kardegic 75, et Loxen (3 cp 560 mg/j). Pourtant ce jeudi, à 15 h 10, il
reçoit un appel de l’infirmière de la maison de retraite concernant précisément Joséphine ; il est alors en consultation à son cabinet avec une
salle d’attente pleine et déjà quelques signes de retard dans son
agenda d’après-midi (qui se poursuit à partir de 18 h 00 par 6 visites
déjà programmées) : « Bonjour Docteur, Mme P. ne se sent pas bien,
elle est restée dans sa chambre et n’a pas voulu manger, nauséeuse, avec
une oppression thoracique depuis ce matin ». Après une courte
Quelques règles dʼor pour un contrôle des crédits de temps gagnés et perdus,
en restant sûr et efficace avec la patientèle
e temps est utile en médecine. En
médecine générale plus quʼailleurs, la
gestion du temps disponible dans la
journée qui sʼécoule est stratégique pour la
gestion des risques liés aux soins. Attendre une
certaine évolution des symptômes est souvent
une solution médicale fondée et intelligente ;
les tableaux de fatigue et de fièvre régressent
souvent sans nécessité dʼexplorations ou de
thérapeutiques inutiles, et ils se complètent et
prennent sens dans le temps quand le
diagnostic « arrière » est plus sévère.
Sa gestion ne repose pas sur une gestion
particulière dʼun colloque singulier, mais sur
une gestion globale de lʼactivité
professionnelle : le temps disponible étant
physique et non extensible, il en manque
toujours pour tout faire idéalement ; sa gestion
se réalise sur lʼensemble de la patientèle, et sur
sa vie privée, par des échanges de risques
prudemment conduits.
Gérer le temps affecté à chaque patient est
équivalent à gérer des risques médicaux.
Gérer le temps global de sa journée et ses
conséquences sur les risques patient sʼapprend :
L
‒ je mʼapplique à ne traiter quʼune seule
demande par consultation, sauf exception ; si
plusieurs demandes sont sur la table, je les
hiérarchise en début de consultation. À cet
égard, le format long de quinze minutes en
moyenne des consultations françaises (par
rapport au format de six minutes en
Allemagne et aux Pays-Bas, de dix minutes en
Angleterre) ne simplifie par le problème mais
lʼaugmente en posant de façon impérative la
question du contrôle de la consultation pour
aborder tous les sujets cités dans le bon ordre
de priorité ;
‒ jʼorganise mon agenda de façon à pouvoir
vraiment jouer sur les crédits de temps ; il faut
au moins un créneau de consultation toutes
les deux heures, maintenu vide pour stabiliser
de façon sûre un agenda médical. Si la
saturation est telle que toutes les consultations
et visites doivent être accélérées, le système de
gestion sûre devient impossible ;
‒ chaque fois que je gagne du temps (un crédit
de temps) sur un patient, je me force à mettre
deux protections : je note (sur le dossier de ce
patient ou sur un carnet aide-mémoire) que je
dois reprogrammer le temps sur ce patient
ultérieurement ; je donne au patient une
consigne plus précise sur ce quʼil doit surveiller
et quoi faire si un signe en relation avec le
problème se manifeste (me rappeler, revenir,
prendre tel type de médicament, etc.). Dans le
cas de Pierre, je récupère par exemple le
résultat en utilisant tous les outils de
communication disponibles, notamment
nomades ;
‒ chaque fois que je perds un crédit de temps
sur un patient (temps consacré débordant le
temps normal), je réajuste mon agenda
complet, en me donnant rapidement une
vision sur les points critiques de la journée où
je peux regagner des crédits sur les tâches et
priorités secondaires ;
‒ je développe une stratégie ciblée de prise de
patients/autres professionnels au téléphone
pendant mes consultations. La télé- ou audioconsultation nʼest pas intuitive, et des cours se
multiplient un peu partout en Europe.
Pourquoi pas vous ? On apprend beaucoup
dans ces cours, beaucoup plus quʼon ne le
croit en béotien que lʼon est.
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TOME 133 [ N°9 ] NOVEMBRE 2011
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LE CONCOURS MÉDICAL
pratiques
discussion au téléphone qui amène peu d’autres éléments inquiétants
(TA 10-8 mmHg, test bandelettes d’urines normales), il demande à
l’infirmière de faire un ECG, et lui dit (un peu forcé vu l’agenda) qu’il
passera la voir le soir-même. Plus tard dans l’après-midi, nouvel appel de l’infirmière, l’ECG est fait, Mme P. va mieux « Joséphine n’est
plus nauséeuse et se repose ». Pierre décide immédiatement de ne lui
rendre visite que le lendemain matin. Mais le lendemain matin, à la
maison de retraite, il découvre une patiente apnéique et un ECG qui
montre des signes nets d’infarctus du myocarde. Il fait hospitaliser Joséphine en urgence.
Pierre s’en veut sur le moment, mais se dit qu’il était bien difficile
de faire autrement.
Est-ce que cela aurait pu vous arriver ? Que dire à notre confrère
Pierre s’il raconte ce cas clinique dans un groupe de pairs?
Quelle stratégie permettrait de réduire ce risque ?
Qu’a fait notre confrère ?
Il a géré des crédits de temps ; pris sous la pression (habituelle), il
a échangé (pense-t-il raisonnablement) du temps pour Joséphine
(poursuite d’un long interrogatoire au téléphone, visite le jour même)
contre du temps donné au reste de sa patientèle. Le risque pris avec
Joséphine a été échangé contre un travail bien fait et moins de risques
pris pour les patients d’après-midi. Nous faisons tous ces choix à
chaque patient…, renoncer à faire déshabiller le patient âgé qui vient
pour un renouvellement d’ordonnance, éviter une discussion psychologique incertaine qui peut faire perdre dix minutes avec cette patiente à la vie compliquée, mais on insistera peut-être plusieurs minutes au téléphone alors qu’on est mis en attente à l’autre bout du fil
devant un patient inquiétant pour lui obtenir un rendez-vous rapide.
Dans un métier aussi complexe et prenant, sous pression psychologique et temporelle presque continue par le fait des patients ou par
celui de soucis plus personnels, on sait tous qu’on ne pourra pas tout
faire idéalement, on devra contrôler le temps, gagner sur certaines actions, qui seront accélérées (parfois à la limite du bâclé), remises à plus
tard pour le bénéfice d’autres actions que l’on veut vraiment assurer.
Dans le cas de Pierre, on peut accepter sa stratégie de reporter la visite au lendemain comme acceptable dans son principe, mais considérer que Pierre est plus contestable sur la prescription d’un examen
(l’ECG) qu’il ne va finalement pas regarder, alors qu’il dispose du résultat. Assumer le risque de façon plus sûre aurait sans doute amené
à demander à l’infirmière de transmettre l’image de l’ECG… Il y a tellement d’outils nomades pour transmettre l’information de nos
jours qu’il n’y avait que l’embarras du choix, de l’ancien fax, en passant par un document scanné sur e-mail, jusqu’aux multiples Iphone
et PDA dont chacun s’équipe de plus en plus. Auriez-vous pensé à
cette solution?
Gérer son temps professionnel, cʼest gérer des risques
pour ses patients(1,2)
Rien n’est totalement intuitif en la matière, et même si l’on apprend
par l’expérience comme Monsieur Jourdain, cette expérience est très
variable de l’un à l’autre. Apprendre à discuter un dossier de patient
en groupe de pairs avec une méthode centrée sur le contrôle du
temps est une vraie expérience pour s’interroger sur ses pratiques, et
apprendre des autres.
Nous verrons le mois prochain une méthode simple d’analyse des
incidents/accidents patients qui reprend ce concept. 416107 ■
1. Brami J, Amalberti R. Les risques en médecine générale, Springer Verlag, 2009.
2. Amalberti R, Brami J. Tempos Management in Primary Care: a Key Factor for Classifying Adverse Events,
and Improving Quality and Safety, BMJ QualSaf, in press 2011.
* René Amalberti, professeur de physiologie-physiopathologie au Val-de-Grâce, ancien titulaire de chaire,
spécialiste de la gestion des risques industriels et médicaux, partage actuellement son activité entre ses
rôles de conseiller sécurité des soins de la HAS-DAQSS et de directeur scientifique de la Prévention
médicale, www.prevention-medicale.org
Relations entre conditions
temporelles de travail en médecine
générale et qualité des soins
étude américaine MEMO (MinimizingErrors,
MaximizingOutcomes/réduire les erreurs, augmenter le
bénéfice clinique) a été conduite avec 449 médecins
appartenant à 119 cabinets de groupe entre 2001 et 2005 sur lʼeffet
de lʼorganisation temporelle dans le travail, ses conséquences pour
le médecin et pour la qualité de la prise en charge de ses patients.
Elle prend également en compte lʼimpact des cas cliniques
problématiques qui désorganisent la journée, et la culture et
lʼorganisation globale du cabinet médical. Les médecins devaient
rapporter le temps accordé à chaque patient au temps quʼils
auraient voulu lui accorder idéalement, en intégrant les crédits de
temps perdus et ceux qui pouvaient être sauvés (temps finalement
passé inutilement), et en isolant les cas particuliers difficiles et très
perturbants dans lʼagenda de la journée. Un questionnaire de stress
évaluait lʼimpact sur le médecin de ces régulations plus ou moins
forcées. Lʼimpact sur le patient était évalué sur une cohorte de
patients chroniques (diabétiques, hypertendus, coronariens) pour
qui on jugeait lʼeffet positif ou négatif de la stratégie du médecin,
et notamment ses possibles erreurs.
Lʼ
Au total, 53,1 % des médecins rapportent des difficultés avec la
gestion du temps pendant la consultation, et 30,3 % disent quʼil
leur faudrait 50 % de temps en plus dans la consultation pour
faire bien leur travail ; 48,1 % se plaignent dʼun environnement
professionnel chaotique avec des interruptions incessantes, du
temps perdu à chercher lʼinformation, et de lʼimpossibilité de
récupérer tout retard. Dans ces conditions, 48,8 % des
généralistes se sentaient stressés, 26,5 % se sentaient proches du
burn-out, et 30,1 % évoquaient lʼéventualité de quitter cette
forme dʼexercice libérale dans les deux ans.
Côté patients, les impacts étaient réels (diabétiques en particulier)
mais relativement limités dans la série observée, comme si les
médecins prenaient sur eux de compenser leur gestion erratique
du temps par une activité encore plus importante et des journées
encore plus allongées pour récupérer les erreurs commises
initialement par la mauvaise gestion temporelle, évidemment au
détriment de leur propre santé.
Linzer M, Manwell L, Williams E, Bobula J, et al. Working conditions in Primary care:
Physicians reactions and care quality, Ann. Int. Med 2009;151:28-36.
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